L’Éloge de rien, dédié à personne/3e édition/L’Éloge de quelque chose

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L’eloge
de
QUELQUE CHOSE



S I jamais Eloge a été juſte & bien fondé, c’est assurément l’éloge de QUELQUE CHOSE, puiſqu’on ne ſçauroit disconvenir que QUELQUE CHOSE ne ſoit excellent par lui-même, & qu’il n’ait la plus illuſtre origine ; puisque rien n’est mieux établi que l’eſtime univerſelle & le ſincere amour qu’ont tous les hommes pour QUELQUE CHOSE ; puiſque dans quelque état & condition qu’on ſoit, on ſent l’extrême beſoin qu’on a de QUELQUE CHOSE ; puiſqu’enfin tout le monde demeure d’accord que QUELQUE CHOSE réünis en ſoi toutes les perfections imaginables. Pour commencer par l’origine de QUELQUE CHOSE, elle est ſans contredit des plus illuſtres. Car perſonne ne doute que QUELQUE CHOSE autrefois ne ſoit ſorti immédiatement des mains de Dieu, & que QUELQUE CHOSE n’en ſorte encore tous les jours. Qui ignore l’excellence de QUELQUE CHOSE ? Quand on dit de quelqu’un que c’est un homme de QUELQUE CHOSE, on ne peut juger que favorablement de son extraction ; & QUELQUE CHOSE, paroît ſi excellent à tout le monde, qu’il n’y a perſonne ſur la terre, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, grands ou petits, qui n’aime & ne recherche QUELQUE CHOSE. Les beautez les plus indifférentes, les eſprits les plus miſantropes, aiment QUELQUE CHOSE, quand ce ne ſeroit que leur caprice & leur fol entêtement. Tout le monde s’amuſe de QUELQUE CHOSE. Chacun ſe plaît à QUELQUE CHOSE par préférence ; & comme dans la plus grande proſpérité, il nous arrive ſouvent QUELQUE CHOSE qui balance nôtre orgueil, & nous fait sentir nôtre dépendance, de même dans la plus cruelle adverſité, QUELQUE CHOSE vient souvent, quand nous y pensons le moins, diminuer nos peines & ranimer nôtre eſpérance. Dans tout ce qu’on dit, dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on médite, on a toujours en vûë QUELQUE CHOSE ; & dans tous les tems, & dans tous les pays QUELQUE CHOSE a toujours été le principal objet des ſoins, des déſirs, & des plus fameux projets des hommes.

On ne fait rien pour rien, & on fait tout pour QUELQUE CHOSE. C’est en vue de QUELQUE CHOSE qu’un Poëte s’occupe avec tant d’ardeur à polir un vers, & un Orateur à compaſſer des périodes. L’homme de guerre en s’expoſant à des périls continuels, outre la gloire, enviſage encore QUELQUE CHOSE. Le Marchand court les terres & les mers à travers mille dangers, pour gagner QUELQUE CHOSE ; & c’est pour amaſſer QUELQUE CHOSE, qu’un Artisan mène pendant quarante ou cinquante ans dans ſa boutique, une vie ſi dure & ſi laborieuse. Un Amant ne fait jouer tant de reſſorts auprès de ſa Maîtresse, que pour en obtenir QUELQUE CHOSE ; & c’eſt pour l’amour de QUELQUE CHOSE qu’une fille écoute les soupirs, & souffre les aſſiduitez d’un Amant. Un Courtiſan ne ſe donne tant de mouvemens, & ne soutient tant de personnages différens, que pour attraper QUELQUE CHOSE qui rapproche plus près de ſon Prince, & le mette au-deſſus de ses concurrens ; & un habile Miniſtre médite sans cesse QUELQUE CHOSE, qui puiſſe être glorieux à ſon Souverain, & avantageux à ses concitoyens. Quelque riche que soit un homme des biens de la nature & de la fortune, il ſouhaite toujours QUELQUE CHOSE. Les plus grands Monarques, élevez sur un trône, que l’eclat des grandeurs & l’abondance de toutes ſortes de biens environnent, ſentent ſouvent qu’il leur manque QUELQUE CHOSE ; & s’ils veulent parler de bonne foi, ils avoueront, ſans doute, que plus d’une fois en leur vie, ils ont déſiré QUELQUE CHOSE. Tant de grâces & d’agrémens qu’ait une femme, on trouve toujours qu’il lui manque QUELQUE CHOSE, pour être parfaitement belle. Si profond & ſi ſçavant que ſoit un homme ; il y a toujours QUELQUE CHOSE qu’il ne ſçait pas, & qu’il voudroit pourtant bien ſçavoir : & dans les plus fameux Héros anciens & modernes, on a trouvé & on trouve encore aujourd’hui à redire QUELQUE CHOSE qui empêche qu’on ne les puiſſe dire souverainement parfaits. Il faut qu’il y ait dans QUELQUE CHOSE des charmes puiſſans & des avantages bien doux, puisqu’il est ſi désiré de tout le monde, & qu’il perfectionne le mérite dans les ſujets où il brille avec le plus d’éclat.

QUELQUE CHOSE par lui-même est ſi eſtimable, qu’on ne fait cas aujourd’hui des gens, qu’autant qu’ils ont QUELQUE CHOSE. On n’honore, on n’eſtime heureux, on ne trouva même ſpirituels que ceux qui poſſedent QUELQUE CHOSE. Auriez vous toutes les vertus, toute la ſcience imaginable, ſi vous n’avez QUELQUE CHOSE, on vous évitera, on vous fuira avec autant de ſoin que les personnes ſages fuyent de certains animaux, qu’on nomme Petits-Maîtres. Le principal mérite qu’on demande dans un homme qui cherche à ſe marier, c’est qu’il ait QUELQUE CHOSE : & quand on a dit d’une fille qu’on veut pourvoir, qu’elle est belle, ſage, de bonne famille, on ajoute, pour mettre le comble à ſes perfections : mais le meilleur de tout, c’est qu’elle a QUELQUE CHOSE. Lorſqu’on veut dire du bien d’un jeune homme qui commence à entrer dans le monde, il fera QUELQUE CHOSE, dit-on ; & ſi on lui remarque quelques talens, on ne manque pas de dire auſſitôt, qu’on en fera QUELQUE CHOSE. Après qu’un Marchand vous a fait un étalage brillant de ſes marchandises, pour peu qu’il voye à vôtre mine que vous n’étes pas content de ce qu’il vous a montré, attendez, vous dit-il, d’un ton grave, je vais vous montrer QUELQUE CHOSE ; mais ce QUELQUE CHOSE ajoûte-t-il, d’un air renchéri, eſt du rare & du merveilleux. Un Orateur veut-il réveiller l’attention de ſes auditeurs, qui baillent où qui s’endorment : Ecoutez, leur crie-t-il, écoutez QUELQUE CHOSE qui va ſurprendre vôtre admiration. Un homme veut-il vous attirer chez lui, il a, dit-il, QUELQUE CHOSE dont il veut vous faire part. Soupçonne t’on quelque grand deſſein, il y a, dit-on, QUELQUE CHOSE en l’air. Toutes les paſſions des hommes ſont remuées par QUELQUE CHOSE. Un Avare travaille éternellement à ajouter QUELQUE CHOSE à ce qu’il a déja. Un Voluptueux cherche inceſſamment QUELQUE CHOSE qui le divertiſſe & l’amuſe. Un Gourmand n’eſt jamais plus charmé, que quand on lui préſente ſur ſa table QUELQUE CHOSE qui lui paroit friand & délicat, & dont il n’a pas encore goûté. Il eſt rare qu’on ſe mette en colere pour rien, & c’est toujours pour QUELQUE CHOSE qu’on gronde, & qu’on s’emporte. Personne ne s’avise d’être envieux de rien, & l’on ne porte d’ordinaire envie à ſon voiſin, que parce qu’il a QUELQUE CHOSE, que nous ſommes fâchez qu’il ait, & que nous ſerions bien-aiſes d’avoir à ſon préjudice. Un Ambitieux ne ſe donne tant de peine, que parce qu’il aſpire à QUELQUE CHOSE qui flatte ſa vanité. Mais ſi QUELQUE CHOSE donne le mouvement à toutes nos paſſions, comme on n’en ſçauroit douter, QUELQUE CHOSE auſſi nous excite à la vertu & aux grandes actions. L’homme ſage fait toujours QUELQUE CHOSE pour éviter une dangereuſe oiſiveté. L’homme prudent s’occupe toujours de QUELQUE CHOSE dont il puiſſe tirer un avantage ſolide. Nous ne cherchons à nous diſtinguer par des actions d’éclat, qu’afin qu’on diſe QUELQUE CHOSE de nous dans le monde. L’homme de Lettres n’étudie jour & nuit que pour ſçavoir QUELQUE CHOSE. Le Phiſicien s’applique à découvrir QUELQUE CHOSE dans la Nature ; Le Mathematicien à inventer QUELQUE CHOSE qui faſſe honneur à ſon génie, & apporte du profit à la Société dons il fait partie. L’homme Libéral ne ſouhaite des tréſors, que pour être en état de donner QUELQUE CHOSE à ſes amis, & à ceux qui lui rendent service. Qui ſont ceux qu’on aime & qu’on recherche le plus ſur la terre ? ce ſont ceux qui donnent QUELQUE CHOSE ; & une des plus belles phraſes de nôtre Langue, est celle qui exprime le don actuel de QUELQUE CHOSE. Veut-on avancer ſes affaires auprès d’une Maîtreſſe, non ſeulement il faut lui offrir QUELQUE CHOSE, mais il faut encore donner QUELQUE CHOSE à ſa petite ſœur, à ſa cousine, à ſa ſervante, même à ſon chien. Veut-on être prudemment conseillé par ſon Avocat, promptement expédié par ſon Procureur, méthodiquement traité par ſon Médecin, & artiſtement mutilé par ſon Chirurgien, il faut commencer par leur donner QUELQUE CHOSE ou du moins leur faire ſentir qu’il y a QUELQUE CHOSE à gagner avec nous. Il n’y a pas juſqu’aux Dieux, au rapport d’Ovide[1], qui ne ſoient charmez lorsqu’un leur donne QUELQUE CHOSE. Sans QUELQUE CHOSE on languit, on fait une triſte figure dans le monde ; ſans QUELQUE CHOSE, un père a bien de la peine à pourvoir ſes enfans ; un époux a bien de la peine à contenter ſa femme, un maître ſes domeſtiques, & un pauvre diable à empêcher qu’il ne paſſe pour ridicule[2]. Tout le monde enfin a beſoin de QUELQUE CHOSE, & on ne ſçauroit s’en paſſer. Qu’eſt-ce qui fait la plûpart des mauvais ménages ? c’eſt que les maris trouvent toujours QUELQUE CHOSE à redire à leurs femmes, & les femmes à leurs maris. Qu’eſt-ce qui cauſe la mauvaiſe intelligence d’une voiſine avec sa voiſine, d’un pere avec ses enfans, d’un maître avec ses diſciples ? c’eſt qu’ils ſe trouvent tous QUELQUE CHOSE à redire les uns aux autres : ce qui prouve inconteſtablement le mérite de QUELQUE CHOSE, puiſqu’on blame d’ordinaire ceux en qui on trouve QUELQUE CHOSE à redire, & qu’on mepriſe preſque toujours ceux à qui il manque QUELQUE CHOSE. Il y a des gens qui de loin c’est QUELQUE CHOSE, & de près ce n’eſt rien. Il y en a d’autres au contraire qui de loin ce n’eſt rien, & de près c’eſt QUELQUE CHOSE ; & ceux-ci gagnent à être approfondis, puisqu’on découvre tous les jours QUELQUE CHOSE en eux qui les rend de plus en plus estimables. Non seulement QUELQUE CHOSE ; rend les hommes aimables, & rehauſſe l’éclat de leurs vertus : Non seulement QUELQUE CHOSE ſe fait rechercher & déſirer, QUELQUE CHOSE encore ſe fait craindre ; & il est heureux pour la ſociété que QUELQUE CHOSE mette un frein à la malice des hommes, & à la fureur des méchans : que les hommes, en, un mot, craignent QUELQUE CHOSE ; ſans cela on ne verroit ſur la terre que meurtres, brigandages, déſordre & confusion ; & comme dit un Auteur moderne, nous ſerions dans une appréhension continuelle les uns des autres, nous paſſerions devant les hommes comme devant les lions, & nous ne ſerions jamais aſſurez un moment de nôtre vie, de nôtre bien, ni de nôtre honneur. Dans tous les tems, QUELQUE CHOSE a été l’objet du culte religieux des Peuples ; & il n’y a point de climat ſi ſauvage, où l’on n’adore QUELQUE CHOSE.

Un mari qui aime beaucoup sa femme, ſans en être jaloux ; c’est QUELQUE CHOSE.

Une conſtance de trois mois parmi les amans d’aufoud’hui ; c’est QUELQUE CHOSE.

Une femme qui a beaucoup de vertu, ſans être acariâtre ; c’est QUELQUE CHOSE.

Une jolie femme qui n’eſt point capricieuſe ; c’est QUELQUE CHOSE.

Une jeune perſonne qui est enjouée & badine ſans être coquette, c’est QUELQUE CHOSE. Deux époux qui ne s’aiment pas beaucoup, & qui cependant ne ſe querellent qu’une fois le mois ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Muſicien qui n’est ni quinteux ni yvrogne ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Peintre qui n’eſt point ratier ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Poète qui n’eſt ni fou ni fantaſque ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Sçavant qui n’eſt point pédant ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Gentilhomme qui paye exactement ſes dettes ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Un Marchand qui vend cher, mais qui donne de bonnes Marchandiſes ; c’eſt QUELQUE CHOSE.

Si on pouvoit dire d’un Médecin qu’il ſe fait payer graſſement de ſes visites à la vérité, mais qu’il guérit ſes malades ; on diroit ; c’est QUELQUE CHOSE.

Quand on peut dire d’un Financier, qu’il fait un bon uſage de ses Richeſſes, on dit auſſi-tôt ; c’est QUELQUE CHOSE.

QUELQUE CHOSE eſt un Protée qui ſe varie en une infinité de manières différentes. Il y a QUELQUE CHOSE d’aimable, comme ma Maîtreſſe.

Sa bouche a mille attraits puiſſans,
Elle ſurprend l’âme & le ſens.

Rien n’est ſi doux que ſon langage.
Un cœur qui reſſent ſon pouvoir,
Ne ſçait ce qui plaît d’avantage,
Ou de l’entendre ou de la voir.

Il y a QUELQUE CHOSE de haïſſable ; comme mon Rival : QUELQUE CHOSE de délicieux :

Comme un baiſer cueilli sur les lévres d’Iris,
Qui mollement réſiste, & par un doux caprice
Quelquefois le refuſe afin qu’on le raviſſe.

QUELQUE CHOSE de joli, comme le Bichon[3] de Madame la Marquise D… QUELQUE CHOSE d’ennuyeux, comme la plûpart de nos Eloges, quand ce ne ſeroit que celui-ci : QUELQUE CHOSE de flateur, comme l’eſperance qui répand quelques fleurs parmi les épines qui nous environnent QUELQUE CHOSE de rare, deux Coquettes qui ſe veulent du bien, & deux Poètes qui ſe louent. QUELQUE CHOSE de riſible, un Seigneur qui ſe promène aux Cours avec ſa femme. QUELQUE CHOSE de fâcheux, la vue d’un Créancier. QUELQUE CHOSE de ſot comme le Petit-Maître Colifichet.

Il y a QUELQUE CHOSE d’indéchifrable, le cœur d’une femme. QUELQUE CHOSE de plus léger que le liége, l’amitié d’un Courtisan. Il y a QUELQUE CHOSE de grand qui plaît, comme les yeux de Madame B…… qu’on ne ſçauroit voir ſans amour. QUELQUE CHOSE de petit qui enchante, comme la bouche de la ſpirituelle Mademoiselle N qu’on ne ſçauroit voir sans déſir. QUELQUE CHOSE qu’on cherche vainement depuis long-tems en ce pays-ci, un hymen parfait de tout point. QUELQUE CHOSE qu’on donne aisément, des conseils. QUELQUE CHOSE que tout le monde aime, les louanges. QUELQUE CHOSE que tout le monde regrette, le paſſé. QUELQUE CHOSE dont peu de gens jouiſſent comme ils devroient, le preſent. QUELQUE CHOSE que personne ne ſçait, l’avenir. Je pourrois ſi je voulois, diverſifier agréablement QUELQUE CHOSE en mille diverſes façons, mais il faut paſſer à ce qui établit principalement le mérite de QUELQUE CHOSE. La vertu eſt QUELQUE CHOSE qui tient le milieu entre deux vices oppoſez, comme la véritable bravoure est QUELQUE CHOSE qui tient le milieu entre la témérité & la lâcheté. Un homme qui a trop de biens court riſque de ſe perdre par trop de moleſſe & d’orgueil ; un homme qui n’a rien eſt un malheureux toujours prêt à se déſeſperer ; un homme qui a QUELQUE CHOSE, eſt dans cet état tranquille & heureux que deſirent les ſages. Un homme qui croit tout eſt un ſot qu’on doit mépriſer ; un homme qui ne croit rien eſt un Pyrrhonien dangereux qu’il faut éviter ; un homme qui croit QUELQUE CHOSE, eſt un homme de bon ſens qu’il faut consulter. Un homme qui ſçait tout, celui-là eſt encore à trouver ; un homme qui ne ſçait rien, chacun ſçait où il faut le placer ; un homme qui ſçait QUELQUE CHOSE, eſt un homme qu’on ne ſçauroit trop eſtimer. Celui qui donne tout, eſt un extravagant à renfermer aux Petites-Maisons : celui qui ne donne rien, eſt un monſtre qu’il faudroit étouffer ; celui qui donne QUELQUE CHOSE, eſt un galant homme que tout le monde s’empreſſe de rechercher. Celui qui approuve tout, eſt un fade complaisant qui fait mal au cœur, celui qui n’approuve rien, eſt un vilain bourru qui ſe fait haïr ; celui qui approuve QUELQUE CHOSE, eſt un homme judicieux qui ſe fait aimer. Un homme qui dit tout, eſt un indiſcret qu’il faut craindre ; un homme qui ne dit rien, est un ſournois dont il faut ſe défier ; un homme qui dit QUELQUE CHOSE, est un homme qu’on ſe fait un plaiſir de frequenter. Une femme qui aime tout, eſt une coquette outrée, qui n’eſt ordinairement aimée de perſonne ; une femme qui n’aime rien, à quoi eſt elle bonne sur la terre ? Une femme qui aime QUELQUE CHOSE, eſt une femme raiſonnable qui ſait ſon métier, & qui remplit ſa destinée. Je paſſerois les bornes que me ſuis preſcrites, ſi j’entreprenois de rapporter tout ce qui peut contribuer à l’éloge de QUELQUE CHOSE ; j’ajouterai ſeulement pour finir, qu’il n’y a rien de précieux & de déſirable ici bas qui ne soit au-deſſous de QUELQUE CHOSE qui est infiniment plus précieux & plus déſiderable. L’or, par exemple les perles, & les pierreries paſſent pour ce qu’il y a de plus précieux & de plus rare ſur la terre ; QUELQUE CHOSE cependant est encore plus précieux que l’or, les perles & les pierreries. La ſcience est extrêmement déſirable dans toute ſorte d’états, QUELQUE CHOSE cependant est plus déſirable encore que la ſcience. Les honneurs, les dignitez, la naiſſance, diſtinguent conſidérablement l’homme, QUELQUE CHOSE cependant le diſtingue encore plus que la naiſſance, les dignitez & les honneurs. Les richeſſes, la force & la ſanté ſont fort neceſſaires à l’homme. QUELQUE CHOSE pourtant lui importe encore plus que la ſante, la force, & les richeſſes. L’esprit & la beauté ſont bien aimables, mais QUELQUE CHOSE est plus aimable encore que l’eſprit & la beauté. Que vous dirai-je enfin ? Le Soleil, la Lune & les Etoiles nous charment par leur éclat & leur lumiére, mais nous ſçavons tous que QUELQUE CHOSE surpasse en éclat & leur lumiére, ces aſtres si brillans que nous ne nous paſſons point d’admirer : ou plûtôt nous ſçavons tous que QUELQUE CHOSE est ſeul infiniment lumineux, seul infiniment aimable, ſeul infiniment précieux ; auprès de ce QUELQUE CHOSE ſeul digne de tous nos deſirs & de toutes nos louanges, le reſte n’eſt que chimere & vanité.


Des Personnes ſcavantes ayant demandé le NIHIL de PASSERAT, dont j’ai parlé dans la Poſtface de l’Eloge de RIEN, j’ai cru leur faire plaiſir en le faiſant imprimer à fin d’Eloge de QUELQUE CHOSE.

  1. Ovide, dans l’Art d’aimer.
  2. Nil babet infelix paupertas duriùs in ſe,
    Quám quod ridiculos homines facit.
  3. C’eſt un petit chien d’un poil & d’une tournure admirable.