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L’Émigré/Lettre 134

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 94-96).


LETTRE CXXXIV.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Il ne faut pas se familiariser avec le danger, ma chère amie, je ne l’éprouve que trop. Je m’applaudissais du calme qui avait accompagné le séjour du Marquis, et peu de momens après, votre Victorine s’est trouvée dans un grand embarras, dont le souvenir la trouble encore. Hier, un instant après le départ de la lettre que je vous ai écrite, mon oncle s’est mis à la fenêtre pour voir un cheval qu’on dit très-méchant, et que son piqueur n’a pu dompter ; le Marquis étant descendu dans la cour, pour le mieux examiner, a voulu essayer de le monter ; à peine a-t-il été dessus, que le cheval s’est cabré d’une manière effrayante pour les spectateurs, et quelques momens après, il s’est renversé sur le Marquis ; j’ai fait un grand cri et je me suis évanouie. Revenue à moi, j’ai vu le Marquis qui me faisait respirer un flacon de sel d’Angleterre ; toute ma famille m’entourait, vous pouvez imaginer les idées qui se sont présentées à mon esprit : j’ai été au moment de me trouver mal une seconde fois, en remarquant les regards d’observation et d’inquiétude que mon mari portait sur moi, ainsi que sur le Marquis ; j’ai balbutié quelques phrases sur l’imprudence de monter, étant encore faible, un cheval pareil ; ma mère a dit qu’elle avait aussi pensé se trouver mal. J’ai quitté aussitôt le sallon pour monter chez moi, où je me suis désespérée de mon accident, qui aura donné lieu à mon mari de faire des réflexions désavantageuses pour moi ; je me suis trouvée honteuse de mon embarras ; hélas ! me suis-je dit, combien ne doivent pas être humiliées les femmes que leur passion surmonte et réduit à feindre, à tromper et à mentir. Le Marquis est parti le matin, et il semble que mon mari soit, comme on dit, plus libre dans sa taille.

Adieu, ma chère amie, je vais m’occuper de ma petite fête, mais j’ai bien peu de disposition à la gaieté ; j’embrasse bien tendrement ma charmante Émilie.

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