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L’Éducation en Angleterre/Chapitre III

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Librairie Hachette (p. 42-62).
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HARROW



Harrow-on-the-Hill est situé sur la ligne de Birmingham, à 15 minutes de Londres, au milieu d’une contrée fraîche et verdoyante. C’est une très petite ville, dont les maisons s’étagent sur les flancs de la colline qui lui donne son nom.

L’école est libre, bien entendu, non subventionnée, mais dotée jadis par son fondateur, pourvue par conséquent d’un domaine héréditaire comme la majorité des collèges anglais : parfois leurs revenus sont très considérables ; ici ils ne s’élèvent guère qu’à ₤1100 (27 500 francs). L’administration est confiée à un conseil de 6 membres, qui se recrutent par élection et principalement parmi les grands propriétaires du voisinage ; c’est à eux qu’il appartient de nommer le head master et d’introduire dans les règlements les modifications importantes. Le head master, une fois nommé, est presque considéré comme inamovible et jouit de l’autorité la plus étendue.

Les ressources du collège comprennent ensuite le produit des pensions ; les tarifs sont de deux sortes ; tous les élèves se trouvent répartis chez les professeurs : 10 de ces derniers sont à la tête de grandes maisons (large houses) et logent chacun environ 30 enfants ; il y a aussi 7 autres maisons plus petites, pouvant contenir chacune 9 enfants ; mais les prix sont sensiblement les mêmes dans les deux cas c’est-à-dire 88 ou 90 livres (2200 ou 2000 francs), plus un droit d’entrée de 10 livres (250 francs) une fois payé. Ce sont là des dépenses d’entretien comprenant logement, nourriture, éclairage, blanchissage, etc. Reste l’enseignement ; ces taxes-là, rangées avec les taxes accessoires sous la dénomination de school terms, se subdivisent de la façon suivante :

Enseignement public et frais généraux 
 ₤ 30 (750 fr.).
Enseignement privé 
 ₤ 15 (375 fr.).
Infirmerie et Building Fund 
 ₤ 1,10 (37 fr. 50).
Musique 
 Sch. 12 (15 fr.).
Piscine 
 Sch. 10 (12 fr. 50).
Bibliothèque 
 Sch. 6 (7 fr. 50).
Droit d’entrée 
 ₤ 6 (150 fr.).

Ce qui fait que la dépense totale obligatoire d’un écolier de Harrow est d’environ 3500 fr. par an et pas loin de 4000 la première année.

Ces recettes suffisent tout juste à équilibrer le budget et ne peuvent en tout cas couvrir les dépenses extraordinaires, telles qu’agrandissements ou constructions nouvelles. Mais alors on fait appel au dehors et les donateurs ne manquent pas ; la générosité des anciens élèves ne s’est jamais démentie ; elle provient du sentiment très intense qui les rattache à leur vieille école. Mais ils ne se bornent pas à lui venir en aide dans les moments difficiles ; ils fondent des prix annuels et des bourses. Il y a 6 médailles d’or, dont l’une, de la valeur de £ 10 (250 fr.), fondée par Robert Peel pour le discours latin, a été gagnée récemment par son petit-fils.

Les bourses (scholarships) sont toujours mises au concours : ce ne sont pas les parents que l’on prétend récompenser en se chargeant de l’éducation de leurs enfants, et leurs titres à eux ne sont point pris en considération : c’est aux enfants eux-mêmes à mériter ces avantages et ensuite à les conserver. Car les bourses peuvent être retirées si la conduite et le travail cessent d’être satisfaisants. Intellectuellement autant que physiquement, l’idée de sélection domine dans l’éducation anglaise ; tout semble organisé en vue d’une minorité d’élite.

Il y a 6 ou 7 scholarships variant entre 750 et 2000 francs par an ; on les met au concours chaque année pour les candidats âgés de plus de quatorze ans. En outre les « Harrovians » peuvent conquérir des bourses qui leur permettent de passer trois ou quatre années à Oxford ou à Cambridge ; il y en a 15 variant entre 800 et 2500 francs et provenant de dons et de legs ; souvent le donateur a indiqué lui-même le genre de sujet qui doit être proposé pour le concours.

Les 520 élèves que compte (en 1886) Harrow-school sont répartis en 420 pour le classical side et 100 pour le modem side.

Le classical side est divisé de la sorte :

60 élèves pour la 1re classe, sixth form (la plus haute).
120 2e fifth form 8 upper remove.
60 3e low remove.
120 4e shell.
60 5e fourth form.

Les classes sont elles-mêmes fractionnées.

Le modern side est divisé d’une façon analogue. — On ne peut être admis dans l’école avant douze ans ni après quinze ; de plus, il faut, pour y rester, avoir atteint, à seize ans, le shell ; à dix-sept, l’upper remove ; à dix-huit, la sixth form.

Ces classes correspondent assez peu aux nôtres ; elles forment bien une sorte d’escalier dont on franchit les marches successivement, mais elles ne constituent pas un ensemble d’études, un cours complet et bien défini ; on peut passer de l’une à l’autre par des examens qui ont lieu deux fois par an ; et bien qu’en pratique cela se fasse rarement, cette seule possibilité écarte l’idée d’une série de matières déterminées qu’il faille parcourir pendant l’année scolaire d’ailleurs très réduite par les vacances : 3 semaines à Pâques, 7 dans l’été, 5 à Noël. C’est en somme le plus adroit, celui qui retient le mieux, qui avance le plus vite ; on ne s’inquiète guère de son âge que comme minimum.

En plus, il y a des examens d’entrée ; on demande de traduire des passages d’auteurs latins et grecs, tels que César, Xénophon, Homère, Virgile, Cicéron.…, de faire quelques lignes de thème latin, de montrer des connaissances générales en histoire et en géographie. En arithmétique, il faut savoir les quatre opérations, les fractions ordinaires et décimales, les règles d’intérêt ; enfin il y a une version facile en français et en allemand. Si les nouveaux venus sont forts en vers latins ou quelque peu avancés en sciences naturelles, algèbre ou géométrie, il leur en est tenu compte.

Tel est le programme pour ceux qui suivent le classical side, et c’est la majorité. Le modern side, dans lequel les langues mortes ne tiennent plus qu’une très faible place, est une innovation destinée à satisfaire les exigences nouvelles ; on n’a pas jugé à propos de bouleverser un beau jour tout le système d’enseignement pour en chasser brusquement ce qui avait vieilli. L’examen d’entrée pour le modern side porte surtout sur les mathématiques (algèbre et les deux premiers livres d’Euclide) et contient en outre du français et un peu de latin.

Ces programmes sont très intéressants à rapprocher de ceux qui seront présentés, quelques années plus tard, aux candidats universitaires ; on est vraiment surpris du peu de choses que les jeunes gens sont censés avoir appris pendant ce laps de temps, comparé à tout ce qu’on leur demande à leur entrée à l’école. L’enfant travaille à proportion plus que l’adolescent. À mesure qu’il grandit, on semble délaisser un peu la culture intellectuelle au profit du corps et du jugement ; il s’agit de former l’un et l’autre. Il a commencé par être très libre et pousser à l’air ; puis, entre huit et douze ans, on l’a fait apprendre et travailler beaucoup pour ensuite faire succéder une période d’éducation à cette première période d’instruction.

Ces renseignements me sont donnés par l’aimable M. B… dans le joli salon de son « boarding house » ; comme l’heure de son cours approche, il va prendre la coiffure académique (le singulier petit bonnet plat que tout le monde connaît) et nous sortons ensemble. Des deux côtés de la route qui circule aux flancs de la colline et traverse le bourg, il y a des bâtiments disséminés ; c’est dans un de ces bâtiments que nous entrons ; les garçons qui composent la classe, assez restreinte du reste, arrivent de divers côtés ; il y en a un groupe devant la porte ; ils viennent parce que « c’est l’heure », sans qu’aucune cloche, sans qu’aucun pion leur en aient donné le signal. La classe ressemble aux nôtres ; même chaire et mêmes bancs où toutefois les élèves se placent à leur gré ; même tableau noir pour recevoir leurs confidences à la craie ; en plus, des cartes de géographie et des gravures pour égayer les murailles. Ils sont là une quinzaine, grands et petits, classés bien plus selon leur force que selon leur âge ; point d’uniforme, cela va sans le dire. Je m’installe en face d’eux, ce qui ne les trouble pas, et je me demande ce que deviendrait à une classe française si un étranger y venait assister.

Il s’agit d’histoire de France à l’époque du règne de François Ier ; les élèves ont eu à préparer la leçon par avance dans Michelet ! M. B. fait apprendre l’histoire de France en français ; c’est un peu l’idée qui inspirait chez les jésuites l’étude de la grammaire latine en latin. — Ce qui frappe au premier coup d’œil, c’est l’expression calme, paisible, qui rayonne sur tous ces fronts ; on ne voit pas de ces figures chiffonnées et presque flétries qui abondent dans nos écoles ; ici, c’est la santé débordante et la grâce que donne la vigueur. — Ils écoutent ou n’écoutent pas, mais s’ils sont parfois distraits, ils ne sont nullement dissipés. Presque tous ont un cahier et un crayon pour prendre des notes. D’autres s’en fient à leur mémoire. — Le professeur cause avec eux, les interrogeant quand leurs réponses ne le devancent pas ; il ne craint pas les digressions, surtout celles qui peuvent amener à parler d’un autre règne contemporain, montrer la concordance des faits et des dates… Mais les réponses sont parfois des lambeaux de phrases pris tout entier dans Michelet ; l’idée que François Ier était comme « prisonnier » dans sa cour, laquelle l’isolait de ses sujets, semble les avoir frappés, car tous, à peu près, l’expriment à la fois.

Nous rentrons ensuite pour le luncheon. La maison de M. B. est un pavillon entouré d’arbres. Au rez-de-chaussée est son appartement particulier, son cabinet, sa bibliothèque… Dans le vestibule, une série de dépêches affichées au mur ; ce sont 3 élèves qui ont entrepris d’aller d’Oxford à Cambridge à pied ! ils avaient parié le faire en un temps déterminé, et ces télégrammes signalent leur passage sur la route. — Environ 25 élèves dans la salle à manger, grande salle à deux rangs de tables ; sur les poutres du plafond, un jeune amateur de peinture a représenté des fleurs et des arabesques ; le service est fait par deux domestiques en livrée brune très simple ; comme menu, le joint (du mouton rôti) avec des légumes et un plat sucré : on boit de l’eau, de la bière, du lait, du vin à volonté. Les convives causent d’une façon animée, mais sans éclats de voix et sans la moindre apparence de désordre ; mon voisin demande les dernières nouvelles du bill Gladstone ; ils ne prennent sans doute pas un très vif intérêt aux finesses parlementaires, mais se tiennent à peu près au courant en jetant de temps à autre un coup d’œil sur les journaux. Ceci a son importance, parce que l’on dit couramment, en France, que la vie athlétique qu’ils mènent retarde leur développement intellectuel. Après la prière chacun s’en va où bon lui semble ; en passant, je visite beaucoup de chambres d’élèves ; quelques-uns viennent d’y rentrer et m’en font eux-mêmes les honneurs ; elles sont très petites, mais toutes donnent sur les jardins et quelques-unes ont une jolie vue. Le lit replié contre la muraille est pendant le jour recouvert d’une housse. Tous, ils ont des portraits, des gravures, des panoplies, mille petits bibelots rapportés des vacances ou de quelque voyage ; leurs sœurs leur ont brodé des dessus de cheminée, des coussins ; ils ont un fauteuil ou un rocking-chair et une petite table ; c’est là qu’ils font leurs devoirs ; après cela rien ne les empêche d’emporter leurs dictionnaires et un encrier au bord d’un ruisseau ou au sommet d’un arbre… chez plusieurs, il y a des fleurs ; l’un a garni toute sa cheminée de roses.

À chaque porte est un petit carré vitré pour voir si les lumières sont éteintes après 10 heures ; voilà la grosse question ! avec ces chambres séparées il faut une surveillance nocturne étroite. En réponse à mes questions, le « master » me dit : 1o qu’il travaille assez tard le soir et fait toujours une ronde tantôt avant, tantôt après minuit, en tout cas dans la première partie de la nuit, « la seule dangereuse » ; 2o que les élèves ont très peur de lui. Mais cela n’est pas tout ! Une ronde et la crainte d’être pincé ! Cela ne suffirait pas. Il y a une autre raison que M. Taine et je pense tous ceux qui ont étudié l’éducation anglaise ont bien comprise. Les « boys », quand vient la nuit, ont envie de dormir ; ils sont fatigués, éreintés de tous ces exercices physiques, et puis le grand air, le mouvement pacifient leurs sens et leur imagination ; ils s’endorment en songeant aux sports du lendemain. Tout cela est une sauvegarde bien plus puissante encore qu’on ne le suppose au premier abord et qui s’exerce en premier lieu contre la corruption pour l’empêcher d’entrer et ensuite contre la corruption accidentellement entrée pour l’empêcher de s’étendre. Aussi quelle importance les professeurs attachent au cricket et au foot-ball (ballon). En voici un qui est un homme mûr, sérieux, zélé, regrettant que l’instruction ne soit pas encore assez développée à son gré, trouvant le niveau des études trop faible… et qui pourtant me dit avec une singulière énergie en me parlant des grandes parties de cricket qui ont lieu trois fois par semaine : « J’aimerais mieux cent fois leur faire manquer deux classes qu’une seule de ces parties. » Le mot récréation, il ne le comprend pas : ce serait un répit accordé pour causer entre deux classes. Mais les jeux font partie du programme. C’est encore de l’étude ! Ici, on cherche aussi à intéresser l’élève, à le captiver, à le passionner ; mais ce ne sont pas Alexandre et César que l’on propose à son enthousiasme ; un tel enthousiasme est factice et malsain. Dans les jeux il n’y a pas seulement l’exercice physique, il y a l’émulation, un embryon de vie sociale, la discipline qui naît tout naturellement de l’obligation du commandement et de l’obéissance ; il y a tout cela !

Je mets sur le tapis la question des brimades. Qui ne connaît l’axiome favori de la génération qui nous a précédés : les brimades forment le caractère. Cela se répétait à propos de l’école militaire et du régiment, mais aussi à propos des collèges ; vers la même époque, il y avait ici une quantité de brimeurs dans les public schools : l’opinion publique leur était-elle aussi favorable que chez nous ?

Eh bien ! non. Les Anglais, qui estiment si haut tout ce qui est viril (manly), pensent que les brimades, loin de former, déforment le caractère. Brimer un enfant, disent-ils, c’est meurtrir une jeune plante et l’empêcher de prendre le dessus ; cela n’est bon qu’à rendre l’enfant craintif ou brutal à son tour ; cela donne une grande amertume à ses souvenirs ; cela ébranle ses nerfs et peut ruiner sa santé. Folie de croire que la violence et les coups peuvent guérir la sensibilité et la timidité et donner de l’énergie, du courage à celui qui n’en a pas. Rendre un enfant résolu et courageux par un entraînement raisonné, bien ; mais quand on cherche à atteindre ce but en l’effrayant et en le rudoyant, on arrive à un résultat généralement tout opposé. « Tous les médecins sont d’accord pour constater combien la terreur, l’inquiétude, l’agitation sont choses néfastes aux natures ultra-nerveuses ; après tout, les hommes ne sont pas tous pareils ; est-ce qu’il n’y en a pas qui ont une intelligence étendue, beaucoup de force morale, qui peuvent rendre de grands services et être de bons citoyens et pourtant qui n’ont pas le courage animal ?… Les jockeys sont plus sages en vérité que ceux qui prônent les brimades, car ils ne maltraitent pas les chevaux nerveux ; et si un horloger réglait une montre avec un levier pesant, on lui dirait qu’il est un âne. Celui qui brime un enfant délicat pour le rendre robuste, n’est guère plus spirituel[1]. » Mais la plupart du temps ce but peut être atteint par l’entraînement de chaque jour. Écoutez ces conseils à un écolier : « Toutes les fois qu’une chose vous effraye, faites-la, à moins qu’elle ne soit déraisonnable ; ne perdez jamais l’occasion d’accomplir un effort pénible. Voyez-vous un grand arbre ? grimpez au sommet ; un fossé ? sautez-le ; une haie ? passez par-dessus… ne méprisez aucune fatigue ; il n’y en a pas d’inutile[2]. » Ceci ne peut passer pour efféminé, et un tel régime est susceptible de produire d’autres effets que toutes les brimades du monde.

Comment s’y est-on pris pour les faire disparaître ? Il y a cinquante ans en effet, les petits et les faibles menaient dans les public schools une existence assez misérable. Les professeurs discutaient entre eux les remèdes à apporter à cet état de choses, mais il y avait chez eux ce qu’il y a dans l’État anglais relativement à l’initiative privée… la crainte d’intervenir, d’empiéter sur elle ! Les parents d’autre part commençaient à se plaindre… il fut question de séparer complètement les élèves d’âge différent : mais il eût fallu les diviser selon leur force physique en même temps que selon leur âge ; la chose est impraticable ; on croit avoir fait merveille en France en agissant ainsi ; on se trompe assurément. Alors les maîtres se mirent à l’œuvre avec une noble persévérance, pour amener les garçons à faire eux-mêmes la réforme ; ils utilisèrent la force de l’opinion publique, encore plus puissante peut-être à l’école que dans le monde, et ils cherchèrent à la diriger dans une autre voie, à la retourner… cela a pris du temps, mais ils ont réussi.

Il est vrai qu’une chose y a puissamment aidé : c’est la disparition progressive du fagging, institution choquante, qui mettait les petits à la discrétion des grands et encourageait ceux-ci à la brutalité. Les fags (on l’était à tour de rôle) remplissaient près de leurs aînés un véritable service domestique ; aujourd’hui ces derniers ont encore des fags sous leurs ordres, mais leur pouvoir ne s’exerce plus que dans des limites raisonnables.

C’est aujourd’hui cricket match et beaucoup d’élèves passent, tenant leurs bats : ils causent par groupes dans la rue, vont mettre des lettres à la poste, faire quelques emplettes, mais ne s’éloignent pas à cause de l’appel qui va avoir lieu. Les professeurs circulent au milieu de cette jeune population, et je remarque le caractère amical des relations qui les unissent à leurs élèves ; regards francs, paroles franches, manières franches. Il est évident que dans ce milieu les petites niches, les petits jeux, les petits bavardages ont une place très restreinte et que les enfants y sont plus semblables à des hommes.

L’appel a lieu dans la grande cour ; c’est une mesure habituelle rendue nécessaire par la grande liberté qui règne dans le collège : comment savoir autrement si tous sont là ! — Ils défilent en répondant « here » à mesure qu’on les appelle et s’en vont ensuite. Le bâtiment devant lequel se passe cette cérémonie est une construction gothique, reste de l’ancien collège fondé, je crois, par Élisabeth ; elle renferme une vaste salle aux boiseries décorées d’inscriptions et de hiéroglyphes ; chaque élève ou peu s’en faut a tracé là, avec la pointe d’un couteau, son nom parfois accompagné d’une date ; j’y lis avec respect ceux de Sheridan, de Palmerston, de lord Byron, de Robert Peel à côté d’autres plus fraîchement inscrits, que peut-être la renommée soulignera demain. Cette salle sert parfois pour les examens ; mais c’est surtout le lieu des exécutions, qui sont d’ailleurs assez rares.

La chapelle est un joli monument de bon goût ; sur des plaques de marbre dans l’intérieur, sont les noms des élèves morts au collège ; le dimanche, tout le monde doit assister au service, à moins que les parents n’aient exprimé un désir contraire. Non loin est la bibliothèque ouverte aux élèves, mais naturellement fréquentée surtout par les maîtres ; de là on jouit d’une belle vue sur toute la contrée jusqu’à Londres, dont une brume épaisse indique l’emplacement. Sur le sommet de la colline est située l’église paroissiale, entourée de beaux arbres et d’un cimetière calme et recueilli d’où la vue est plus belle encore. C’est le site qu’aimait Byron quand il était à Harrow. Il passait des heures à contempler l’horizon, couché sur une tombe, très élevée, en vieux granit, et sous laquelle dort un inconnu du siècle dernier. Soit que le bruit ait couru que Byron était enseveli là, soit par simple souvenir de son passage, les touristes démolissaient peu à peu la tombe pour en emporter des fragments et l’on a dû l’entourer d’une cage à barreaux de fer. Je ne sache pas que le grand poète ait eu de nombreux imitateurs parmi ses condisciples : au reste, en partant du paradis, Byron avait certainement pris par erreur un billet pour l’Angleterre, croyant descendre en Italie.

Laissant de côté les swimming baths, nous descendons vers les jeux. Il y a une grande salle pour les « racquets », espèce de paume avec de petites balles dures qui rebondissent sur les murailles. À côté, une rangée de « fives courts ». Mais ce sont là plutôt des jeux de mauvais temps. Dans l’atelier, quelques élèves travaillent sous la direction d’un menuisier-ébéniste et d’un forgeron-mécanicien. Ils peuvent ainsi apprendre les travaux manuels qui leur conviennent. Beaucoup s’y construisent des meubles, des rayons pour les livres, des étagères. D’autres, plus ambitieux, font de la serrurerie ; l’un, plus habile encore, a construit une petite machine à vapeur qu’il vient de vendre. Il y a un vélocipède en train et une périssoire originale, dont la carcasse est recouverte de toile imperméable et qui s’aplatit pour être portée sous le bras, les bancs mobiles maintenant seuls l’écartement. Aujourd’hui, à cause du match, l’atelier est assez vide ; mais on voit que les jours ordinaires l’ouvrage ne doit pas chômer.

En bas, dans la plaine, le cricket est commencé ; le champ est d’une belle étendue et bien situé ; au fond se dresse le petit pavillon du club ; beaucoup de spectateurs à l’entour, les chemises blanches des joueurs tranchent sur l’herbe verte ; la scène est très animée. — Cela durera ainsi jusqu’à 6 heures du soir.

  1. Tom Brown’s school days.
  2. La Vie de collège en Angleterre, par A. Laurie.