L’École des mères (La Chaussée)/Acte I
L’ÉCOLE DES MERES,
COMÉDIE.
ACTE PREMIER.
Scène I.
Mon pere, en vérité, j’ai peine à vous comprendre.
Pourquoi ?
Et son dessein n’est pas de se donner un gendre.
Projets de femme. Autant en emporte le vent.
Son mari m’a promis de t’accorder sa fille ;
Il va la ramener au sein de sa famille :
Tiens ton cœur & ta main tout prêts à se donner.
Cet ordre rigoureux a de quoi m’étonner.
Permettez que je vous remontre…
Doligni, laissons-là des débats importuns.
Tu vas me débiter les mêmes lieux communs
Qu’autrefois nous avons, en pareille rencontre,
Chacun, de pere en fils, employés comme toi.
Va, j’ai passé par-là ; tu feras comme moi.
Et si j’aimois ailleurs ?
Il faudroit, en ce cas, devenir infidele.
Ce n’est donc pas pour moi que vous me mariez ?
Pour qui donc ?
Je le croirois presque.
J’ai compté faire un choix que vous approuveriez.
L’amour dans un jeune homme est toujours romanesque.
J’aurois été moi-même assez extravagant
Pour épouser aussi ma premiere amourette,
Si l’on n’eût retenu ma jeunesse indiscrette.
Mais je ne connois point Mademoiselle Argant.
Ni moi : mais elle aura vingt mille écus de rente.
Eh ! quand elle en auroit quarante !
Ce seroit encor mieux.
N’avez-vous pas du bien ?
Il le faut augmenter ; sinon, il vient à rien.
J’ignore comme elle est d’esprit & de figure.
Elle est riche. À l’égard de l’esprit, je t’assure
Qu’une femme à la longue en a toujours assez.
Elle est jeune, au surplus ; & tout ce que j’en sçais,
C’est qu’à quinze ou seize ans on est du moins jolie.
Qui sçait si le rapport d’humeurs…
En tout cas, tu feras comme les autres font.
Qui s’embarque, est-il sûr de faire un bon voyage ?
À quoi sert l’examen avant le mariage ?
À rien. Ce n’est qu’après qu’on se connoît à fond.
Las de se composer avec un soin extrême,
Le naturel caché prend alors le dessus ;
Le masque tombe de lui-même,
Et malheureusement on ne le reprend plus.
Mais enfin le bien reste ; & cet ami fidele,
Sans compter quelquefois la raison qui s’en mêle,
Entre époux qui pourroient se brouiller sans retour,
Sert de médiateur, au défaut de l’amour.
Il cessera d’être inflexible.
Scène II.
C’est Rosette !
Monsieur, ma maîtresse est visible.
Bon. Et Monsieur Argant n’arrive donc jamais ?
L’œil du Maître est pourtant chez lui fort nécessaire.
On l’attend tous les jours.
Voilà bien des délais.
C’est qu’un mari, pour l’ordinaire,
N’est jamais si pressé de retourner chez lui.
Quoi qu’il en soit, on dit qu’il revient aujourd’hui.
Tant mieux, j’en ai l’ame ravie.
C’est le meilleur ami que j’aie eu de ma vie.
Mais allons voir sa femme, & lui faire ma cour.
Doligni, tout est dit. Adieu, jusqu’au retour.
Scène III.
Il m’aime, je le sçais ; c’est sur quoi je me fonde.
Qu’est-ce ? Vous n’êtes pas le plus content du monde ?
C’est que je viens d’avoir un entretien fâcheux.
Ceux d’un pere & d’un fils sont toujours orageux.
J’aime ; & mon pere veut que j’en épouse une autre.
Il a tort ; & son goût devroit suivre le vôtre.
Ce n’est pas ce qui doit m’embarrasser le plus.
Il s’agit de mes feux. Comment sont-ils reçus ?
Marianne ayant mis en toi sa confiance…
Que concluez-vous de cela ?
Si j’ai plû, tu le sçais.
Nous ne nous faisons point ces confidences-là.
Voyez donc !
Si l’amour & les cœurs soumis à votre empire
De tous vos entretiens ne font pas le sujet ?
Oh ! ce n’est pas comme vous autres.
Vous avez vos propos, & nous avons les nôtres.
Sur quoi roulent-ils donc, & quel en est l’objet ?
Une mode, une étoffe, une robe nouvelle,
Des gazes, des pompons, des fleurs, une dentelle,
Sont d’abord des sujets qui ne tarissent point.
Quand on est en gaieté, quelquefois on y joint
Des historiettes de fille,
Des contes de couvent. Enfin, que sçais-je, moi ?
On parle, on cause, on jase, on caquette, on babille,
Et l’on rit bien souvent, sans trop sçavoir pourquoi.
Non, jamais on n’a vû de fille si discrette.
Je sers d’exception.
Le Marquis, par hazard, n’est-il point mon rival ?
Qui ? lui !
Il fait profession d’être un galant bannal.
Il peut s’être avisé d’employer auprès d’elle
Ses talens séducteurs.
Ils ne produiroient rien.
Ses succès ont cent fois couronné son adresse.
Il ne possede que trop bien
L’art de rendre sensible à sa fausse tendresse ;
Et tant de cœurs conquis, bien ou mal-à-propos,
Troublent le peu d’espoir qui pouvoit me séduire.
Comment ! vous érigez ce Marquis en Héros !
Comment puis-je en effet balancer ou détruire
Tant d’avantages vrais ou faux ?
Mon malheureux amour m’éclaire.
Il ne faut que chercher à plaire,
Pour connoître tous ses défauts.
Peut-être à tort je la soupçonne ;
Mais pour une jeune personne
L’hommage du marquis est bien éblouissant.
Plaise à l’Amour que je m’abuse.
Il est vrai que l’on nous accuse
D’apporter toutes en naissant
Ce malheureux levain de la coquetterie,
Et ce goût effréné pour la galanterie.
Nous pourrions à bon titre en dire autant de vous.
Mais, sans récriminer, croyez que parmi nous
Il est encor des cœurs dignes d’un honnête homme.
D’ailleurs, en vains soupçons votre esprit se consomme ;
Le Marquis choisit mieux.
Eh ! peut-il mieux choisir ?
Marianne est sans doute extrêmement aimable :
La bonté de son cœur la rend inestimable.
C’est un trésor. Heureux qui pourra s’en saisir !
Mais enfin, par vous seul, en silence adorée,
Marianne est presque ignorée.
On ne la connoît point à la Ville, à la Cour :
Et les gens du bel air ne rendent point les armes,
Si la célébrité n’est jointe avec les charmes.
Chez eux, la gloire a pris la place de l’amour.
Tel est ce cher Marquis d’impression nouvelle.
Un des plus grands travers qui troublent sa cervelle,
C’est qu’aucune Beauté ne sçauroit le tenter,
Qu’autant qu’elle est de mode, & qu’il voit autour d’elle
La cour la plus brillante. Il aime à supplanter.
Plus le concours est grand, plus il la trouve belle.
Aussi, pour parvenir jusqu’au suprême honneur
De l’avoir sur son compte, il n’est rien qu’il n’employe.
En un mot, ce qui fait sa gloire & son bonheur,
C’est l’opprobre éclatant dont il couvre sa proie,
Et la rage qu’il porte au sein de ses rivaux.
Voilà le seul exploit digne de ses travaux.
Quels travers ! car il a de l’esprit, ce me semble.
L’esprit & le bon-sens vont rarement ensemble.
Tout ce que tu me dis, ne me rassure pas.
Parlez-lui donc vous-même ; il tourne ici ses pas.
Scène IV.
Eh ! bonjour, Doligni… Parbleu, que je t’embrasse.
Ces embrassades-là sont aussi du bel air.
Qu’est-ce donc ? Mon abord te trouble ! il t’embarrasse !
(regardant Rosette.)
J’en vois la cause. Allons, rassure-toi, mon cher ;
Je fais profession d’être un rival commode :
Avant qu’il soit peu, dans Paris,
Je veux en amener la mode,
Et mettre les amans sur le pied des maris.
Elle n’est pas si mal, au moins !
Je parlois à Rosette.
Toujours quelque chose à lui dire.
Il faut te l’avouer.
(Rosette hausse l’épaule.)
Tiens, Rosette rougit ; elle te fait un signe.
Notre entretien rouloit sur un sujet plus digne.
C’était sur Marianne.
Quand on est tête-à-tête avec elle en secret,
Il est bien mal-aisé de lui parler d’une autre ;
Il n’est personne alors qu’on ne doive oublier.
Point de panégyrique, ou je ferai le vôtre.
Ne cherchons point tous deux à nous humilier.
Treve entre nous de gentillesse.
Si Madame vous croit un Être si parfait,
Eh ! bien, à la bonne heure ; elle est fort la maîtresse.
Elle peut vous gâter, comme elle a toujours fait.
Mais comme je n’ai pas la même ivresse qu’elle,
Je pourrois m’égayer aux dépens des railleurs :
Ainsi, Monsieur, cherchez vos passe-tems ailleurs.
Quand Rosette se fâche, elle est encor plus belle.
Finissez mon éloge, & me laissez en paix.
Puisque tu fais semblant de le trouver mauvais,
Je ne pousserai pas à bout ta modestie.
La petite cousine étoit donc, entre vous,
Le sujet prétendu d’un entretien si doux ?
Et vous aussi.
Qui ? Moi ! j’étois de la partie ?
Eh ! vraiment oui ; Monsieur en est fort amoureux.
Ah ! ah !
(Car, pour peu que l’on aime, on a peur de son ombre,)
Il me communiquoit sa crainte & son erreur.
Il ne pouvait voir sans terreur
Que vous fussiez aussi du nombre
De ceux que Marianne a soumis à ses lois.
Est-il vrai, Doligni ?
J’aimerois mieux ailleurs te voir rendre les armes.
C’est être en ma faveur un peu trop prévenu.
(à Rosette.)
Eh ! que lui disois-tu pour calmer ses alarmes ?
Mais nous en étions là, quand vous êtes venu ;
Et j’allois à peu près lui dire, ce me semble,
Qu’il ne peut se fonder aucune liaison
Entre deux cœurs qui n’ont ensemble
Aucun de ces rapports qu’exige la raison.
Il faut sçavoir nous vaincre avec nos propres armes.
S’il se forme entre amans de ces nœuds pleins de charmes,
Que l’amour & le tems ne font que redoubler,
L’étoile n’y fait rien : voilà tout le mystere ;
C’est qu’au moins par le cœur & par le caractere
Il faut un peu se ressembler.
Venons à Marianne.
À faire dans le monde un jour bien du fracas.
Sans doute ; & cependant elle n’en fera pas.
Pourquoi ce malheureux augure ?
Et d’où diable le tires-tu ?
Le bon-sens fut toujours ami de la vertu.
Malgré le train qui regne en ce siécle commode,
Marianne suivra celui du bon vieux tems,
Et ne prendra jamais ces travers éclatans
Qu’il faut avoir pour être une femme à la mode.
J’ai dit. Vous entendez cet avis indirect.
Pardonnez, au surplus, si dans cette occurrence
Je n’ai pas eu pour vous le plus profond respect ?
J’y rentre, & je vous fais mon humble révérence.
Scène V.
Elle a le caquet amusant ;
Mais elle a l’esprit faux.
Parlons de Marianne.
Elle est plus que jolie.
Elle a, comme tu sçais, tout ce qui peut charmer.
Marquis, l’aimerois-tu ?
Qu’entends-tu par aimer ?
Plaît-il ?
Expliquons-nous.
Ce mot est plus clair que le jour.
Parbleu ! c’est ce qu’on sent pour l’objet qu’on adore.
Aimer… C’est avoir de l’amour.
C’est…
Est-ce que l’on aime encore ?
Est-ce qu’on n’aime plus ?
De quel pays viens-tu ?
Du pays où l’on aime.
Où diantre as-tu vécu ?
Quelle extravagance est la vôtre ?
Vous croiriez qu’il n’est point de véritable amour ?
De véritable amour ? À l’autre !
Non, je n’en vis jamais à la ville, à la cour ;
Et si j’ai beaucoup vû, mais beaucoup.
Quant à moi, je soutiens, sans me faire de fête,
Qu’on aime, & que sans doute on aimera toujours.
Le monde est plein d’amans ; il s’en fait tous les jours…
Que le goût des plaisirs, la fortune, la gloire,
L’intérêt, l’amour-propre, & semblables raisons
Engagent à former entr’eux des liaisons
Qui n’ont rien de l’amour que le nom.
Qu’il en est dont le cœur est vraiment enflammé.
Dis que l’on feint d’aimer, & de se croire aimé.
Mais Marianne a-t-elle attiré votre hommage ?
Mais, tout comme d’une autre, on peut s’en amuser.
Ah ! feindre de l’aimer, c’est lui faire un outrage.
Et si son cœur allait se laisser abuser ?
Eh ! bien, le pis aller, est-ce un si grand dommage ?
Comment, vous ne feriez semblant de l’adorer
Que pour le seul plaisir de la déshonorer,
Et d’en rire après son naufrage ?
Ah ! Marquis, quel projet ! quelle malignité !
Si vous réussissez dans cette indignité,
À vos remords, un jour, craignez de rendre compte.
Croyez que, tôt ou tard, ils ne pardonnent rien.
Renoncez à la gloire, ou plutôt à la honte
D’établir votre honneur sur les débris du sien.
Le monde a cependant des maximes contraires.
Oui, l’on s’y fait un jeu d’un crime accrédité.
Eh ! que devient la probité ?
Elle n’est point requise en ces sortes d’affaires.
L’usage & la nature, en faveur des plaisirs,
En ont toujours banni jusqu’au moindre scrupule.
Il s’agit d’arriver au but de ses desirs :
La morale y joueroit un rôle ridicule.
Par ma foi, ce système est plein d’absurdités.
C’est un assassinat que vous préméditez.
Tu seras, en amour, une excellente dupe.
Mais, pour me réjouir, je t’allarmois exprès.
Marianne, aujourd’hui, n’est point ce qui m’occupe.
Laissons-la marier ; & nous verrons après.
La confidence est fort honnête.
Quant à présent, j’aspire à certaine conquête,
Dont je fais un peu plus d’état.
Mon choix va t’étonner ; mais prête-moi l’oreille.
Doligni, tu connois cette jeune merveille
Qui remplit tout Paris de son nouvel éclat.
La célebre Arthénice ?
Oui ; ce n’est qu’elle-même.
Eh ! bien ?…
Eh ! bien ?
D’autant plus qu’elle est fine, & que jusques ici,
De mille & mille amans, pas un n’a réussi.
Parbleu, je le crois bien… dispense-moi du reste.
Fort bien.
Il faut être modeste.
Comment fais-tu pour plaire ? Est-ce un don ? Est-ce un art ?
Mais enseigne-moi donc.
Si tu veux recevoir quelque avis salutaire,
Tu t’en trouveras mieux de toutes les façons.
Je sens tout le besoin que j’ai de tes leçons.
Il ne faut que refondre un peu ton caractere.
Mais vraiment j’y consens.
Est l’embarras subit, le trouble machinal,
Qui, sans nulle raison, te saisit & te glace,
Si-tôt qu’on te regarde ou qu’on te parle en face.
Crois-moi, tombe plutôt dans l’autre extrémité
Rien ne fait plus de tort que la timidité.
Avec elle, par-tout, on est hors de sa place ;
Elle suspend, arrête, & fixe les ressorts
De la langue, des yeux, de l’esprit & du corps :
Elle en ôte l’usage ; elle en ôte la grace ;
Sur tout ce que l’on dit, sur tout ce que l’on fait,
Elle répand un air gauche, épais, & stupide.
Tel qu’on prend pour un sot, parce qu’il est timide,
Auroit de quoi passer pour un homme parfait.
Mais ce n’est pas là tout ; & si tu te proposes
D’avoir des succès éclatans,
Il te faut bien encor d’autres métamorphoses.
Il te manque le ton, l’air & les mœurs du tems :
Le monde où tu vas vivre exige, entre autres choses,
Qu’on soit plus amusant que solide & sensé.
Tu ne sçaurois parler qu’après avoir pensé.
Tu raisonnes toujours, & jamais tu ne causes.
Déraisonne, morbleu, plutôt que d’ennuyer :
Un peu moins de bon-sens, & plus de badinage.
Un homme qui disserte est un homme à noyer.
La raison, que tu crois un si bel appanage,
Fut toujours le fléau de la société :
Elle en chasse les ris, les jeux & la gaieté ;
Elle y met, à leur place, une langueur mortelle.
On la vante mal-à-propos ;
Quand on a de l’esprit, on peut se passer d’elle ;
La raison, tout au plus, ne convient qu’à des sots.
Tu traites la raison d’une maniere étrange.
J’en suis bien revenu ; je ne prends plus le change.
Il y paroît.
Je ne me cite pas ; mais on peut m’imiter.
Quelqu’un vient.
C’est La Fleur.
Adieu, je me retire.
Sur ce que je t’ai dit, fais tes réflexions.
Scène VI.
Ouf !
Eh ! bien, mes commissions ?
Oh ! palsembleu, Monsieur, souffrez que je respire.
Si vous continuez ainsi, vous me tuerez.
Il est vrai qu’avec moi la fatigue est extrême.
Vous autres, que Dieu fit pour être voiturés,
Vous allez à votre aise, & vous parlez de même.
Il n’en est pas ainsi des malheureux piétons.
Reste en place ; respire ; & point de ces dictons.
Morbleu, je suis bien las de ces courses maudites.
Quels papiers tiens-tu là ?
La liste des visites.
J’ai vû celle d’hier.
Elle est de ce matin.
Bon !
Demandez au Suisse ; oui, rien n’est plus certain.
Eh ! mais, la matinée est un tems solitaire.
Il est certaines gens, pour certaine raison,
Qui vont dès le matin.
Lis.
De votre petite maison.
Fort bien.
Le tapissier.
Oui-dà !
Le traiteur.
Peste !
Le loueur de carrosse.
Après.
Ainsi du reste.
Ces messieurs sont venus ?
Non pas eux, mais leurs gens.
Leurs gens !…
Et voici, Monsieur, de leur prose,
Et de leurs billets doux.
Tant mieux.
(il chante.)
Je n’en ai jamais vû. Contentez-vous, mes yeux…
Chantez ; c’est bien prendre la chose.
Tiens, fais-en ton profit.
Beau diable de profit !
D’ailleurs, chez Arthénice as-tu sçu t’introduire ?
Plus invisiblement que n’eût fait un Esprit.
Comment se porte-t-on ?
Bien.
Comment a-t-on reçu les bijoux ?
Mal.
Pourquoi ?
C’est qu’il n’étoit pas jour chez elle ;
Et qu’ainsi je n’ai pû voir que sa Demoiselle.
Ce n’est pas là mon compte, à moi.
J’entends, & je t’enjoins de ne jamais rien prendre.
Quoi ! pas même, Monsieur, ce qu’on me donnera ?
Non ; ou bien tu verras ce qui t’arrivera.
Ah ! ce ne sera pas de rendre.
(Haut.)
On va la marier.
Tout de bon ?
À ce baron qui la pourchasse :
Il prétend, dès demain, que la nôce se fasse.
Bon !
Un petit Billet vous mettra mieux au fait.
Il faut que tout cela finisse.
(à La Fleur, qui rit.)
De quoi ris-tu ? Dis donc.
Dont la suivante d’Arthénice
Vient, à votre sujet, de régaler un sot.
J’étois dans l’antichambre à causer avec elle,
En tout bien, tout honneur…
Eh ! tâche d’abréger.
Nous parlions d’amitié, quand la fausse femelle
A pensé me dévisager.
« Va-t-en, m’a-t-elle dit, au diable, avec ton Maître.
» Depuis assez long-tems, il a dû reconnoître
» Qu’il prend un inutile soin.
» Ma maîtresse n’en veut, ni de près, ni de loin. »
Alors, tout ébaubi, j’ai détourné la tête :
C’est que le vieux baron lui-même, à pas de loup,
Venoit d’arriver tout-à-coup,
Qui mordant à la grappe, & d’un air tout honnête,
Accompagné pourtant d’un geste cavalier,
M’a flatté, si jamais le hasard me ramene,
Qu’il auroit la bonté de m’épargner la peine
De descendre par l’escalier.
Je voudrais qu’il osât te faire cette grace.
Eh ! non pas, s’il vous plaît ; souffrez que je m’en passe.
J’ai volé chez Michel, & de-là chez Passeau.
J’ai vû vos deux habits ; ma foi, rien n’est si beau ;
Je ne crois pas qu’on puisse en avoir de plus lestes.
Après, j’ai, sans aucun délai,
Été chez la Duchapt ; & puis, chez la Bourrai ;
Leurs filles sont après à garnir vos deux vestes ;
L’une est en petit jaune, & l’autre en petit bleu.
Les aurai-je bientôt ?
Mais l’argent à la main.
Ou ces gens sont devenus foux.
Parbleu, je ferois bien, pour leur apprendre à vivre,
De ne m’en plus servir.
Par l’homme en question j’ai fini mes messages ;
Seriez-vous assez fou pour en tâter encore ?
Aurai-je de l’argent ?
Il demande un billet du triple, & de bons gages.
Mais il en a déjà pour plus que je ne dois.
Faute de les avoir retirés dans le mois,
Ils lui sont dévolus. Ignorez-vous l’usage ?
N’importe. J’ai besoin, en un mot comme en cent,
De deux mille louis.
En pouvez-vous avoir ?
Il n’est pas naturel de chercher à jouir ?
Sans être libertin, on peut se réjouir.
Comment donc libertin ? Le suis-je ?
Vous l’êtes beaucoup plus, en croyant ne pas l’être.
Mais encore en quoi donc ? Dis-le-moi ; j’y consens.
Eh ! parbleu, tout vous duit à la fois ; somme toute,
Rien n’y manque, le vin, le jeu, l’amour.
Eh ! ne sont-ce pas là des plaisirs innocens ?
Vous les menez un train de chasse ;
Et vous indisposez le public contre vous.
Ah ! s’il a de l’humeur, que veux-tu que j’y fasse ?
Peut-on empêcher les jaloux ?
Crois-moi, va, je connois le monde ;
On n’y blâme que ceux qu’on voudroit imiter.
En faux raisonnemens votre morale abonde.
Mais, encore une fois, sçachez vous limiter.
Si vous ne changez pas tout-à-fait de conduite,
Empêchez que du moins on n’en parle en tous lieux.
Madame votre mere en pourroit être instruite.
Elle a beau vous aimer, elle ouvrira les yeux.
Vous avez une sœur, qu’elle vous sacrifie :
Songez-y ; je vous signifie
Qu’elle pourroit fort bien la tirer du Couvent,
Pour lui faire, avec vous, partager l’héritage,
Et peut-être encor davantage.
Vous sçavez que Monsieur l’en presse assez souvent.
Eh ! ventrebleu ! va-t-en faire un tour à l’office,
Et rêver, en bûvant, aux moyens les plus prompts
De refaire ma bourse & de me mettre en fonds.
Le vin te fournira quelque heureux artifice.
Pour boire, je boirai.
Va donc, sois diligent.
Je l’entends un peu mieux que tout autre négoce.
À tel prix que ce soit, il me faut de l’argent.
S’il venoit en bûvant, je roulerois carrosse.