L’Émigré/Lettre 113

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IIIp. 228-231).


LETTRE CXIII.

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Le Commandeur de Loewenstein
à Madame
La Cesse de Loewenstein.


J’ai fait votre commission, ma chère sœur, auprès de madame la Duchesse, et nous n’avons pas eu besoin d’attendre la réponse du Marquis, il était chez elle ; j’ai fait part à ce brave homme des intentions favorables de notre ami le comte d’Ermenstein ; il y a été aussi sensible qu’il le doit, mais un obstacle insurmontable l’empêche d’accepter d’aussi flatteuses propositions, et je n’ai rien à répondre. Son nom, m’a-t-il dit, ne lui appartient pas mais à toute sa maison, dont il est le chef, et il ne lui est pas permis de l’enterrer dans l’oubli, d’éteindre ainsi le souvenir d’une longue suite d’illustration et de services, enfin son père vit, et quoique philosophe et peu attaché aux préjugés de la naissance… je l’ai arrêté, par parenthèse sur ce mot de préjugés : dites droits, monsieur le Marquis, et c’est tout ce que j’ai eu à reprendre dans son discours. Mon père ne fera pas, a-t-il ajouté, le sacrifice qu’on exige ; les mêmes principes qui le font demander le porteront à le refuser ; c’est par un juste attachement à son nom que monsieur d’Ermenstein désire que le mari de sa petite-fille le perpétue, le même motif doit m’empêcher de renoncer au mien.

Je n’ai rien eu à répondre à un tel raisonnement, et n’ai pu qu’applaudir à la noblesse des sentimens de ce cher Marquis ; malgré mon chagrin de voir manquer une affaire aussi avantageuse pour lui. Le Marquis au resté, m’a plusieurs fois répété que le nom d’Ermenstein était glorieux à porter, et que s’il lui était permis de renoncer au sien, il ne pourrait l’échanger contre un plus illustre. Je me suis étendu alors avec plaisir sur l’antiquité, et la splendeur de la maison d’Ermenstein avec laquelle la nôtre a plusieurs alliances ; je ne lui ai pas même laissé ignorer qu’un célébre généalogiste de l’ordre Teutonique en changeant er en ar, et men en min et stein en ius ce qui n’est pas trop forcé, faisait remonter cette maison au grand Arminius, ou Irmensal.

Je vous prie, ma chère sœur, de faire part au Comte de ce qui s’est passé dans notre entrevue, et de lui dire que je n’ai rien oublié, comme vous le voyez, de ce qui pouvait donner au Marquis une juste idée de la grandeur de sa maison ; parlez-lui aussi de la reconnaissance et des regrets du Marquis, et dites que ce digne homme a parlé de lui avec une haute considération, et avec beaucoup d’estime de la jeune Comtesse. Adieu, ma chère sœur, comptez toujours sur ma tendre affection et embrassez pour moi ma chère nièce.

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