L’Éducation de la Jeune Fille par elle-même/Chapitre 6

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Sixième causerie.

comment étudier ? que faut-il étudier ?
pour quel but ? comment rédiger une
étude, un rapport, préparer une conférence ?


I. comment étudier ?

1o La condition essentielle à observer pour développer notre intelligence est l’attention, c’est-à-dire la tension de nos sens, de notre intelligence, de notre volonté vers la compréhension d’un objet. Cette définition nous fait bien voir toute l’importance de cette faculté qui place les puissances de l’âme dans les meilleures conditions pour acquérir et conserver des connaissances claires, précises et durables.

L’attention se développe par l’exercice et par l’effort ; habituons-nous donc à concentrer toutes les forces de notre esprit sur les objets vers lesquels nous ne nous sentons pas attirées.

2o Les méthodes essentielles que nous devons suivre pour nous faciliter le travail personnel, peuvent se réduire aux suivantes :

A. Il faut observer.

Pour bien observer, il convient :

a) d’utiliser le plus de sens et le plus de facultés possible ; plus nombreux sont les facteurs qui interviennent, plus l’observation sera approfondie et grandes les chances de voir juste. Il ne faut pas non plus nous contenter d’observer les objets extérieurs ; notre perfectionnement exige que nous nous observions nous-mêmes et en dedans de nous-mêmes, travail difficile, il est vrai, mais indispensable pour bien nous connaître et diriger nos efforts en connaissance de cause.

b) d’envisager non seulement les caractères principaux, mais aussi les détails : de petites causes peuvent produire des effets sérieux et ce qui n’est qu’un accident peut entraîner de grosses conséquences au même titre que ce qui est essentiel à la chose observée. Ainsi, par exemple, telle manière d’agir ou de penser peut paraître sans importance lorsque nous l’envisageons isolément, mais, pour l’habitude qu’elle nous fait contracter, elle mérite parfois detre prise en considération.

c) de noter, dessiner, classer avec ordre, afin de ne rien laisser se perdre du fruit de nos recherches ; de s’aider de l’association des idées qui est une loi de la mémoire en vertu de laquelle les idées s’enchaînent les unes aux autres et reviennent ensemble à l’esprit, de telle sorte qu’il suffit de se rappeler l’une d’elles pour que toutes les autres surgissent naturellement et sans effort.

d) de réfléchir pour arriver à penser juste, à juger, à raisonner par soi-même, à se former des idées générales et personnelles. Observer et simplement imiter, sans réfléchir, c’est singer ; tandis que juger par nous-même développe notre personnalité.

e) de procéder avec méthode, aller du facile au difficile, en portant d’abord nos investigations sur les objets qui nous sont familiers et ne nous engager dans les cas difficiles qu’après avoir acquis, par l’expérience, une réelle sûreté dans le jugement.

B. Il faut écouter.

On pourrait donner ici les mêmes conseils que ceux qui sont indiqués dans les paragraphes b, c, d, e, ayant trait à l’observation. Il convient cependant d’ajouter qu’il ne faut pas accepter sans contrôle tout ce que nous entendons dire ; il est prudent, surtout pour la jeunesse inexpérimentée et crédule, de ne rechercher que la conversation de personnes sérieuses et compétentes.

C. Il faut essayer, pratiquer, agir.

On aura beau voir jouer à la balle, ou écouter les explications de ce jeu, on n’y deviendra habile qu’en le pratiquant.

Il en est ainsi de la plupart des choses : en les faisant, on acquiert le tour de main que la théorie ne saurait donner.

C’est le meilleur moyen d’acquérir des connaissances personnelles pratiques. La meilleure école restera toujours celle de l’expérience. C’est en maniant ses outils que l’artisan juge de leur valeur et qu’il acquiert l’habileté à s’en servir. On ne saurait trop insister sur ce point : ne regardez pas travailler mais travaillez vous-mêmes. Ce n’est qu’après être devenues habiles dans les travaux pratiques que vous saurez commander.

Remarque. Avant d’avoir appris à lire, toutes nos connaissances s’acquièrent par les trois moyens précités. Dans la suite, ce sont encore les trois meilleurs moyens d’acquérir des connaissances personnelles, de vérifier les connaissances acquises dans les livres.

D. Il faut lire.

La lecture est pour nous le moyen d’entrer en communion avec les esprits d’élite. La partie de notre existence que nous pouvons consacrer à la lecture étant minime, il faut que nous ne lisions que les meilleurs livres, les œuvres de valeur qui nous feront acquérir des connaissances profitables et contribueront à notre perfectionnement. Mais il ne suffit pas de lire des œuvres de valeur, il faut surtout les bien lire en résumant les notions nouvelles, en annotant les pensées et expressions remarquables, en méditant nos lectures.

E. Il faut organiser le travail intellectuel, pour en obtenir le plus grand rendement, et cela :

a) en procédant par étapes : à vouloir trop à la fois, on n’aboutit souvent à rien.

b) en allant progressivement du facile au difficile, du simple au compliqué, du connu à l’inconnu, du concret à l’abstrait.

c) en classant les résultats acquis comme nous l’avons indiqué antérieurement.

d) en employant la coopération dans le travail ; par exemple, plusieurs sœurs ou plusieurs amies peuvent s’aider mutuellement en se communiquant les unes aux autres le résumé des livres différents qu’elles ont lus. Pour que ce système puisse être employé avantageusement, il faut évidemment qu’il y ait entre les lectrices communauté d’idées, de vues, de principes généraux et essentiels.

F. Enfin, pour éviter la monotonie déprimante et utiliser plus rationnellement ses facultés, il faut varier le plus possible ses occupations. La psychologie expérimentale nous, démontre, en effet, qu’il est plus profitable d’étudier un même sujet pendant plusieurs courtes séances que pendant une seule séance d’une durée égale à la durée totale des premières. Cette même science, d’accord avec la physiologie, nous recommande aussi d’alterner l’étude avec les récréations et le travail manuel, afin de maintenir l’équilibre indispensable qui doit toujours exister entre le corps et l’esprit.


II. que faut-il pour étudier ?

Un programme est nécessaire. À défaut d’une classification meilleure, nous pouvons nous inspirer de celle de Spencer qui paraît logique.

1. Nous devons commencer par étudier ce qui nous est nécessaire pour conserver et développer notre propre personne et pourvoir à notre salut :

Religion.

Philosophie.

Langues et littérature (celle-ci envisagée comme contribuant à la formation générale).

Sciences appliquées à l’hygiène.

Mathématiques.

2. Nous devons ensuite étudier ce qui nous est nécessaire pour gagner notre vie, ainsi, par exemple, les connaissances indispensables pour nous mettre à même d’exercer une profession honorable et de nous y perfectionner le mieux possible.

Et à ce point de vue, pour bien réussir, il convient, après une culture générale, de chercher à utiliser les dispositions particulières des jeunes filles en vue de l’une ou l’autre profession. Gouverner c’est prévoir. La jeune fille peut se trouver dans la nécessité de devoir gagner sa vie. Tandis qu’on admet la spécialisation comme étant de toute première nécessité dans la formation du jeune homme, on semble n’y attacher guère d’importance dans l’éducation de la jeune fille, alors qu’elle peut lui être de la plus grande utilité au cas où elle se trouverait dans la nécessité de gagner sa vie.

Chaque jeune fille ferait donc bien de se spécialiser dans la profession pour laquelle elle se sent le plus d’aptitude, elle trouvera une foule d’occasions de se perfectionner à cette fin : cours du soir et du dimanche, cercles d’études, conférences universitaires.

3. Apprenons ensuite ce qui nous sera utile pour fonder et diriger une famille, cellule de la société. Les écoles de jeunes filles doivent être nettement orientées vers ce but. Des notions de pédagogie familiale devraient compléter ces études. Cependant en ce qui concerne l’hygiène infantile, il ne paraît pas possible de s’y initier suffisamment à l’école ; il est donc nécessaire de compléter ses connaissances en famille par l’étude de livres spéciaux, et la fréquentation de cours pour adultes, de consultations médicales pour jeunes enfants et par des visites aux crèches.

4. Nous devons étudier également tout ce qui nous est nécessaire pour nous rendre utiles à la société et au pays : par conséquent, la sociologie (étudier la situation sociale des ouvrières, de l’enfance, etc., suivre des cours pour infirmières, etc., pratiquer les œuvres sociales), l’histoire du pays (l’amour de la patrie est le développement de l’amour du foyer).

5. Enfin, en dernier lieu, nous pouvons étudier tout ce qui peut charmer nos loisirs : littérature, musique, beaux-arts, etc. N’oublions pas que le devoir d’une épouse est de plaire à son mari, de charmer l’intimité du foyer ; une femme initiée au beau exercera autour d’elle une influence plus salutaire qu’une pédante, car l’art a une grande répercussion sur la culture générale, l’éducation de l’âme et la délicatesse des sentiments.

N. B. Tout ce que nous ne pouvons apprendre de nos parents ou de nos maîtres, nous devons l’apprendre par nous-mêmes.

(Voir les renseignements donnés en annexe à cette causerie.)


III. pour quel but faut-il étudier ?

Nous devons étudier pour un but de perfectionnement intellectuel et moral et en vue de la fin supérieure à laquelle nous devons arriver. Comme l’accomplissement de nos devoirs d’étal constitue le meilleur moyen d’atteindre notre fin dernière, nous devons nous préparer à remplir un rôle utile dans la vie et pour nous-mêmes et pour les nôtres et pour nos semblables.


IV. comment procéder pour rédiger un rapport, une étude ?

La jeune fille qui joue un rôle actif dans les œuvres ou qui fait partie d’un cercle d’études, de préférence un cercle d’éducation familiale, sera parfois amenée à rédiger un rapport, à donner une conférence, à dresser un projet. Dans ce cas, il lui faudra :

1. Établir provisoirement les grandes lignes du sujet, quitte à les modifier ensuite si les besoins l’exigent.

2. Consulter ses notes et au besoin le catalogue de quelque bonne bibliothèque, afin de rassembler les titres des livres et articles de revues traitant le sujet à étudier. Prendre connaissance de ces ouvrages, résumer les principales idées qui peuvent servir, copier les citations dont on voudrait faire usage ; se documenter auprès de personnes compétentes, se rendre compte des expériences faites antérieurement.

Il ne faut jamais publier une étude en se contentant de mettre ses seules idées sur le papier ; on risque de présenter comme nouveau ce que d’autres ont déjà dit, on passe pour ne pas être au courant de la question.

3. Faire une étude critique de ces documents et y ajouter ses idées personnelles.

4. Classer les documents suivant la façon qui s’adapte le mieux au développement du sujet, à la fois au point de vue de l’intelligence pour celui qui lira le travail et au point de vue de la facilité de la rédaction.

5. Rédiger le travail en n’écrivant que d’un côté de la page et en laissant une marge assez grande pour recevoir les corrections que l’on jugera nécessaires ainsi que les observations de ceux à qui on fera lire le travail afin de l’apprécier.

6. Le soumettre au point de vue du fond et de la forme à l’appréciation de personnes compétentes.

Livres à lire :

De Vuyst. Enseignement agricole. Chapitre : La formation personnelle. — Bruxelles, Dewit, 5 fr.

I. E. Stuart. L’éducation de la jeune fille chrétienne. — Paris, Perrin, 3,50 fr.

Dupanloup. La femme studieuse. — Paris, Téqui, 4 fr. Cours de philosophie de l’Institut supérieur de philosophie de Louvain, par Mgr Mercier, etc., etc. 2 vol. rue des Flamands, Louvain, 8 fr.

Lahr. Éléments de philosophie scientifique et morale. — Paris, Beauchesne, 6 fr.

Delcuve. Catéchisme de la mère de famille. — Bruxelles, Lamertin, 1 fr.

Weber. L’art d’être infirmière. — Bruxelles, Lamertin, 5 fr.