L’Éducation de la Jeune Fille par elle-même/Chapitre 5

La bibliothèque libre.

Cinquième causerie.

le bagage moral nécessaire pour faire une
heureuse traversée de la vie.


Tout voyageur soucieux d’arriver dans les meilleures conditions au but de son voyage se munit des objets nécessaires à lui assurer un certain confort. Des jeunes filles de 15 à 16 ans sont en état de rassembler elles-mêmes le bagage moral dont elles auront besoin.

Rappelons-nous d’abord qu’il faut une orientation. La boussole sert au voyageur à reconnaître à chaque instant la direction.

Le monde est impuissant à satisfaire les aspirations d’une âme chrétienne ; il ne peut lui procurer qu’un bonheur relatif ; le bonheur parfait., elle ne le trouvera que dans la possession du Souverain Bien et elle y arrivera si elle possède en elle une énergie morale doublée de confiance en Dieu. Telle est notre orientation.

a) Une conscience droite nous maintiendra dans la bonne direction. C’est la boussole qui orientera sûrement notre conduite.

Une conscience droite, c’est comme une espèce de balance qui nous donnera le poids, la valeur exacte de nos déterminations et de nos actes ; c’est l’instrument qui nous fera apprécier exactement les résultats positifs de nos actes et nous portera à réfléchir mûrement avant d’agir. Une fois habituées à la réflexion, nous observerons ce qui se passe autour de nous ; au lieu de nous contenter des idées toutes faites que nous entendons émettre, nous acquerrons des idées personnelles ; nous serons en garde contre ces mots à la mode, qui exagèrent les impressions et traduisent mal les idées, et dont l’enthousiasme de commande fait grand usage pour exprimer ses émotions à fleur de peau.

b) Optimisme. — La vie n’est pas, dans ses réalités, telle que nous la peignent ces romans et ces pièces de théâtre où tous les événements se déroulent comme par enchantement. Les contrariétés, les ennuis, les insuccès sont inévitables ; mais que jamais ces difficultés ne nous détournent de notre but, qu’elles ne nous fassent jamais désespérer, qu’elles ne nous attristent pas outre mesure. Au lieu de nous éloigner de potre but, elles nous en rapprochent ; car à les vaincre nous fortifions notre volonté, nous épurons nos sentiments, et chaque victoire, outre le mérite immédiat qu’elle nous assure, nous rend plus fortes pour la lutte suivante.

Connaissant le but à atteindre, averties des difficultés qui se présenteront, ne soyons pas du nombre de ces esprits chagrins en proie au mal du siècle qu’on nomme pessimisme. Pour ceux qui en sont atteints, il n’est rien d’heureux ni d’agréable ; leur esprit prévenu voit les choses sous les aspects les plus tristes. Tout, leur semble-t-il, arrive pour leur malheur. Ils sont prompts à se décourager, toujours prêts à dénigrer ce que les autres ont accompli, ils s’opposent au progrès qu’ils jugent inutile ou funeste, et cela par parti-pris, convaincus qu’ils sont à l’avance, que le bien est irréalisable. Fuyons leur mine renfrognée et leur constante mauvaise humeur.

L’optimisme, au contraire, rend contents tous ceux qu’il anime. C’est avec une mine souriante, une humeur joyeuse et toujours égale que l’optimiste vous accueillera. Il vous communiquera son courage, son espoir ; car tout en étudiant les choses à tous points de vue, il fera surtout ressortir leur plus bel aspect. Grâce à lui, on se sent entraîné dans la voie de l’initiative et du progrès, on surmonte les difficultés avec courage, on se console de ses insuccès. L’optimisme ! Encore un viatique qui doit trouver place dans notre bagage moral.

Quelle que soit la façon dont nous préparons la traversée de la vie, il surgira toujours des événements que nous n’aurons pas prévus, et qui nous surprendront désagréablement. Le meilleur moyen de ne pas trop en souffrir, c’est de s’attendre à être contrarié et de s’exercer à la lutte pour se tirer d’affaire le plus avantageusement possible. Il y a plusieurs chemins pour arriver à une même destination. Engageons-nous en premier lieu dans celui qui doit nous conduire le plus vile et le plus rapidement au but ; si en cours de route nous rencontrons des obstacles insurmontables, il nous restera la ressource de poursuivre notre entreprise en biaisant. Ne craignons pas d’envisager les situations les plus défavorables et les cas les plus difficiles, soyons animées du désir d’arriver au but et que la justice et la bonté limitent seules les choix des moyens.

Un bon principe pour être heureux, c’est de regarder au-dessous et non au-dessus de soi, de comparer sa situation, ses ennuis, ses malheurs à ceux des gens plus éprouvés ; nous trouverons toujours de plus malheureux que nous. N’oublions pas qu’il y a des inégalités inévitables dans le monde et, au lieu de nous lamenter sur notre sort, considérons tous les maux qui nous sont épargnés. C’est une disposition d’esprit si précieuse, et malheureusement si rare, que d’être contente de son sort ! Ne brûlons d’envie d’égaler ou de dépasser nos semblables que dans la pratique de nos devoirs. L’envie d’ailleurs, outre qu’elle mine l’existence de ses victimes, déprime leur énergie, dégrade leurs sentiments.

c) Sang-froid. — Lorsque malgré notre vigilance constante, notre perspicacité, nous nous trouvons en présence de dangers réels, ne nous affolons pas, conservons tout notre sang-froid et ne craignons pas d’ouvrir les yeux pour bien examiner sous toutes ses faces la situation qui nous menace. C’est au moment du danger que le capitaine doit être sur le pont. Prenons pleine conscience de la responsabilité qui nous incombe. N’attendons pas que nous soyons directement intéressées dans des situations difficiles pour lutter contre le danger, préparons-nous à l’avance et de bonne heure, formons-nous une habitude de rester calmes, envisageons théoriquement des cas embarrassants, demandons-nous ce que nous ferions si nous étions dans telle circonstance déterminée.

Nous ne saurions non plus apporter une trop grande prudence dans la culture de notre imagination. L’imagination sentimentale doit être tenue en respect et cultivée avec une sage réserve ; elle devient la folle du logis si on la laisse aller. Les personnes ayant cette faculté très vive sont exposées à l’utiliser souvent mal à propos ; de là ces malades imaginaires, ces névrosées, etc.

L’imagination scientifique et inventive mérite tous nos soins ; car on doit en avoir beaucoup pour réussir dans les travaux personnels.

Dans la vie, il faut être calme, c’est-à-dire être logique et pondérée, avoir une juste idée des proportions, ne pas attacher une importance démesurée à des vétilles ni se désespérer au moindre ennui.

d) Les bonnes relations. — Nous devons rechercher la société ; notre instinct nous y pousse, les nécessités de la vie nous y obligent. Créons-nous de bonnes relations, choisissons quelques amies véritables qui partageront nos peines comme nos joies et qui nous éclaireront de leurs conseils sages et désintéressés. Autant une fidèle amie est précieuse, autant les mauvaises sont pernicieuses. Soyons donc prudentes dans notre choix, ne jugeons pas à la légère, ne nous fions pas uniquement aux paroles, voyons les actes et scrutons les sentiments qui les inspirent.

Avec une conscience droite, de l’optimisme, du sang-froid, de bonnes relations, on pourrait déjà traverser la vie sans trop d’encombre. Nous tâcherons d’ajouter encore à notre bagage /le dévoûment, la charité et bien d’autres vertus. Nous serons alors admirablement outillées.

Mais il faut savoir manier ses outils. Ne nous contentons pas de la théorie, habituons-nous à la pratique, exerçons-nous à appliquer ces principes à des cas réels ou imaginaires, afin qu’au moment voulu ils se présentent à l’esprit comme des réflexes et que nous puissions nous en servir d’emblée et avec efficacité.

Livres à lire :

Éducation familiale. 1902, p. 243-255-282-393.

Mgr Keppler. Vers la joie. — Paris, Lethielleux, 2, 50 fr.

Coppin. Vivons heureux. — Lille, Paris, Bruxelles, Desclée, De Brouwer et Cie, 2 fr.

Paul Combes. Le problème du bonheur. — Avignon, Aubanel, 3 fr.

Marden. L’optimisme. — Genève, Jeheber.