L’Éloquence politique et judiciaire à Athènes/06

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L’Éloquence politique et judiciaire à Athènes
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 96 (p. 313-345).
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L'ELOQUENCE
POLITIQUE ET JUDICIAIRE
A ATHENES

ISOCRATE.[1]

I. Histoire de la littérature grecque jusqu’à Alexandre le Grand, par Ottfried Muller, traduite, annotée et précédée d’une étude sur Ottfried Muller, par M. K. Hillebrand, 2 vol. in-8o, Paris. — II. Demosthenes und seine Zeit, von Arnold Schœfor, 4 vol. in-8o, Leipzig. — III. Des Caractères de l’atticisme dans l’éloquence de Lysias, par M. Jules Girard ; in-8o, Paris. — IV. Le Discours d’Isocrate sur l’Antidosis, traduit en français pour la première fois par M. A. Cartelier, avec une introduction par M. Ernest Havet, grand in-8o, Paris.


I

Isocrate naquit à Athènes en 436. Il était fils d’un citoyen nommé Théodoros, qui avait une fabrique d’instrumens de musique. De même que Démosthène, il appartient à ce que l’on peut appeler la bonne bourgeoisie athénienne. Comme Démosthène le père, Théodoros avait, par son industrie, gagné assez de fortune pour faire donner à son fils l’éducation la plus recherchée que l’on pût recevoir à Athènes vers la fin du Ve siècle. Tout jeune, Isocrate commença par étudier la musique et la poésie sous les meilleurs maîtres ; au sortir de l’adolescence, en même temps que les enfans des plus grandes maisons, il fréquenta les sophistes, et se trouva mêlé dans leur auditoire aux Andocide, aux Alcibiade, aux Critias, aux Théramène, aux Callias, aux Calliclès. Il entendit, nous dit son biographe, Prodicos, Gorgias et Tisias : nous soupçonnons là quelque inexactitude. Tisias en effet est antérieur à Gorgias, et pour Gorgias même ce ne serait que vers la fin de sa vie et dans un de ses derniers séjours à Athènes qu’Isocrate aurait pu assister à ces entretiens et à ces discours qui attiraient tant de curieux. Lors de la fameuse ambassade où Gorgias révéla aux Athéniens la rhétorique sicilienne et leur en fit admirer les finesses et la subtilité, Isocrate n’avait encore que neuf ans. S’il ne put qu’entrevoir le maître lui-même, au moins suivit-il avec passion les leçons de ses principaux disciples et de ses plus brillans rivaux. Il paraît surtout s’être attaché à Théramène. Ce souple et vif esprit, avant de marquer dans la politique et d’y trouver une fin tragique, avait commencé par approfondir l’art des rhéteurs, en avait étudié et enseigné la théorie ; Isocrate n’échappa point aux séductions de cet aimable et dangereux personnage. Ceux même qui avaient le plus souffert des intrigues de Théramène et de sa versatilité proverbiale à Athènes ne pouvaient se défendre d’admirer cette fécondité de ressources, cette facilité à changer d’attitude et de langage, cette belle humeur qui persistait jusque dans les situations les plus difficiles et en face de la mort même. On comprend que le jeune Isocrate, au début de la vie, ait mal discerné ce que ces brillantes apparences cachaient d’égoïsme et de sèche ambition. Il partageait avec la plupart des Athéniens une illusion que ne réussirent point à dissiper toutes les trahisons de Théramène ; il fut ébloui par des défauts et des mérites qui étaient tout l’opposé des siens, il fut dupe enfin d’un prestige auquel l’histoire même, tout avertie qu’elle était par de graves témoins, s’est plus d’une fois laissé prendre.

Par bonheur, Isocrate, à l’âge où l’âme reçoit son pli et sa forme durable, subit une autre influence meilleure que celle de Théramène, et qui pénétra plus avant, celle de Socrate. Ce qui conduisit d’abord l’adolescent auprès du philosophe, ce fut sans doute la curiosité et le désir d’entendre de beaux discours. Socrate ne se distinguait point des sophistes, aux yeux de ses contemporains, par des différences aussi tranchées que nous serions portés à le croire aujourd’hui sur la foi du grand poète qui a nom Platon. Il poursuivait, il est vrai, un tout autre but que Gorgias ou Protagoras ; mais son esprit avait presque même démarche et mêmes allures. Pour les combattre, il leur empruntait leurs propres armes, et, ces armes, il les maniait avec tant de dextérité que plus d’un spectateur devait, sur le moment, s’y tromper de très bonne foi, et ne pas bien savoir lequel des deux adversaires abusait le plus du raisonnement et des distinctions verbales. Ce qui distinguait vraiment Socrate de ceux que confondait avec lui, longtemps encore après sa mort, le jugement superficiel de la foule, c’est qu’il ne discutait pas pour le seul plaisir de discuter ; à côté de ses procédés de réfutation, empruntés aux dialecticiens antérieurs, il avait sa méthode d’exposition et d’enseignement. Il ne partait point du scepticisme pour y revenir comme à un terme naturel ; par ses méditations prolongées, il s’était fait sur le problème de la destinée humaine, sur la loi et la fin des choses, un certain nombre d’idées qu’il cherchait à répandre, il croyait au vrai et au bien : il avait, comme nous dirions aujourd’hui, sa psychologie, sa théodicée, sa morale et sa politique. Tandis que les dilettantes et les ambitieux ne voyaient dans la fréquentation de Socrate, ceux-ci qu’un agréable passe-temps, ceux-là qu’un moyen de s’ouvrir et de se délier l’esprit, d’autres, les vrais disciples du maître, étaient plus touchés encore du fond que de la forme de ces entretiens. Ils en rapportaient de nobles pensées qu’ils développèrent et fécondèrent plus tard, des germes d’où sortirent les célèbres écoles philosophiques que représentent les noms de Platon, d’Aristote, d’Epicure et de Zénon.

Isocrate n’était point de ceux que la nature avait faits pour la grande curiosité scientifique et la haute spéculation ; il en avait reçu toutefois des instincts élevés, le goût du bien, l’amour et le respect de la vertu. Par ce côté, il appartenait à un groupe intermédiaire dont Xénophon nous offre un autre type intéressant ; il était de ces esprits qui aimaient et admiraient surtout dans Socrate un instituteur des âmes et le révélateur d’une morale nouvelle, plus pure que celle des sages ses prédécesseurs, en même temps mieux démontrée, plus capable de rendre raison d’elle-même. Aux yeux de ces hommes, Socrate, dont les dieux mêmes avaient proclamé la supériorité, était de tous les Grecs celui qui par ses discours enseignait le mieux la vertu, et qui par ses exemples en fournissait le plus parfait modèle ; quelques-uns même, comme nous le voyons pour Xénophon, le consultaient avant de rien entreprendre d’important, et trouvaient en lui une sorte de directeur de conscience. Ceux des socratiques qui avaient ce tour d’esprit n’ont guère traité, quand ils ont écrit, que les questions de morale ; leurs ouvrages tournent toujours au sermon. Histoire, roman, anecdote, tout s’y fait précepte, leçon ; vous avez la Cyropédie de Xénophon, ou les discours de notre orateur intitulés à Démonicos et à Nicoclès.

Isocrate se fit remarquer auprès du maître par l’intérêt avec lequel il écoutait sa conversation, par la justesse de ses réponses, par le sincère désir qu’il laissait paraître d’être lui-même bon et vertueux, ainsi que d’éclairer et de corriger les méchans. Cette ardeur de prosélytisme, qu’il conserva jusqu’à son dernier jour, devait éclater bien plus vivement encore dans les yeux, dans la physionomie, dans les moindres paroles du jeune homme ; que Socrate en ait été frappé et touché, c’est ce dont témoigne Platon dans les dernières lignes du Phèdre, son premier ouvrage. On sait comment dans ce dialogue Platon, par la bouche de son maître, commence contre la rhétorique cette campagne qu’il continue dans le Gorgias. Phèdre est épris de l’art de Lysias, qui n’était alors qu’un docile élève des rhéteurs siciliens. Socrate lui montre ce qu’il y a de vide et de faux dans cette éloquence sans idées, dans cette puérile recherche de l’effet, et il termine ainsi le dialogue : « Va dire tout cela à l’on jeune ami. — Mais, dit Phèdre, il ne faut pas non plus oublier le tien. — Qui donc ? — Le bel Isocrate. Que lui feras-tu dire, Socrate, et que prononcerons-nous sur son compte ? — Isocrate est bien jeune encore, je veux dire pourtant ce que j’augure de lui. — Et quoi donc ? — Il me semble qu’il y a dans son génie quelque chose de plus élevé que l’art de Lysias, et qu’il est d’ailleurs d’un tempérament plus généreux ; il ne faudra donc pas s’étonner, quand il avancera en âge, si d’abord, dans le genre où il s’exerce aujourd’hui, tous les maîtres ne paraissent auprès de lui que des enfans, et si même, ne se contentant plus de ces succès, il se sent porté vers de plus grandes choses par un instinct plus divin, car en vérité, mon cher Phèdre, il y a de la philosophie en lui. Voilà ce que nous pouvons aller dire, de la part des dieux que nous avons consultés, moi à mon Isocrate et toi à ton Lysias. »

Dans quelle mesure nous devons souscrire à cet éloge et ce qu’il y a peut-être à en rabattre, c’est une question que nous ne pourrons examiner qu’au terme même de cette étude, quand nous aurons parcouru et apprécié l’œuvre d’Isocrate. Contentons-nous pour le moment de noter l’impression qu’avait produite le jeune Isocrate sur le maître lui-même et sur ceux qui l’entouraient, les espérances que leur avaient suggérées son aimable et honnête figure, sa passion pour le bien, la candeur de son âme et la sincérité de ses convictions. L’occasion se présenta bientôt pour Isocrate de prouver qu’il n’y avait rien de feint dans l’attachement qu’il témoignait à son maître. En 399, Socrate fut condamné à mort. Après qu’il eut succombé, presque tous ses disciples se cachèrent ou s’enfuirent. Isocrate, racontait-on, parut sur la place publique d’Athènes en habits de deuil ; on ne pouvait affirmer plus haut ses sympathies et ses regrets.

On a douté de cette anecdote, et par malheur il ne faut employer qu’avec une extrême réserve les renseignemens fournis par le biographe auquel nous la devons ; elle est pourtant confirmée d’une manière indirecte par le passage du Phèdre que nous venons de citer. Il y a quelque chose qui me paraît très digne d’attention dans l’hommage que rend ici à Isocrate celui que ce dialogue posait tout d’abord comme le plus brillant élève du maître et son légitime héritier. On sent dans toute cette page une effusion, une chaleur, que ne suffit point à expliquer la suite de la vie et des travaux d’Isocrate. Rien de plus naturel au contraire dans l’hypothèse que nous admettons : au moment où les amis de Socrate, d’abord atterrés du coup qui les avait atteints et dispersés dans toute la Grèce, commencèrent à reprendre courage et à relever leur drapeau, Platon se chargea de parler au nom de tous ceux qui étaient restés fidèles à la mémoire du sage ; il exprima leurs sentimens en accordant ce magnifique éloge à celui d’entre eux dont les vêtemens de deuil, au lendemain même de ce meurtre judiciaire, avaient pu comme une muette protestation frapper les yeux de tous les Athéniens sur cette place publique où trônaient et péroraient encore les accusateurs de Socrate, Anytus, Mélitus et Lycon. On pourrait avoir plus de doutes sur l’autre anecdote que rapporte le même écrivain ; d’après lui, quand Critias, au mépris de toute légalité, fit saisir en pleine séance du sénat un de ses collègues du gouvernement, Théramène, une seule voix s’éleva pour résister à cet abus de pouvoir, et ce fut celle d’Isocrate, un des membres de ce corps dont la majorité partageait au fond de l’âme les opinions et les désirs de celui que l’on entraînait à la mort. Ce serait sur les instances de Théramène lui-même qu’Isocrate se serait rassis, aurait renoncé à une opposition qui ne pouvait que le perdre sans sauver le malheureux qu’il était seul à défendre. Ce qui rend ce récit suspect, ce n’est point seulement que nous n’en voyons nulle part aucune confirmation directe ou indirecte, c’est aussi qu’il nous paraît presque calqué sur le précédent. Isocrate avait étudié la rhétorique sous Théramène comme la philosophie auprès de Socrate ; on aurait trouvé naturel qu’il protestât contre la lâcheté du sénat qui laissa périr Théramène aussi bien que contre le verdict du jury qui frappa Socrate. Enfin Xénophon, qui raconte avec beaucoup de détails et de vivacité la séance où Critias fit arrêter Théramène, ne nous dit pas un mot du rôle que le biographe y prête à Isocrate : il y a là bien des raisons de suspendre notre jugement.

Quoi qu’il en soit, ce seul trait de courage nous suffit pour comprendre de quelle nature était cette timidité qui fut le chagrin de la vie d’Isocrate. Il avait, à ce qu’il semble, tout ce qu’il fallait pour parler au Pnyx et devant les tribunaux, pour jouer un rôle politique. La fortune de son père lui avait permis d’acquérir tout à loisir cette instruction pratique par laquelle les ambitieux se préparaient aux discussions oratoires ; il avait fréquenté les sophistes, les rhéteurs, les philosophes ; la rhétorique et la dialectique n’avaient plus pour lui de secrets, et certains plaidoyers composés pour des particuliers dans les premières années qui suivirent le rétablissement de la démocratie, vers la fin du Ve siècle, avaient déjà pu révéler aux connaisseurs ses rares talens. Dans ces premiers essais, dont une partie seulement nous est parvenue[2], les délicats pouvaient deviner et goûter par avance les qualités que vingt ans plus tard toute la Grèce admirera dans le Panégyrique d’Athènes. Ajoutez à cela qu’Isocrate, habile aux exercices du corps, avait une santé robuste, de beaux traits, une physionomie agréable et fine ; il semble que rien ne lui fît défaut de ce qui pouvait lui donner de l’influence sur l’esprit du peuple assemblé. Jamais pourtant il n’osa prendre la parole en public ; c’est qu’il lui manquait deux choses, cette voix chaude, sonore et timbrée qui porte jusqu’aux derniers rangs de la foule, pénètre jusque dans les moelles et va caresser ou soulever au fond du cœur toutes les passions, et cette assurance que doublent une interruption et une insulte au lieu de la déconcerter : il n’avait qu’un filet de voix. Or, si dans nos chambres, toujours closes et couvertes, un homme supérieur comme M. Thiers peut se faire entendre à force de se faire écouter, au Pnyx, sous le ciel, devant un auditoire qui se composait parfois de plusieurs milliers de personnes, il fallait avant tout des poumons, de l’haleine et une action très marquée, de grands gestes qui aidassent les plus éloignés des assistans à suivre le sens du discours. Sa voix, Isocrate aurait pu peut-être par l’exercice en grossir le volume, en augmenter la portée : on sait ce que Démosthène, à force de volonté et de patience, réussit à faire d’un organe sourd, inégal et criard. On peut en dire autant de la pantomime oratoire dont avaient besoin ceux qui voulaient faire figure sur le bêma, large estrade taillée dans la pierre vive où l’orateur, la couronne au front, se dressait au-dessus des têtes de la foule ; il allait et venait sur cette plate-forme, jetant sa parole tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, parfois drapé à l’ancienne mode dans un manteau serré au corps qui ne laissait passer que l’avant-bras droit, parfois d’un geste brusque se débarrassant de cette draperie qui gênait ses mouvemens, se frappant la poitrine ou la cuisse, comme Cléon aimait à le faire, levant ses bras nus vers le ciel pour prendre les dieux à témoin, les tendant vers l’Acropole, pleine des monumens du génie athénien, ou vers le Pirée, d’où s’était élancée la flotte victorieuse à Salamine. Tout cela sans doute aussi pouvait s’apprendre, tout cela déjà s’enseignait à Athènes ; pourtant l’avantage était grand pour ceux que la nature avait prédisposés à ce rôle. Il est en effet des hommes qui par instinct et avant toute étude ont bien plus que d’autres ce don de traduire au dehors leurs sentimens par les intonations de la voix, par le regard, par le mouvement des muscles de la face et des bras, par les tressaillemens et l’agitation de toute leur personne. Tout nous fait supposer qu’Isocrate, à cet égard, était parmi les moins favorisés ; d’esprit et de corps, c’était un délicat, et les délicats éprouvent à laisser paraître leurs sentimens devant la foule, à subir son contact et parfois ses brutalités, un secret embarras et comme une sorte de pudeur qui éteint la flamme de leurs yeux, qui paralyse leur langue et tous leurs mouvemens.

Nous touchons ici à ce qui fut vraiment le malheur et l’infirmité d’Isocrate. Dans le langage de celui qui parle au peuple, dans ces luttes qui ont leurs chances et leurs péripéties imprévues comme celles du champ de bataille, il y a toujours une large place pour l’improvisation, c’est-à-dire pour l’à-peu-près ; or Isocrate était amoureux de la perfection. Quand on discute à la tribune, on est souvent interrompu par un contradicteur ; il faut alors que la réplique parte aussi rapide que dans un assaut la riposte après l’attaque. C’est dans ces occasions que, surexcités par le combat et par le péril, certains orateurs trouvent leurs plus beaux effets et s’élèvent au-dessus de l’attente de leurs adversaires et même de leurs amis ; Isocrate était au contraire de ceux qui ont toujours besoin de réfléchir, de prendre leur temps. Se sachant ainsi fait, pouvait-il s’exposer à se voir déconcerté et réduit au silence par la première interpellation railleuse ou brutale ? Devait-il risquer d’être désarmé dès la première passe par quelque démagogue ignorant, qui aurait sur lui cet avantage d’une impudente audace et d’une langue plus prompte ? Isocrate se respectait et respectait le public ; il aurait cru se manquer à lui-même en se commettant avec quelque grossier hâbleur, il aurait cru manquer au public en courant devant lui les chances de l’improvisation, en lui offrant des pensées de rencontre exprimées dans une langue hasardeuse, inégale et imparfaite.

Tout se réunissait donc pour écarter Isocrate de la vie politique et de la tribune. Brave par devoir et par raison dans les grandes occasions, il était timide par tempérament ; il n’avait ni les qualités, ni les défauts qui sont nécessaires à l’orateur populaire. D’autre part, il avait étudié la rhétorique avec trop d’amour et de persévérance pour que la fréquentation même de Socrate eût réussi à lui en ôter le goût et à le guérir des habitudes que l’esprit contractait à l’école des rhéteurs. Il y avait d’ailleurs urgence pour lui de mettre à profit ce qu’il avait appris. Ce qui l’y poussait, ce n’était pas seulement un naturel désir de réputation et de gloire, c’était aussi le besoin de vivre. La société athénienne, si riche au temps de Périclès, avait été ruinée par les désastres qui n’avaient pas cessé de la frapper depuis l’expédition de Sicile. A partir de cette catastrophe, c’était une lutte inégale que soutenait Athènes. Dans cette période, elle fit une effroyable dépense d’hommes et d’argent. Aussi, quand après Ægos-Potamos Lysandre entra par la brèche, au son des flûtes, dans la ville conquise, quand il y installa une oligarchie appuyée sur une garnison lacédémonienne, il semblait bien qu’Athènes fût pour jamais incapable de se relever. Servie par le génie politique et militaire du seul homme vraiment supérieur qu’ait jamais eu Sparte, de l’ambitieux et dur Lysandre, la discipline spartiate et thébaine avait triomphé ; les cités aristocratiques n’avaient plus à craindre le contact et l’exemple d’une turbulente démocratie. L’épuisement d’Athènes était si profond, sa ruine si complète, que quelques-uns même des vainqueurs se sentaient touchés de pitié quand ils jetaient les yeux autour d’eux et qu’ils songeaient au contraste du présent et du passé.

Athènes, après la guerre, restait sans ressources apparentes ni moyens de s’en créer de nouvelles. Tout le capital accumulé depuis le commencement du Ve siècle dans les coffres de l’état et entre les mains des particuliers avait été détruit. Le trésor public était vide ; parmi les fortunes privées, celles même qui paraissaient le mieux établies étaient presque réduites à rien. — Des invasions répétées avaient ravagé presque toute l’Attique, arraché les vignes, brûlé les oliviers ; partout les champs les plus fertiles étaient en friche. Athènes, pendant tout ce siècle, avait profité du revenu que tiraient de leurs propriétés les colons ou clérouques athéniens établis dans la Chersonèse de Thrace, en Eubée, à Lemnos, Imbros et Samos ; dépossédés par Lysandre, tous ces colons affluaient à Athènes, n’y rapportant que découragement et misère. Depuis les guerres modiques, le Pirée était devenu le grand entrepôt des céréales de la Crimée et le principal port marchand de la Grèce ; mais, maintenant que les détroits étaient aux mains des ennemis d’Athènes, le commerce prenait une autre direction, les quais du Pirée étaient déserts et les magasins vides. Enfin bien des familles avaient perdu leur chef, celui dont l’intelligence et le travail avaient fait la prospérité de la maison ; Athènes était pleine de veuves et d’orphelins. On ne sait si, comme tant d’autres, le père d’Isocrate périt à l’armée, en Sicile ou dans quelque autre désastre ; ce qui est sûr, c’est que l’industrie de Théodoros, industrie de luxe, dut être une des premières à souffrir, et que vers la fin de la guerre Isocrate, comme presque tous les anciens riches, était ruiné. Il fallait vivre et non-seulement vivre, mais, si c’était possible, garder le rang et satisfaire les goûts dont on avait pris l’habitude. Isocrate paraît avoir eu d’abord, en même temps que Lysias, l’idée dont celui-ci tira tant de profit et de réputation : il voulut, lui aussi, mettre à profit ses connaissances acquises, son art de rhéteur et son talent d’écrivain, pour composer des plaidoyers que lui paieraient les cliens ; il songeait à ce métier de logographe dont nous avons, à propos de Lysias, essayé de faire comprendre les exigences et les conditions.

Le moment était favorable pour une pareille tentative. Interrompus pendant près de deux ans par les malheurs d’Athènes et la domination des trente, les jugemens par jury venaient d’être rétablis dans leur ancienne forme. Délivrée par Thrasybule de ses tyrans et de la garnison lacédémonienne, remise en possession de ses vieilles lois et de sa constitution populaire, en paix avec toute la Grèce et bien vue de beaucoup de ses ennemis d’hier, que commençait à alarmer l’arrogance Spartiate, Athènes se relevait à vue d’œil. Ouvriers et artistes, industriels et commerçans s’étaient remis à l’œuvre ; de nouveau le vaste bassin du Pirée s’emplissait de navires. Dans ce courageux effort d’une société qui se refait par la liberté et par le travail, les tribunaux étaient très occupés et très suivis. Les procès politiques n’étaient pas rares, ou plutôt la politique se mêlait à tous les procès. L’amnistie dont Thrasybule et ses amis avaient pris l’initiative avait, il est vrai, été votée avec un empressement et observée avec une loyauté dont témoigne Xénophon, qui n’est point suspect de partialité pour la démocratie athénienne ; mais il est plus facile de décréter l’oubli que de perdre la mémoire. Tout devenait occasion ou prétexte à réveiller d’irritans souvenirs. D’abord un petit nombre de citoyens qui avaient joué les premiers rôles dans ces tragédies sanglantes avaient été en termes formels exclus de l’amnistie ; ils ne pouvaient rentrer qu’après un jugement. D’autres, moins compromis, auraient pu vivre tranquilles, s’ils avaient su se tenir à l’écart ; mais il leur tardait de parler encore sur le Pnyx, de reparaître au sénat et dans les fonctions publiques. Or on n’entrait pas en charge sans subir au préalable, devant une section du jury, une sorte d’examen, la docimasie, qui portait sur toute la vie antérieure du candidat. C’était à cette épreuve que l’on attendait ceux auxquels leur passé aurait dû conseiller le silence et la retraite ; le tribunal se laissait aisément entraîner à leur faire affront, à les déclarer indignes de siéger comme sénateurs ou magistrats. Quand il s’engageait un procès qui ne semblait porter que sur quelque récent délit ou même sur une contestation d’intérêt privé, si l’une des parties avait trempé dans les cruautés et les trahisons de la faction oligarchique, les griefs articulés passaient au second plan : ce qui remplissait, ce qui passionnait le débat, c’était la question de savoir quelle conduite avait tenue la personne en cause dans les luttes politiques de la cité ; c’était surtout cette considération qui dictait aux juges leur arrêt. Isocrate paraît avoir voulu profiter de ces circonstances, et, pendant ces premières années de la démocratie rétablie, avoir tenté de faire concurrence à Lysias. En effet, les plaidoyers judiciaires qui nous ont été conservés dans la collection de ses œuvres appartiennent tous à cette époque ; il y en a six qui se placent entré 402 et 390. Or il est difficile d’admettre que ce soit là un pur hasard : on pourrait le penser, si nous avions perdu beaucoup des ouvrages d’Isocrate ; mais nous possédons tous ceux que nous citent les anciens, à l’exception d’un seul, l’éloge de Gryllos, fils de Xénophon. Il semble plus probable qu’Isocrate écrivit d’autres plaidoyers que ceux qui sont arrivés jusqu’à nous ; lui-même n’attachait pas d’importance à cette partie de son œuvre, et la plupart de ces derniers discours n’ont pas été conservés. Ce qui demeure établi, c’est que, pour donner un échantillon de la manière d’Isocrate, avocat et rival de Lysias, les éditeurs alexandrins durent aller demander à cette période de sa vie quelques spécimens de ce qu’il avait produit dans le genre judiciaire. Pourquoi Isocrate ne persévéra-t-il pas dans cette voie ? Il est facile d’en deviner les raisons. Isocrate sentait bien que ce n’était pas là sa vocation ; il ne s’appliquait à cette tâche qu’à contre-cœur, par intérêt et par raison. A l’école de Socrate, auprès d’un Xénophon, d’un Cébès, d’un Euclide, d’un Platon, il avait pris le goût des idées générales, il avait conçu le désir et le projet de consacrer toutes les ressources de son art au service de la sagesse et de la vertu, d’employer l’éloquence à rendre les hommes meilleurs et plus heureux. Fallait-il, quand il se sentait dans toute la force de l’âge et du talent, renoncer à ces hautes visées ? n’était-ce point déroger que de se mettre aux ordres du premier venu, de ses convoitises et de ses passions ? En admettant qu’il ne défendît que des causes justes, n’avait-il pas mieux à faire que de se fatiguer et de s’user à de pareilles fadaises ? Il faut entendre de quel ton dédaigneux, dans le Panathénaique, écrit bien des années après, au terme de sa carrière, il parle de ceux « qui se sont voués aux petites choses, à la discussion des contrats privés et d’autres bagatelles. »

Ce qui devait achever de dégoûter Isocrate du genre judiciaire, c’est qu’il n’y réussissait qu’à demi, qu’il ne pouvait guère espérer y atteindre le premier rang. Honnête, sincère, animé des meilleurs sentimens et d’une généreuse ambition d’esprit, il n’en avait pas moins une vanité des plus chatouilleuses ; il était aussi impatient de la critique, aussi avide d’éloges et d’applaudissemens qu’un poète ou qu’un musicien. Or il dut bien vite reconnaître, aux succès obtenus devant les tribunaux et aux prix offerts par les cliens, que, comme avocat, il n’égalerait jamais Lysias. Dans le Phèdre, l’indulgente amitié de Platon mettait, il est vrai, Isocrate bien au-dessus de Lysias ; mais les plaideurs et les juges athéniens ne se plaçaient pas au même point de vue que le philosophe. Il faut d’ailleurs l’avouer, le public d’Athènes avait raison d’admirer dans Lysias le premier orateur judiciaire du temps. Isocrate avait à un bien moindre degré que son rival les deux qualités qui font le grand avocat, l’imagination et la passion. Dans le discours contre Lochitès, assez peu intéressant d’ailleurs, il y a quelques notes émues et graves, quelques mots qui témoignent bien de l’impression qu’avaient laissée dans les esprits tant d’agitations et de crises meurtrières. Au moment où il allait demander à l’histoire quelques exemples des maux enfantés par la violence, il s’arrête et s’écrie : « Pourquoi perdre le temps à raconter les malheurs d’autrui, car nous, deux fois déjà, nous avons vu le gouvernement démocratique détruit et deux fois nous avons été privés de la liberté… par des gens qui méprisaient les lois et qui voulaient, en se faisant les esclaves de l’ennemi, s’assurer les moyens de rendre leurs concitoyens victimes de leurs violences ? » De pareils accens sont rares chez Isocrate. Les discours pour Alcibiade et contre Euthynos lui offraient l’occasion toute naturelle d’évoquer les souvenirs de cette domination abhorrée des trente qui avait proscrit l’un de ses cliens et ruiné l’autre ; or, si dans l’un et l’autre de ces plaidoyers il y a bien des paroles sévères à l’adresse de l’oligarchie, on n’y trouve rien qui ressemble aux invectives passionnées de Lysias contre Ératosthène, contre Agoratos et contre Évandre. Il y a de la dextérité dans l’Exception contre Callimaque, l’avocat s’y prend habilement pour disculper un obscur complice de la tyrannie ; mais on sent déjà dans ce discours quelque chose d’un défaut qui se marquera de plus en plus chez Isocrate à mesure qu’il avancera en âge, la diffusion. De tous ces plaidoyers, les deux plus agréables sont certainement le Trapézitique et l’Eginétique ; l’un et l’autre contiennent de piquans détails de mœurs, des récits bien présentés et spécieux, on les lit avec plaisir. Ceux-là mêmes sont pourtant loin d’égaler, comme mouvement et comme couleur, les discours de Lysias. Dans ceux de ses plaidoyers qui touchent à la politique, Isocrate manque de chaleur et de flamme ; dans ceux qui roulent tout entiers sur des intérêts privés, il n’a pas cette vivacité pittoresque, cette abondance et cette précision de détails que nous avons admirées chez son rival. Partout et toujours il a moins que lui le don suprême, la vie.

La vanité d’Isocrate s’accordait avec les meilleurs instincts de sa nature et avec ses plus hautes aspirations pour lui conseiller de laisser à d’autres les profits et les succès de l’avocat. Au bout d’une douzaine d’années environ, vers 390, il se décida donc à rompre pour toujours avec le genre judiciaire. Il fallait pourtant remplacer par une autre cette fructueuse industrie. Tout sérieux et ami du bien qu’il fût, il avait des goûts de plaisir que personne alors n’eût songé à blâmer. La beauté, dont il a parlé dans son Éloge d’Hélène en termes choisis et délicats, le touchait vivement. « C’est, dit-il, ce qu’il y a sur la terre de plus auguste, de plus précieux et de plus divin. » Aussi eut-il des liaisons, dont l’une paraît avoir tenu une assez grande place dans sa vie pour mériter les railleries des comiques : ce fut celle qu’il contracta, étant déjà d’un âge mûr, avec une courtisane nommée Lagiscé. Il en eut une fille qu’il éleva et qui mourut à douze ans. Plus jeune, il avait été l’amant de la belle Métanire. Avec de tels goûts et de telles habitudes, il lui fallait de la fortune ; il se résolut à imiter ses maîtres, à enseigner la rhétorique.


II

Héritier de la tradition des Tisias et des Gorgias, Isocrate avait la même confiance sans limite et sans réserve dans les mérites et la puissance de son art ; comme eux, il le croyait capable « de faire paraître petites les choses grandes, et grandes les choses petites. » Où il se séparait de Gorgias et des sophistes, avec lesquels il ne voulut jamais être confondu, c’était sur un point capital : il repoussait leur scepticisme philosophique. Il ne se déclarait point, comme eux, indifférent à l’usage que le rhéteur ferait du don de la persuasion ; il proclamait que celui-là seul était digne d’estime et faisait honneur à son art, qui s’en servait pour exprimer dans un langage harmonieux et séduisant des idées utiles et de nobles pensées. Par ses critiques, Socrate n’avait pu le guérir de ses illusions et ébranler sa foi ; mais il lui avait inspiré un fidèle et sincère amour de la vérité morale.

Qu’il y eût au fond contradiction entre ce culte minutieux de la forme que professait Isocrate et ses prétentions philosophiques, cela va de soi, et il est inutile d’y insister. Ce qui importe, c’est de bien comprendre quelle était alors l’originalité de ces vues, et par quels côtés le programme d’Isocrate s’écartait de celui des maîtres qui l’avaient précédé. Ce ne fut point à Athènes même qu’Isocrate inaugura cet enseignement nouveau. Peut-être ne voulut-il point faire son début comme professeur dans cette ville où les Gorgias, les Protagoras, les Antiphon, avaient laissé des souvenirs si présens, et qui était déjà redevenue le rendez vous de tout ce qu’il y avait en Grèce d’esprits vifs et curieux. Ce fut dans une cité ionienne, Chios, la ville principale de l’île qui porte aujourd’hui encore ce nom, qu’il alla essayer ses forces et appliquer ses théories. L’endroit était heureusement choisi. Pendant tout le Ve siècle, jusqu’après la catastrophe de Sicile, Chios avait été l’alliée la plus fidèle d’Athènes, et, quand elle s’était détachée de sa cause, ce n’avait été que comme à contre-cœur, sous la pression d’une minorité aristocratique soutenue par les escadres péloponésiennes. Jusqu’alors, pour témoigner de l’étroite union qui régnait entre les deux cités, le héraut, dans les sacrifices publics à Athènes, prononçait le nom des Chiotes après celui des Athéniens, et priait en même temps pour les deux peuples. Divers indices témoignent du goût que les Chiotes avaient pour les choses de l’esprit et de la part distinguée qu’ils prirent, du temps de Périclès, à l’effort et à l’œuvre immortelle du génie athénien. Ion de Chios, un des premiers citoyens de l’île, dont il écrivit l’histoire, passa une partie de sa vie à Athènes ; ses tragédies parurent avec honneur sur la scène attique à côté de celles de Sophocle. Les Chiotes ont encore aujourd’hui, dans tout l’Orient, la réputation d’être en affaires les plus fins et les plus retors de tous les Hellènes ; cette finesse et cette subtilité qu’ils appliquent aujourd’hui surtout au négoce leur avaient fait, dans l’antiquité, prendre grand plaisir à la sophistique, que plusieurs d’entre eux étaient allés enseigner jusque dans la Grande-Grèce. Isocrate, déjà précédé d’une notoriété acquise à Athènes, devait donc trouver à Chios un terrain bien préparé et un accueil favorable.

Il ouvrit, dit-on, son école avec neuf élèves ; mais le nombre s’en augmenta bientôt, et du continent, des îles voisines, on accourut suivre ses leçons. De tous ses auditeurs de Chios, le plus célèbre fut un citoyen de cette ville, Théopompe, qui se fit plus tard une grande réputation comme historien. Suivant son crédule biographe, l’influence qu’Isocrate acquit dans la cité aurait été telle qu’il en aurait changé la constitution et les lois. Rien n’est moins vraisemblable ; nous savons tout ce qui manquait à Isocrate pour prendre une part active à la politique, et ce n’est point dans une ville étrangère qu’il aurait tenté une pareille intervention. Non-seulement nous ne trouvons pas trace, dans l’histoire de Chios, de cette prétendue réforme accomplie par les soins d’Isocrate, mais nulle part il n’y est fait la moindre allusion par l’orateur, pas même dans le discours sur l’Echange, où, arrivé au terme de sa carrière, il résume avec complaisance tous les titres qu’il croit avoir à la reconnaissance de ses concitoyens et de tous les Grecs. On prétend aussi qu’après avoir commencé à enseigner son art à quiconque lui payait le salaire convenu, il se serait écrié avec douleur : « Je ne m’appartiens plus, je me suis vendu pour de l’argent ! » Sans doute c’était un principe admis par Socrate et par ses plus fidèles disciples qu’il était indigne d’un philosophe de vendre la sagesse, d’en faire, comme les sophistes, métier et marchandise ; c’eût été là aux yeux de Platon une profanation analogue à celle que les premiers chrétiens réprouvèrent sous le nom de simonie. Isocrate, qui se piquait de ne pas être un rhéteur comme les autres et d’enseigner la vertu en même temps que l’art de bien dire, se souvint-il en effet des scrupules du maître ? Éprouva-t-il d’abord quelque embarras en recevant la rétribution que lui apportèrent ses premiers disciples ? Toujours est-il que ce sentiment, s’il a jamais existé, ne dura guère : nous voyons plus tard l’orateur tirer vanité du prix auquel on paie ses leçons et ses discours, ainsi que du grand nombre de ses auditeurs. Sans être avide, on s’habitue aisément à gagner beaucoup d’argent.

On ne sait pas combien de temps demeura Isocrate à Chios ; quand il en revint au bout de quelques années pour se fixer à Athènes, son enseignement était célèbre dans la Grèce entière. Tous ceux qui aspiraient à la gloire de l’éloquence se croyaient obligés de passer par son école. Un grammairien, Hermippos, composa vers la fin du siècle suivant un ouvrage en plusieurs livres, aujourd’hui perdu, sur les disciples d’Isocrate. On connaît les noms des plus remarquables d’entre eux : ce furent, parmi les historiens, Éphore, qui du temps de Philippe disputa la palme à Théopompe, autre élève d’Isocrate, et Androtion, orateur et politique peu estimable, si l’on en croit Démosthène, mais l’utile auteur d’une Atthide ou histoire de l’Attique qui précéda celle de Philochoros ; ce furent, parmi les poètes, Asclépiade et Théodecte, dont on avait des tragédies, parmi les sophistes, Lacritos, riche Lycien domicilié à Athènes, contre lequel est dirigé un plaidoyer conservé dans les œuvres de Démosthène, parmi les orateurs, Léodamas, dont le nom se rencontre assez souvent dans la première moitié du IVe siècle, et Lycurgue, en qui Athènes trouva son meilleur ministre des finances et l’un de ses plus grands citoyens. Ce fut aussi à l’école d’Isocrate que se forma ce Python de Byzance qui mit au service de Philippe son talent de style et de parole. Directeur de ce que nous appellerions la chancellerie macédonienne, c’était lui qui rédigeait les manifestes du roi et ses dépêchés ; il eut aussi l’honneur, comme ambassadeur de Philippe, de lutter à la tribune, dans plus d’une cité grecque, contre Démosthène. On citait encore Isée et Hypéride ; mais, pour ces deux orateurs, le biographe ne mentionne leurs noms qu’avec une certaine hésitation. Quant aux anecdotes qui mettent Démosthène en rapport avec Isocrate, elles paraissent toutes plus que suspectes. Plutarque, dans sa vie de Démosthène, nie d’ailleurs d’une manière formelle qu’Isocrate ait jamais été le maître du grand orateur. Ce qui est certain au contraire, c’est qu’Isocrate trouva dans l’un des plus renommés capitaines qu’eut alors la Grèce un de ses principaux admirateurs et de ses auditeurs les plus assidus ; personne ne lui fut plus attaché que Timothée, le fils de Conon, habile et vaillant général comme son père.

Le nombre des élèves qui fréquentèrent Isocrate est évalué par son biographe à une centaine. On comprend que Cicéron ait comparé la maison d’Isocrate à un gymnase, à un atelier de paroles ouvert à toute la Grèce ; de son école, dit-il encore ; comme du cheval de Troie, est sortie une foule de héros. La rétribution ordinaire, au moins pour les étrangers, était de 1,000 drachmes, environ 900 francs ; des citoyens d’Athènes, il n’exigeait, assure-t-on, aucun salaire ; cependant il ne refusait pas les cadeaux. Timothée, qui avait hérité des grands biens de son père dans l’île de Chypre, lui fit don d’un talent (5,600 francs), et de plus lui éleva dans Eleusis une statue de bronze qui portait cette inscription : « En souvenir d’amitié et pour rendre hommage à l’intelligence, Timothée a consacré aux déesses cette image d’Isocrate. »

Nous regrettons de ne pas posséder quelques détails sur la forme d’un enseignement qui eut tant de vogue et d’influence ; mais il est pourtant possible de s’en faire quelque idée. Cela se rapprochait bien plus que les séances données jadis par les sophistes d’un vrai cours d’études, d’une série méthodique de leçons. Isocrate, avant de commencer à professer, ce qu’il ne fit guère qu’entre quarante et cinquante ans, avait passé de longues années à méditer sur la rhétorique. C’est le fruit de ces réflexions qu’il recueillit dans un traité qui portait le titre d’usage techné ou art. Comme on pouvait s’y attendre, il avait tenu à dépasser ses prédécesseurs ; il avait voulu donner des préceptes plus logiques, plus clairs, plus complets. On retrouvait chez lui cette définition que Platon critique si vivement dans le Gorgias : « la rhétorique est l’ouvrière de la persuasion » ; mais en même temps il affirmait que la rhétorique était une partie de la philosophie. On reconnaît là une idée qui lui était propre, sa prétention de n’employer cet instrument de persuasion qu’à faire prévaloir le bien sur le mal, la vérité sur le mensonge. Il étudiait et classait ensuite les lieux-communs, il distinguait les différentes parties du discours et il indiquait ce qui convenait à chacune d’elles : nous avons le résumé de quelques-uns des conseils qu’il donnait pour l’exorde et la narration. Traitait-il aussi de la distinction des genres ? On n’a aucun renseignement à ce sujet ; mais on peut voir, par quelques courts fragmens, qu’il entrait dans de minutieux détails sur la partie de son art qu’il avait le plus étudiée, sur la construction de la période oratoire et le choix des mots. Ce manuel, il le lisait à ses élèves, sans doute en l’accompagnant de commentaires et d’exemples ; peut-être leur en dictait-il les parties les plus importantes, En tout cas, les plus zélés prenaient des notes : c’est ce que prouve un curieux passage de Plutarque. Selon lui, « Démosthène aurait eu secrètement communication, par Callias de Syracuse et par d’autres, des préceptes d’Isocrate sur la rhétorique et de ceux du rhéteur Alcidamas ; il en aurait tiré grand profit. » On dirait aujourd’hui qu’il avait emprunté les cahiers d’un élève d’Isocrate. Ceci prouverait qu’Isocrate et les autres professeurs de rhétorique ne publiaient point, au moins tant qu’ils continuaient à enseigner, le manuel qui faisait le texte et le fond de leur cours. Si l’ouvrage avait été entre les mains de tout le monde, on n’aurait pas eu autant d’intérêt à suivre et à payer les leçons du maître.

Isocrate ne nous dit nulle part si, comme les rhéteurs latins, comme les Sénèque et les Quintilien, il exerçait ses élèves à la composition, s’il leur proposait un sujet et corrigeait ensuite leurs essais. En tout cas, comme on le voit d’après le Panathénaïque, il leur lisait ses discours avant de les publier, il en discutait avec eux le plan et les idées, il leur en faisait valoir les beautés. C’est peut-être pour servir ainsi de modèles qu’ont été composés des ouvrages comme l’Eloge d’Hélène et le Busiris. Par leur caractère tout sophistique, ces discours sortent tout à fait du programme qu’Isocrate ; au début du Panathénaïque, dit s’être tracé tout jeune à lui-même ; ils ne touchent en rien « ni au bien de la cité, ni aux intérêts communs de toute la Grèce, » ils rentrent au contraire dans un genre qu’il affecte de mépriser, celui de « ces discours pleins de fables, de prodiges et de mensonges, qui font plus de plaisir au vulgaire que les plus salutaires conseils. » Cette infraction aux règles qu’il avait lui-même posées, cette excursion sur le terrain des sophistes s’explique par une préoccupation didactique qui se rencontre ici avec un petit calcul de vanité. L’un et l’autre de ces sujets avaient déjà été traités avant lui ; en les reprenant à nouveau, il a voulu montrer, dit-il, que ses devanciers n’avaient pas tiré de ces thèmes tout le parti possible. Il obtient ainsi un double résultat : ses élèves s’instruiront en comparant l’ébauche informe à ce qu’il leur donne comme un chef-d’œuvre, et les gens de goût auront une occasion de plus d’apprécier le génie d’Isocrate. Quant à nous, quelque bonne volonté que nous y mettions, il nous est difficile d’admirer. Encore y a-t-il dans l’Eloge d’Hélène, une fois le sujet admis, au moins une page d’un sentiment vraiment grec, vraiment attique, qui se lit avec plaisir ; mais il est impossible de rien imaginer de plus froid et de plus insipide que le Busiris. Tout l’ouvrage porte sur cette idée singulière, que ce personnage, connu de la légende seulement pour sa cruauté, est le véritable fondateur des institutions égyptiennes. Ces institutions, Isocrate les célèbre à ce propos de manière à montrer qu’il n’en soupçonne ni l’origine ni le caractère. Les Grecs ont accrédité bien des erreurs sur le compte de la civilisation égyptienne ; aucun de ceux qui ont essayé de la décrire n’en a parlé d’une manière aussi vague et aussi fausse. Vrai rhéteur, Isocrate était dépourvu de cette curiosité passionnée, éprise du détail exact et précis, qui fait l’historien ; aussi ceux de ses disciples, comme Éphore et Théopompe, qui écrivirent l’histoire, n’y cherchèrent-ils guère qu’un prétexte à de brillantes amplifications et à des harangues qu’ils croyaient éloquentes. Ce fut là ce qui les rendit si inférieurs non-seulement à des hommes de génie, comme Hérodote et Thucydide, mais même à un esprit de second ordre, comme l’auteur des Helléniques, Xénophon. Le sens historique n’a point de pire ennemi que le goût de la phrase, la superstition de la forme oratoire.


III

Isocrate, grâce au succès de son enseignement, était arrivé à une aisance qui le rendait indépendant, — à une réputation qu’il pouvait prendre pour de la gloire. C’est alors qu’il s’essaie à un rôle nouveau auquel il aspirait depuis longtemps. Ce n’était pas sans une secrète et profonde douleur que, se sentant du talent et des idées, il avait renoncé au désir et à l’espoir d’agir par la parole sur l’esprit de ses concitoyens, sur les affaires d’Athènes et de la Grèce. « Je prends dix mines, lui entendait-on dire, pour enseigner mon art ; mais j’en paierais volontiers dix mille à qui me donnerait l’audace et la voix. » Au terme de sa vie, âgé de près de cent ans, il éprouvait encore ce regret, il souffrait de cette impuissance. Il lui avait été, il lui était encore pénible de voir écoutés sur le Pnyx et devant les tribunaux des hommes auxquels il se croyait très supérieur par l’éducation et le mérite. Tout au moins, quand vers l’âge de cinquante ans, connu et admiré dans tout le monde hellénique, il put être sûr d’avoir de nombreux lecteurs, il voulut arriver par un autre chemin à cette influence qu’il n’avait pu demander à la tribune. Il se fit écrivain politique, ou, comme nous dirions, publiciste ; il offrit ses conseils aux peuples et aux rois. Profitant des loisirs que lui assurait sa fortune, il composa des discours longuement médités et travaillés avec le plus grand soin, où il donnait son avis sur chacune des questions qui intéressaient la Grèce et surtout Athènes.

De tous ces discours, qui forment la partie principale de l’œuvre d’Isocrate, le plus célèbre est celui qui est connu chez nous sous le titre fort inexact de Panégyrique d’Athènes : c’est le Panégyrique que l’on devrait dire. En effet, ce mot, dans le grec classique, n’a point encore le sens qu’il a pris en français ; il désigne les discours prononcés dans une de ces grandes assemblées, les jeux pythiques, isthmiques ou olympiques, les grandes panathénées, où se donnaient rendez-vous, outre tous les habitans des contrées voisines, des Grecs accourus par milliers des plus lointaines colonies. Cette foule, avide de spectacles où se déployassent pour lui plaire les énergies du corps et celles de l’esprit, se reposait volontiers d’une lutte ou d’une course en écoutant, dans quelque odéon ou salle de chant, parfois même à l’ombre d’un portique, un musicien, un poète lyrique ou un rhéteur. Les harangues adressées à ces auditeurs de rencontre ne peuvent appartenir ni au genre délibératif ni au genre judiciaire : on est venu là non pour voter une mesure politique ou pour rendre un verdict, mais pour se donner un plaisir, comme on va au théâtre. Il n’y a donc guère place, dans de pareilles réunions, que pour le genre êpidéictique ou le discours d’apparat, et ce qui en fait le thème ordinaire et naturel, c’est l’éloge de quelque chose ou de quelqu’un, l’éloge d’une ville, d’un peuple, d’une vertu, d’un héros ou d’un grand homme. C’est ainsi que, par une altération graduelle qui remonte, pour certains dérivés de ce même radical, à l’antiquité même, le mot panégyrique a perdu peu à peu sa signification primitive ; il est devenu dans la plupart des langues modernes l’exact équivalent de ce que les Grecs appelaient encomium, éloge public.

Le fond de ce discours est d’ailleurs bien l’éloge d’Athènes : l’orateur se propose d’y prouver que les Athéniens ont rendu plus de services à la Grèce que les Lacédémoniens, et qu’Athènes est la vraie capitale de la Grèce. A cet effet, après un long exorde où il fait ressortir l’intérêt et les difficultés de son sujet, il passe, en revue toute l’histoire de sa patrie, depuis les temps légendaires jusqu’au moment où il écrit. Avec plus d’accent et de vivacité qu’il n’en a d’ordinaire, il montre tout ce que sa chère et glorieuse Athènes a fait pour la Grèce et pour la civilisation ; puis il passe à Sparte, et lui demande ce que les Grecs ont gagné à sa victoire. Quelle triste différence entre les traités qu’un Cimon imposait autrefois au roi de Perse et ceux que sollicite et obtient de lui, comme une faveur, le Spartiate Antalcidas ! Il y a encore de l’énergie et de la couleur dans la peinture des maux qu’inflige à la Grèce, par son âpreté et son avidité, cette Sparte qui s’est faite ainsi la complaisante de l’étranger. « Jusque dans leur personne, dit-il, les sujets de Sparte endurent plus d’outrages que chez nous les esclaves achetés à prix d’argent : aucun Athénien ne maltraite son serviteur comme les Spartiates châtient les hommes libres. » Il rappelle la destruction de Mantinée en pleine paix, l’occupation frauduleuse et violente de la Cadmée, la citadelle de Thèbes, les attaques dirigées contre les Phliasiens et contre la fédération olynthienne, enfin l’étroite alliance conclue entre Sparte et tous les princes qui menacent l’indépendance républicaine des cités grecques, Denys, le tyran de Syracuse, Amyntas, le roi de Macédoine, et enfin l’ennemi héréditaire du nom grec, le successeur des Darius et des Xercès.

Après avoir dressé cet acte d’accusation, Isocrate s’arrête : il proteste que ces paroles n’ont pas pour but, toutes vives et passionnées qu’elles soient, de diviser encore plus profondément la Grèce : au contraire ce qu’il veut prouver, c’est la nécessité d’une réconciliation sincère et durable entre les deux cités grecques, réconciliation dont les barbares paieront les frais. Il ne demande point la ruine de Sparte, membre nécessaire du grand corps hellénique ; mais il s’efforce de persuader aux Grecs, aux Spartiates eux-mêmes que Sparte n’était point à la hauteur du rôle qu’elle avait aspiré à jouer depuis les désastres d’Athènes. Athènes a été battue, humiliée, condamnée pour longtemps à l’impuissance ou tout au moins à la modestie d’un rôle secondaire, au recueillement et à l’attente ; mais elle n’a pas été remplacée. Sparte ne lui a pas succédé comme protectrice des faibles, comme gardienne des mers, comme tutrice de la liberté grecque, menacée par l’énorme et confuse barbarie. La Grèce a perdu plus encore qu’Athènes elle-même à la chute de l’empire maritime qu’avaient constitué Aristide, Cimon et Périclès ; elle en est comme toute désorientée. Il s’est fait dans le monde hellénique un vide que Sparte, avec son génie dur et borné, n’a pas su, ne saura jamais combler. Sparte n’est pas généreuse ; or sans générosité on peut remporter de grandes victoires, l’on peut écraser ses ennemis, mais on ne conquiert point ce prestige, cet ascendant moral dont ne se passera jamais impunément quiconque prétend non-seulement saisir le premier rang par un coup de fortune, mais s’y maintenir et le garder longtemps.

Dans toute la dernière partie du discours, Isocrate s’attache à démontrer aux Grecs que, s’ils veulent s’unir tous dans un commun et vigoureux effort, c’en est fait de l’empire des Perses ; il insiste sur tout ce qu’il y a de faiblesse cachée sous ces apparences de richesse, de grandeur et de puissance. Sans remonter aux guerres médiques, la génération à laquelle appartient l’orateur n’a-t-elle pas vu les dix mille traverser en vainqueurs tout l’empire, puis bientôt après Thymbron, Dercyllidas et Agésilas, avec une faible armée, être sur le point d’arracher au grand roi toute l’Asie en-deçà de l’Halys ? Ce sont les discordes des Grecs qui ont forcé Agésilas à évacuer les provinces conquises. Plus récemment encore, les insurgés égyptiens, et dans l’île de Chypre Évagoras, n’ont-ils pas tenu, ne tiennent-ils pas en échec depuis plusieurs années toutes les forces de la Perse et ses meilleurs généraux ? La conclusion, c’est que tous ceux qui ont part aux affaires publiques doivent sans retard travailler à réconcilier Athènes et Sparte. Qui donc en Grèce se refuserait à suivre leur exemple et resterait en arrière quand elles marcheront pour venger sur les Perses tant d’injures et de hontes, pour affranchir les Grecs d’Asie ? Ce qu’Isocrate ne dit pas, c’est à quelles conditions pourrait se conclure cette alliance si nécessaire ; il a plus de goût pour les considérations générales que pour le détail et la pratique. Son idée, c’était celle qui fut alors parfois mise en avant comme projet de transaction, le partage du commandement entre Sparte et Athènes, celle-ci, puissance maritime, prenant en main toutes les forces navales de la Grèce, et Sparte, qui valait surtout par sa redoutable infanterie, disposant de l’armée de terre. Une pareille combinaison pouvait paraître juste et sensée, mais qu’il eût été difficile de passer à l’exécution ! On ne l’essaya même jamais.

Déjà en 376, dans un discours dont nous n’avons conservé qu’un fragment, Lysias, à Olympie, avait donné aux Grecs assemblés des conseils analogues ; il leur avait signalé avec éloquence les dangers dont les menaçaient leurs divisions intestines. Nous savons que le Panégyrique fut publié en 380, c’est-à-dire la première année de la centième olympiade ; n’est-il pas naturel de croire que la fête olympique fut aussi l’occasion choisie par Isocrate pour offrir à l’admiration des Grecs l’ouvrage auquel il travaillait depuis dix ans ? Dès ses débuts, il avait rencontré, nous l’avons vu, la concurrence de Lysias, auquel Platon le préférait, mais qui l’avait emporté sur lui au barreau. Voulant prendre sa revanche sur un terrain où il ne croyait point avoir de rivaux, celui de la philosophie politique et des hautes considérations d’intérêt général, Isocrate, que ses scrupules excessifs d’artiste et la lenteur de son minutieux travail avaient mis en retard, dut au moins tenir, s’il n’arrivait pas le premier, à venir figurer sur la scène où Lysias avait brillé ; il dut tâcher de le faire oublier par les auditeurs même qui avaient applaudi cet autre panégyrique. L’antiquité tout entière nous atteste le succès obtenu par l’œuvre d’Isocrate ; à peine publiée, elle devint, pour tous ceux qui professaient ou étudiaient la rhétorique, une sorte de modèle classique. On fut unanime à en admirer le style noble et soutenu, l’art avec lequel y étaient enchaînées les pensées, la propriété des termes, la science du nombre oratoire, l’harmonie d’une prose presque aussi douce à l’oreille que la poésie. On ne voit pourtant pas qu’au premier moment l’œuvre nouvelle ait remué les âmes autant que l’avait fait l’éloquence plus passionnée de Lysias ; elle n’amena rien de semblable à ce soudain mouvement de colère qui souleva la foule quand, après avoir entendu la harangue de Lysias, elle infligea aux ambassadeurs de Denys le Tyran un sanglant et public affront. Il est vrai de dire qu’Isocrate n’aspirait point à provoquer une pareille explosion ; son discours se termine par un appel à la conciliation et à la concorde.

C’eût été pour les critiques un curieux sujet d’étude que de pou-- voir lire l’un à côté de l’autre le panégyrique de Lysias et le panégyrique d’Isocrate. Malheureusement du discours de Lysias il ne reste que l’exorde, à peine une page. Ce qu’on peut croire, c’est que Lysias, effrayé, comme Isocrate, de voir la Grèce s’affaiblir et s’user dans ses luttes intestines, jugeait mieux que lui la situation. Sans doute il ne tournait pas ses regards du côté de l’horizon où devait se former l’orage : personne alors ne pensait à la Macédoine ; mais il sentait que la Perse n’était peut-être point le plus dangereux ennemi, il avait peur de ces monarchies militaires que travaillaient alors à construire sur les ruines des libertés municipales des hommes énergiques et ambitieux, les Mausole, les Jason, les Denys de Syracuse. Isocrate, lui, ne songe qu’aux Perses. Comme ces virtuoses qui, pendant vingt et trente ans, répètent toujours dans les concerts le même morceau de bravoure, Isocrate ne s’adresse jamais aux Grecs sans les provoquer à une sorte de croisade contre la Perse. Cette guerre nationale lui fournit une belle, une riche matière oratoire ; il n’en demande pas plus, et, tout entier à son thème favori, il oublie lui-même, il fait oublier à ceux qui l’écoutent qu’il est pour la Grèce d’autres menaces et d’autres périls.

Dans l’exorde du Panégyrique, Isocrate raille ceux qui ont « l’esprit naïf et qui sont étrangers aux affaires ; » mais il prouve, quelques lignes plus bas, combien il a peu lui-même le sens pratique et comme il connaît mal les hommes. Selon lui, ce qui surtout empêche et retarde cette réconciliation si désirée, à laquelle les Athéniens sont tout disposés à se prêter, c’est l’orgueil et l’ambition des Lacédémoniens, qui veulent commander en maîtres dans toute la Grèce ; cependant ne se flatte-t-il pas de leur donner de si bonnes raisons et si bien présentées qu’ils vont se déclarer convaincus et renoncer d’eux-mêmes à leur suprématie ? Isocrate avait vraiment trop bonne opinion de son propre talent et de la nature humaine. Peuples ou princes, les despotes n’abdiquent que par peur, quelquefois par lassitude, par dégoût. Son panégyrique ne fit pas les miracles qu’en espérait l’auteur. Les Spartiates n’étaient pas grands lecteurs ; si quelques-uns d’entre eux, Agésilas et les éphores, parcoururent cet ouvrage, ils se bornèrent sans doute à sourire de la vanité et de la faconde athénienne ; mais sur les autres Grecs et sur les Athéniens l’impression dut être profonde. Dans les villes grecques d’Asie, livrées par la paix d’Antalcidas aux satrapes perses, dans les îles, que désolait la piraterie toujours renaissante, dans les cités de la Grèce continentale qui, comme Corinthe, Mantinée, Phliunthe, Thèbes, Olynthe, avaient été maltraitées et humiliées par Sparte, dont elles étaient d’anciennes et fidèles alliées, on commence à se souvenir, à comparer les actes aux promesses, le présent au passé. Le brillant manifeste d’Isocrate donne un corps à des sentimens qui, dans beaucoup d’esprits, étaient jusque-là obscurs et vagues. Quelle différence entre l’état actuel de la Grèce et celui où l’avaient mise les victoires de Cimon ! Alors les Perses étaient refoulés dans l’intérieur de l’Asie, alors les escadres athéniennes faisaient la police des mers et en chassaient les pirates de toute race et les marchands phéniciens, alors la crainte de se voir abandonnée pour sa puissante rivale forçait Sparte à être juste et loyale envers ses alliés. On oublie les fautes d’Athènes, qu’elle avait si chèrement payées, et ses abus de pouvoir, dont on ne souffrait plus ; on se rappelle tous les services rendus à la cause commune par la vaillante et généreuse patrie d’Aristide, de Cimon et de Périclès.

Quant à Athènes, elle dut trouver un singulier plaisir, dans sa fortune réduite, à regarder passer devant ses yeux, à la voix de l’enchanteur qui évoquait toutes ces chères images, la radieuse vision de ses grands hommes et de ses victoires d’autrefois. Après certaines chutes inattendues et profondes, les peuples qui ont d’eux-mêmes la plus haute opinion risquent de tomber dans un accablement aussi déraisonnable qu’était jadis excessive leur confiance en leurs propres forces. Ce sont souvent au lendemain de ces catastrophes les meilleurs et les plus sages qui sont d’abord les plus abattus : mieux que les autres, ils se rendent compte des vices héréditaires dont les fautes commises n’ont été que le résultat nécessaire. Il importe, à cette heure décisive, de relever l’âme d’une nation en lui montrant que tout n’était pas illusion et rêve dans l’idée qu’elle s’était faite de son génie et de son rôle ; il importe de l’aider à retrouver en elle-même le secret de ses vertus et de ses forces qui avaient fait autrefois la patrie si glorieuse et si puissante. C’étaient là les pensées que le panégyrique devait suggérer à l’esprit des Athéniens, ce fut là le service qu’il leur rendit au début de cette période où Athènes, s’encourageant peu à peu, s’essayait à reconstituer son ancienne confédération maritime. Comment ne pas redresser la tête, comment ne pas sentir renaître sa fierté et son espoir quand on entendait Isocrate, accordant à Athènes un éloge qui n’est ici que l’expression de la vérité même, rappeler qu’elle avait été plus grande encore par l’esprit que par ses victoires guerrières ? « Athènes, dit-il en terminant un des meilleurs chapitres de son discours, Athènes a tellement dépassé les autres peuples par le génie de l’éloquence et de la philosophie, que de simples disciples chez elle sont admis comme des maîtres chez les autres, qu’elle a fait du nom de Grec moins le nom d’un peuple que le signe de l’intelligence même, et qu’on désigne par ce nom les hommes qui participent à notre éducation plus encore que les hommes qui partagent notre origine. »

Le succès du panégyrique achève de rendre célèbre dans tout le monde grec le nom et le talent d’Isocrate ; à partir de ce moment, ce n’est plus seulement aux républiques, c’est aussi aux rois qu’il accorde ses louanges et qu’il offre ses conseils. Nous avons de lui trois discours écrits, de 375 à 370, pour les princes de Chypre ; ils sont intitulés Evagoras, à Nicoclès, Nicoclès ou les Chypriotes. Dans le premier de ces discours, il fait d’Évagoras, qui venait de périr victime d’un meurtre, un éloge que l’on dut lire avec plaisir non-seulement à Chypre, mais encore à Athènes : Evagoras s’était montré l’ami fidèle d’Athènes au lendemain même de ses plus cruels désastres ; il avait recueilli Conon échappé avec quelques vaisseaux à la catastrophe d’Ægos-Potamos, et, quelques années après, il avait servi d’intermédiaire entre les Perses, menacés par Sparte en Asie-Mineure, et les Athéniens, qui aspiraient à redevenir maîtres de la mer ; il avait mis à la disposition de Conon cette flotte, surtout phénicienne, qui gagna la bataille de Cnide et détruisit les escadres péloponésiennes. Aussi, quand un peu plus tard Evagoras se brouilla avec la Perse, Athènes, au risque de rejeter le grand roi du côté de Sparte, n’abandonna point Evagoras ; malgré les plaintes et les menaces de la Perse, elle ne cessa de l’aider d’hommes et d’argent dans la lutte inégale qu’il soutenait contre toutes les forces de la monarchie. Cette lutte venait de se terminer par un traité fort honorable pour Evagoras quand il fut assassiné ; mais sa mort ne mettait pas à néant les résultats de son règne. Dans cette île, que s’étaient disputée jusqu’alors l’influence grecque et l’influence phénicienne, il avait donné à la langue, aux lettres, aux arts, au génie de la Grèce une suprématie incontestée. Le discours d’Isocrate ne nous fournit pas, sur ce règne agité et fécond, sur les travaux et combats d’Évagoras, ces détails précis que nous serions heureux d’y trouver ; il est pourtant de quelque intérêt pour l’histoire, tant nous manquons de renseignemens sur ce curieux épisode de la lutte séculaire entre l’Europe et l’Asie ! Quant au discours à Nicoclès, c’est un sermon, une sorte de Petit Carême prêché devant un prince païen pour l’éclairer sur ses devoirs et lui proposer un idéal de gouvernement. On y retrouve l’utopie que Xénophon, vers le même temps, exposait dans sa Cyropédie, cette même théorie d’une monarchie absolue en droit, mais tempérée par la sagesse et la bonté du monarque. Choqués des défauts du gouvernement populaire et lassés des perpétuelles agitations au milieu desquelles ils vivaient, plusieurs esprits distingués s’étaient, dans ce siècle, épris de ce rêve. Isocrate, à qui le régime démocratique n’avait point fait une place qui le satisfît, caresse avec amour cette chimère, et bientôt, tant il a peu le sens politique, ce sera au profit de l’ambitieuse Macédoine qu’il la poursuivra. Dans la harangue qui termine cette série, c’est Nicoclès, le fils et le successeur d’Évagoras, qui parle à son peuple ; on a là une homélie qui traite des devoirs des sujets envers le prince, et qui fait pendant, comme Isocrate l’indique lui-même, à celle où il avait exposé les devoirs du prince envers ses sujets.

Nous n’insisterons pas sur plusieurs autres ouvrages dans lesquels, soutenant le rôle qu’il s’était attribué, Isocrate continue à donner son avis sur les affaires d’Athènes et de la Grèce. La Plataïque est de 372. Isocrate y dénonce à l’indignation de ses concitoyens et de tous les Grecs un acte de violence et de cruauté que vient de commettre Thèbes, depuis Leuctres la première puissance militaire de la Grèce ; fidèle à ses anciennes haines, elle a détruit une seconde fois cette malheureuse ville de Platées, qu’elle avait déjà prise et renversée au début de la guerre du Péloponèse ; elle a de nouveau voué à la misère et à l’exil les tristes Platéens. Dans l’Archidamos, Isocrate discute et critique encore l’usage que fait Thèbes de sa prépondérance récemment conquise : ces réflexions sont placées dans la bouche d’Archidamos, fils d’Agésilas et roi de Sparte, qui est censé prononcer ce discours dans le congrès de 366. L’Aréopagitique porte un titre trompeur ; nous n’y trouvons pour ainsi dire aucun renseignement sur les attributions réelles de l’aréopage et sur le rôle qu’il jouait dans le système des institutions athéniennes ; c’est encore une espèce de sermon qu’Isocrate met en quelque sorte sous l’invocation d’un tribunal vénéré qui, tel que l’orateur le représente, a un caractère plus idéal qu’historique. Isocrate y fait la leçon à la démocratie comme il l’avait faite ailleurs aux rois et à leurs sujets. Le discours sur la paix (355) a été inspiré par l’une des crises les plus douloureuses de l’histoire d’Athènes, que l’on appelle la guerre sociale. Cette nouvelle confédération maritime qu’Athènes avait réussi à reformer autour d’elle dans les premières années du IVe siècle était en train de se dissoudre ; Chios, Rhodes et Byzance avaient donné le signal de la sécession. En vain Athènes avait essayé de s’opposer par la force à ces défections ; mal concertés et mal conduits, ses efforts n’avaient abouti qu’à des désastres. De ses généraux, les uns, comme Chabrias, étaient morts en combattant ; les autres, comme Iphicrate et Timothée, avaient quitté le service, dégoûtés de voir le peuple s’en prendre à eux de défaites amenées par l’insuffisance des armemens et les intrigues des orateurs. Le trésor était vide, le commerce languissant, le peuple las des charges que lui imposait la guerre. Il n’y avait donc guère d’autre parti à prendre que d’accepter les faits accomplis : c’est ce que conseille Isocrate et ce que l’on résolut ; mais que nous voilà loin du Panégyrique et de ses patriotiques ambitions ! Ici Isocrate demande qu’Athènes renonce à toute idée de suprématie ou même d’influence extérieure ; il lui suffit qu’Athènes vive tranquille, gagne de l’argent, et jouisse en paix de son ancien renom ; il veut lui faire prendre sa retraite. Ce sera, si l’on peut ainsi parler, une grande cité honoraire. Pour sauver les apparences et déguiser ce qu’il y a de fâcheux dans cette sorte de démission à laquelle il convie ses concitoyens, Isocrate leur présente, il est vrai, des espérances et leur fait des promesses. « Ce que nous ne pourrions reprendre aujourd’hui, leur dit-il, sans la guerre et sans beaucoup de dépenses, nous l’obtiendrons aisément par des ambassades. Ne croyez pas en effet que Kersoblepte veuille faire la guerre pour la Chersonèse ou Philippe pour Amphipolis, lorsqu’ils verront que nous ne convoitons plus rien de ce qui appartient à autrui. » Se représente-t-on Philippe touché du désintéressement d’Athènes, saisi d’une généreuse émulation et n’aspirant plus de son côté qu’à s’abstenir du bien d’autrui ? Si nous ne savions qu’Isocrate parle toujours sérieusement, qu’il n’a jamais plaisanté de sa vie, nous croirions qu’il se moque ici des Athéniens, ce « peuple de gobe-mouches, » comme les appelait Aristophane, ces gens d’esprit auxquels on faisait croire tant de sottises. N’ayant pas la ressource de cette explication, il nous faut bien admettre qu’il y a ici une candeur honnête qui frise la niaiserie.

Les Athéniens, comme le désirait Isocrate, se décidèrent à laisser Chios, Rhodes, Cos et Byzance se détacher de leur alliance ; ils restèrent, par le traité qui mit fin à cette lutte, si isolés et si affaiblis, qu’ils ne pouvaient plus guère inspirer d’ombrages à leurs voisins. Cette résignation ne pouvait manquer, selon le publiciste grec, de désarmer le jeune et ambitieux souverain qui était monté en 359 sur le trône de Macédoine. Tout au contraire, elle ne fit que l’encourager à beaucoup oser contre Athènes. En quelques années, il avait créé la phalange, et s’était donné une armée nationale de 30,000 hommes qu’il tenait toujours en mouvement et en haleine. Il avait pris, Amphipolis, l’éternel regret d’Athènes, et, malgré ses belles promesses, il l’avait gardée ; il avait enlevé aux Athéniens eux-mêmes Pydna et Potidée. Entre lui et la mer, il y avait encore Olynthe et les trente-deux villes dont se composait la confédération qu’elle présidait, — une ligue semblable à ce que sera plus tard la ligue achéenne ; Philippe avait emporté Olynthe, secourue trop tard par Athènes. Déjà maître de la Thessalie, il avait, sous couleur de venger le dieu de Delphes, outragé par les Phocidiens, surpris les Thermopyles, cette porte de la Grèce centrale, et dépeuplé la Phocide au moment même où il venait de signer la paix avec Athènes. C’est cet instant que choisit Isocrate pour publier, en 346, sous forme d’une harangue ou d’une lettre adressée à Philippe, un manifeste où il expose ses idées sur la situation ; il y rappelle le langage que, depuis l’avènement de Philippe, il n’a cessé de tenir dans le cercle qui l’entoure ; il y parle d’un discours qu’il avait commencé pour conseiller cette paix qui vient de se conclure. Par là, on peut juger du rôle qu’a joué Isocrate à Athènes, pendant le cours de cette grande lutte où devait périr la liberté grecque. Pendant plus de dix ans, il travaille à endormir Athènes ; il contrarie les efforts de ceux qui, comme Hypéride, Lycurgue et Démosthène, voudraient ouvrir les yeux de leurs concitoyens, et les décider à combattre le mal dans son germe, fût-ce même au prix de grands sacrifices. Il vante la générosité et la modération de Philippe, ainsi que son amitié pour Athènes ; il va même jusqu’à soutenir que, s’il fait des conquêtes en Chalcidique et en Thrace, c’est avec l’intention bien arrêtée d’en réserver une part aux Athéniens, de leur offrir des compensations. Le goût du bien-être, l’aversion pour le service militaire, qui se répandaient de plus en plus à Athènes, disposaient les âmes à partager ces illusions ; on avait trop d’intérêt à en croire Isocrate plutôt que Démosthène pour ne pas accueillir volontiers des assurances données avec tant de conviction par un si honnête homme.

C’est ainsi que sans s’en douter Isocrate faisait gratis ce que l’on payait si cher à Eschine et à Démade : il trahissait les intérêts de la Grèce et travaillait à abaisser devant Philippe cette Athènes qu’il aimait tant. Pour récompenser ce naïf complice, dont la candeur devait le faire sourire, il n’en coûtait à Philippe que quelques égards et quelques complaisances. Par les lettres qui nous sont parvenues sous le nom d’Isocrate et dont on admet en général l’authenticité, on voit qu’il y avait une correspondance suivie entre le rhéteur octogénaire et la cour de Pella. Le rusé Macédonien ne refusait aucun. concours et ne décourageait aucune sympathie ; il chargeait donc Pythéas, l’ancien élève d’Isocrate, de répondre, par quelque belle épître écrite dans la langue du maître, aux louanges mêlées de conseils que lui prodiguait Isocrate. Celui-ci ne se sentait pas de joie à ces marques de déférence et de respect dont le comblait un prince victorieux ; il répétait à tous ceux qui l’approchaient que l’on calomniait Philippe, et que, si le roi continuait la guerre, la faute en était à tous ces brouillons d’orateurs qui ne cessaient de l’attaquer et de l’insulter. Cependant Philippe, tout en protestant de son goût pour la paix et de son amitié pour Athènes, avançait toujours. Maître des Thermopyles, allié de Thèbes, il menaçait déjà la frontière de l’Attique et les défilés du Cithéron. Pour détromper Isocrate, il faudra Chéronée. Philippe vient d’anéantir par le fer et le feu un des peuples les plus braves de la Grèce, les Phocidiens ; il a changé leur territoire en un désert où fument encore partout les ruines. Alors même Isocrate ne voit encore à la Grèce qu’un ennemi, la Perse ; il n’a qu’une idée, décider tous les Grecs et Athènes la première, cette Athènes dont il avait jadis retracé lui-même la glorieuse histoire, à s’incliner devant le Macédonien et à s’enrôler sous sa bannière pour aller conquérir l’Asie. Ainsi, lorsqu’en 1866 la Prusse se préparait à écraser l’Autriche qu’elle avait compromise, il s’est trouvé en France tout un groupe d’écrivains pour soulever les esprits contre l’Autriche et pour exalter la Prusse, « puissance protestante et libérale. » Contre cette malheureuse Autriche, on exploitait de vieux souvenirs, comme Isocrate contre la Perse ceux des guerres médiques, et, pour détourner les yeux des ambitions prussiennes, on insistait sur le péril imaginaire de je ne sais quelle restauration du moyen âge rêvée par l’Autriche. De même Isocrate, quand Philippe franchissait les Thermopyles, le saluait comme « l’homme providentiel » chargé d’arracher la Grèce au danger d’une nouvelle invasion asiatique. Quand il s’agit d’embrouiller les idées de tout un peuple et d’égarer l’opinion, ceux qui y travaillent de bonne foi sont encore plus dangereux que les sophistes à gages : il est un certain air de conviction qui ne s’imite pas. Dupe lui-même, Isocrate a peut-être à son insu rendu plus de services à Philippe que les orateurs, j’allais dire les journalistes, qu’il soudoyait à Athènes.

Nous avons eu nos Isocrates dans ces tristes années que nous venons de traverser ; mais ils n’écrivaient pas le français comme Isocrate écrivait le grec. La langue, l’art, les finesses de style, c’est ce qui reste jusqu’au bout sa principale préoccupation. C’est à ce titre surtout que l’on peut lire avec quelque intérêt le Panathénaïque, où il reprend d’une plume alanguie par l’âge le thème qu’il avait traité quarante ans plus tôt, l’éloge d’Athènes. Il avait quatre-vingt-quatorze ans quand il commença cette œuvre, quatre-vingt-dix-sept quand il l’acheva. Isocrate était né académicien : il faut voir comme, au terme de sa longue vie, il jette un coup d’œil de satisfaction sur tous ces beaux discours qu’il a écrits, sur ce dernier discours qu’il donne aujourd’hui au public. Il y a surtout un passage curieux, où il se montre à nous entouré de trois ou quatre jeunes gens, éplucheurs de phrases comme lui et « regratteurs de mots, » qui s’exercent sous sa direction à toutes les subtilités de la rhétorique, à toutes les combinaisons de la période ; ces respectueux disciples, dociles confidens, lui renvoient l’écho de la naïve admiration que lui inspirent ses propres ouvrages. Ce qui fait sourire, c’est qu’avec tout cela Isocrate, toujours de la meilleure foi du monde, nous parle de sa modestie. Là s’étale encore avec complaisance l’idée qu’il se fait de son importance, ainsi qu’une disposition chagrine dont on trouverait de bonne heure la trace dans ses autres écrits. Cette apologie ou plutôt cette glorification de sa personne et de son rôle, à laquelle Isocrate revient dans l’exorde du Panathénaïque, il l’avait déjà présentée, une quinzaine d’années auparavant, avec plus de force et de talent, dans le discours sur l’Antidosis ou « l’échange » (354). Là, se supposant traduit devant un jury athénien et en présence d’accusateurs acharnés contre lui, il avait répondu, en termes qui ont souvent leur énergie et leur noblesse, aux reproches que lui adressaient ses détracteurs ; pour mieux faire ressortir l’unité de sa vie, le caractère patriotique et moral de son enseignement, il avait cité et reproduit dans cette composition de nombreux passages de ses discours antérieurs. Si nous n’avons pas insisté sur ce curieux ouvrage, c’est qu’il a été, ici même, pour un de nos maîtres, M. Havet, l’occasion d’une remarquable étude que les lecteurs de la Revue n’ont pas encore eu le temps d’oublier[3]

On sait fort peu de chose sur ces dernières années d’Isocrate en dehors de ce qu’il nous apprend lui-même de son rôle public et de son état d’esprit. Son aisance, quoi qu’il en dise, était presque de la richesse. Bien qu’il n’y eût rien en Grèce qui ressemblât à ce que nous appelons la propriété littéraire, ses discours ne lui avaient pas moins rapporté que ses honoraires de professeur. On lui payait très bien des éloges dont on tirait vanité, des conseils que l’on était toujours libre de ne pas suivre. Pour le seul éloge d’Évagoras, Nicoclès lui envoya 20 talens, plus de 110,000 francs. Aussi Isocrate fut-il désigné trois fois pour la triérarchie ou l’équipement d’un vaisseau de guerre, charge qui n’atteignait à Athènes que les citoyens les plus opulens. Deux fois, raconte-t-on, il réussit à décliner ce fardeau ; la troisième fois, il ne chercha plus à s’y soustraire et fournit largement aux dépenses qu’il imposait. Déjà vieux, il épousa Plathané, la veuve du sophiste et rhéteur Hippias. Elle avait trois enfans de son premier mari ; Isocrate adopta le plus jeune, Apharée : il ne pouvait mieux choisir. Dans cette maison où il allait chercher les soutiens de sa vieillesse, on avait déjà le culte de la rhétorique. Apharée paraît avoir été pour Isocrate un fils respectueux et dévoué. Il représenta en justice son père adoptif ; il eut le crédit de lui épargner par son éloquence une de ces triérarchies auxquelles on prétendait l’astreindre. Après la mort de l’orateur, il se fit l’éditeur et le commentateur de ses ouvrages.

Ce devait être pour Isocrate un allégement aux misères de l’âge que de se voir entouré des soins affectueux d’une femme et d’un fils si bien préparés à l’aimer et à l’admirer. Il pouvait aussi s’estimer heureux entre tous de conserver si tard toutes ses facultés sans qu’elles eussent sensiblement baissé. Bien peu d’hommes peuvent encore, à plus de quatre-vingt-dix ans, cultiver les lettres et faire œuvre d’écrivain. Malgré tant de raisons de bénir la destinée, ses dernières années paraissent avoir été tristes. Toute la gloire que lui avaient procurée ses écrits ne l’avait pas encore consolé de n’avoir jamais pu parler en public ; il souffrait des succès retentissans qu’obtenaient à côté de lui des hommes qu’il affectait de mépriser, les Eschine, les Hypéride, les Démosthène. Ce n’est pas tout : il se croit environné d’envieux et d’ennemis, dont les uns l’attaquent-ouvertement, tandis que les autres, plus perfides et plus dangereux, le déshonorent en se couvrant de son nom et en pillant ses ouvrages ; ce sont ces sophistes, comme il les appelle lui-même, contre lesquels il a écrit un discours tout plein d’amertume et de mauvaise humeur. Quoi qu’il en ait dit, la postérité se refuse à voir en lui autre chose que le plus brillant et surtout le plus honnête des sophistes. Enfin il est une dernière souffrance qu’Isocrate n’avoue point, mais dont nous pouvons nous faire une idée, connaissant son patriotisme et sa loyauté : dans le cours de ces longues insomnies auxquelles sont condamnés les vieillards, il dut souvent se prendre à douter de Philippe, ce terrible vainqueur dont il avait garanti avec tant d’apparat les intentions pacifiques et le désintéressement. Pourquoi le roi rendait-il la tâche si difficile à ses amis ? Comment expliquer, comment justifier la destruction d’Olynthe, l’occupation des Thermopyles, la ruine et l’incendie promenés dans toute la Phocide ? Philippe ne le laissa pas longtemps dans l’embarras. En 338, ramené dans la Grèce centrale par une nouvelle guerre sacrée, spécieux prétexte que lui offrit la complicité d’Eschine, le roi saisit tout d’un coup Élatée et marcha sur l’Attique ; si Thèbes, sur laquelle il croyait pouvoir compter, ne lui eût, à la voix de Démosthène, barré le passage, il était en peu de jours au pied même de l’Acropole. Quelques semaines plus tard, la supériorité de l’instruction militaire et de la discipline donnait la victoire aux Macédoniens ; sur le champ de bataille de Chéronée, mille Athéniens étaient tombés pour ne plus se relever. Le jour même où l’on célébrait les funérailles publiques de ces morts, où Démosthène, au nom de la cité, leur rendait un suprême hommage, on apprit, que le vieil Isocrate venait d’expirer. Il avait plus de quatre-vingt-dix-huit ans.

Cette coïncidence était trop frappante pour ne pas tenter les faiseurs d’anecdotes qui abondèrent à l’époque alexandrine. Plus tard donc on raconta que, ne voulant pas survivre à ce désastre, Isocrate s’était laissé mourir de faim. Ceci nous semble, comme à M. Havet, une pure légende. Ne suffit-il pas, pour abattre le vieillard, d’une si lugubre nouvelle et d’un si rude choc ? La voix avinée de Philippe insultant au milieu des cadavres les prisonniers athéniens n’était-ce pas un assez brutal démenti à toutes ces illusions, à toutes ces espérances qu’avait caressées et accréditées le crédule rhéteur ? Isocrate, malgré toutes ses faiblesses, malgré sa vanité et ses courtes vues, aimait tendrement sa patrie ; on se plaît à le voir, frappé du même coup que sa chère Athènes, défaillir et fermer les yeux à l’heure où, selon l’expression de l’orateur Lycurgue, « la liberté de la Grèce fut ensevelie dans le tombeau des vaincus de Chéronée. » Il avait vécu presque un siècle.

Dans le cours de cette longue existence, que d’hommes et de choses avaient passé devant lui ! Comme le monde grec, au moment où il en sortait, présentait un aspect différent de celui sur lequel s’étaient promenés ses premiers regards ! Dans les heureuses années de son adolescence, Athènes, était la capitale politique d’un grand empire, et en même temps l’ardent foyer où venaient se concentrer toutes les flammes du génie grec et d’où partaient ses plus purs, ses plus étincelans rayons. A côté d’elle, Sparte, Thèbes, Corinthe, Argos, bien d’autres cités, pleines de sève, de virile et guerrière énergie, semblaient promettre à la Grèce un avenir sans fin d’indépendance et d’activité féconde. Quelle menace extérieure, quelle conquête pouvait avoir à craindre cette Grèce, si souple et si résistante tout à la fois, contre laquelle était venu se briser le colossal effort de toute l’Asie conjurée ? Quant à ces peuples à demi barbares qui s’agitaient sur sa frontière septentrionale, Épirotes, Macédoniens et Thraces, ils étaient étrangers à la science du gouvernement et à celle de la guerre, ils étaient incultes, pauvres et grossiers ; les plus habiles de leurs chefs, ceux qui se targuaient de descendre des héros grecs, n’avaient d’autre ambition, lorsque leurs sauvages voisins leur laissaient quelque repos, que de recevoir comme un lointain reflet de la civilisation hellénique.

Les observateurs, même les plus pénétrans, un Thucydide par exemple, n’auraient jamais imaginé que la Grèce eût rien à redouter du côté du Pinde et de l’Olympe. Isocrate avait grandi, et au moment où il entrait dans l’âge mûr il avait vu Athènes ruinée par ses imprudences et par l’excès de son ambition, accablée par les désastres de Sicile et d’Ægos-Potamos, prise et démantelée, puis condamnée à l’affront d’une cruelle tyrannie que soutenait une garnison étrangère ; il l’avait vue ensuite se relever avec une élasticité et un ressort merveilleux, de manière à grouper bientôt autour d’elle la plupart de ses anciens alliés. Alors donc que, touchant à la vieillesse, il écrivit le panégyrique, il put espérer que l’avenir d’Athènes ne serait point indigne de son passé, il put croire qu’elle ressaisirait bientôt cette hégémonie ou direction des affaires grecques dont Sparte l’avait dépouillée pour se voir à son tour supplantée par Thèbes. De nouvelles fautes vinrent entraver l’essor de cette puissance et de cette prospérité renaissantes ; la guerre sociale brisa la confédération dont Athènes était redevenue le centre. Il avait fallu renoncer aux espérances dont l’orateur s’était fait, devant toute la Grèce, l’éloquent interprète. Alors même l’infatigable vieillard ne s’était pas découragé ; il avait cru qu’Athènes obtiendrait, par son désintéressement et son respect de la justice, ce qu’elle n’avait pu conquérir par la diplomatie et par les armes ; il avait auguré pour elle un temps où, débarrassée des soucis de l’empire, tout entière aux arts de la paix, elle jouirait, au milieu de la Grèce, qu’elle n’inquiéterait plus par ses ambitions, d’une sorte de primauté et de magistrature morale. Ce serait le moment où, réunie dans une même pensée sans être soumise à aucune domination, la Grèce pourrait enfin tourner toutes ses forces contre l’ennemi commun, le roi de Perse, et venger les anciennes injures. Philippe vint troubler ce beau rêve. Au lieu de pénétrer ses desseins, Isocrate, attaché à sa chimère avec une obstination sénile, se mit à compter sur le Macédonien pour la réaliser. Au lieu de pousser son peuple, comme Démosthène, à faire, quoi qu’il dût advenir, son devoir de premier soldat de la liberté grecque, il travailla, sans le vouloir, à le tromper et à l’endormir ; il se fit l’involontaire complice des lâches et des traîtres. Arrivé au terme d’une existence qui avait dépassé la mesure ordinaire, il vit la bataille de Chéronée consommer sans retour l’abaissement d’Athènes et l’asservissement de la Grèce. Quand il apprit cette nouvelle, dans le désespoir auquel il succomba, il devait y avoir non-seulement de la douleur, mais du remords. Isocrate avait, pour sa part, ouvert le chemin à Philippe, il avait contribué à la défaite et à la chute de cette Athènes qu’il avait tant aimée, et qu’il avait connue, dans les beaux jours d’autrefois, si grande et si glorieuse.

Cette longue vie, que l’historien ne peut résumer sans tristesse, nous a donc offert le tableau d’une décadence politique lente, mais ininterrompue : au moment où notre récit se clôt par la mort d’Isocrate, le joug macédonien va s’appesantir sur Athènes et sur la Grèce ; il va les préparer à subir, presque sans secousse, au bout d’un autre siècle, la conquête romaine. Nous éprouverions une impression toute différente, si nous n’avions étudié dans Isocrate que l’homme de lettres et l’écrivain. Le génie d’Athènes n’est pas encore épuisé ; il crée encore des formes nouvelles et perfectionne celles qu’il avait déjà ébauchées. Isocrate était encore jeune quand la tragédie expirait avec Euripide et l’ancienne comédie avec Aristophane, quand se tarissaient ainsi les deux dernières sources de haute et grande poésie qu’ait fait jaillir du sol, comme l’antique Pégase, l’imagination grecque ; mais c’est peu d’années avant sa mort que naît ce Ménandre qui, avec tant de charme encore et de grâce, quoiqu’avec moins de puissance, va créer le type où la comédie latine et la comédie moderne chercheront leurs modèles. Dans tous les genres qui se servent de la prose, il y a un rapide et brillant progrès. C’est du vivant d’Isocrate que la prose grecque devient pour le monde ancien ce que la prose française a été pour le monde moderne, le plus merveilleux instrument que les hommes aient eu à leur disposition pour exprimer des idées générales, pour faire de la politique, de la morale, de la philosophie ou de la critique. Nous avons assisté aux débuts de la prose attique, nous savons tout ce qui manquait à ceux qui les premiers l’ont marquée de leur empreinte. — Ainsi Gorgias, par le luxe de ses métaphores, par la cadence trop uniforme de ses chutes, par la régularité de ses allitérations et de ses assonances, fait éprouver à l’esprit une sorte de fatigue et d’embarras. Cette accumulation d’images, ce rhythme si monotone, si ce n’est plus de la poésie, ce n’est pas encore de la prose. Thucydide a déjà effacé cette couleur poétique ; mais chez lui, au moins dans ses discours, la phrase est toute coupée d’incises, toute bouleversée par de brusques changemens de construction : elle éclate en quelque sorte sous l’effort de ce puissant esprit, qui a plus d’idées qu’il ne peut en rendre, qui sacrifie sans cesse l’ordre grammatical à l’ordre logique. C’est chez Isocrate le premier que la prose grecque atteint sa perfection. C’est par l’emploi réfléchi de la période qu’il arrive à ce résultat. La période, c’est une phrase où les idées sont distribuées dans un ordre qui rend leurs rapports logiques sensibles à l’oreille et aux yeux. Les idées secondaires s’y groupent autour de l’idée principale comme autour d’un centre organique ; les mots importans y sont placés en un lieu où la prononciation les détache et les signale ainsi à l’esprit ; un certain rapport d’étendue, une certaine ressemblance de son, sans rien de trop marqué ni de trop exactement pareil dans cette concordance, indiquent les idées qui s’ajoutent ou s’opposent l’une à l’autre, les gradations et les antithèses. Par cette savante construction de la période, Isocrate arrive à ce que nous appelons le nombre oratoire, qui est très distinct du rhythme poétique ; le nombre donne à la prose une harmonie propre, moins mécanique, plus libre, plus difficile à définir que celle des mètres prosodiques, — mais dont les effets discrets et variés ne touchent pas moins vivement une oreille délicate. — Chez Andocide et Lysias, on remarque parfois déjà des phrases d’un ample développement ; on y voit naître le sentiment de l’harmonie et de la cadence qui conviennent à la prose oratoire ; mais ce ne sont encore là que des rencontres heureuses. C’est bien à Isocrate que revient l’honneur d’avoir découvert les lois de la période et du nombre, de les avoir appliquées d’une manière aisée et suivie, et de les avoir enseignées à ses contemporains. Ajoutez à cela un soin scrupuleux, on peut même dire méticuleux, apporté au choix des mots, une application continue à rendre les nuances les plus fines de la pensée grâce à l’exacte propriété des termes, et, quand même vous ne pourriez goûter le plaisir de lire dans l’original la prose attique, vous comprendrez ce que la langue dut à Isocrate, et quels furent ses mérites comme écrivain.

Isocrate ne s’est guère servi de son merveilleux instrument que pour exprimer les idées communes de son siècle, le fond de ses écrits n’a plus pour nous qu’un intérêt historique, et avant qu’il eût disparu de la scène, d’autres profitaient pour le dépasser des exemples qu’il avait donnés. Platon lui-même, malgré la hauteur et l’originalité de sa pensée, a dû apprendre certains secrets du métier chez cet Isocrate dont il fait dans le Phèdre un si vif éloge ; mais ce sont surtout les orateurs qui viennent s’instruire à cette école. Si Lysias, avec sa phrase plus leste et plus courte, avait pu fournir des modèles parfaits de l’éloquence judiciaire telle que l’entendaient les Athéniens, il faut à la grande éloquence politique plus de souffle et plus d’espace. Or la phrase de Démosthène et de ses plus brillans rivaux, les Eschine et les Hypéride, n’est autre chose que celle d’Isocrate, remplie d’idées plus neuves et plus fortes, échauffée et colorée par la passion. C’est ainsi qu’en tout temps, avant les hommes de génie, on voit paraître les hommes de talent qui déblaient et ouvrent la voie, qui préparent les matériaux. L’erreur d’Isocrate a été de se croire un philosophe et un politique, de se figurer qu’il écrivait, lui aussi, pour la postérité ; il n’était qu’un industrieux et habile ouvrier dont le rôle se borne à dresser le moule où d’admirables artistes feront ensuite couler à flots le métal en fusion, le bronze de leurs immortelles statues.


GEORGE PERROT.

  1. Voyez la Revue du 15 août.
  2. C’est à cette époque qu’appartiennent l’Exception contre Callimaque, l’Éginétique, le discours contre Lochitès, et probablement aussi le Trapézitique, le meilleur et le plus intéressant de tous les plaidoyers privés d’Isocrate.
  3. . L’Art et la Prédication d’Isocrate, 15 décembre 1858. Nous n’aurions pas même osé toucher à Isocrate après M. Havet, si le but que nous nous proposions d’atteindre n’eût été différent du sien. Ce que nous voulions faire, c’était raconter la vie d’Isocrate, le replacer dans son cadre, esquisser à propos de lui un chapitre de l’histoire d’Athènes. Sur l’art d’Isocrate, sur le caractère de son éloquence et de son style, sur son influence et. ses imitateurs, nous n’aurions rien pu ni ajouter ni changer à ce que M. Havet a si bien dit ; son étude est un chef-d’œuvre de finesse et de précision. On la trouvera reproduite, avec d’importantes additions, dans le beau volume sorti des presses de l’imprimerie impériale, qui a pour titre le Discours d’Isocrate sur lui-même, intitulé sur l’Antidosis, traduit en français pour la première fois par Auguste Carte-lier, revu et publié avec le texte, une introduction et des notes par Ernest Havet, in-8o 1862.