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L’Émigré/Lettre 064

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 228-230).


LETTRE LXIV.

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Bertrand à Jenny.


Dieu n’abandonne jamais les honnêtes gens, ma chère Jenny, en voici une nouvelle preuve. Hier, comme j’étais à donner un bouillon à monsieur le Marquis, est entré dans la chambre le père Schmitt avec un homme qui tenait une petite boîte et une lettre. Voilà, a dit Schmitt, un homme qui vient de Francfort avec de bel et bon argent, à ce qu’il dit. Cela fera autant de bien à la santé de ce brave gentilhomme que toutes les drogues des apothicaires. Mon maître ayant lu son adresse sur la boîte, l’a ouverte et a trouvé dedans une lettre qu’il a lue, et deux bons rouleaux de cent ducats chacun. Il a demandé à l’homme qui lui avait remis cette boîte, et on lui a répondu que c’était le maître de la poste de Francfort, qui avait reçu l’argent par la poste de Suisse. Monsieur Schmitt, aussi joyeux que si l’argent avait été pour lui, a souhaité une bonne nuit à monsieur le Marquis, et ensuite a dit au courrier : allons, mon garçon, vous avez besoin de boire un coup ; venez goûter de notre bière et par-dessus le marché vous aurez un petit coup de rogome. Monfieur le Marquis m’a dit, voyant que j’étais tout en joie : cela vient fort à propos, mon pauvre Bertrand ; mais j’ai beau chercher, je ne vois que ce négociant de Francfort qui m’a fait banqueroute ; il aura eu un remords et m’envoie cet argent. Et que sait-on, Monsieur, quand Dieu touche le cœur des gens, ce n’est pas pour qu’ils restent à moitié chemin, et je crois, moi, que ce banquier est peut-être plus honnête homme qu’on ne pense, et qu’il nous rendra tout ce qu’il nous a pris ; et voici, ma chère Jenny, qu’il n’est plus question de vendre la montre, où j’espère que tu regarderas quelquefois l’heure qu’il est. Je vais donc la bien conserver, bien entendu que si, Dieu nous en préserve, monsieur le Marquis se trouvait dans le même cas, la montre, et tout ce que possède Bertrand, serait à son service. Adieu Jenny ; quand monsieur le Marquis se portera mieux, il ira au château, et Dieu sait si je le laisserai aller tout seul. Je t’embrasse, et, suis toujours de tout mon cœur ton fidelle Bertrand.

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