L’Émigré/Lettre 080

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 311-313).


LETTRE LXXX.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Je n’éprouverai jamais de trouble pareil à celui où m’a jetée votre lettre, mon aimable Émilie, et il m’est impossible en ce moment encore, de rappeler mes sens, pour vous exprimer tout ce qui s’est passé en moi. Je tremble, je tremblerai jusqu’au moment où le Marquis aura reçu ma lettre… Je lui ai écrit sans perdre de temps, et j’ai envoyé ma lettre par un exprès, à qui j’ai recommandé la plus grande diligence. Je pense comme vous ; comment être rassurée en pareille circonstance ! qui peut répondre des idées funestes, qui d’un instant à l’autre s’élèvent dans la tête d’un homme égaré par le désespoir ? Il a tout perdu, patrie, amis, parens, fortune, et dans cet état affreux de privations, son cœur devenu encore plus sensible par le malheur, s’est attaché à un objet, qui n’aurait peut-être pas fait grande impression sur lui dans une autre circonstance ; on lui enlève cet objet, à qui le besoin d’aimer a prêté mille charmes, et je conçois son désespoir. Je l’ai maltraité, il n’a pu supporter ce dernier malheur, ajouté à tant d’autres. J’attends avec un battement de cœur perpétuel, le retour de mon exprès. S’il était arrivé trop tard !… si des réflexions douloureuses sur ses malheurs passés, sur la circonstance qui les a tous fait revivre, portaient de nouveau un trouble affreux dans son esprit… je frémis. Adieu, je vous écrirai ce soir par un autre exprès. Adieu, mon Émilie.

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