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L’Émigré/Lettre 133

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 91-93).


LETTRE CXXXIII.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie.


Vos inquiétudes, ma chère amie, me touchent bien vivement, et j’y reconnais la tendresse de votre cœur. Si c’est un crime de prendre le plus vif intérêt à un homme malheureux, que d’estimables qualités distinguent si avantageusement, je suis en vérité bien coupable ; j’avouerai aussi que je suis malheureuse par la comparaison que je fais de lui avec les autres hommes, comparaison qui me fait un besoin de sa société. Il en est de même de la vôtre, elle m’a depuis long-temps dégoûtée de celle de la plupart des femmes que je vois. Le goût et l’intérêt ne peuvent-ils donc exister dans la liaison d’un homme et d’une femme, sans qu’il y ait de passion ? Vos craintes, me direz-vous, en montrent peut-être la difficulté ; mais est-ce de moi dont je me défie, ou de la malignité du monde et de ses jugemens ? J’interroge mon cœur, et je le trouve pur ; cela me suffit. Cependant, pour le repos du Marquis, pour le mien que trouble le spectacle d’un homme que la passion égare et rend malheureux, j’éloignerai, autant qu’il me sera possible, les occasions de le revoir ; je m’interdirai le plaisir de m’entretenir avec lui, pour ne pas trouver mes anciennes sociétés de plus en plus insipides. Je n’ai point à me plaindre de ses empressemens depuis qu’il est ici ; il m’embarrasse seulement quelquefois, par l’attendrissement que lui fait éprouver l’intérêt que je prends à sa situation ; je ne puis me dissimuler que j’ai contribué à l’adoucir, et la satisfaction que j’en ressens me fait passer sur le danger de l’empire que j’exerce. La Duchesse est partie avant-hier, et le Marquis retourne demain dans son hermitage ; il reviendra ici pour le jour de naissance de ma mère, le monde qui s’y trouvera et la petite fête que j’ai imaginée feront pendant son court séjour ici, diversion à ses affections de tout genre. Adieu, mon Émilie, j’espère bien que vous vous ferez belle pour ma fête. Le Marquis ne vous a pas encore vue dans tous vos atours. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.

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