L’Émigré/Lettre 024
LETTRE XXIV.
au
Président de Longueil.
Je m’empresse de vous apprendre,
mon cher Président, que votre amie
est retrouvée. Madame de Montjustin
vous écrit par le courrier une
lettre qui vous apprendra comment
je l’ai rencontrée, et ne vous laissera
rien ignorer de tout ce qui l’intéresse.
Les maîtres de la maison, instruits
de l’état de la marchande de fleurs,
l’ont accueillie avec la plus grande
considération. Le titre de Duchesse
n’a pas été auprès du bon Commandeur une faible recommandation ; mais il a
fallu bien peu de temps à madame de
Montjustin pour exciter ensuite
pour sa personne le plus vif intérêt,
et même de l’admiration. Madame la
comtesse de Loewenstein, à qui je
parle souvent de vous, est enchantée
de la connaissance de la Duchesse, et
partage votre joie. Je voudrais,
m’a-t-elle dit, être à sa place pour
éprouver tout ce que l’amitié doit
avoir de plus doux, dans un moment
ou l’on revoit une personne pour qui
on a tremblé tant de fois. Madame
de Loewenstein est avide de sentimens,
comme un ambitieux l’est
d’honneurs et de distinctions, un
avare d’argent ; jugez par là, mon
cher Président, du bonheur d’un homme
qui aurait excité dans son ame
un tendre sentiment. S’il suffit d’en
connaître l’étendue pour le mériter, personne n’en est plus digne que votre
ami. Chaque jour me fait découvrir
de nouvelles qualités dans cette
intéressante femme. Le charme de
sa société écarte loin de moi jusqu’à
l’idée du malheur. Je crois être dans
un séjour enchanté, et chaque jour
que j’ai à rester ici, est une partie
d’un trésor dont je regrette d’avance
la perte. Je vois avec peine avancer
ma guérison, quand je songe qu’elle
sera le terme de mon bonheur. Adieu,
mon cher Président, je finis à votre
exemple en disant. Vale et ama.