L’Étape (Bourget, 1902)/II
Les trois promeneurs commencèrent donc à marcher ensemble dans la direction du Palais, le père séparant les deux jeunes gens. La première impression d’amusement et d’attendrissement avait cessé tout de suite, et ils n’échangeaient les uns avec les autres que des phrases indifférentes qui tombaient, presque sans réponse, dans un silence chargé de trop de pensées. Tous les trois étaient en effet dominés par des idées qui leur tenaient de trop près au cœur pour qu’ils pussent les dire, et elles leur enlevaient la force de soutenir une autre conversation. M. Ferrand avait aussitôt compris, devant le visage sombre et fermé de Jean Monneron, que sa venue au-devant d’eux ne signifiait pas le facile acquiescement dont s’était flattée Brigitte. Le tendre optimisme de celle-ci n’avait pas tenu non plus contre cette physionomie tourmentée, ni surtout contre le regard d’angoisse dont le jeune homme l’enveloppait de temps à autre. C’est qu’à la voir marcher ainsi, près de lui, avec sa taille svelte, avec la ligne si douce et si réfléchie de son profil, avec ses beaux yeux bleus, remplis d’âme, elle lui apparaissait comme plus charmante encore, comme plus digne d’être aimée pour toujours et uniquement. L’homme supérieur dont elle était la fille ne s’était jamais révélé plus affable, plus attirant, rien que par sa manière de respecter les émotions devinées chez les deux amoureux. Il était vraiment le père d’élection que Jean se serait choisi, le grand aîné auquel pouvoir dire tout ce qu’il devait taire à son vrai père, tant d’incertitudes et de troubles ensevelis au fond de son cœur !… Le vent continuait à chasser les feuilles des platanes le long des allées, la lourde pesée du ciel d’automne à envelopper de mélancolie les statues lavées de pluie, les massifs glacés, le bassin frissonnant, le palais décoloré. L’étudiant pouvait reconnaître une image de son sort actuel dans cette vision de félicité qui passait, passait, et, quand elle ne serait plus là, il ne resterait qu’un sinistre et solitaire décor d’hiver. Et de nouveau la tentation le ressaisissait de ne pas la laisser passer, cette félicité, de ne pas l’accepter, cette solitude. Un mot suffisait… Il ne devait pas le prononcer. Il ne le pouvait pas. Tous les motifs qu’il s’était donnés pour renoncer à son rêve, durant ces huit jours d’un si passionné, d’un si scrupuleux examen de conscience, se levaient du fond de son âme à chaque geste de la jeune fille. Plus elle l’enchantait par sa grâce intelligente et délicate, plus il apercevait de bonheur assuré devant lui, s’il le voulait, et plus la voix intérieure lui commandait de résister, de ne pas sacrifier des raisonnements à une émotion, un principe obligatoire à une joie, si ravissante fût-elle. Et cet orage intime se déchaînait en lui, tandis qu’il prononçait, comme M. Ferrand lui-même, et comme Brigitte, d’insignifiantes paroles sur les menus incidents de cette interminable traversée du jardin : un nom inscrit à la base d’une statue, l’aspect d’un des monuments par ce jour voilé, la rencontre, au passage, d’une figure de connaissance. Cette contrainte, douloureuse pour tous les trois, quoique à des degrés inégaux, — car, chez le jeune homme, elle était du désespoir, et chez ses interlocuteurs seulement de l’anxiété — ne cessa qu’à l’arrivée dans la maison de la rue de Tournon, et lorsque, Brigitte les ayant laissés, les deux hommes se retrouvèrent face à face dans le cabinet de travail de M. Ferrand. Cette vaste et haute chambre attestait, comme la cour et comme l’escalier, que l’hôtel, aujourd’hui distribué en quelques appartements, avait été, au dix-huitième siècle, une de ces larges demeures parlementaires faites à souhait pour une famille bourgeoise, opulente et simple. La noble décoration de cette pièce : les couronnements des fenêtres et des portes, la forme de la cheminée avec son chambranle en anse de panier et la coquille de son cartel, dataient du milieu du dix-huitième siècle. Quatre grands corps de bibliothèque accentuaient, par les reliures sévères des gros livres qui les remplissaient, cet air d’autrefois. La chambre était éclairée par deux hautes fenêtres qui ouvraient sur un balcon, suspendu lui-même sur les débris d’un jardin. Une copie ancienne, peut-être une réplique, du portrait si intelligent, si humain, si français, d’Arnaud d’Andilly, par Philippe de Champaigne, était le seul objet d’art qui parât cette salle de travail, aménagée pour la méditation, et qui semblait juste à la mesure de la puissante physionomie du philosophe. Aussitôt entré, il avait fait signe à son élève de s’asseoir. Il avait pris place lui-même à son bureau et il lui avait demandé :
— « M’apportez-vous votre réponse, ou bien désirez-vous avoir devant vous quelques jours encore ? »
— « Je vous apporte ma réponse, » fit Jean Monneron. « Huit jours, quinze jours de plus n’y changeraient rien, puisque je me retrouverais dans les mêmes conditions et devant le même obstacle. »
— « Alors, si je comprends bien, c’est non, » reprit M. Ferrand, après un silence.
— « C’est non, » répéta le jeune homme, d’une voix basse, ferme et triste. « J’ai bien réfléchi, mon cher maître, bien lutté aussi, depuis ces huit jours. J’aurais tant voulu venir à vous aujourd’hui, en vous disant : Je suis prêt à me faire baptiser. Conduisez-moi chez le prêtre que vous avez choisi… Hé bien ! je ne peux pas… »
— « Je m’y attendais, » répondit M. Ferrand. Il avait, tandis que le jeune homme prononçait cette déclaration, appuyé son coude sur la tablette du bureau chargé de papiers, et, son front sur sa main, avec un air d’accablement où son interlocuteur pouvait voir à quelle profondeur ses paroles atteignaient le père et le croyant : « Si vous aviez dû répondre : oui, vous n’auriez pas hésité huit jours, pas une minute. Je ne suis pas aveugle. Je sais combien vous aimez Brigitte, et depuis longtemps. »
— « Si je l’aime !… » s’écria Jean, et, l’espèce de pitié attendrie avec laquelle son maître venait de lui parler lui ayant soudain ouvert le cœur, toutes ses émotions de cette matinée lui jaillirent soudain à la bouche en paroles passionnées : « Si je l’aime… ! » répéta-t-il. « Du moins, vous, vous ne me méconnaissez pas. Vous me plaignez… Mais lui donner mon nom, mon cher maître, vivre avec elle, toujours, fonder avec elle un foyer, travailler pour elle, auprès d’elle, par elle, essayer d’avoir un peu de talent, un peu de réputation peut-être, à cause d’elle, ah ! c’était ma vie fixée. C’était tout ce que j’ai pu souffrir déjà, réparé !… Et vous si près de moi, votre esprit si grand, si généreux, me soutenant, m’appuyant, c’était le bonheur !… Pour que j’y renonce, vous le devinez, il faut qu’il y ait un obstacle par-dessus lequel je ne peux pas passer. Monsieur Ferrand, je ne vous fait aucun reproche, remarquez, de la condition que vous m’avez imposée. Vous ne seriez pas là, que Mlle Brigitte me l’imposerait aussi, j’en suis sûr, et elle aurait raison, comme vous avez raison. Vous agissez tous deux suivant votre conscience. Je ne peux pas ne pas agir suivant la mienne, et elle ne me permet pas de me faire catholique… »
— « Donnez-moi la main, mon enfant, » dit M. Ferrand. L’accent de son ancien élève lui avait infligé une fois de plus l’émotion très particulière qui naît chez les vrais apôtres au contact de certaines âmes d’incrédules. Ils les sentent si belles, si chaudes, et, les trouvant étrangères à leurs idées, ils en souffrent. Ils voudraient communier avec ces nobles sensibilités dans une foi pareille, et, tout en se défendant d’exercer sur elles aucune pression, il faut qu’ils s’essaient à se les attirer. La tentation était trop forte et si instinctive ! Persuadé qu’il agissait uniquement pour le bonheur de sa fille, le père de Brigitte ne se doutait pas que c’était aussi le besoin de conquérir cette généreuse intelligence qui lui faisait, en ce moment même, insister, avec cette douceur prenante, qui est le don des maîtres. « J’ai bien désiré, » continua-t-il, « que votre résolution fût autre… Si j’ai accueilli votre demande comme je l’ai fait, vous l’avez compris, c’est que j’ai vu dans ce mariage toutes les chances de bonheur pour Brigitte, et c’est aussi que je vous aime beaucoup, mon enfant. Je vous l’ai prouvé à trop de reprises pour que vous en doutiez. À cause de cette amitié, et pour que vous pussiez toujours revenir chez moi sans arrière-pensée, j’ai évité avec vous, ces dernières années, les divers points où mes convictions auraient pu paraître violenter les vôtres. Cette amitié me permet aujourd’hui de vous dire : Vous faites, de votre refus à l’unique condition que j’aie posée à votre mariage, une question de conscience. Mais une question de conscience comporte un pour et un contre. Elle se discute. Vous l’avez discutée avec vous-même. Vous pouvez vous tromper, vous être créé des scrupules imaginaires, n’y avoir pas vu clair dans votre pensée. Supposez que je ne sois pas le père de Brigitte, que je sois votre vieux professeur de philosophie simplement ; que vous vous trouviez, vis-à-vis d’une famille de moi inconnue, précisément dans la situation où vous êtes vis-à-vis de la mienne, et que vous veniez me consulter. Voulez-vous me laisser vous parler comme je vous parlerais ?… Oui ?… Hé bien ! Pouvez-vous me définir, me marquer le point exact de votre scrupule ?… »
— « Le point exact ? » répondit le jeune homme. « C’est que je ne crois pas, tout simplement, et qu’accepter, que demander le baptême dans ces conditions-là, ce serait mentir, et non pas mentir par silence, comme font tant de gens, catholiques de naissance, qui, ayant perdu la foi, se marient à l’église. Ils n’ont qu’à se taire de leurs doutes, comme je comptais me taire des miens, quand je m’imaginais que la cérémonie religieuse serait pour moi ce qu’elle est pour un protestant ou pour un juif qui épouse une catholique. Elle ne le serait pas, et je me trouve dans la nécessité non plus de me taire, mais de parler. Il faut que je déclare qu’un certain système d’idées, où j’ai été élevé, est faux, — et je n’en suis pas assez sûr ; — qu’un autre, tout contraire, est vrai, et je n’en suis pas sûr davantage. Me faire catholique, c’est une profession de foi. C’est un acte positif. C’est une affirmation. Vous, mon cher maître, m’estimeriez-vous d’avoir affirmé publiquement, solennellement, ce à quoi je ne croirais pas ? »
— « Non, » répondit M. Ferrand, « mais est-il vrai que vous ne croyez pas ?… Vous le dites. C’est peut-être que vous confondez deux choses bien différentes, et qui doivent rester différentes, ce qu’un grand médecin de notre temps, qui est aussi un grand chrétien, le professeur Grasset, de Montpellier, et, depuis, un autre grand savant qui n’est pas encore chrétien, lui, mais qui comprend la croyance, Jules Soury, ont si bien résumé, quand ils ont distingué les certitudes du laboratoire et celles de l’oratoire. Cette distinction, la faites-vous vraiment ? Vous pensez que vous ne croyez pas, parce que vous ne vous trouvez pas, vis-à-vis des vérités religieuses, dans une attitude mentale pareille à celle que vous avez vis-à-vis des vérités physiques et chimiques, par exemple. Mais, moi non plus, je ne l’ai pas. Les dogmes de l’Église dont je suis le plus persuadé : le Péché originel, l’Incarnation, la Résurrection, la Présence réelle, n’ont pas pour moi la même clarté d’évidence que la loi de composition de l’eau. Qu’est-ce que cela prouve ? Que l’objet de la vérité religieuse n’est pas l’objet de la vérité scientifique, simplement, et que les facultés employées ne sont pas les mêmes… L’erreur des rationalistes, je vous l’ai dit si souvent autrefois, consiste à vouloir réduire un des types de certitude à l’autre. Prenez garde que ce ne soit votre erreur aussi, dans le cas présent. Voulez-vous une preuve que vous avez beaucoup plus de foi que vous ne le savez vous-même ? C’est que vous avez hésité, quand je vous ai répondu : « Je ne donnerai ma fille qu’à un catholique pratiquant. » Cette hésitation m’a effrayé, je vous l’ai dit. J’ai prévu que le nouvel homme en vous ne terrasserait pas l’ancien. Mais le nouveau existe, il n’y aurait pas eu lutte sans cela, et, cet homme nouveau, c’est un croyant… »
— « C’est quelqu’un qui a espéré croire, » répliqua Jean Monneron. « La distance est grande de l’un à l’autre — Oui, » continua-t-il, « si j’ai hésité, mon cher maître, c’est que tout mon cœur était le complice de cette espérance, et que ma raison, au lieu de s’y opposer, m’y incline. J’ai repassé en esprit, cette semaine, par tous les chemins où vous m’avez conduit, quand nous discutions ensemble ces problèmes. J’avoue que je n’ai rien à répondre à vos arguments, rationnellement. C’est la preuve que, ce qui me manque, c’est bien la Foi, telle que vous l’entendez, l’adhésion vivante du fond de l’être. J’admets avec vous que la Science est incapable de dépasser l’ordre des phénomènes et qu’elle se heurte, aussitôt qu’elle veut chercher le pourquoi des choses, au lieu du comment, à l’inconnaissable. J’admets que cet inconnaissable est réel, puisqu’il est à la racine de toute réalité. J’admets que, le conséquent étant enveloppé dans l’antécédent, cet inconnaissable doit posséder, virtuellement au moins, tout ce qui constitue le réel, donc, puisque nos facultés font partie du réel : l’intelligence, l’amour et la volonté. J’admets encore que ce principe d’intelligence, d’amour et de volonté, caché dans l’inconnaissable, c’est ce que le langage des simples appelle Dieu. J’admets que ce Dieu, ainsi conçu, doit s’être manifesté dans l’histoire humaine. Comme cette histoire n’est pas une attente, qu’elle est actuelle, qu’elle est présente, j’admets que cette action de l’inconnaissable y est mêlée, actuellement. J’admets que de tous les faits qui tombent sous l’observation, le christianisme est celui qui remplit le plus exactement les conditions que notre raisonnement nous montre à priori, comme ayant dû être celles d’une action divine. Je vais plus loin. Je reconnais que, des formes diverses du christianisme, la plus complète est celle qui remonte par la tradition au fondateur et à ses apôtres, c’est-à-dire le catholicisme. J’admets tout cela, mais comme une construction intellectuelle qui me reste totalement extérieure, et dont je ne me sens pas faire partie. C’est une hypothèse plus ingénieuse, plus probable, si vous voulez, que beaucoup d’autres, mais cette probabilité est pour moi — comment m’exprimer ? — une probabilité morte. Elle m’est étrangère, je vous le répète. Elle ne touche pas à ce point dernier de la personne où s’élabore la conviction. Où voyez-vous la foi là dedans ?… »
— « Où je la vois ? » répondit M. Ferrand, avec une gravité frémissante : « Dans le fait, d’abord, que vous avez dû, pour admettre seulement cette probabilité dont vous me parlez, détruire en vous tant de préjugés ! Ne dites pas que je vous ai guidé dans ce chemin. Vous m’y avez suivi. Vous m’y avez cherché. Les arguments que vous m’avez résumés vous viennent de moi, et ils me paraissent, en effet, irréfutables. Vous n’auriez pas pris la peine de même les examiner, pas plus que n’ont fait tant d’autres, — car ce n’est rien de bien nouveau, et Pascal les avait donnés, — si vous ne vous étiez senti étouffer dans les doctrines de négation où vous avez grandi. Et pourquoi y étouffiez-vous, sinon parce que des portions inconnues de vous-même avaient le besoin d’une vie religieuse ? Pourquoi vous êtes-vous tant attaché à moi, quand vous êtes entré dans ma classe ? Parce que les idées que je vous représentais, si contraires aux vôtres, réveillaient en vous des traces secrètes. Vous êtes un Français, c’est-à-dire l’héritier d’une longue lignée d’hommes et de femmes qui, pendant des siècles, ont été des catholiques. Vous vous mouvez, vous respirez dans une société imprégnée de mœurs catholiques. La langue que vous parlez, dans laquelle vous pensez, est catholique, puisqu’elle est romaine. Le catholicisme est en vous, malgré vous, dans ce que les philosophes d’aujourd’hui appelleraient votre inconscient. Vous ne pouvez pas être en accord avec le plus intime de vous-même, si vous n’êtes pas catholique. Cet accord, vous l’avez passionnément désiré depuis que vous pensez, à votre insu, comme un liquide désire son niveau et oscille jusqu’à ce qu’il l’ait trouvé. Quand vous avez souhaité de fonder un foyer, sur quelle jeune fille s’est fixé votre choix ? Sur une catholique. Ce charme par lequel ma Brigitte vous a enchanté, c’est son âme, cette âme que lui a faite cette Église, dont vous dites qu’elle vous est étrangère, qu’elle vous est extérieure. Étrangère ? Oui, au « moi » factice dont vous a revêtu un enseignement qui prétend libérer la personne en la séparant de ses traditions. C’est la folie d’un jardinier qui s’imaginerait affranchir les arbres en les séparant de leurs racines !… Extérieure ?… Mais entrez-y donc, dans l’Église, et vous serez étonné de ce que vous découvrirez en vous, que vous n’y voyez pas… Vous éprouverez, ce jour-là, que se connaître soi-même, comme le conseillait la sagesse antique, c’est simplement se reconnaître… Ce qui vous est extérieur, en ce moment, c’est votre vraie personne. Mais Dieu la veut, et il l’aura. Vous avez les deux vertus dont il marque les âmes qu’il s’est choisies : l’humilité et la bonne volonté. Il vous poursuivra, jusqu’à ce qu’il vous ait conquis… »
Le philosophe s’était levé pour prononcer ces dernières paroles, où le mysticisme de sa pensée avait éclaté malgré lui. Il allait et venait dans le vaste cabinet de travail, son large visage tout éclairé par une flamme de passion religieuse aussi intense que, si au lieu d’être un simple professeur de lycée à la fin du dix-neuvième siècle, il eût été un des docteurs de la réforme catholique du dix-septième siècle, un contemporain de cet Arnauld, dont l’immobile effigie présidait à cet entretien, lequel risquera de paraître bien étrange à cette date de 1900 et à Paris. Mais l’était-il réellement ? Lorsque l’on appartient, comme les deux hommes qui causaient ainsi, à la race de ceux dont Platon disait déjà qu’ils vont à la vérité « avec toute leur âme », n’est-il pas naturel que, dans un acte aussi solennel qu’un mariage et que la création d’une famille, on ne voie pas seulement une question d’intérêts, de convenances, ni même d’attrait sentimental ? Ces idées si théoriques, semble-t-il, les avaient portés, l’un et l’autre, à un point d’émotion extrême. La voix du maître, en particulier, s’était faite presque sourde, dans son excès d’ardeur intime, pour prédire la conquête par Dieu de l’âme de son ancien élève. Son exaltation continuant, il s’arrêta devant Jean Monneron, toujours assis, et, lui posant les mains sur les épaules, le regard plongé dans son regard :
— « Comprenez-vous maintenant, » conclut-il, « pourquoi je n’accepte pas votre réponse comme définitive ? C’est moi qui veux que vous le preniez, ce nouveau délai que vous m’avez refusé. Je sais. Ce n’est pas le rôle d’un père à qui l’on vient demander sa fille, de parler ainsi. Mais nous ne sommes pas dans la convention, vous et moi. Nous sommes dans la vérité profonde. Nous avons à prendre une décision qui pèsera, vous, sur toute votre vie, moi, sur toute la vie de ma fille. Pour que cette décision soit ce qu’elle doit être, il est nécessaire que nous ne laissions rien dans l’équivoque et que la plus absolue franchise ait présidé à cet entretien… » Il s’interrompit une minute, comme s’il hésitait devant une parole bien grave. Puis, fermement : « Il faut que vous sachiez ce que vous avez pu deviner à mon attitude, à d’autres indices peut-être, oui, que vous le sachiez d’une façon positive, qui ne vous permette pas le doute : Brigitte vous aime, mon enfant. C’est au nom de ce sentiment que je vous demande de réfléchir encore avant de vous sacrifier tous deux, elle et vous, à une illusion sur vous-même dont vous resterez étonné plus tard, quand le jour se sera fait en vous complètement. Je connais ma fille et je vous connais. Elle ne changera pas plus vis-à-vis de vous que vous ne changerez vis-à-vis d’elle. Mettons donc que nous ne nous sommes rien dit aujourd’hui et que j’attends votre réponse relativement à la condition que je vous ai imposée. Vous me la donnerez, cette réponse, dans deux mois, dans trois mois, dans un an. C’est moi qui ai eu tort de fixer avec vous une époque trop rapprochée. Acceptez-vous maintenant ? »
— « Ah ! mon cher maître, » s’écria Jean, « que vous êtes bon ! Et pourtant que vous me faites mal !… Ah ! que vous me faites mal !… » répéta-t-il, et, les coudes sur ses genoux, le visage dans ses mains, comme quelqu’un qu’une crise de souffrance insupportable plie en deux, il éclata en sanglots. C’était un gémissement de tout son être, aigu et violent, qui le secouait d’un spasme presque convulsif. Et, comme le philosophe, épouvanté de cet inexplicable accès, ne trouvait à dire au jeune homme, pour le calmer, que les phrases que l’on tient à un enfant malade :
— « Voyons, Jean, soyez raisonnable… Mais revenez à vous, mon ami… Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Qu’avez-vous compris ?… » — l’amoureux releva la tête. Il montra ses joues couvertes de larmes, sa bouche tremblante d’émotion, ses yeux suppliants, et il répondit :
— « Je ne serai pas moins franc avec vous que vous ne l’avez été avec moi, monsieur Ferrand. Oui, vous venez de me faire bien mal. Ce n’est pas votre faute. Je ne vous ai montré qu’un seul des scrupules qui se dressent entre mon bonheur et moi : le scrupule d’idées. Il serait déjà bien puissant, quoi que vous en disiez. Il y en a un autre, et celui-là est invincible. Quand vous le saurez, vous-même, mon cher maître, vous vous inclinerez… Mais n’avez-vous pas deviné qu’il s’agit de mon père ?… »
— « Je l’avais deviné, » fit M. Ferrand, « et je l’avais dit à Brigitte. Vous lui avez parlé de votre démarche et de notre conversation ?… »
— « Non, » répondit Jean, « pas plus que du reste, pas plus que de nos longues discussions, autrefois, sur les problèmes religieux, pas plus que de mes doutes et de mes recherches. Tout ce travail de ma pensée, mon père ne le connaît pas. Il ne l’a jamais connu… Ah ! monsieur Ferrand… » Et l’agitation du jeune homme grandissait au fur et à mesure d’une trop pénible confidence qu’il ne s’était jamais permise, et qui portait sur le drame le plus secret, le plus amer de sa vie de cœur. « Votre sincérité me fait un devoir de tout vous dire, moi aussi… Mais que c’est dur ! Laissez-moi me reprendre, » continua-t-il. « Je vais toucher en moi-même à des plaies si cachées… »
— « N’y touchez pas ! » interrompit Ferrand avec une vivacité singulière. Il avait toujours mis tout son soin à ne jamais s’entretenir du père avec le fils, et, soudain, il appréhendait un réquisitoire contre son ancien camarade, que, même dans ce moment, il ne voulait pas entendre : « Fût-ce à moi, » ajouta-t-il, « vous ne devez pas vous plaindre de votre père… »
— « Moi ? m’en plaindre ? » répondit Jean, douloureusement. « Non, monsieur Ferrand, je n’ai jamais eu, je n’aurai jamais, j’en suis sûr, un reproche à faire à mon père. Si mes rapports avec lui sont parfois bien cruels pour moi, ce n’est pas sa faute, c’est la mienne. Je me suis habitué, depuis des années, à ne jamais me montrer à lui dans ma vérité, et j’expie ce mensonge de silence par une impuissance absolue à nous expliquer aujourd’hui, sans déchirements. Vous le connaissez, vous savez comme il est entier dans ses idées, et, en même temps, comme il est sensible, je dirai presque, farouche, et pour tant de raisons. Tout distingué qu’il est, le paysan est trop près. Il n’a pas été apprivoisé à la vie bourgeoise dès son enfance, et cela lui donne une violence intérieure que je n’ai jamais pu braver, par excès de sensibilité, moi aussi. Vous savez qu’il est, avec cela, le plus idéaliste des hommes, idéaliste jusqu’à la chimère. Où aurait-il appris à connaître la vie, à la manier ? Avec quoi a-t-il jamais été en contact ? Tout jeune, il était au collège, séparé de sa famille par ses mœurs, par son instruction, par tout. À l’École, il vivait parmi des livres et des idées. Fonctionnaire, son traitement lui est arrivé tous les mois, comme une rente. Il a ignoré l’âpreté des luttes d’intérêt. Professeur, il a fait des classes et donné des leçons, ayant toujours et toujours, avec ses collègues comme avec ses élèves, des relations réglées, officielles. Il n’a pas acquis ce don de lire dans les âmes que vous ayez, vous, mon cher maître, et qui vous vient de tant de choses ! Vous aviez une famille, vous, et un milieu. Vous aviez un pays, cet Anjou dont vous m’avez dit si souvent ce que vous lui deviez, tant de points de contact avec des réalités vivantes. Mais lui, ses parents étaient de Quintenas, il a fait ses études à Tournon, il a préparé ses examens à Lyon, il s’est marié à Nice, mon frère est né à Besançon, moi à Nantes, ma sœur à Lille, mon frère le plus jeune à Versailles, nous vivons à Paris. Sommes-nous du Centre, du Midi, de l’Est, de l’Ouest ? Nous n’en savons rien, ni mon père. Son pays, ce sont ses idées. Son milieu, ses idées encore. Sa réalité, ses idées toujours. Que j’ai senti cela vivement, tout jeune, qu’il ne me voyait pas, qu’il ne voyait pas mes frères et sœurs, qu’il ne voyait que ses pensées ! Mais, ce que je ne sentais pas alors et ce que je sens aujourd’hui, c’est qu’il y a, dans cet aveuglement, du parti pris et de la volonté. Non seulement il ne voit pas la vie, mais il ne veut pas la voir, parce que la réalité lui serait trop cruelle. En politique, il a toujours été républicain, avec quelle foi, une foi religieuse, dans les principes de 89, vous le savez ! Les faits ont beau lui démontrer que, plus la France s’enfonce dans le parlementarisme jacobin, plus elle est malade : il veut l’ignorer. Son métier de fonctionnaire chargé de famille l’a conduit, à quoi ? à devoir se surcharger de répétitions pour payer la petite assurance qui permettrait à sa veuve de vivre décemment, s’il venait à mourir. Il n’a pas eu, depuis sa sortie de l’École, une année pleine pour faire un livre, et vous savez s’il aimait, s’il aime les Lettres. C’est une existence de manœuvre qu’il a menée, pour nous. Il veut l’ignorer, comme il veut ignorer que sa famille n’est pas une famille, que nous sommes en l’air, sans appui, sans vraie atmosphère, sans certitudes, et pour tant de causes ! Sommes-nous des bourgeois, sommes-nous des plébéiens ? Moi, il y a des jours où je me sens peuple par toutes mes fibres, où je retournerais à la terre, si je pouvais. Mais mon frère Antoine a déjà été grisé par Paris, il ne rêve que luxe et que plaisir. Notre simple intérieur de la rue Claude-Bernard lui est inhabitable. Notre père ne veut pas plus voir cela qu’il ne veut voir que ma sœur Julie a l’horreur de l’existence qu’il lui destine, de ce Sèvres où elle va entrer et du professorat dans les lycées de filles ensuite… Quand les signes de leur désaccord avec lui sont trop multiples, comme aussi quand les politiciens de son parti commettent de trop malpropres actions, moi, qui le connais si bien, je le sens qui se retire en lui, qui s’en va du monde réel dans ses idées. Il ferme les yeux intellectuellement, comme on les ferme physiquement, devant un spectacle insupportable… Tout le secret de mes silences à l’égard de mon père est là, dans cette sensation que j’ai eue, presque enfant, qu’il ne voulait pas voir certaines choses, parce qu’il en souffrait, d’une souffrance qui vous étonnera, même vous, car vous n’avez jamais rencontré que son optimisme, si voulu, lui aussi. Mais moi, qui diffère tant de lui, par mon amour passionné de la vérité, quelle qu’elle soit, je lui ressemble trop par cette sensibilité maladive pour m’y être jamais trompé. Mon père a manqué sa vie, et il ne consent pas à se l’avouer, parce que, toute cette vie ayant été la mise en œuvre de certains principes, cet avortement est la condamnation de ces principes… C’est un homme très malheureux et qui n’en convient pas vis-à-vis de lui-même. J’avais quinze ans, que je comprenais déjà cela d’instinct, sans me l’expliquer. J’avais trouvé, à cet âge-là, dans les Souvenirs de Michelet, une anecdote sur son père à lui, pauvre imprimeur ruiné qui le prenait sur ses genoux en chantant une romance de l’époque :
Tandis que son ancien élève lui racontait longuement, amèrement, avec des passages de révolte tour à tour et de désespoir dans la voix, la misère de la tragédie morale dont les stigmates se lisaient sur sa physionomie si jeune et déjà si tourmentée, M. Ferrand n’avait, en effet, ni proféré une remarque, ni posé une question. Son front plissé avait seulement exprimé une concentration d’esprit de plus en plus intense. Les grands cliniciens, consultés sur un cas où la moindre erreur de diagnostic serait fatale, n’ont pas un masque plus immobile, plus dépouillé de toute impression étrangère aux symptômes qu’ils sont en train d’observer. Ils n’ont pas, non plus, pour énoncer la décision sans appel où ils se sont fixés, plus de gravité impérative que le père de Brigitte n’en eut pour donner à cet entretien l’unique conclusion qu’il comportât :
— « Vous vous trompez, Jean, sur la signification de mon silence, » commença-t-il. « Croyez-vous que vous m’ayez rien appris, sinon des détails qui précisent seulement ce que j’avais pressenti ? Savez-vous ce que je me disais, en vous écoutant ? Je me souvenais de votre père, à votre âge, quand nous étions à l’École, et qu’il me développait, avec l’ardeur de son jeune enthousiasme, les théories qu’il a voulu vivre. Il les a vécues, et voilà le résultat. La vie est l’épreuve de la pensée. Le malheur démontre l’idée fausse, comme la maladie la mauvaise hygiène. Pauvre Monneron ! Je le plaignais en vous, comme je plains la France en lui. Tout le malaise que vous me décrivez ne vient ni de lui, ni de vous. Il vient de ce que votre famille ne s’est pas développée d’après les règles naturelles. Vous êtes des victimes, lui et vous, de la poussée démocratique telle que le comprend et la subit notre pays où l’on a pris pour unité sociale l’individu. C’est détruire à la fois la société et l’individu. La grande culture a été donnée trop vite à votre père et à vous aussi. La durée vous manque, et cette maturation antérieure de la race, sans laquelle le transfert de classe est trop dangereux. Vous avez brûlé une étape et vous payez la rançon de ce que j’appelle l’Erreur française et qui n’est au fond, tout au fond, que cela : une méconnaissance des lois essentielles de la famille. Mais il ne s’agit pas de philosopher. Nous devons terminer cette conversation sur un arrangement positif. Je maintiens ce que je vous ai dit tout à l’heure, mon ami. Je n’accepte de votre part, aujourd’hui, aucune réponse définitive. Mais j’ai le droit, comme père, et l’obligation de veiller sur le cœur de mon enfant. J’exige simplement de vous la promesse que vous tiendrez compte, vous aussi, de ce cœur de jeune fille. Vous avez manqué à votre devoir, permettez-moi de vous le dire, en vous occupant d’elle et en le lui laissant deviner quand vous n’étiez pas plus sûr de vous. Vous y avez manqué, ce matin, en venant au-devant de nous, comme vous l’avez fait, quand vous m’apportiez une telle réponse. Vous avez cédé à votre sensibilité, comme vous y avez cédé avec votre père. Car il faut avoir le courage de vous l’avouer plus complètement : ce n’est pas à cause de lui que vous lui avez caché votre vie intérieure de ces dernières années, c’est surtout, c’est beaucoup à cause de vous-même, pour ne pas souffrir, pour ne pas lutter. J’avais mis à votre mariage avec ma fille une condition. Je l’y mets toujours, et j’y joins cette autre, que, si jamais vous devez revenir ici me redemander la main de Brigitte, vous aurez parlé d’abord à votre père, avec une absolue vérité. On la doit, cette vérité absolue sur soi-même, à ceux dont on sort. Si j’ai bien entendu une de vos phrases, vous entrevoyez dans votre milieu la probabilité d’un grand chagrin pour vos parents. Je respecte votre réticence et je ne vous interroge pas. Pensez-vous que, ce jour-là, vous pourrez être à votre père d’un secours moral aussi efficace que si vous vous étiez toujours montré à lui tel que vous êtes ? Ne me répondez pas… » ajouta-t-il, en arrêtant de la main Jean, qui allait lui parler. « C’est inutile. Ai-je votre promesse pour vos relations avec nous ? »
— « Elles seront ce que vous voulez, monsieur Ferrand, » dit le jeune homme, « et, si j’ai été imprudent… »
— « Le plus sage est que vous suspendiez vos visites chez moi, » interrompit le père, » et que vous évitiez de nous rencontrer, autant qu’il vous sera possible… »
— « J’obéirai, » fit Jean.
— « Bien, » reprit le maître. Il eut, lui aussi, sur les lèvres une phrase qu’il ne prononça pas. Les deux hommes étaient debout, qui se regardaient. Une inexprimable tristesse les étreignait l’un et l’autre. M. Ferrand brisa le premier ce silence. Il tendit la main à celui qu’il souhaitait si passionnément de pouvoir appeler son fils, et il le congédia d’un mot, où tremblait, malgré lui, la crainte de le perdre pour toujours :
— « Nous nous sommes tout dit. Au revoir, j’espère, et bientôt, mon enfant… »
— « Adieu, mon cher maître, » répondit Jean Monneron. Il répéta : « Adieu, » et il sortit du cabinet de travail du philosophe sans tourner la tête.
Celui-ci demeura quelques minutes immobile, absorbé dans une réflexion si profonde qu’il s’en réveilla comme d’un songe et avec un sursaut, en entendant la porte s’ouvrir. C’était Brigitte qui, sachant son père seul, n’avait pu contenir son impatience. Son beau visage avait aux joues la rougeur d’une émotion qu’elle essayait pourtant de dominer :
— « Il est parti, mon père, et vous ne m’avez pas appelée ? Vous avez de mauvaises nouvelles à me donner. Ne me ménagez pas. Je suis prête. Il n’accepte pas. »
— « Non, Brigitte, » répondit M. Ferrand, « il n’accepte pas. »
— « Et c’est pour le motif que vous aviez prévu ?… »
Et, comme son père inclinait la tête, en signe d’assentiment, elle demanda encore :
— « Il a parlé à M. Monneron, et celui-ci ne consent pas ?… »
— « Il ne lui a pas parlé, » dit M. Ferrand. « Il a craint que même son hésitation ne fit trop de peine à son père. Ah ! ce sont d’étranges rapports, et, si tu les connaissais comme je les connais à présent, tu ne pourrais pas lui en vouloir de sa faiblesse. Tu l’en plaindrais… »
— « Je ne lui en veux pas, » répondit la jeune fille. Elle avait pâli et s’était, de la main, appuyée à une chaise en entendant ces mots : « Il ne lui a pas parlé. » Ses paupières battirent sur ses prunelles profondes, et, d’une voix où passait une angoisse :
— « Je voudrais vous poser une question, mon père, une seule, et que vous me répondiez, quelque mal que votre réponse puisse me faire, franchement, complètement… Vous venez de causer avec lui, bien à fond, n’est-ce pas, de lui lire dans le cœur ? Oui ou non, croyez-vous toujours qu’il m’aime ? »
Le père hésita une seconde, puis, avec la décision d’un homme qui a pris, une fois pour toutes, son unique point d’appui dans la vérité, si périlleuses qu’en puissent être les conséquences :
— « Oui, Brigitte, je crois qu’il t’aime. »
— « Ah ! merci, mon père, » dit la jeune fille. « Vous venez de me donner la force d’attendre tant qu’il faudra. » Elle embrassa M. Ferrand dans un élan de reconnaissance où il put la sentir frémir tout entière, puis, essuyant de sa main deux larmes qui lui avaient jailli des yeux : « Et maintenant je vous promets que je ne vous en parlerai plus… Vous serez content de moi. Je saurai porter ma croix… »
Le père connaissait trop sa fille pour ne pas savoir qu’elle tiendrait cet engagement de silence qu’elle venait de prendre si simplement, comme elle l’avait déjà tenu ces huit derniers jours. Il savait aussi qu’à travers et malgré ce silence, cette âme de son enfant lui resterait aussi transparente qu’elle l’était à cette seconde. Une comparaison involontaire le fit se ressouvenir de ce que Jean lui avait dit de ses silences à lui, vis-à-vis de son père, si fermés, si impénétrables. La même exclamation de pitié pour son ancien camarade, qu’il avait jetée tout haut à un moment, lui revint au cœur, et il répéta tout bas, en pensée, en attirant de nouveau sa fille contre lui, pour lui donner une autre caresse ; « Pauvre Monneron !… »