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L’Émigré/Lettre 124

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 40-69).


LETTRE CXXIV.

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Le Comte de St. Alban
au
Marquis de St. Alban.


Je profite d’un moment de calme, mon cher fils, pour vous écrire, non mes dernières volontés, car je n’ai rien à faire exécuter, mais pour vous instruire de ma situation, et vous faire passer des secours que vous a ménagés mon amitié. Je joins un petit recueil de maximes, croyant vous devoir mes pensées comme ma fortune, afin de vous laisser tout ce que je possède. Si vous n’usez pas de mes maximes, elles seront pour vous ce qu’est le portrait d’une personne qui nous fut chère, ou qui du moins vous a aimé, elles me rappelleront à votre souvenir : leur ensemble forme en quelque sorte le tableau de mon ame.

Je n’entreprendrai pas de vous donner d’autres conseils, car je sais trop combien ils sont inutiles en général, et à quel point l’imprimerie a détruit l’influence paternelle. Que pourrais-je vous dire, que des écrivains, qui ont beaucoup plus de lumières, ne vous ayent bien mieux enseigné ? Mes conseils au reste seraient conformes aux principes que vous suivez, et qui, changés pour la plupart des hommes en préjugés, n’en étaient que plus utiles à la société. La noblesse française et le peuple étaient plus qu’aucune autre nation attachés à leur Roi, et leur cri de vive le roi, dont l’accent partait de l’ame, avait sa racine dans une longue suite de faits. Aucune race de souverains ne régnait sur un grand peuple depuis un aussi grand nombre d’années, et l’origine de la nation se confondait en quelque sorte, avec celle de la dynastie régnante : de là ce respect profond des Français pour leurs monarques. La majeure partie de la nation leur devait la liberté dont elle jouissait depuis six cents ans : de là cet amour, pour ainsi dire inné, et qui pour n’être pas raisonné, n’en était peut-être pas moins fondé sur la raison. Vous vous êtes ainsi dévoué, mon fils, à la monarchie, sans vous en rendre compte ; une perspective éclatante et l’accueil favorable qu’on vous a fait à la cour, vous ont inspiré de bonne heure un attachement particulier pour le monarque. Ainsi votre éducation, votre naissance, votre ambition et la reconnaissance vous ont rendu nécessairement partisan de l’ancien régime. J’étais autrefois bien éloigné de penser de même, et mes sentimens se sont ressentis, presque jusqu’à ce jour, de la manière dont j’ai passé ma première jeunesse. Élevé dans un collège, je ne me suis point regardé comme un être privilégié ; des camarades forts et courageux m’ont appris à me défier de mes forces, et d’autres, spirituels et appliqués, à ne point m’aveugler sur mes talens sans cesse comparés. Je lisais avec intérêt les anciens auteurs, ils m’inspiraient la haine de l’oppression, et l’amour de la liberté. Ensuite les tragédies de Corneille et plusieurs de celles de Voltaire fortifièrent en moi ce penchant vers cette liberté, idole des anciens peuples. L’histoire des temps modernes ne m’inspirait que du dégoût : elle me présentait des usurpateurs barbares, des superstitions cruelles et stupides, au lieu des charmantes allégories de l’antiquité ; enfin des noms dissonans hérissés de consonnes, au lieu des noms harmonieux des héros Grecs et Romains. Les idées de liberté et de grandeur d’ame attachées en quelque sorte au peuple de la Grèce et de Rome, en me faisant contracter du mépris pour nos gouvernemens, éteignirent en moi jusqu’au germe de l’ambition ; il m’aurait fallu, pour lui donner l’essor, être transporté dans le Forum. Quand je voyais les courtisans se presser à la toilette de madame de Pompadour et assiéger la porte, de quelques ministres ; quand je songeais que ceux qui s’élevaient aux plus grands emplois, n’auraient osé révéler par quels bourbeux sentiers ils avaient dirigé leur marche oblique, je mettais en opposition le brillant Alcibiade ami de Socrate et de Périclès, les Hortensius, les Cicéron régnant par la parole, élevant ou abaissant à leur gré les flots d’un peuple tumultueux ; enfin marchant rapidement à la clarté de leurs vertus, dans la brillante carrière des honneurs.

L’état militaire était le seul qui convînt à ma naissance, et j’entrai au service par obéissance pour mes parens ; mais cet état me répugnait ; j’avais de la peine à me résoudre à être l’instrument du caprice des rois, et à faire couler le sang des hommes pour une gloire mensongère ; la mort de mon père m’ayant rendu libre, je m’empressai de quitter le service.

Depuis cette époque je ne songeai qu’à faire aux hommes qui m’environnaient, tout le bien que comportaient mes facultés. L’organisation des êtres animés me parut être ce qu’il y avait de plus admirable dans la nature, et respectant jusqu’à la vie des animaux, je répétais souvent avec enthousiasme ces sublimes vers de Métastase :

« Il torre altrui la vita,
« E facotta commune
« Al più vil della terra. Il dar’ la è solo
« De’ numi e de’ regnanti. »

Je me livrai à l’étude, mais désespérant de pouvoir approfondir le système physique et moral de l’univers, je me bornai bientôt aux ouvrages de pur agrément. Les plaisirs sont la seule ressource de l’homme ardent et passionné dont l’ambition est contrariée : je ne pouvais prétendre à jouer le rôle de Cicéron et je pris celui de Pétrone. Le goût des lettres et l’amour d’une vie voluptueuse amortirent en peu de temps mon ambition, et jusques à l’assemblée des Notables je ne fus occupé que des lettres, de mes plaisirs et du bien que je pouvais faire aux hommes.

La perspective des États-généraux réveilla une partie de mes anciennes idées, mais elles étaient tempérées par l’âge. La grande scène qui s’ouvrit bientôt après leur assemblée, excita tout mon intérêt. Je pensai qu’il serait possible d’assurer la liberté et la propriété, et que le désir même de conserver ses richesses, qui rend égoïste, pourrait dans un siècle corrompu créer en quelque sorte un esprit public. Je me faisais donc l’idée d’un gouvernement tel que le peint Tacite, et qui est le mélange des trois genres de gouvernement. Ce beau songe fut bientôt suivi d’un funeste réveil ; la prise de la Bastille m’apprit qu’il n’y avait plus de roi.

Le trésor de l’opinion était épuisé, celui du fisc ne l’était pas moins, et je me rappelai alors ces mots du marquis de Mirabeau, imprimés dès le temps de Louis XV : « Sire vous avez vingt-quatre millions, plus ou moins de sujets, et vous en êtes réduit à ce point de ne pouvoir obtenir leurs services. » Je présageai le massacre du malheureux monarque et de sa noble et infortunée compagne ; mais un assassinat juridique ne se présenta pas, je l’avoue, à mon esprit. La déclaration des droits de l’homme, par son titre seul, animait le peuple, flatté d’entendre parler de ses droits. Les hommes ne naissent malheureusement pas égaux en droits, car dans l’état de nature, l’homme faible ou inepte n’a pas un droit égal à celui de l’homme fort et adroit, sur les animaux propres à sa subsistance. La nature, s’il m’est permis de me servir d’une telle comparaison, semble avoir établi un arbre de Cocagne, au haut duquel sont les objets nécessaires à la subsistance de l’homme et à sa conservation. Les plus adroits et les plus agiles atteignent le but, les autres languissent et meurent. À cette maxime des droits de l’homme il faudrait substituer celle-ci : « les hommes naissent égaux en droits à la protection de la loi. » Il n’est point de vérité absolue, et les hommes se trompent bien moins, faute d’entrevoir la vérité, que faute d’en apercevoir les limites. Les mots décevans d’égalité chatouillèrent l’oreille du peuple ; il se crut reporté aux premiers âges d’un monde fabuleux, et appelé à partager avec les riches. Ah ! combien, mon fils, il est faux que la nature qui s’embarrasse si peu des individus, ait fait les hommes égaux ; et combien on s’éloignerait de l’humanité en voulant rapprocher les hommes de ce que l’on appelle l’état de nature. Le monde considéré sous cet aspect, n’offre qu’une scène de douleur, uniforme et dégoûtante ; des millions d’êtres doués du sentiment et de la vie, qui ne se conservent qu’aux dépens, qu’au prix des souffrances et de la destruction d’autres êtres qu’ils dévorent, et qui ont de commun avec eux la sensibilité, peut-être même la pensée. Quels crimes ne seraient pas consacrés par le récit des guerres perpétuelles et sanglantes des habitans de l’air, des mers et de la terre ! Que le système de Pope est absurde, et qu’il est insultant pour l’humanité souffrante ! La nature fournit des germes, mais c’est à la raison, à la perfectibilité, dont l’homme a été doué, de les cultiver, les modifier et les développer.

On commençait à parler de république ; j’avais été leur admirateur dans ma jeunesse, et je relus avec le plus vif intérêt, l’histoire de la Grèce et de Rome. Combien alors je jugeai différemment ces temps et ces mœurs que mon esprit n’avait considérés que sous le côté brillant, que présente la réunion des plus grands talens. Entraîné par les circonstances à approfondir, je trouvai autant de barbaries exercées par ces hommes si polis, si éloquens, que par des hordes sauvages. J’aperçus aussi, en réfléchissant attentivement, qu’il n’y avait jamais eu de véritable démocratie. La noblesse parmi les Grecs donnait un ascendant marqué, et Rome avec ses Consuls, ses Dictateurs, ses Patriciens, ne présente aucune apparence d’égalité. Comment imaginer, me dis-je alors, d’établir sur d’immenses proportions, une machine qui n’a pu dans la Grèce réussir, même en petit ? Revenu des erreurs qui avaient enchanté ma jeunesse, je commençai à douter des avantages que retire l’homme du progrès des lumières, j’allai même jusques à croire qu’il était fatal par delà un certain degré ; enfin je fus frappé de voir que toutes les religions s’accordaient avec mon sentiment. Toutes sont en effet fondées sur le danger d’éclairer les hommes : ouvrez la bible, qui est une histoire sacrée et véritable, dont les autres nations ont emprunté les idées pour appuyer leurs fables, vous verrez dans ce livre, Dieu interdire à l’homme le fruit de l’Arbre de vie, qui communique la science du bien et du mal. Vous entendrez Dieu qui dit en parlant d’Adam : il se croit semblable à nous. Le peuple qui, brisant tous les liens, croit pouvoir gouverner, ne serait-il pas cet Adam qui se croit semblable à Dieu. La fable de Pandore est une copie de la Bible, et cet ingénieux emblème apprend également le danger de la curiosité de l’esprit. Il en est de même de celle de Prométhée qui ravit le feu du ciel, et du Satyre qui brûle sa barbe, en s’approchant du feu ; enfin les anciens mystères n’étaient-ils pas des précautions prises pour circonscrire la propagation des lumières dont l’abus est si dangereux ? En voyant les fondateurs des religions les appuyer toutes sur cette même idée, ne serait-on pas fondé à croire que, les hommes, dans des temps reculés et dont on ne peut fixer l’époque, avaient atteint le dernier degré des lumières qu’ils peuvent acquérir, et qu’une grande révolution ayant fait périr la plus grande partie de cette race d’hommes, les plus éclairés parmi ceux qui restèrent, frappés des inconvéniens de la science, crurent devoir faire leurs efforts pour la proscrire, et établirent des religions d’après ces principes ? Pénétré de ces idées, je déplorai les fatales lumières du dix-huitième siècle, et prévoyant les malheurs qui devaient résulter de la fermentation de la lie de la nation, je me retirai dans ma terre. On m’a cru misantrope dans le monde, tandis que la philantropie était en quelque sorte chez moi une passion. Le premier des hommes de ce siècle, est à mes yeux J. Howard parcourant l’Europe et l’Asie pour examiner la situation des malheureux détenus dans les prisons, et descendant dans les plus affreux cachots, pour adoucir le sort des victimes des institutions sociales.

Jugez d’après ces sentimens, de l’horreur que m’inspirent les temps présens, et même l’avenir qui me paraît chargé des plus sombres nuages. Si les Français sortent victorieux du grand combat où ils sont engagés, et si leur gouvernement se soutient pendant quelques années, quel état sera à l’abri de la contagion démocratique, s’il n’use pas des plus grandes précautions ? La doctrine de Luther s’est établie en moins de trente ans sur les ruines du catholicisme ; les peuples étaient alors plus superstitieux, et les idées qu’il s’agissait d’établir, pour la plupart abstraites ; enfin il fallait être à un certain point instruit pour discuter et persuader ; il n’en serait pas de même des idées de liberté, appuyées de l’exemple d’une grande nation, ornées de la gloire du succès. Je ne serais pas étonné que le chef de l’Empire, frappé de ces considérations, ne proscrive à la paix la langue française de sa cour et de ses états, n’interdise l’entrée des ouvrages écrits en cette langue et ne renvoie de son armée tous les déserteurs Français. Une langue, ne peut être dominante, sans que les idées qu’elle transmet ne prennent un grand ascendant sur les esprits, et une nation qui parle une autre langue que la sienne, perd insensiblement son caractère.

Après avoir passé une assez longue vie, dans un cercle de plaisirs et d’émotions agréables, la Révolution marchant à pas de géant m’a fait connaître que j’aurais peine à me dérober aux fureurs de ses agens ; je ne crains point la mort, c’est-à-dire de cesser d’être, mais je redoute infiniment la douleur. Il est évident, que menacé fortement d’une fin douloureuse, après avoir vécu sain et heureux, aussi long-temps que le comporte la nature humaine, la raison me dictait de mettre un terme à ma vie, et de me rendre maître de mes derniers momens pour en écarter les horreurs dont les aurait environné la barbarie révolutionnaire ; c’était abandonner un vase qui ne contenait plus que la lie d’une liqueur enchanteresse ; ce n’était que diminuer de quelques mois une carrière qui n’offrait plus que des craintes et des troubles, et qu’est-ce que ce peu de temps de plus à vivre, comparé aux souffrances et à l’humiliation de la captivité, à une mort violente, soufferte et donnée de sang froid ? J’étais déterminé à user d’un poison aussi sûr que prompt, que j’ai toujours porté sur moi depuis la Révolution, lorsque la nature bienfaisante m’a épargné cette peine. Ma poitrine s’est affectée, et le mal augmentant sans me faire souffrir, m’a conduit insensiblement au dernier terme. Je me suis alors occupé de vous faire passer les fonds que j’avais rassemblés pour vous ; tâchez de les placer surement en pays étrangers ; car ils sont peut-être votre dernière et unique ressource. Il faut avant tout se garantir de la misère ; tout autre malheur doit peu affecter un homme jeune et bien portant ; mais le besoin, la dépendance, et le mépris des autres empoisonnent la vie, flétrissent l’ame, abâtardissent le génie. Je ne vous demande point de vous souvenir de moi, car je ne suis pas assez insensé pour exiger et attendre d’un être aussi mobile et changeant que l’homme, des sentimens durables, et ces sentimens ne me serviroient à rien. Je ne vous parlerai pas non plus de ma tendresse paternelle ; ôtez de ce sentiment l’amour de la domination, et la vanité de se perpétuer, ôtez-en l’habitude, que reste-t-il ? La domination ne m’a jamais plu, et me fatiguerait ; la vanité, j’ai passé ma vie à la combattre ; l’habitude, j’ai peu vécu avec vous, et nos goûts et nos sentimens diffèrent comme nos âges. J’ai donc pour vous ce sentiment que produit l’impression d’un objet qui plaît : votre figure m’intéresse, votre esprit m’est agréable, et votre cœur m’a paru bon ; tout cela joint à la raison, m’a conduit à m’occuper de vous rendre heureux. Quel est ce sentiment ? Ce n’est pas celui qu’on appelle amitié ? non, car il suppose des rapports d’âge et de goûts, c’est donc affection, prédilection, et tel est mon sentiment pour vous. Adieu, je ne serai plus quand vous recevrez cette lettre.

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Si quid novisti rectuis istis Candidus imperti ; si non, his utere mecum.
Horace.


« La vertu n’est pas une chose arbitraire ; mais il faut savoir la définir, et en séparer tout ce qui tient à l’exaltation de l’ame. La vertu est l’amour de l’ordre, et l’art d’opérer son propre bonheur sans aucun dommage pour autrui. De l’habitude de cet ordre résulte une satisfaction intérieure, qui écarte de nous le trouble, les regrets, l’incertitude, et nous encourage à suivre la même route. »

« Chacun doit s’empresser de faire aux autres le bien que comportent ses facultés, sans attendre de reconnaissance, et sans mettre dans ses actes de bienfaisance, rien de passionné qui puisse compromettre le repos. »

« L’homme ne peut arriver à la bonté dont il est susceptible, que par la réflexion et le calme ; l’homme passionné a toujours entre les mains une arme dangereuse de laquelle il doit, ainsi que les autres, se défier. »

« Ce qui doit dégoûter de la science, c’est que jamais elle ne nous apprendra ni l’origine du monde, ni le premier principe des êtres, ni leur destination. »

« La science de la morale est la seule utile à l’homme ; elle doit être pour lui, ce qu’est au pilote la connaissance des vents et des écueils ; par elle on connaît les principes qui dirigent les actions des hommes, ce que l’on doit craindre ou espérer d’eux, elle nous éclaire enfin sur nos penchans, et nous apprend à les régler. »

« Deux penchans opposés attirent l’homme en sens contraire ; l’horreur de l’ennui et l’amour du repos : le grand art est d’échapper à l’un sans troubler trop violemment l’autre, de trouver un état mitoyen entre la léthargie et la convulsion. »

« Le plus grand des biens est la volupté des sens ; l’art le plus nécessaire au bonheur est de savoir jouir, et de savoir s’abstenir pour jouir mieux et plus long-temps. »

« Il est bon d’exercer son esprit pour se procurer des plaisirs à tous les âges ; il est bon de se former des plaisirs intellectuels, qui servent d’entr’actes aux plaisirs des sens, qui sont les seuls réels[1]; enfin, pour que l’imagination leur prête encore de nouveaux charmes, prolonge leur durée par d’ingénieuses recherches, et multiplie nos émotions. »

« Le terme des plaisirs doit être le degré où ils deviennent nuisibles à nous ou aux autres. »

« Celui qui a éprouvé dans sa journée, la somme de sensations agréables, dont ses organes sont susceptibles sans altération, et dont l’ame a éprouvé des émotions dégagées de trouble, a été heureux ce jour-là, et si le nombre de pareils jours l’emporte dans le cours de sa vie, il peut se dire en mourant, qu’il a eu de la nature un des meilleurs lots. »

« Il faut dans les maux physiques, employer des remèdes tirés du moral, et dans les chagrins des remèdes physiques, exalter l’ame pour faire diversion à la douleur, exercer et fatiguer le corps pour faire diversion au chagrin. »

« L’ambition est une passion dangereuse et vaine, mais ce serait un malheur pour la plupart des hommes que d’en être totalement dénués ; elle sert à occuper l’esprit, à préserver de l’ennui qui naît de la satiété ; elle s’oppose dans la jeunesse à l’abus des plaisirs, qui entraînerait trop vivement ; elle les remplace en partie dans la vieillesse, et sert à entretenir dans l’esprit une activité qui fait sentir l’existence, et ranime nos facultés. »

« Les grandeurs et la gloire perdent tout leur prix, quand on considère que celui qui sait les mépriser, est réellement au-dessus de celui qui est flatté de les posséder. »

« Les richesses par delà une certaine mesure ne servent pas au bonheur ; et l’homme sage doit ôter du prix qu’on y met, tout ce qui est relatif à la vanité. »

« L’habitude semble avoir été donnée à l’homme pour établir un équilibre de biens et de maux, elle diminue du prix des avantages dont jouit l’homme fortuné, et affaiblit le sentiment des maux et des privations qu’éprouve l’homme malheureux ; cette compensation bien examinée, on verra qu’il y a moins de différence qu’on ne croit entre le riche et le pauvre. »

« Ceux qui envient le sort des riches semblent croire qu’ils sont toujours prêts à jouir de tous les objets qui peuvent leur plaire, et qu’ils voient toujours avec une égale satisfaction les objets agréables qui les environnent ; cette erreur est pareille à celle des religieuses, dont le Prince d’Orange disait : “Elles croient que les maris goûtent sans cesse avec leurs femmes les plaisirs de l’amour, que les ambassadeurs écrivent du matin au soir, et que les militaires ont toujours le sabre à la main”. »

« Celui qui n’est pas heureux avec de la santé et de l’argent, est un fou. »

« Tout ce qu’il y a de moral dans l’amour est factice et dangereux, et il n’y a de bon que le physique de cette passion. »

« Il faut croire assez à l’amitié pour avoir de douces illusions, mais jamais ne s’abandonner assez fortement, pour être surpris de n’avoir embrassé qu’un nuage. »

« Il n’est personne à qui l’on doive confier des secrets dont la publication peut compromettre la vie et le bonheur ; il faut donc séparer d’avance dans sa pensée, tout ce qui doit être l’objet d’un profond silence avec le plus intime ami, et s’abandonner à lui pour tout le reste. C’est une vaste maison ouverte à l’amitié, dont une seule pièce reste fermée. »

« Le plus grand plaisir en amitié est de parler de soi, et cet épanchement provient d’une faiblesse mêlée d’amour propre. »

« Ce qu’il y a de plus rare parmi les hommes, c’est le secret ; les grands y manquent envers leurs inférieurs par une sorte de mépris de leurs intérêts, et on y manque envers ses égaux par le même principe qui leur fait confier leur secret. Il ne faut jamais perdre de vue le proverbe italien : un et un sont deux. »

« Cacher son amour propre et caresser celui d’autrui est le contraire de ce que font les hommes, et c’est cependant le seul moyen d’avoir avec eux des rapports agréables, et de leur plaire. »

« Il faut éviter les méchans reconnus pour tels, et particulièrement ceux qui joignent à la méchanceté un degré de folie, parce que leurs actions sont incalculables. »

« À mesure que l’on vieillit, il faut se concentrer davantage dans soi-même, se réduire au bonheur sensuel, et restreindre ses rapports avec les autres, parce qu’on n’en peut attendre que des marques du mépris inné dans le cœur de l’homme pour tout ce qui décèle l’impuissance, et que la vieillesse est la plus grande des impuissances. »

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  1. Ceux qui seront surpris de cette assertion, n’ont qu’à lire les lettres de Milady Montaigu, femme dont les mœurs n’ont point été critiquées, et dont l’esprit est reconnu, ils y trouveront : Les plaisirs des sens sont les seuls véritables.
    Lettre XLIII.