L’École des mères (La Chaussée)/Acte II
ACTE II
Scène I.
Le Marquis viendra-t-il ?
Je l’ai fait avertir ; il ne tardera pas.
À quelques importuns qui retardent ses pas,
Il acheve à présent de donner audience.
Ah ! Rosette !
Comment ! qui vous fait soupirer ?
Mon fils.
N’êtes-vous pas toujours la plus heureuse mere ?
Je crains que ce bonheur ne soit qu’une chimere.
De la part du Marquis, que s’est-il donc passé ?
Vous seroit-il moins cher ?
Mon amour va pour lui toujours jusqu’au délire.
L’excès en est permis, quand il est bien placé.
Eh ! qui me répondra que mon fils le mérite ?
Ma foi, ce n’est pas moi. N’allons pas à l’appui
D’un accès de raison qui passera bien vîte.
(haut.)
Qu’avez-vous découvert qui vous déplaise en lui ?
Il me semble pourtant qu’il est toujours de même.
C’est de quoi je me plains.
Eh ! peut-il être mieux, sans y perdre ? Il est bien.
(à part.)
S’il cessoit d’être un fat, il ne seroit plus rien.
(haut.)
Madame, dépouillons les préjugés vulgaires.
Il a bien des défauts, ou je me trompe fort.
S’il a quelques défauts, ils lui sont nécessaires.
Comment ?
Je le soutiens, & nous serons d’accord.
Quoi ! trouvez-vous mauvais qu’il soit l’homme de France
Qui sçait le mieux choisir une étoffe de goût ;
Qui s’habille & se met avec une élégance
Qu’on cherche à copier, sans en venir à bout ?
Lui reprocheriez-vous, dans l’humeur où vous êtes,
Qu’il aime un peu le luxe & la frivolité ?
Qu’il cherche à ressembler aux gens de qualité ?
Qu’il aime le plaisir, & contracte des dettes ?
Eh ! n’en voulez-vous pas faire un homme de Cour ?
C’est le projet flatteur qu’a formé mon amour.
Ne vous plaignez donc point.
Mais es-tu bien certaine…
Il ira loin. Pour moi, je n’en suis point en peine.
J’en accepte l’augure… À propos de cela,
Conçois-tu mon mari ?
Est-ce qu’on peut jamais concevoir ces gens-là ?
Son obstination me paroît bien cruelle.
Oui, sa prévention contre un fils si bien né…
Est le premier chagrin qu’il m’ait jamais donné.
Ce n’est que depuis peu que son humeur varie,
Qu’il a des volontés, & qu’il vous contrarie.
Il lui sied bien, en vérité !
Il faudroit arrêter cette témérité…
Mais vous auriez la paix, si, pour le satisfaire,
(Aux dépens du Marquis, s’entend,)
Vous vouliez retirer, ainsi qu’il le prétend,
Votre fille du cloître.
Il est vrai.
Pour priver Le Marquis de la moitié du bien ?
Et m’empêcher par-là de faire un mariage
Où je vois, pour mon fils, le plus grand avantage.
Affaire de ménage, où l’homme n’entend rien.
Votre dessein n’est pas de l’en laisser le Maître ?
Non vraiment ; si cela peut être,
Je prétends que mon fils ait un brillant état.
Je veux, par les grands biens qui sont en ma puissance,
Suppléer au défaut d’une illustre naissance,
Et que dans le grand monde il vive avec éclat.
Rien n’est plus naturel qu’un si grand sacrifice.
Ce projet vous est cher ; vous l’avez résolu.
Il faut bien, à son tour, que Monsieur obéisse.
Vous n’avez que trop fait tout ce qu’il a voulu.
Il en contracteroit l’habitude importune.
C’est bien assez d’avoir reçu, dans la maison,
Cette niece orpheline, & presque sans fortune,
Qu’il vous fit accueillir, par la seule raison
Qu’elle porte son nom. (à part.) Notez, par apostille,
Qu’elle reçoit sa niece & refuse sa fille.
Que dis-tu ?
Que c’est vous montrer
La tante la meilleure & la plus généreuse
Qu’on puisse jamais rencontrer.
Voilà mon fils.
Déjà ! l’aventure est heureuse !
Qu’il est mis agréablement !
Scène II.
Je me jette à vos pieds. Je suis réellement
Outré, désespéré de m’être fait attendre.
Je devois tout quitter, & ne point m’amuser.
(Il lui baise la main.)
Me pardonnerez-vous ?
Ah ! comme il sçait la prendre !
Rosette a sçu vous excuser.
Rosette !
Moi ! Madame !
Cette fille vous aime.
Elle me connoît bien.
Va, compte qu’il saura récompenser ton zele.
Oui-dà !
Mais laisse-nous un moment d’entretien.
Scène III.
J’aurois à vous parler.
Vous serez mieux assise.
Il n’en est pas besoin ; restez.
J’exigerois de vous une entiere franchise.
Mon cœur vous est ouvert.
Vous me la promettez ?
Dans la sincérité mon ame est affermie ;
J’en fais profession, & sur-tout avec vous.
Votre mere ne veut être que votre amie.
C’est unir à la fois les titres les plus doux.
À votre âge, mon fils, & fait comme vous êtes,
Recevant dans le monde un accueil enchanteur,
On a dû vous dresser mille embûches secrettes,
Pour obtenir de vous un hommage flatteur.
Quand vous auriez cédé, par goût ou par foiblesse,
J’excuserois votre jeunesse ;
Je fermerois les yeux. Parlez-moi franchement.
Vous passez pour avoir un tendre attachement :
C’est une Beauté rare, & qu’on m’a fort vantée,
Mais à quoi votre sort ne peut pas être joint…
Vous rougissez, mon fils, & ne répondez point.
Si votre ame, à présent, un peu trop enchantée,
Ne peut abandonner ce dangereux vainqueur,
J’attendrai que le tems vous rende votre cœur,
Et vous mette en état d’entrer sans répugnance
Dans des projets, pour vous, formés dès votre enfance,
Et que, jusqu’à ce jour, je n’ai point négligés.
Ah ! vous méritez tout ce que vous exigez.
Oui, l’on vous a dit vrai : mais soyez plus tranquille.
C’est un amusement frivole & passager,
Que mon cœur, sans vouloir autrement s’engager,
S’est fait depuis peu par la Ville,
Seulement pour remplir un loisir inutile.
Pareil attachement, (si pourtant c’en est un,)
Ne tient qu’autant qu’on veut ; la rupture est facile :
Rien n’est plus simple & plus commun.
De semblables romans n’ont pas pour Héroïnes
Des personnes assez divines
Pour fixer, sans retour, ceux qui leur font l’honneur
D’offrir quelque encens à leurs charmes.
C’est l’espoir assuré d’un facile bonheur
Qui fait que l’on s’abbaisse à leur rendre les armes.
Elles n’allument point de véritables feux ;
Et l’on est leur Amant, sans en être amoureux.
Que le mépris que vous en faites
Augmente mon estime, & mon amour pour vous !
Ah ! mon fils, pardonnez mes frayeurs indiscrettes.
Votre établissement est l’objet le plus doux
Que ma tendresse se propose ;
Et j’y travaille utilement.
Et c’est sur vous aussi que mon cœur s’en repose.
J’ai de l’ambition ; mais pour vous seulement.
Que ne vous dois-je pas !
Vous aurez tout mon bien, je vous l’ai destiné.
Mais ce n’est pas assez ; & vous n’êtes pas né
Pour vivre & pour passer simplement votre vie
Dans l’indolente oisiveté
D’une opulente obscurité.
Ce n’est pas là mon plan.
Que vous n’ayez dessein de paroître au grand jour ;
Que votre but ne soit de percer à la Cour :
Un bien considérable en aplanit la route.
Mais, pour vous abréger un chemin toujours long,
Il seroit un moyen plus facile & plus prompt.
Et ce moyen qui s’offre à votre prévoyance,
Seroit ?
Qui vous apporteroit en dot
Le crédit & l’appui d’une grande alliance.
On ne peut mieux penser. Vous ne m’étonnez point :
Mais l’hymen, à mon âge, est un état bien grave.
Quoi ! voulez-vous sitôt que je devienne esclave ?
Un mari ne l’est pas. Auriez-vous sur ce point
Un peu d’aversion ?
Quand mon aversion seroit cent fois plus forte,
Croyez que de ma part, en cela, comme en tout,
Le sacrifice est prêt : ce n’est pas une affaire.
Le desir de vous satisfaire
Me tiendra toujours lieu de penchant & de goût.
Mais mon pere ?…
Je prévois ses refus ; mais ils ne tiendront pas.
Nous disputons beaucoup. Après bien des débats,
Votre pere s’apaise, & finit par se rendre.
Par exemple, il avoit fortement décidé
Que vous seriez de robe.
Ah ! ciel !
N’en a-t-il pas été de même
Pour le déterminer à vous faire un état.
Au sujet de ce marquisat
Sa répugnance étoit extrême ;
Il ne vouloit pas s’y prêter :
Mais vous le désiriez ; c’est sur quoi je me fonde :
Aussi l’ai-je forcé de l’aller acheter.
Ne faut-il pas avoir un titre dans le monde ?
Mais celui de Marquis me flatte infiniment ;
Je vous l’avoue ingénûment.
Si vous n’aviez pas eu la bonté de contraindre
Mon pere à cet achat, j’eusse été très à plaindre.
Cette acquisition l’a long-tems retenu.
Il est vrai ; c’est ce qui m’étonne.
Il arrive aujourd’hui ; l’avis m’en est venu.
Je crois qu’à son retour la scene sera bonne.
Il ne sera pas mal surpris
De l’état que nous avons pris
Pendant le cours de son absence.
Il ne pourra pas voir, sans jeter les hauts cris,
Ces embellissemens & ces meubles de prix.
Il n’a jamais donné dans la magnificence.
Ce nombre de Valets, & ce Suisse sur-tout,
Ne seront pas trop de son goût.
Scène IV.
Voyez cet animal qui m’arrête à la porte !
Que voulez-vous ?
Eh ! que t’importe ?
Mais est-ce ici chez moi ?
Çà, Monsieur, votre nom ?
Mon nom ?…
Afin qu’on vous annonce.
Je n’en connois pas un.
J’attends votre réponse.
Connais-tu ça ?
Moi ! Ma foi, non.
Ah ! Monsieur, pardonnez… Madame, c’est mon pere.
Excusez des Valets…
Quel est donc ce mystere ?
C’est vous, Monsieur Argant ?
Qu’une espèce de singe, avec sa barbe torse,
Ne vouloit point du tout laisser entrer ici :
Il a presque fallu que j’usasse de force.
Un Suisse, comme un sot, fait toujours son métier.
Vous avez pris un Suisse ?
Oui, Monsieur.
Pour quoi faire ?
Un Suisse est à la porte un meuble nécessaire.
Il ne nous faut qu’un vieux Portier.
Et ce tas de Valets dont l’antichambre est pleine,
Est-il d’ici ?
Sans doute. Il faut être servi.
Mais en faut-il une douzaine ?
Chacun a son emploi.
Parbleu, pendant deux mois qu’a duré mon voyage,
L’extravagance a fait ici bien du ravage !
Mais en quoi donc, Monsieur ?
Ce titre de Monsieur a choqué mon oreille.
Vous ne vous serviez pas d’épithete pareille.
Le nom de pere est-il devenu trop bourgeois,
Pour pouvoir à présent sortir de votre bouche ?
Il faut que cela soit.
Je croyois vous traiter avec plus de respect ;
Et j’ignore pourquoi Monsieur s’en formalise.
Ma foi, s’il faut que je le dise,
Ce cérémonial me paroît fort suspect ;
Et c’est la vanité qui l’a mis en usage.
Je sçais que chez les Grands il est autorisé ;
Que chez les gens d’un moindre étage
Ce ridicule abus s’est impatronisé ;
Il s’est même glissé jusques dans la roture :
Mais il n’est pas moins vrai qu’il blesse la nature.
Pour chez moi, s’il vous plaît, il n’aura point de cours.
Sçachez, en m’appelant par mon nom véritable,
Que le titre de pere est le plus respectable
Qu’un fils puisse donner à l’auteur de ses jours.
Il est vrai ; mais enfin je sçais qu’au fond de l’ame
Il ne m’aime pas moins pour m’appeler Madame.
Ma femme, quant à vous, je ne m’en mêle pas ;
C’est une affaire à part ; je n’en veux point connoître.
Scène V.
Quelle est cette autre espece ? Où s’adressent tes pas ?
Ici.
Qu’es-tu ?
Coureur.
Qui cherches-tu ?
Mon Maître ?
Quel est-il ?
Eh ! parbleu, c’est Monsieur Le Marquis.
Quel Marquis ?
Le voilà.
Qui donc ?
Eh ! c’est mon fils.
Lui ?
Sans doute.
Va-t-en.
Scène VI.
C’est ainsi qu’on vous nomme ?
Oui, Monsieur.
De quel droit ? Mais vous m’étonnez fort.
Je crois en avoir deux.
Qui sont-ils donc ?
N’avez-vous pas l’honneur d’être né Gentilhomme ?
Un peu. Mais est-ce assez pour s’appeler Marquis ?
Argant, vous êtes fou.
N’avez-vous pas acquis ?…
Et quoi ?
Est-ce que ce n’est pas une affaire conclue ?
Un Marquisat !…
Est-il acheté ?
Ma foi, non.
Ah ! Madame…
Ah ! Monsieur…
Il est trop cher.
Qu’entends-je ?
Mais vous ne perdrez rien au change.
Mais mon fils en a pris le nom.
Palsembleu, qu’il le quitte.
Ah ! ciel ! est-il possible !
Autant qu’à vous, mon fils, cet affront m’est sensible.
Entre nous, pourquoi l’a-t-il pris ?
Faut-il, pour satisfaire à ses étourderies,
Être aussi fou que lui ? J’ai, mais à fort bon prix,
Acquis trois bonnes Métairies,
Pays gras, terre à bled.
Mon pere est bien désespérant !
Ces acquisitions, je vous en suis garant,
Valent mieux que dix seigneuries.
J’enrage de bon cœur.
Ou plutôt, laissez-nous ; je vais l’entretenir.
Scène VII.
Vous êtes bien cruel !
Moi ! la plainte est nouvelle !
J’ai cru que vous m’aimiez ; mais vous ne m’aimez point.
Fort bien. Mécontentez une femme en un point,
Tout le passé s’oublie, & n’est plus rien pour elle.
Oui, je suis une ingrate ; allons, accablez-moi ;
Ne ménagez plus rien. Ah ! que je suis outrée !
Ma femme, sans courroux, parlons de bonne foi.
Nous convient-il d’avoir une Terre titrée ?
Que diable ! un Marquisat n’a pas le sens commun.
Eh ! pourquoi donc mon fils n’en auroit-il pas un ?
Il n’est pas assez noble, & la Terre est trop chere :
Sont-ce là des raisons d’un homme de bon sens ?
Non, Monsieur ; vous voulez, je le vois, je le sens,
Mortifier le fils, désespérer la mere.
Vous vous lassez de moi.
Parlez-vous tout de bon ?
Que je suis malheureuse !
Ayons ce Marquisat. Il faut vous satisfaire.
Quand mon fils en a pris le titre avec le nom,
Est-il tems d’écouter un frivole scrupule ?
Argant sera Marquis.
Ce seroit le couvrir du plus grand ridicule.
Je vais écrire.
Promptement…
Oui.
D’autant plus qu’il s’agit d’une grande alliance
Pour mon fils.
Je m’en doutois bien.
On propose une fille aimable & de naissance,
Et qui même appartient à plus d’une Puissance.
C’est-à-dire qu’elle n’a rien.
Mon fils est assez riche. Un si grand mariage
Lui procure, entre autr’avantage,
Une entrée à la Cour, avec un Régiment.
Il ne trouveroit plus d’occasion si belle.
Qu’exige-t-on de vous ?
Que j’assure mon bien.
Et ma fille ?…
Réveiller le procès que nous avions ensemble,
Au lieu d’embrasser mon projet ?
Mais, ma femme…
Dans cet asyle heureux, & par elle chéri,
Où le Ciel doit avoir accoutumé sa vie,
J’aurai soin de lui faire un sort digne d’envie.
Où peut-elle être mieux ?
Avec un bon mari.
Rien n’est plus incertain. Mais qui vient nous surprendre ?
C’est Monsieur Doligni. Je vous laisse avec lui.
Songez que l’on attend ma réponse aujourd’hui.
Scène VIII.
Vous voilà de retour. On vient de me l’apprendre :
Aussi-tôt l’amitié vers vous m’a fait voler.
Vous avez du chagrin, je pense ?
Ma femme…
Eh ! bien, quoi donc ?
Vient de me désoler.
Si-tôt ?
J’arrive à peine, après deux mois d’absence…
C’est pour se remettre au courant.
Puis-je vous consoler ?
Non.
Vous me revoyez donc d’un œil bien différent ?
Mon amitié pour vous ne s’est point affoiblie.
Puis-je me consoler, quand moi-même je crains
De vous plonger bientôt dans les plus grands chagrins.
Je n’en prends jamais pour mon compte ;
Je n’ai que ceux de mes amis.
Ma femme, & j’en rougis de honte,
Me veut faire manquer à ce que j’ai promis.
Éprise, pour son fils, d’une amitié trop tendre,
Elle pense à lui seul, & ne veut point de gendre.
Je le sçavois déjà. Je vous dirai de plus,
Que je vous rends votre promesse.
Vous croyez que ma femme en sera la maîtresse ?
N’ayez point, là-dessus, de débats superflus.
Par une autre raison qui n’est pas moins contraire,
Ce mariage-là n’auroit pas pû se faire.
Mon fils, à ce sujet, implore ma pitié.
Il aime éperdûment une jeune personne
Digne de sa tendresse & de mon amitié.
Il a donc votre aveu ?
Mais oui, je le lui donne.
Hélas !
Son choix fera mon bonheur & le sien.
J’espérois pour ma fille une chaîne si belle,
Et qu’un jour votre fils seroit aussi le mien.
D’ailleurs, cette beauté qu’il aime, quelle est-elle ?
Marianne.
Ma niece ?
Il n’a pas pû la voir sans y fixer son choix.
Marianne est l’objet dont son ame est charmée ?
La présence décide ; on se prend par les yeux :
S’il eût vû votre fille, il l’eût sans doute aimée.
Son choix revient au même : il n’en sera pas mieux.
Voyez en même-tems ma douleur & ma joye.
Ouvrez-moi votre sein ; que mon cœur s’y déploye :
Comme un dépôt sacré, recevez un secret
Que ma tendre amitié vous taisoit à regret.
Cette jeune orpheline, où tant de beauté brille,
Que votre fils adore, & que vous chérissez…
Eh ! bien… vous vous attendrissez.
Cette nièce…
Achevez.
Marianne est ma fille.
Que m’apprenez-vous là ?
A trouvé le moyen, à l’insu de sa mere,
De retirer ici cette fille si chere,
Qu’elle vouloit laisser dans un Cloître éternel.
Marianne se croit la fille de mon frere,
Et n’imagine pas qu’elle soit chez son pere.
Bon !
Elle est dans la bonne foi.
Comment a-t-elle pû vous croire ?
Je n’ai pas eu de peine à forger une histoire.
Feu mon frere eut toujours le même nom que moi.
C’est ce qui m’a servi ; d’autant plus que ma fille,
Qui fut mise au Couvent dès l’âge de deux ans,
N’a pas trop entendu parler de sa famille,
Et n’a vû de sa vie aucun de ses parens.
Ne pouvant engager mon épouse obstinée
D’aller, jusqu’à Poitiers, voir cette infortunée,
Et n’étant que trop sûr qu’elle veut, malgré moi,
Immoler à son fils cette triste victime,
Le détour que j’ai pris m’a paru légitime.
C’est la nécessité qui m’en a fait la loi ;
Et c’est, pour m’excuser, sur quoi je me retranche.
Le scrupule est plaisant ! Vous me faites pitié.
Eh ! trompez sans regret votre chere moitié.
Attraper une femme, est prendre sa revanche.
En un mot, j’ai pris ce détour.
Il est assez bon, ce me semble.
Et je n’ai si longtems retardé mon retour,
Que pour les mieux laisser s’accoûtumer ensemble.
Marianne a de quoi charmer ;
Et je m’en vais sçavoir si, pendant mon absence,
Ses charmes & son innocence,
De son aveugle mere ont pû la faire aimer…
La voici qui paroît. Laissez-nous, je vous prie.
Sur-tout ne dites point ce que je vous confie ;
Pas même à votre fils.
Scène IX.
Apprends-moi quel succès a couronné ton zèle.
Sur le cœur de ta tante as-tu fait des progrès ?
Dis-moi, ma chere niece, es-tu bien avec elle ?
Tu sçais ce qu’en partant d’ici,
Je t’ai recommandé comme un point nécessaire.
J’ai fait ce que j’ai pû.
Car tu plairas toujours à qui tu voudras plaire.
Présumez un peu moins de mon foible talent.
Il est vrai qu’en cherchant à remplir votre attente,
Qu’en tâchant de gagner l’amitié de ma tante,
Je ne me faisois point un effort violent.
Que dis-je ? un sentiment que je ne puis comprendre,
À mon obéissance a servi de soutien ;
Et mon cœur, étonné de se trouver si tendre,
N’a, je crois, rien obmis pour mériter le sien ;
Mais…
Je ne te dis qu’un mot ; qu’il serve à t’animer.
Mariage, fortune, espérance, héritage,
Tout dépend de ma femme, & de s’en faire aimer.
Je ne puis rien pour toi.
Quelle erreur est la vôtre !
Par des arrangemens que la fortune a faits,
Ma femme est ta ressource ; & tu n’en as point d’autre.
Il faut donc renoncer à ses moindres bienfaits.
Comment donc ?
Qui n’a servi qu’à vous tromper.
De tout ce que j’ai fait, rien n’a pû dissiper,
Ni vaincre son indifférence.
C’est un projet flatteur qui ne peut s’accomplir.
Je connois trop son cœur ; il m’est inaccessible :
Ce n’est que pour son fils qu’il peut être sensible :
Il l’occupe, & n’y laisse aucun vide à remplir.
Loin d’entrer avec lui dans le moindre partage,
Je ne sçais si mes soins ne m’ont pas fait haïr.
Ne me forcez donc pas d’insister davantage.
Eh ! que veux-tu de moi ?
Et rentrer au Couvent d’où vous m’avez tirée.
Je ne puis.
En vous la demandant mon ame est déchirée.
Vous m’aimez : je prévois avec quelles douleurs
Vous supporterez ma retraite.
Ne t’imagine pas non plus que je m’y prête.
J’ai de fortes raisons pour ne pas consentir
À te laisser aller suivre une folle envie.
Ah ! n’appréhendez pas qu’un jour le repentir
Vienne dans mon désert empoisonner ma vie.
Je trouverai de quoi fixer tous mes desirs
Dans sa tranquillité profonde.
C’est lorsqu’on a du moins un peu connu le monde
Qu’on peut, dans la retraite, avoir de vrais plaisirs.
Que je m’en vais l’aimer ! Qu’elle me sera chere !
Je n’y sentirai plus le poids de ma misere.
Hélas ! je l’ignorois dans mon obscurité :
J’y vivois sans me voir sans cesse humiliée
Par le défaut de bien, de rang, de qualité :
Permettez qu’à jamais j’y puisse être oubliée.
Non ; c’est un dessein pris, où je suis affermi :
Je te veux marier ; & je t’ai destinée
Au fils de mon meilleur ami.
Nous avons tous les deux conclu cet hyménée.
S’il est à ton gré, comme au mien,
Si Doligni te plaît… Tu rougis ! Ah ! fort bien.
La pudeur fut toujours la premiere des graces.
J’en tire un bon augure. Il sera ton époux…
Quel est cet inconnu qui marche sur nos traces ?
Scène X.
Mademoiselle, un mot.
Que vous plaît-il ?
Ce vieux Monsieur-là, sauf son respect & le vôtre,
Eh ! bien… est-ce Monsieur ?
Oui.
Lui ? J’en suis ravi.
Quel est cet importun ?
Autant vaut-il qu’un autre.
C’est le Maître-d’hôtel.
Monsieur, on a servi.
Présente-moi… je crains de faire des bévues.
Que diable ! À chaque pas je tombe ici des nues.