L’Écornifleur/32

La bibliothèque libre.
Ollendorff (p. 156-160).

XXXII

THÉORIES

« Mon » mari n’est pas faux de toutes pièces, et, vraiment, Monsieur Vernet prend de sa femme une part autre que la mienne, celle que je désire. Il pense qu’on doit respecter la mère des enfants qu’on a ou qu’on pourrait avoir.

MONSIEUR VERNET

Physiquement parlant, doit-on traiter sa femme comme une maîtresse ?

HENRI

Je ne suis pas marié.

MONSIEUR VERNET

Innocent ! Ferez-vous à votre femme ce que vous faites à vos maîtresses ?

HENRI

Dame ! si elle veut !

Monsieur Vernet s’arrête, me regarde. Je suis sérieux. Il reprend sa promenade, et de temps en temps plante sa canne en terre, comme pour jalonner ses paroles.

MONSIEUR VERNET

Écoutez-moi, mon ami. J’ai plus du double de votre âge ; j’ai le droit et même le devoir de m’écrier : « Ne faites pas ça ; je vous en supplie, ne faites pas ça ! »

HENRI

Ça-quoi ?

MONSIEUR VERNET

Vous m’entendez bien. Marié trop jeune, je n’ai jamais eu de maîtresse. Mais je sais, et vous le savez mieux que moi, gredin, quelles libertés on peut prendre avec une fille. Or, gardez-vous de croire que votre femme est une fille, voilà ce que je tenais à vous dire.

HENRI

Une femme est une femme.

MONSIEUR VERNET

Erreur ! Avec le mariage la caresse devient une chose grave. Ah ! certes, personne, dans un fumoir, dans une réunion d’esprits libres, dans un a-parte de sexe fort, ne goûte plus que moi les confidences graveleuses, où l’obscénité s’en donne à cœur joie. Je confesse qu’il m’est agréable, comme à tous les honnêtes gens d’ailleurs, de me débarbouiller à mon heure avec un peu de fange. Je m’offre une petite débauche pour rire et n’en suis que plus rangé après. Mais ne badinons pas, s’il vous plaît, avec le saint amour du ménage. Ma femme m’adore et je l’aime ; eh bien ! je puis vous affirmer que, hors ce qu’il faut savoir, elle ne sait rien de rien.

HENRI

Merci.

MONSIEUR VERNET

Tenez, il me vient à l’esprit une comparaison juste et poétique que je vous engage à méditer, non seulement comme écrivain, mais encore comme moraliste. La pudeur de la femme est un mur mitoyen. N’allez pas, imprudent, le dégrader vous-même, car il s’effritera, à la longue fera brèche, et les voisins entreront chez vous.

HENRI

Délicieux.

MONSIEUR VERNET

Oh ! pas d’illusions. Il faut compter avec la perversité instinctive de la femme. Elle a des curiosités ; elle pose de petites questions ; elle furette et met son joli nez partout. Plus d’une fois, Madame Vernet m’a tâté sur ce terrain ; mais j’ai si bien fait la bête, qu’elle a fini par n’y plus penser.

HENRI

Et vous, Monsieur Vernet, est-ce que vous avez aussi fini par n’y plus penser ?

MONSIEUR VERNET

Vous voudriez me faire avouer mes frasques.

Il les avoue et en invente. Il se noircit par fausse honte. Mais je ne crois pas à ses vices, et je voudrais serrer la main de cet homme, qui n’a sans doute jamais embrassé sa femme sur le ventre.