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L’Émigré/Lettre 125

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 69-71).


LETTRE CXXV.

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Le Marquis de St. Alban
au
Président de Longueil.


J’ai reçu, mon respectable ami, votre lettre et les tristes dépêches qui l’accompagnaient : me voilà donc privé à jamais de tout ce que j’avais de plus cher ; aimez-moi, s’il est possible, encore plus, car vous seul me restez, et me tenez lieu de tout ce que j’ai perdu. J’ai peu vécu avec mon père, mais je connaissais ses estimables qualités, et je savais que son cœur contrariait les maximes de son esprit. Hélas ! je me flattais de le rejoindre, et qu’il vivrait encore vingt ans ; le chagrin a certainement abrégé les jours d’un homme aussi humain ; il n’a pu soutenir tant de spectacles horribles, entendre tant d’affreux récits. Que la consolation tirée d’un avenir plus effrayant est cruelle ! et je sens qu’elle est fondée. Quel temps que celui où la douleur d’une séparation éternelle peut encore être aggravée ! celle que j’éprouve trouve mon ame déjà affaiblie, et me rend comme stupide. Si j’avais le courage de me soulever dans cet état d’abattement, j’irais vous joindre, mon respectable ami, et je ne désespère pas d’en trouver la force. Je n’ai pas eu celle de lire les maximes, et je n’y comprendrais rien dans l’état où je suis. Adieu, mon ami, mon père : tant que vous vivrez, je pourrai encore prononcer ce nom.

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