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L’Émigré/Lettre 154

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 176-179).


LETTRE CLVI.

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La Comtesse de Longueil
à
Melle Émilie de Wergentheim.


La plus affreuse nouvelle, à laquelle on devait depuis long-temps s’attendre, Mademoiselle, nous empêchera, mon cousin et moi, d’aller demain dîner chez vous ; peut-être influera-t-elle aussi sur vos dispositions, et vous fera remettre votre concert. La fille de Marie Thérèse, la descendante de vingt Empereurs, a succombé sous la hache des bourreaux. Un sentiment d’horreur m’empêche de vous tracer les circonstances de sa déplorable fin, qu’on a cherché à rendre plus affreuse que celle du Roi, en y joignant l’ignominie des traitemens. Je me bornerai à vous dire, que l’infortunée Marie Antoinette a montré jusqu’au dernier moment, un courage héroïque et sans aucune ostentation. Croirez-vous, Mademoiselle, que dans cet effroyable événement il y ait quelque chose de plus étonnant encore que l’attentat lui-même, quelque chose qui puisse rendre encore les Français plus odieux ? Il était possible à l’esprit de supposer que des sujets tremperaient leurs mains parricides dans le sang de leurs souverains, l’histoire en fournit quelques exemples ; mais qui que ce soit n’aurait imaginé, aucun philosophe n’aurait pu prévoir, que le supplice d’une reine, ne produirait pas une grande sensation. Les lettres qui ont apporté cette nouvelle, s’accordent à dire que le peuple familiarisé avec les supplices, habitué à voir tomber chaque jour les têtes des plus illustres personnages, à entendre outrager sa majesté royale, et avilir un nom auguste qu’on a cherché à remplacer par une ridicule dénomination, que ce peuple abreuvé de sang avait confondu le supplice de la Reine, avec celui de mille autres victimes ; que ce spectacle affreux n’a rien eu de plus étonnant pour lui, que les autres scènes sanglantes du même genre. Cette monstrueuse indifférence, cet endurcissement au crime ne sont-ils pas pires à vos yeux, que la fureur ? Nous avons tous pensé, en lisant ces détails, que les transports de la rage sont moins atroces que l’insensibilité des Parisiens. Madame de Loewenstein sera bien affectée de ce déplorable événement. Elle a dans sa chambre un portrait de l’immortelle Marie Thérèse, que je lui ai souvent vu contempler avec plaisir ; quels souvenirs lui retracera ce portrait où règnent la majesté et la bonté !… Adieu, Mademoiselle, daignez dire mille choses pour moi à notre amie, et agréez mon tendre attachement.

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