L’Écornifleur/2

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Ollendorff (p. 3-5).

II

DE LA PRUDENCE

Oh ! je me tiens sur mes gardes. Une récente aventure m’a rendu sévère. Je viens de « quitter » certaine famille honorable que j’aimais beaucoup, un peu trop, et je frissonne au souvenir de l’outrage. Je ne me livrerai pas sans défiance. Il faut que, plus tard, si l’aventure tourne mal, je puisse dire, hautain et bref, à cet homme :

— « Ne vous souvient-il pas, Monsieur, que vous avez été le premier à me tendre la main ? »

À ses reproches, je répondrai :

— « C’est vous qui m’avez cherché ! »

Dès qu’on nous embrasse, il est bon de prévoir, tout de suite, l’instant où nous serons giflés.

Je l’épie et le vois venir.

Ce n’est d’abord, entre nous, qu’un échange de nos deux cartes :

VICTOR VERNET
directeur des chantiers de l’usine case
Passy
HENRI

Monsieur Vernet me regarde :

— « Est-ce tout ? »

— « Oui, dis-je, j’ai jeté négligemment mon nom à la corne du carton, en signature. Au-dessus je puis écrire quelques lignes : c’est commode. »

Monsieur Vernet sourit et dit :

— « J’aime tout ce qui est original ! »

Mais, par politesse ou indifférence, il ne réclame pas d’autre renseignement.

Nous nous saluons et nos chapeaux se bossellent au plafond de l’omnibus.