L’École des biches/Onzième entretien

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J. P. Blanche (p. 163-174).

ONZIÈME ENTRETIEN.

Même local.
le comte, caroline, marie, antonia.
le comte (à Marie).

Bonjour, belle rareté ! (Il la baise au front.) Voilà un visage de bon augure. Bonjour Caro… Tenez, Antonia, portez cela à l’office : ce sont des friandises achetées en passant devant Chevet, et qu’on ajoutera au déjeuner. Dites aussi qu’on serve de suite.

(Antonia sort.)
caroline.

Offrez le bras à Marie, et passons dans la salle à manger. Il se fait tard, et nos estomacs crient la faim. Nous causerons tout à notre aise à table.

(Sauf quelques pressions de mains et de pieds sous la table à l’adresse de Marie, qui ne sont ni acceptées ni repoussées, le déjeuner se passe convenablement. L’appétit satisfait, chacun a hâte, dans l’espérance d’une liberté plus entière, de quitter la table. Dès que nos trois acteurs sont réinstallés dans le boudoir de la maîtresse de la maison, Caroline voyant M. de Sarsalle embarrassé comme un amoureux qui craint le ridicule d’une déclaration qui peut être repoussée, se décide à entamer la négociation promise.)

caroline.

Mon cher comte, j’ai fait part à Marie de la grande passion qui vous tient si fort en ce moment pour elle, et lui ai demandé sa bonne volonté pour m’aider à vous calmer.

le comte.

Et qu’a répondu l’enchanteresse ?

caroline.

C’est à elle de répondre.

marie.

Mon Dieu ! monsieur le comte, ce que vous désirez si ardemment, dites-vous, me paraît fort extraordinaire, surtout pour un homme qui jusqu’à présent a donné des preuves d’un sens si droit. Vous savez que j’ai accordé mon cœur et livré mon corps à un homme de mon choix qui, lui aussi, m’aime autant qu’on peut aimer. Quelque reconnaissance que j’aie de vos bontés, quel que soit mon désir de vous être favorable, comment puis-je changer cet état de choses, et que puis-je faire en votre faveur ? Certes, je puis bien m’abandonner à vous ; mais quel plaisir pouvez-vous espérer d’une femme dont le cœur est ailleurs ?

le comte.

Ce que vous m’opposez, Marie, est une preuve de vos bons sentiments : il ne faudrait cependant pas toujours les porter à l’extrême ; plus votre passion est grande en ce moment, plus grande aussi serait votre désillusion dans l’avenir en y persistant. Ces sentiments exaltés, croyez-moi, ne sont point dans la nature ; quand ils existent, ce n’est qu’à l’état de fièvre, qui ne peut durer ; cette fidélité rigide dans l’union des sexes, même pour les personnes qu’on chérit le plus, me paraît une exigence purement fictive, et dont l’exécution dans la pratique de la vie est impossible. Ceci doit donc diminuer de beaucoup les remords d’une faute où le cœur n’entre pour rien, et qui ne laisse de traces que le souvenir d’une jouissance charnelle. N’en suis-je pas un exemple ? J’aime uniquement Caroline ; c’est pour moi une amie dont je ne pourrais me passer. Eh bien, malgré ma volonté de ne jamais lui causer le moindre chagrin, je n’ai pu m’empêcher, en vous voyant, d’éprouver une impression que je n’ai pu maîtriser, et qui, en très-peu de temps, a paralysé en moi les désirs que précédemment je sentais toujours près d’elle. Nos sens éprouvent donc, vous le voyez, dans la rencontre des sexes, des attractions, des entraînements auxquels la raison des plus sages ne peut résister ; ce qui néanmoins ne doit affecter en rien l’intimité d’une union qui, comme la nôtre, par l’aménité du caractère et la similitude des goûts, ne doit pour ainsi dire finir qu’avec notre existence.

(Caroline, fort étonnée d’entendre de la bouche du comte un plaidoyer en faveur de l’infidélité en amour, se promet, à part soi, de se le rappeler à l’occasion, et comme ce bavardage peut ainsi se prolonger fort longtemps et retarder le dénoûment arrêté dans sa tête, et auquel elle s’est résignée, elle juge qu’il est temps d’interrompre ce verbiage et d’aller droit au but. Comme elle a remarqué que M. le comte de Sarsalle s’est emparé de la main de Marie, et que ses yeux ne la quittent pas, elle commence ainsi l’attaque :)

caroline.

Comme vous admirez cette main ?

le comte.

C’est qu’elle est d’une perfection rare : légèrement grasse, blanche et fine de peau, avec des doigts effilés et des ongles roses, une véritable main de duchesse !

caroline.

Et son pied ! et sa jambe ! (Relevant les jupes de Marie plus haut qu’il n’est nécessaire.) Voyez ce pied mignon, ces attaches fines, cette jambe élégante, ce genou si petit et cette cuisse si rondelette, et ce… Mais que faites-vous donc, libertin ? Où sont vos mains ?

(M. de Sarsalle, excité par la vue des beautés qu’il vient d’apercevoir, perd sa retenue ordinaire, et se met sans scrupules à fourrager les appas de notre jeune fille, qui s’en défend d’abord.)

caroline.

Je ne vous reconnais pas, cher comte ; c’est extravagant ! c’est du délire ! Cette pauvre enfant n’en peut plus. Ne voyez-vous pas qu’elle étouffe dans son corset ? Attendez, laissez-moi donc le temps de l’en débarrasser.

marie.

Oh ! non, Caroline, je t’en prie !

caroline.

Allons donc ! Maintenant que le rideau est levé, voudrais-tu nous priver d’une partie du spectacle ?

(Malgré les demi-façons de sa cousine, Caroline n’en va pas moins à son but, et s’occupe de débarrasser Marie de tout ce qui peut la gêner. Le comte a profité de ce temps d’arrêt pour mettre à jour un assez présentable membre, qui paraît disposé à bien faire. Puis, s’étant rapproché de nos belles, il s’empare de la victime, et s’apprête à commencer l’assaut.)

caroline.

Un instant, cher maître. Je ne permettrai pas que vous vous donniez avec cette jeune fille autant de plaisir et que vous me laissiez manger mon pain à la fumée de ce beau divertissement ! Il n’en sera pas ainsi, s’il vous plaît : j’en veux ma part. Pendant qu’avec votre boute-joie vous fêterez, les pays-bas de Marie, vous aurez, je l’espère, la complaisance, avec votre langue, de caresser mon clitoris ?

le comte.

Comment cela pourrait-il se faire ?

caroline.

N’en ayez nul souci. Je ne demande que votre bonne volonté, et réponds du reste. Viens, ma chérie ; étends-toi sur le divan. Je vais me placer à genoux derrière ta tête, de sorte que mes cuisses te servent de point d’appui. Monsieur, couché sur toi, aura alors naturellement sa tête à la hauteur nécessaire pour le service que je lui demande, et je connais trop sa galanterie pour supposer qu’il s’y refusera.

(Marie, qui dans ses réunions avec Caroline s’est habituée à ces raffinements de libertinage, la seconde merveilleusement dans la disposition des personnages, et, déjà en place, attend sans trop de crainte le commencement de l’action. Électrisé par la perspective de ce joli et frais visage encadré dans deux cuisses d’une blancheur d’albâtre, surmonté de cet as de pique de Caroline qui, bien fourni et noir comme l’ébène, vient se mêler à la blonde chevelure de sa voisine, le comte commence en même temps avec ardeur le service des deux cousines. Il va si franchement, et met tant de bonne volonté dans l’exécution de la demande de Caroline, que, soit par l’habileté de l’agent, soit par l’imagination exaltée de cette dernière, et bien qu’elle désire prolonger la jouissance, elle ne peut ralentir les approches de la crise, et après quelques résistances, la sensation devient si violente, qu’elle cède et tombe dans les délices de la suprême volupté. Caroline, sans rien faire paraître de ce qu’elle a éprouvé, se déplace ; et en bonne fille, pour ne rien déranger, coule sous la tête de Marie un oreiller en remplacement de l’appui de ses cuisses ; elle veut de plus se rendre encore utile, et porte ses mains partout où elle suppose qu’une caresse pourra augmenter la jouissance de ses amis. Le comte, par ce surcroît d’excitation inattendu, est bientôt amené au dénoûment, et la cessation de ses mouvements, naguère si précipités, annonce qu’avec la perte de la semence toute sa vigueur a disparu. Aussi retire-t-il du fourreau une arme devenue bien inoffensive et dans un tel état d’humilité qu’il se sauve au cabinet de toilette, espérant avoir dérobé à ces dames cette triste vue.

caroline.

Eh bien ! qu’en dis-tu ?

marie.

Sans tes caresses, je n’aurais pu finir ; mais explique-moi donc pourquoi le comte désarme si vite après l’action.

caroline.

Pourquoi il débande si vite après avoir déchargé ! N’est-ce pas cela que tu voulais dire ?

marie.

Oui, avec Adrien, ce n’est pas comme cela.

caroline.

C’est que, vois-tu, ma fille, le comte n’est plus de la première jeunesse, et n’a jamais été taillé comme un Hercule. Dame ! ce n’est plus ton Adrien. Ah ! M. le comte, vous me le payerez. Après ce qui vient de se passer aujourd’hui, je n’aurai plus de scrupule, et, revenant sur ton offre, je veux encore essayer de ton Adrien, et cette fois par la voie canonique. Ce sera un rendu pour un prêté.

marie.

Oh ! pardieu non ! J’aime mieux que tu restes ma débitrice toute ta vie !

caroline.

Est-ce que tu deviendrais jalouse ? Mauvais défaut pour les plaisirs !

marie.

Comment peux-tu supposer que je sois jalouse, et de toi ! C’est une plaisanterie ! Est-ce que je ne suis pas toujours prête à faire tes volontés ? Mais dis-moi donc : Ai-je bien joué mon rôle ? es-tu contente de ton élève ?

caroline.

Très-contente ! et si tu veux suivre mes conseils, tes intérêts et les miens ne s’en trouveront pas plus mal. Allons maintenant retrouver notre vigoureux amant : il doit avoir fini ses ablutions. À notre tour !

marie.

Pourquoi ne l’attendrions-nous pas ici ?

caroline.

Est-ce que tu as honte de faire ta toilette devant lui ? Pudeur un peu tardive, ma mie ! Enfin !