L’Émigré/Lettre 001
L’ÉMIGRÉ.
LETTRE PREMIÈRE.
à
Melle Émilie de Wergentheim.
Enfin vous voilà, ma chère Émilie,
débarrassée des Français. Que je vous
ai plaint pendant que vous étiez sous
leur domination, et combien j’ai craint
pendant le siège pour ma tendre amie,
pour tout ce qui l’intéresse ! Que
de fois je me suis réveillée la nuit en sursaut, les yeux remplis de larmes !
Enfin je respire, Émilie est hors de
tout danger, et se porte bien ; elle est
à présent au milieu des fêtes, et le
bruit du canon est remplacé par le
son des instrumens. On dit que le
roi de Prusse a été reçu comme un
dieu descendu du ciel pour le bonheur
des humains. C’est votre libérateur,
et je défie aucun de ses sujets
d’avoir autant que moi d’attachement
pour sa personne. J’ai pensé dire d’amour,
car on emploie ce terme pour
les rois comme pour Dieu ; mais le
roi de Prusse, d’après ce qu’on en
dit, serait homme à prendre une femme
au mot. Je ne pourrai pas d’ici
à quelques jours aller embrasser mon
Émilie, mon oncle doit revenir ce
soir, et son retour est déterminé par
une circonstance singulière, dont je
vous ferai part demain. Adieu mon aimable Émilie. Le frère de Jenny,
qui part pour Mayence, ne me donne
pas un quart d’heure de plus, pour
vous faire un récit intéressant, et me
livrer à tous les transports de ma
joie. Je vous embrasse mille fois du
plus profond de mon cœur que vous
remplissez entièrement.