L’Élève Bompel/05

La bibliothèque libre.
Éditions La Belle Cordière (p. 66-82).

V


Le lendemain, en se réveillant, Nil se demanda si la règle réapparaîtrait sur le bureau du professeur. Il était fort pressé d’entrer en classe.

Quand il y arriva, il vit Legrise, Ce dernier ne le regarda pas, Nil se douta qu’il était venu de bonne heure, à dessein, pour déposer l’objet dérobé, sans qu’on le soupçonnât.

Nil attendit pour entrer dans la classe, l’arrivée de quelques élèves. Quand l’heure sonna, ils entrèrent tous et tous les yeux allèrent vers le pupitre du professeur où la règle se montrait bien en évidence.

Le maître entra, la vit et dit :

— Messieurs, je suis heureux de constater que mon appel n’a pas été vain. Il me reste à souhaiter que ce fait ne se renouvelle plus. Si l’un de vous a besoin de ma règle, je serai très content de la lui prêter. Je tiens grandement à cet objet qui est un souvenir de mon père que j’ai perdu…

Les élèves écoutèrent ces paroles dans un silence inhabituel, et Legrise qui aurait voulu un incident pour égayer cette déclaration, ne put faire autrement que de rester déférent comme ses camarades.

Quand Nil revint pour le déjeuner, son père le questionna :

— Cela s’est bien passé ?

— Fort bien… tous les élèves montraient une figure en bois, même Legrise. Le professeur a été fort gentil et il nous a dit que la règle était un souvenir de son papa qui est mort. Je suis triste pour lui. Tu l’inviteras un peu, dis papa ?

— Mais oui, mon petit…

L’année scolaire passa sans incidents notables. Les vacances s’écoulèrent paisiblement dans la même campagne, puis l’année recommença, et quand elle fut près d’être terminée, Nil s’effraya de son peu de succès. Il pensa que son nom ne serait presque pas nommé au palmarès et il en était assez mortifié. Pourtant, il ne se sentait pas trop coupable, ayant cru, de bonne foi, n’avoir pas provoqué sciemment le rire de ses camarades. Mais ceux-ci en avaient pris l’habitude, et dès que Nil parlait ou esquissait un geste, ils éclataient de rire.

C’était une routine à laquelle ils restaient fidèles parce qu’elle leur donnait l’occasion d’une distraction. Le professeur ne pouvant pas toujours avoir les yeux sur Nil, on concluait qu’il se livrait à des facéties.

Le jeune garçon réfléchissait à son cas. Il lui déplaisait maintenant d’être mis à la porte de la classe, et de ne pouvoir mieux profiter des leçons. Il avait onze ans passé et entrerait dans un cours nouveau en octobre. Il devait faire sa communion solennelle l’année suivante, et il décida qu’il travaillerait pendant les vacances. Son catéchisme, il le savait presque mot à mot et son histoire religieuse était toujours sue.

Il lui vint soudain que son entourage de classe lui portait préjudice, et il estima que tant qu’il resterait avec les mêmes élèves, ce seraient les mêmes difficultés.

Quand Nil avait pesé une décision, il la mettait à exécution. Il aimait aussi régler les choses à sa manière et il jugea que la première personne à consulter pour son plan était le directeur.

Gardant pour lui son idée, il se décida à ne la dévoiler qu’à ce personnage. Il ne demanda conseil ni à son père, ni à son professeur et alla de l’avant. Il connaissait maintenant le chemin du cabinet du directeur, et s’y achemina sans passer par la voie hiérarchique. Nil ne s’embarrassait pas de ces façons protocolaires.

Par bonheur, le directeur était là. Il écrivait, mais quand il vit Nil, il posa son stylo.

— Il me semble que c’est l’élève Bompel qui m’arrive… Il y a longtemps que je ne vous ai vu…

— Moi aussi, Monsieur.

— C’est donc réciproque et assez logique…

— Non, Monsieur, car j’aurais pu vous apercevoir, tandis que parmi les élèves, vous auriez pu ne pas me deviner.

— Je constate que vous êtes toujours aussi raisonneur que précis.

Nil baissa les yeux comme s’il était confus.

Le directeur reprit :

— Qu’est-ce qui vous amène chez moi ?

— C’est fort simple : je suis entouré d’élèves qui se croient obligés de rire, même quand il n’y a pas matière. J’ai cependant écouté vos avis, et je suis resté dans une contrainte qui aurait dû être récompensée. Malheureusement, mes camarades sont tellement habitués à rire de ce que je fais ou dis, que je ne puis même pas réciter une leçon triste sans qu’ils se mettent à pouffer.

— C’est bien regrettable… et alors ?

— Je passe pour un mauvais sujet qui apporte la dissipation et cela commence par m’irriter un peu.

— Je vous comprends… et vous désirez sans doute changer d’établissement ?

— Oh ! non, Monsieur, je n’aime pas les déplacements. J’ai l’intention, si vous m’y encouragez, de sauter une classe.

— Bigre !

Nil dédaigna cette interjection et continua :

— … Ainsi je ne serai plus avec les mêmes élèves et les nouveaux me prendront au sérieux.

Le directeur contempla Nil quelques secondes d’un air admiratif, puis dit :

— Eh ! bien, mon jeune ami, c’est une idée excellente, si toutefois votre science vous permet ce saut. J’ai vos notes de fin d’année et vos succès ne sont pas brillants. Je tiens compte de la malchance qui vous poursuit. Je crois que vous êtes rempli de bonne volonté et ce serait dommage de négliger des intentions qui me paraissent dignes d’être approfondies. Avez-vous parlé à votre père ?

— Non, Monsieur…

— À votre professeur ?

— Pas davantage…

Le directeur se trouva flatté de ce que Nil se fût adressé à lui en premier. Il demanda :

— Quelle conduite comptez-vous tenir ?

— Voici mon idée : si, après m’avoir fait passer un examen, vous le jugez satisfaisant, je demanderai à mon père des leçons particulières, et je travaillerai les matières que vous me signaleriez… J’aurai trois mois pour cela… D’ailleurs, je ne suis pas aussi nul que le palmarès le démontrera à la face du monde… seulement je ne puis jamais affirmer mon savoir sans qu’on se moque de moi.

Le directeur rit un peu, mais pas trop, pour ne pas blesser son élève qu’il louangeait par devers soi. La logique de Nil était indiscutable. Il était certain qu’il ne serait jamais pris au sérieux par ses condisciples habituels qui le considéraient presque à l’égal d’un pitre égaré dans leur classe pour les distraire.

Legrise, mauvais élève, menait le train. Il n’avait qu’une pensée : se venger de Nil qui refusait de le fréquenter, malgré ses invites réitérées. Nil devinait cette guerre sournoise et son grand désir était de s’y soustraire. Legrise était d’autant plus vexé que Paul de Parul semblait beaucoup rechercher Nil. Cette amitié naissante exaspérait le rancunier camarade, et rien ne lui causait plus de plaisir que d’entendre intimer à Nil l’ordre de quitter la classe. Il espérait ainsi qu’une déconsidération finirait par l’isoler de tous ceux qui sympathisaient avec lui.

Le directeur, après quelques instants de silence, termina l’entretien en disant :

— Votre plan est bon… Parlez-en à votre père, et dites-lui qu’il vienne me trouver. Tout ce que vous m’exposez mérite l’attention. Votre désir est légitime et je ne puis me refuser à vous aider. Vos raisons sont d’ailleurs marquées au bon sens, et nous n’aurons plus qu’à souhaiter que vous vous imposiez à vos futurs compagnons.

Nil était ravi. Pour une des rares fois, il perdit son masque de froideur et parut avec un visage de jeune garçon épanoui.

Il se retira, sans oublier de remercier chaleureusement. Il ne doutait pas de l’acceptation de son père. D’ailleurs, il comptait sur l’appui du directeur en cas de difficultés.

Nil trouvait qu’il avait bien joué et il s’en retourna tout joyeux.

L’entretien qu’il eut avec ses parents fut dirigé selon son originalité.

— Papa et maman, vous ne serez pas étonnés de ne pas voir mon nom au palmarès, le jour de la distribution des prix. D’abord, il n’y a plus beaucoup de prix et j’avoue aussi n’en avoir pas mérité. Cependant, ce n’est pas tout à fait de ma faute, je suis un grand incompris, parce que mes camarades ne me laissent jamais réciter mes leçons, et se croient toujours obligés de rire.

— Vraiment, tu dois les y aider ! s’écria sa mère.

Elle se voyait, sans couronnes au bras, avec un fils non chargé de prix. Heureusement, il y aurait ceux de Jean.

Nil reprit :

— Maman, je comprends ton ennui, mais patiente, jusqu’à l’année prochaine, où non seulement j’aurai « fleurs et couronnes »…

— Oh ! Nil, tais-toi !

— Que tu es sensible, maman !… mais que j’aurai eu le plaisir de sauter une classe.

— Comment cela ? demanda M. Bompel intrigué, tu ne vas pas devenir un as subitement ?

— J’ai un moyen.

Nil exposa tranquillement son projet, en ajoutant que M. le Directeur était pleinement de son avis.

— Comment ! tu as déjà arrangé ton affaire avec le Directeur ?

— Oui… parce que s’il n’avait pas été consentant, cela aurait été inutile de te déranger. Ainsi, les voies sont aplanies et vous discuterez ensemble des matières à me faire travailler.

— Tu es fabuleux ! Tu prends des décisions…

— Il faut savoir ce que l’on veut ! Avec mes camarades actuels que j’aurais remorqués jusqu’à la fin de mes classes, jamais je n’aurais pu me sortir du bourbier.

— C’est un moyen héroïque !

— Je serai désolée que tu ne sois plus avec Paul de Parul, dit Mme Bompel.

— S’il est navré de ne plus m’avoir comme condisciple, il n’aura qu’à faire comme moi : sauter une classe. Quant à moi, je ne serai plus avec Legrise, ce dont je serai enchanté.

— Ne te vante pas encore, tu n’en es pas encore là, dit M. Bompel.

— Oh ! non, ajouta sa mère, et je suis assez mortifiée d’avoir un fils qui sortira de la distribution sans un seul livre ! Tu auras toujours la ressource d’en emprunter un à ton frère pour le trajet.

— Ah ! ça… jamais ! répliqua vivement Nil. À chacun ses mérites et je ne me parerai pas des plumes du paon. Mon tour viendra.

Nil eut gain de cause. M. Bompel s’entretint avec le directeur, et il fut convenu qu’un jeune homme des relations de ce dernier, servirait de précepteur à l’élève Bompel durant toutes les vacances.

Quand M. Bompel rapporta ces nouvelles, la mère eut un regard désespéré vers son fils :

— Alors, tu travailleras tout l’été ?

— Ce sera un plaisir, répliqua Nil stoïquement.

— Mon pauvre petit…

La mère, désolée, craignait la fatigue pour son enfant.

Nil n’avait pas les mêmes raisons pour déplorer ces circonstances. Il aimait l’étude et se sentait bien por­tant. Il se réjouissait même à la pensée d’avoir un compagnon. Il savait que c’était un jeune homme consciencieux et déjà érudit.

Puis, le but qu’il s’était fixé le transportait d’en­thousiasme. Se séparer de tous ces rieurs ironiques lui aurait fait prendre des résolutions encore plus difficiles, afin de leur échapper.

Ses parents, cette année, avaient loué une villa un peu plus éloignée de Lyon. Mme Bompel ne désirait ni ville d’eaux, ni mer, ni montagne. Ainsi, elle se sentait plus tranquille, et ses fils profitaient d’un bon air.

Si elle avait choisi ce pays, c’est qu’elle y était attirée par une amie d’enfance, nantie de dix enfants. Elle trouvait que douze enfants constituaient une petite colonie qui pouvait se suffire. Les occasions de chutes, de plaies, de bosses, de maladies, conservaient un champ suffisant pour qu’on n’allât pas les provo­quer par des promenades en mer ou des ascensions hasardeuses.

Ce fut par un beau soir de juillet que la famille arriva à Saint-Donat sur l’Herbasse. La rivière qui ajoutait son nom au pays était un murmurant cours d’eau limpide qui roulait sur des cailloux polis par des siècles.

Le paysage manquait de mouvement et le bourg, que l’on nommait ville, ne se distinguait par rien de saillant, si ce n’était par son église, qui datait du IXe siècle. Mais ce fut plus tard que Nil comprit le charme des coteaux riants, et apprit que Saint-Donat était une très vieille ville.

Ce soir-là, Nil ne s’attarda pas à la contemplation du pays. Il ne pensait qu’à sa chambre et à l’installa­tion de ses livres d’étude.

La famille Bompel prit possession d’un pavillon voisin de la grande maison où habitaient les dix Ladoume avec leurs père et mère. Ils étaient venus tous au débarquement de leurs amis encore inconnus.

Ils s’emparèrent des colis avec des cris de bien­venue, et Mme Bompel se crut un moment dans une tribu de sauvages et augura mal de la tranquillité future. Cependant sa joie était vive de revoir son amie et de faire connaissance avec ses nombreux enfants.

Le voyage, depuis Lyon, avait duré trois heures, et la faim tiraillait les estomacs. Dans cette prévision, Mme Ladoume avait eu la gentillesse de servir un repas substantiel dans le nouveau gîte des Bompel. Et ce fut une douceur de s’installer devant une table bien pourvue, dans une pièce décorée de fleurs.

Mme Ladoume, ayant toutes les délicatesses, laissa seuls les arrivants un peu fourbus, et emmena son petit monde, qui obéit non sans adieux bruyants.

Mme Bompel se demanda intérieurement comment Nil arrangerait ses heures de travail avec un pareil voisinage. Pourtant, elle le savait ferme, mais ne serait-ce pas tentant, de jouer, de se promener, avec cette bande joyeuse, dont l’aîné avait 17 ans et le plus jeune, un an et demi.

Jean paraissait enchanté. Ses 15 ans se promet­taient de bonnes parties. Il aimait la campagne, lui aussi, mais plutôt pour la liberté qu’il y trouvait que pour les travaux que l’on y exerçait. Il pensait sur­tout aux nombreux compagnons qu’il aurait, car sur les dix enfants, il y avait sept garçons qui étaient les aînés. Cela lui promettait bien des jeux intéressants.

M. Bompel, qui repartit dès le lendemain de l’arri­vée, devait revenir le samedi avec M. Albert Tradal, le précepteur. Le lundi, Nil voulait commencer ses leçons. Sa mère aurait aimé qu’il les retardât d’une huitaine de jours, mais il préférait prendre de l’avance. Être pris au dépourvu n’était pas dans sa nature.

Il était fort curieux de connaître son professeur. Il voulait le recevoir avec amabilité et préparer une salle d’étude confortable. Au lieu d’aller faire la connaissance des jeunes Ladoume avec son frère, il s’y refusa, remettant au dimanche cette formalité.

Malgré l’invitation pressante de son frère, il main­tint son idée, et passa l’après-midi en l’arrangement de son futur lieu de travail.

Mme Bompel loua son fils de ne rien laisser à l’aventure. Certainement, M. Albert Tradal apprécie­rait mieux son élève, quand il saurait que Nil avait tenu à lui présenter une installation commode plutôt que d’aller s’amuser.

La table était grande et solide sur ses pieds. Les deux sous-main étaient nets et les livres bien rangés sur une étagère. Les cahiers s’alignaient de chaque côté d’un petit porte-bouquet stable où se dressaient des roses. Des rideaux à mi-fenêtre donnaient une clarté agréable et empêchaient les yeux d’errer au dehors, supprimant ainsi tout élément de distraction.

Nil ne regretta pas du tout l’isolement qu’il s’était imposé. Son après-midi avait été très occupée à re­couvrir ses livres, à tailler ses crayons, à faire poser le tableau noir et la boîte à craie.

Aussi lorsque Albert Tradal entra le samedi soir dans cette pièce accueillante, eut-il tout de suite une bonne impression de son élève.

— Je crois que nous travaillerons bien dans cette pièce fraîche et claire, dit-il en se tournant vers Nil. Celui-ci n’avait pas encore beaucoup parlé. Il examinait ce grand jeune homme sérieux dont les sourcils légèrement froncés accusaient la concentration de la pensée.

Il répondit :

— Je l’espère, monsieur, parce que j’y tiens beaucoup… Je veux sauter une classe et il faudra exécuter ici ce saut assez périlleux pour moi.

Albert Tradal regarda son élève avec curiosité.

L’ami de son père, le directeur du collège, lui avait bien fait entendre qu’il aurait affaire à un jeune raisonneur, mais il se l’imaginait autrement, comme on s’imagine toujours autrement, d’ailleurs, les personnes dont on vous parle. Il comprit qu’il était en face d’un élève déterminé à travailler. Cela lui causa le plus vif plaisir. Il appréhendait d’avoir à lutter avec un jeune cancre. Il était lui-même très travailleur et craignait d’être obligé de traîner son élève au labeur journalier.

Nil n’était pas timide et il dit à son professeur :

— Vous me plaisez… vous avez des yeux de travailleur, et je suis content que vous ne portiez pas de lunettes.

— Enchanté que ma personne vous agrée ! riposta Albert Tradal, amusé… Je vous retourne le compliment !

— Je suis parfois insupportable, parce que j’ai des idées auxquels je tiens.

— On peut savoir lesquelles ?

— C’est assez difficile à exprimer… Cependant je puis vous dire que j’aime être pris au sérieux… Rire de moi quand je parle me désoblige.

Tradal allait rire, mais il refoula à temps cette manifestation. Il demanda quelques explications à Nil sur ce sujet et ce dernier ne se fit pas prier pour raconter ses mésaventures de classe.

Le précepteur admira par devers lui la prudence de son élève, voulant sauter une classe pour renouveler son entourage.

— Cette résolution vous fait grand honneur, s’empressa-t-il de dire à Nil.

Il regarda son élève avec une sympathie accrue, en se disant qu’il se trouvait en présence d’un caractère.

Le dimanche, Nil s’amusa à dénombrer ses amis nouveaux qu’il vit tous à la messe. Ils y arrivèrent deux par deux et par rang de taille.

La première impression était que l’on se trouvait en présence d’un pensionnat, mais la présence de Mme Ladoume faisant passer ses enfants dans les bancs de famille, détrompait tout de suite. On n’avait plus qu’à admirer cette kyrielle d’enfants aux visages avenants et sains.

Nil fut distrait durant cette messe, bien qu’il eût gardé les excellentes dispositions de ses sept ans. Il regardait tous ces garçons et, comme il était assez physionomiste, il essayait de tirer des déductions de son examen. Il se perdait un peu dans ses remarques, vu le nombre des examinés, et il pensait aussi à sa messe qu’il se reprochait de suivre bien mal. Quand il se reprenait, il baissait vite les yeux sur son paroissien, mais quelques instants après, l’attirance était la plus forte et, de nouveau, ses regards cherchaient ces têtes intéressantes.

Au sortir de la messe, ce fut un brouhaha confus de bonjours, de paroles et de rires. On se promit pour l’après-midi une joyeuse partie de « cache-cache », dans la maison des Ladoume, qui était grande et fraîche.

Il fallut beaucoup insister près de Nil pour qu’il se mêlât à ce jeu. Il aurait préféré causer avec son professeur, car il n’aimait pas les exercices violents, mais sa mère avait exigé qu’il acceptât cette gymnastique.

— Puisque je déteste courir…

— Cela te fera du bien.

— Ces cris m’assourdissent…

— Tu crieras comme les autres et tu ne les entendras pas.

— Crois-tu que ce soit poli pour M. Tradal que je l’abandonne…

M. Tradal t’excusera… Il sait que les garçons ont besoin de mouvement.

— Je vois qu’il faut que je cède, mais je reviendrai ici dans trois heures. Il me semble que quand j’aurai couru et hurlé durant ce temps, je serai libre…

— Je t’y autorise, consentit Mme Bompel en riant.

Ce fut donc mollement que Nil prit part au délassement qu’on lui imposait.

La partie fut mouvementée, parce que seuls les garçons y prirent part, les petites filles étant trop jeunes pour accompagner leurs frères dans leurs courses folles. Elles se contentèrent de les guetter et de pousser des glapissements de sauvages quand elles les voyaient. La plus jeune n’était pas la moins exci­tée et ses hurlements eussent attiré l’attention de sa maman, si celle-ci n’avait été habituée aux manifesta­tions de sa progéniture.

Il arriva une mésaventure à Nil : Un des Ladoume lui montra un placard où il pouvait se cacher, et le dissimulant sous des vêtements, il s’en alla, laissant la porte entrouverte. Nil s’installa sur une valise et attendit qu’on le découvrît.

Son esprit erra sur des problèmes, des programmes de travail, quand la main du chercheur ouvrit la porte. Le jeune garçon murmura : « Personne ici. » Nil ne bougea pas. La porte fut refermée avec fracas. Le terrible était qu’elle était munie d’une serrure ne s’ouvrant pas de l’intérieur. Nil ne s’en aperçut pas tout d’abord et continua paisiblement à réfléchir. Soudain le temps lui parut long et la maison bien silencieuse. Il patienta, mais bientôt sentit que l’air lui manquait. Il songea : Drôle d’amusement ! Ne serais-je pas mieux dans le jardin, plutôt que d’être privé d’oxygène ici ? Il essaya de distraire sa pensée de l’éventualité de l’étouffement. Il se répétait : « C’est la dernière fois que je joue à la cachette, si on peut appeler jouer, ce sinistre divertissement qui peut coûter la vie. »

Se sentant vraiment sur le bord de l’asphyxie, il tapa contre la porte pour appeler, mais on ne l’en­tendit pas. Après quelques secondes de réflexion, il dévissa un des pitons où pendaient des vêtements. Il le revissa dans la porte, de manière à faire une petite ouverture. Il découvrit alors que le bois était tendre et peu épais, et il tira de toutes ses forces. Par bonheur, le panneau était un assemblage de petites planches, et non de plein bois, de sorte qu’il se créa une fente assez large pour aspirer de l’air. Son second geste fut de chercher la fermeture. Il put ouvrir, après avoir brisé encore un peu de bois. Il sortit, se secoua et regagna le jardin où les garçons expliquaient aux parents qu’on l’avait égaré. Son apparition fut saluée par des questions, et il raconta ce qui lui était survenu.

Sa mère pâlit d’épouvante et son père lui dit :

— Je ne puis que te féliciter pour ton sang-froid.

Il répondit :

— Dans ma maison, si j’ai des enfants, je n’aurai que des placards à portes minces et vermoulues….