L’Éléphant, et le Singe de Jupiter

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Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 95-98).

FABLE XXI.

L’Élephant, & le Singe de Jupiter.


Autrefois l’Élephant & le Rinoceros
En diſpute du pas & des droits de l’Empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.

Le jour en étoit pris, quand quelqu’un vint leur dire
Que le Singe de Jupiter,
Portant un Caducée, avoit paru dans l’air.
Ce Singe avoit nom Gille, à ce que dit l’Hiſtoire.
Auſſi-tôt l’Élephant de croire
Qu’en qualité d’Ambaſſadeur
Il venoit trouver ſa Grandeur.
Tout fier de ce ſujet de gloire,
Il attend Maître Gille, & le trouve un peu lent
À lui preſenter ſa créance.
Maître Gille enfin en paſſant
Va ſaluër ſon Excellence.
L’autre étoit préparé ſur la légation ;
Mais pas un mot : l’attention
Qu’il croïoit que les Dieux euſſent à ſa querelle

N’agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu’importe à ceux du Firmament
Qu’on ſoit Mouche ou bien Élephant ?
Il ſe vid donc reduit à commencer lui-même.
Mon couſin Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un aſſez beau combat de ſon Trône ſuprême.
Toute ſa Cour verra beau jeu.
 Quel combat ? dit le Singe avec un front ſevere.
L’Élephant repartit : Quoi vous ne ſçavez pas
Que le Rinoceros me diſpute le pas ?
Qu’Élephantide a guerre avecque Rinocere ?
Vous connoiſſez ces lieux, ils ont quelque renom.

Vraiment je ſuis ravi d’en apprendre le nom,
Repartit Maître Gille, on ne s’entretient guere
De ſemblables ſujets dans nos vaſtes Lambris.
L’Élephant honteux & ſurpris
Lui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?
Partager un brin d’herbe entre quelques Fourmis.
Nous avons ſoin de tout : Et quant à vôtre affaire,
On n’en dit rien encor dans le conſeil des Dieux.
Les petits & les grands ſont égaux à leurs yeux.