L’Éloge de rien, dédié à personne/3e édition/Préface
PRUDENS & redoutez Lecteurs,
Juges nez de tous les Auteurs,
Je viens en toute révérence
Captiver vôtre bienveillance :
Vous me voyez tremblant d’effroi,
De grace ayez pitié de moy.
Or écoutez, petits & grands,
Un des malheureux accidens
Qui ſoient arrivez au Parnaſſe ;
Je viens dans une humble Préface
Vous le raconter tout du long,
Pour en mériter le pardon.
Ce fut un ſoir de Mercredi,
Dans le tems de Dom Bavardi
Racontoit mainte fade hiſtoire
A tous ceux qui venoient de boire
Les uns plus ou moins de caffé,
Les autres plus ou moins de thé.
Un Auditeur, homme de bien,
Loüant mon Eloge de RIEN,
Me vint dire bas à l’oreille :
Vôtre Ouvrage est une merveille ;
Ma foi vous devriez bien ainſi
Exalter QUELQUE CHOSE auſſi.
Helas ! dans ce piege flateur
J’ai donné d’abord de bon cœur,
Je reviens donc à ma Chaumiere,
Ou pour avoir de la lumiere
En entrant je bats le briquet :
En un moment cela fut fait.
Auſſi-tôt comme un Ecolier
Je grifonne ſur le papier
Ce qui me vient en vers ou Proſe
Dans la tête ſur QUELQUE CHOSE ;
Je ne me couchai pas enfin
Que je n’en euſſe vû la fin.
J’aurois voulu du moins trop jours
Lire & relire ce Diſcours,
Lecteur, pour rendre mon Ouvrage
Plus digne de vôtre ſuffrage ;
Mais un ami trop inhumain
Rompit ce loüable deſſein.
Ce fut le lendemain Jeudi,
Environ l’heure de midi,
Que cet Ami déraiſonnable
Vit cet Eloge ſur ma table :
Il le lit, le trouve charmant,
Et me l’emporte ſur le champ.
Lors, contre mon intention,
Ayant eu la Permiſſion
De le débiter & le vendre,
J’eux beau dire pour m’en défendre,
Sans nul égard pour mon honneur,
Il le porta chez l’Imprimeur.
C’eſt donc par ce barbare tour
Que cet Eloge a vû le jour.
Si la Piece n’eſt pas correcte,
Sçavant Lecteur, que je reſpecte,
Vous ſçavez la raiſon pourquoi,
Ne vous en prenez pas à moi.
Favorable Dieu des Auteurs,
Phœbus, & vous, ô doctes Sœurs,
Détournez loin de QUELQUE CHOSE
Traits mordans & maligne gloſe,
Et faites le vendre auſſi bien
Qu’on a fait l’Eloge de RIEN.