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L’Étoile du sud/XXI

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Hetzel (p. 207-218).

X X I


JUSTICE VÉNITIENNE.

Pendant les jours qui suivirent, Cyprien s’occupa activement de suivre les diverses phases de sa nouvelle expérience. Par suite de quelques modifications introduites dans la construction du four à réverbère, au moyen d’un tirage mieux réglé, la fabrication du diamant, — il l’espérait du moins, — devait s’effectuer en un temps infiniment plus court que lors de la première opération.

Il va sans dire que Miss Watkins s’intéressait vivement à cette seconde tentative, dont elle était un peu l’inspiratrice, il faut en convenir. Aussi, souvent elle accompagnait le jeune ingénieur jusqu’au four qu’il visitait plusieurs fois dans la journée, et là, par les regards ménagés dans la maçonnerie de briques, elle se plaisait à observer l’intensité du feu qui mugissait à l’intérieur.

John Watkins s’intéressait non moins que sa fille, mais pour d’autres motifs, à cette fabrication. Il lui tardait d’être de nouveau possesseur d’une pierre dont le prix se chiffrerait par des millions. Toute sa crainte était que l’expérience ne réussît pas une seconde fois, et que le hasard n’eût eu une part prépondérante dans le succès de la première.

Mais, si le fermier et miss Watkins encourageaient l’expérimentateur à poursuivre, à perfectionner la fabrication du diamant, il n’en était pas ainsi des mineurs du Griqualand. Bien qu’Annibal Pantalacci, James Hilton, herr Friedel ne fussent pas là, ils avaient laissé des compagnons qui, à cet égard, pensaient absolument comme eux. Aussi, par des manœuvres sourdes, le juif Nathan ne
Il relevait des points de repère. (Page 206.)

cessait-il d’exciter les propriétaires de claims contre le jeune ingénieur. Si cette fabrication artificielle entrait bientôt dans la pratique, c’en était fait du commerce des diamants naturels et autres pierres précieuses. On avait déjà fabriqué des saphirs blancs ou corindons, des améthystes, des topazes et même des émeraudes, toutes ces gemmes n’étant que des cristaux d’alumines, diversement colorés par les acides métalliques. C’était déjà fort inquiétant pour la valeur marchande de ces pierres qui tendait à diminuer. Donc, si le diamant finissait par devenir d’une fabrication courante, c’était la ruine des exploitations diamantifères du Cap et autres lieux de production.

Il se tenait entre les mineurs des conciliabules. (Page 209.)

Tout cela avait été répété déjà, après la première expérience du jeune ingénieur, et tout cela fut repris, cette fois, mais avec plus d’acrimonie, avec plus de violence encore. Il se tenait entre les mineurs des conciliabules qui ne présageaient rien de bon pour les travaux de Cyprien. Lui ne s’en inquiétait pas autrement, étant bien décidé à poursuivre son expérience jusqu’au bout, quoi qu’on pût dire ou faire. Non ! Il ne reculerait pas devant l’opinion publique, et, de sa découverte, il ne tiendrait rien de secret, puisqu’elle devait profiter à tous.

Mais, s’il continuait son labeur, sans une hésitation, sans une crainte, miss Watkins, au courant de tout ce qui se passait, commença à trembler pour lui. Elle se reprocha de l’avoir engagé dans cette voie. Compter sur la police du Griqualand pour le protéger, c’était compter sur une protection peu efficace. Un mauvais coup est vite fait, et, avant qu’on ne fût intervenu, Cyprien pouvait avoir payé de sa vie le tort que ses travaux menaçaient de causer aux mineurs de l’Afrique australe.

Alice était donc fort inquiète et ne put dissimuler son inquiétude au jeune ingénieur. Celui-ci la rassurait de son mieux, tout en la remerciant du mobile qui la faisait agir. Dans cet intérêt que la jeune fille prenait à lui, il voyait la preuve d’un sentiment plus tendre, qui, d’ailleurs, n’était plus un secret entre eux. Cyprien, rien que par là, s’applaudissait de ce que sa tentative provoquât, de la part de miss Watkins, un épanchement plus intime… et il continuait bravement son travail.

« Ce que j’en fais, mademoiselle Alice, c’est pour nous deux ! » lui répétait-il.

Mais miss Watkins, en observant ce qui se disait sur les claims, vivait dans des transes perpétuelles.

Et ce n’était pas sans raison ! Il s’élevait contre Cyprien un tolle, qui ne devait pas toujours s’en tenir à des récriminations, ni même à des menaces, mais aller jusqu’à un commencement d’exécution.

En effet, un soir, en revenant faire sa visite au four, Cyprien trouva son emplacement saccagé. Pendant une absence de Bardik, une troupe d’hommes, profitant de l’obscurité, avait détruit en quelques minutes ce qui était l’œuvre de bien des jours. La bâtisse avait été démolie, les fourneaux brisés, les feux éteints, les ustensiles brisés et dispersés. Il ne restait plus rien du matériel qui avait coûté tant de soins et de peines au jeune ingénieur. Tout était à recommencer, — s’il était homme à ne point céder devant la force, — ou il fallait abandonner la partie.

« Non ! s’écria-t-il, non ! Je ne céderai pas, et, demain, je porterai plainte contre les misérables qui ont détruit mon bien ! Nous verrons s’il y a une justice au Griqualand ! »

Il y en avait une, — mais non celle sur laquelle comptait le jeune ingénieur.

Sans rien dire à personne, sans même venir apprendre à miss Watkins ce qui s’était passé dans la crainte de lui causer un nouvel effroi, Cyprien regagna sa case et se coucha, bien décidé le lendemain à porter plainte, dût-il aller jusqu’au gouverneur du Cap.

Il pouvait avoir dormi deux ou trois heures, lorsque le bruit de la porte qui s’ouvrait le réveilla en sursaut.

Cinq hommes, masqués de noir, armés de revolvers et de fusils, pénétraient dans sa chambre. Ils étaient munis de ces espèces de lanternes à verre convexe qu’on appelle au pays anglais Bull’s eyes, — des œils de bœuf, — et ils vinrent se ranger en silence autour du lit.

Cyprien n’eut pas un instant l’idée de prendre au sérieux cette manifestation plus ou moins tragique. Il crut à quelque plaisanterie et se mit d’abord à rire, quoique, à dire vrai, il n’en eût guère envie et trouvât la facétie d’un goût détestable.

Mais une main brutale s’abattit sur son épaule, et l’un des hommes masqués, ouvrant un papier qu’il tenait à la main, procéda d’une voix qui n’avait rien de plaisant, à la lecture suivante :

« Cyprien Méré,

« Ceci est pour vous signifier que le tribunal secret du camp de Vandergaart, siégeant au nombre de vingt-deux membres et agissant au nom du salut commun, vous a, ce jour, à l’heure de minuit vingt-cinq minutes, condamné à l’unanimité à la peine de mort.

« Vous êtes atteint et convaincu d’avoir, par une découverte intempestive et déloyale, menacé dans leurs intérêts et dans leur vie, dans celle de leurs familles, tous les hommes qui, soit en Griqualand, soit ailleurs, ont pour industrie la recherche, la taille et la vente des diamants.

« Le tribunal, statuant dans sa sagesse, a jugé qu’une telle découverte devait être anéantie, et que la mort d’un seul était préférable à celle de plusieurs milliers de créatures humaines.

« Il a décrété que vous auriez dix minutes pour vous préparer à mourir, que le choix de cette mort vous serait laissé, que tous vos papiers seraient brûlés, à l’exception de telle communication ouverte qu’il vous conviendra de laisser à l’adresse de vos proches, et que votre habitation serait rasée au niveau du sol.

« Ainsi soit fait à tous les traîtres ! »

En s’entendant ainsi condamner, Cyprien commença à être fortement ébranlé dans sa confiance première, et il se demanda si cette comédie sinistre, étant données les mœurs sauvages du pays, n’était pas plus sérieuse qu’il ne l’avait cru.

L’homme, qui le tenait par l’épaule, se chargea de lever ses derniers doutes à cet égard.

« Levez-vous à l’instant ! lui dit-il grossièrement. Nous n’avons pas de temps à perdre !

— C’est un assassinat ! » répondit Cyprien, qui sauta résolument à bas de son lit pour passer quelques vêtements.

Il était plus révolté qu’ému et concentrait toute la puissance de sa réflexion sur ce qui lui arrivait, avec le sang-froid qu’il aurait pu mettre à étudier un problème de mathématiques. Quels étaient ces hommes ? Il ne pouvait arriver à le deviner, même au timbre de leurs voix. Sans doute, ceux qu’il connaissait personnellement, s’il s’en trouvait parmi eux, gardaient prudemment le silence.

« Avez-vous fait votre choix entre les différents genres de mort ?… reprit l’homme masqué.

— Je n’ai pas de choix à faire et je ne puis que protester contre le crime odieux dont vous allez vous rendre coupables ! répondit Cyprien d’une voix ferme.

— Protestez, mais vous n’en serez pas moins pendu ! Avez-vous quelque disposition à écrire ?

— Rien que je puisse vouloir confier à des assassins !

— En marche donc ! » ordonna le chef.

Deux hommes se placèrent aux côtés du jeune ingénieur, et le cortège se forma pour se diriger vers la porte.

Mais, à cet instant, un incident très inattendu se produisit. Au milieu de ces justiciers du Vandergaart-Kopje, un homme venait de se précipiter d’un bond.

C’était Matakit. Le jeune Cafre, qui rôdait le plus souvent, pendant la nuit, aux alentours du camp, avait été porté, par instinct, à suivre ces gens masqués, au moment où ils se dirigeaient vers la case du jeune ingénieur, pour en forcer le porte. Là, il avait entendu tout ce qui s’était dit, il avait compris le danger qui menaçait son maître. Aussitôt, sans hésiter, et quoiqu’il pût en advenir pour lui, il avait écarté les mineurs et s’était jeté aux pieds de Cyprien.

« Petit père, pourquoi ces hommes veulent-ils te tuer ? criait-il en se cramponnant à son maître, en dépit des efforts que les hommes masqués faisaient pour l’écarter.

— Parce que j’ai fait un diamant artificiel ! répondit Cyprien, en serrant avec émotion les mains de Matakit, qui ne voulait pas se détacher de lui.

— Oh ! petit père, que je suis malheureux et honteux de ce que j’ai fait ! répétait en pleurant le jeune Cafre.

— Que veux tu dire ? s’écria Cyprien.

— Oui ! j’avouerai tout, puisque l’on veut te mettre à mort ! s’écria Matakit. Oui !… c’est moi qu’il faut tuer… car c’est moi, qui ai mis le gros diamant dans le fourneau !

— Écartez ce braillard ! dit le chef de la bande.

— Je vous répète que c’est moi qui ai mis le diamant dans l’appareil ! redisait Matakit en se débattant. Oui !… c’est moi qui ai trompé le petit père !… C’est moi qui ai voulu lui faire croire que son expérience avait réussi !… »

Il apportait une énergie si farouche dans ses protestations qu’on finit par l’écouter.

« Dis-tu vrai ? demanda Cyprien, à la fois surpris et désappointé de ce qu’il entendait.

— Mais oui !… Cent fois oui !… Je dis vrai ! »

Il était maintenant assis par terre, et tous l’écoutaient, car ce qu’il disait allait singulièrement changer les choses !

« Le jour du grand éboulement, reprit-il, lorsque je suis resté enterré, sous les décombres, je venais de trouver le gros diamant !… Je le tenais à la main et je songeais au moyen de le cacher, quand la muraille est tombée sur moi pour me punir de cette pensée criminelle !… Lorsque je suis revenu à la vie, j’ai retrouvé cette pierre dans le lit où le petit père m’avait fait transporter !… J’ai voulu la lui rendre, mais, j’ai eu honte d’avouer que j’étais un voleur, et j’ai attendu une occasion favorable !… Précisément, quelque temps après, petit père a voulu tenter de faire un diamant et il m’a chargé d’entretenir le feu !… Mais voilà que le second jour, tandis que j’étais seul au laboratoire, l’appareil a éclaté avec un bruit horrible, et peu s’en est fallu que je ne fusse tué par les débris !… Alors, j’ai pensé que petit père aurait de la peine, parce que son expérience avait manqué !… J’ai donc placé dans le canon qui était fendu, le gros diamant, bien enveloppé d’une poignée de terre, et je me suis hâté de tout réparer par dessus le fourneau pour que le petit père ne s’aperçût de rien !… Puis, j’ai attendu sans rien dire, et, quand le petit père a trouvé le diamant, il a été bien joyeux ! »

Un éclat de rire formidable, que ne purent retenir les cinq hommes masqués, accueillit les derniers mots de Matakit.

Cyprien, lui, ne riait pas du tout et se mordait les lèvres de dépit.

Impossible de se méprendre au ton du jeune Cafre ! Son histoire était évidemment vraie ! En vain, Cyprien cherchait-il, dans ses souvenirs ou dans son imagination, des motifs pour la mettre en doute et la contredire mentalement ! En vain se disait-il :

« Un diamant naturel, exposé à une température comme celle du fourneau, se serait volatilisé… »

Le simple bon sens lui répliquait que, protégée par une enveloppe d’argile, la gemme avait fort bien pu échapper à l’action de la chaleur ou la subir seulement d’une façon partielle ! Peut-être, même, était-ce à cette torréfaction qu’elle devait sa teinte noire ! Peut être s’était-elle volatilisée et recristallisée dans sa coque !

Toutes ces pensées s’accumulaient dans le cerveau du jeune ingénieur, et elles s’y associaient avec une rapidité extraordinaire. Il était stupéfait !

« Je me rappelle fort bien avoir vu la motte de terre dans la main du Cafre, le jour de l’éboulement, fit alors observer l’un des hommes, lorsque l’hilarité se fut un peu calmée. Et même, il la serrait si fort dans ses doigts crispés, qu’il a fallu renoncer à la lui reprendre !

— Eh ! il n’y a plus le moindre doute à concevoir ! répondit un autre. Est-ce qu’il est possible de fabriquer du diamant ? En vérité, nous sommes bien sots d’avoir pu le croire !… Autant vaudrait chercher à fabriquer une étoile ! »

Et tous se remirent à rire.

Cyprien souffrait assurément plus de leur gaieté qu’il n’avait souffert de leur rudesse.

Enfin, après que les cinq hommes se furent consultés à voix basse, leur chef reprit la parole :

« Nous sommes d’avis, dit-il, qu’il y a lieu de surseoir à l’exécution de la sentence prononcée contre vous, Cyprien Méré ! Vous allez être libre ! Mais souvenez-vous que cette sentence pèse toujours sur vous ! Un mot, un signe pour en informer la police, et vous serez impitoyablement frappé !… À bon entendeur salut ! »

Il dit, et, suivi de ses compagnons, il se dirigea vers la porte.

La chambre resta plongée dans l’obscurité. Cyprien aurait pu se demander s’il ne venait pas d’être le jouet d’un simple cauchemar. Mais les sanglots de Matakit, qui s’était allongé sur le sol et pleurait bruyamment, la tête dans ses mains, ne lui permettaient pas de croire que tout ce qui s’était passé ne fût point réel.

Ainsi, c’était bien vrai ! Il venait d’échapper à la mort, mais au prix d’une humiliation des plus sanglantes ! Lui, ingénieur des mines, lui, élève de l’École Polytechnique, chimiste distingué, géologue déjà célèbre, il s’était laissé prendre à la ruse grossière d’un misérable Cafre ! Ou plutôt, c’était à sa propre vanité, à sa ridicule présomption, qu’il était redevable de cette bévue sans nom ! Il avait poussé l’aveuglement jusqu’à trouver une théorie pour sa formation cristalline !… On n’était pas plus ridicule !… Est-ce que ce n’est pas à la nature seule qu’il appartient, avec le concours des siècles, de mener à bien des œuvres semblables ?… Et pourtant, qui ne se serait trompé à cette apparence ? Il espérait le succès, avait tout préparé pour l’atteindre et devait logiquement croire qu’il l’avait obtenu !… Les dimensions anormales du diamant elles-mêmes étaient faites pour entretenir cette illusion !… Un Despretz l’eût partagée !… Des méprises semblables n’arrivent-elles pas tous les jours ?… Ne voit-on pas les numismates les plus expérimentés accepter pour vraies de fausses médailles ?

Cyprien essayait de se réconforter de la sorte. Mais, tout à coup, une pensée le glaça :

« Et mon mémoire à l’Académie !… Pourvu que ces gredins ne s’en soient pas emparés ! »

Il alluma une bougie. Non ! Grâce au ciel, son mémoire était encore là ! Personne ne l’avait vu !… Il ne respira qu’après l’avoir brûlé.

Cependant, le chagrin de Matakit était si déchirant qu’il fallut bien se décider à l’apaiser. Ce ne fut pas difficile. Aux premiers mots bienveillants du petit père, le pauvre garçon sembla renaître à la vie. Mais, si Cyprien dut l’assurer qu’il ne lui gardait pas rancune et qu’il lui pardonnait de bon cœur, ce fut à la condition qu’il ne s’aviserait plus de recommencer.

Matakit le promit au nom de ce qu’il avait de plus sacré, et, son maître étant allé se recoucher, il en fit autant.

Ainsi finit cette scène qui avait failli tourner au tragique !

Mais, si elle se termina de la sorte pour le jeune ingénieur, il ne devait pas en être de même pour Matakit.

En effet, le lendemain, quand on sut que l’Étoile du Sud n’était rien moins qu’un diamant naturel, que ce diamant avait été trouvé par le jeune Cafre, qui en connaissait parfaitement la valeur, tous les soupçons à son endroit reparurent avec plus de force. John Watkins jeta les hauts cris. Ce Matakit ne pouvait qu’être le voleur de cette inestimable pierre ! Après avoir songé à
Cinq hommes masqués pénétraient dans sa chambre. (Page 211.)

se l’approprier une première fois, — ne l’avait-il pas avoué ? — c’était évidemment lui qui l’avait volé dans la salle du festin.

Cyprien eut beau protester, se rendre garant de la probité du Cafre ; on ne l’écouta pas, — ce qui prouve surabondamment combien Matakit, qui jurait de sa parfaite innocence, avait eu cent fois raison de fuir et cent fois tort d’être revenu en Griqualand.

Mais alors, le jeune ingénieur, qui ne voulait pas en démordre, fit valoir un argument auquel on ne s’attendait pas, et qui, dans sa pensée, devait sauver Matakit.

« Dada !… Ici !… » (Page 220.)

« Je crois à son innocence, dit-il à John Watkins, et, d’ailleurs, fût-il coupable, cela ne regarde que moi ! Naturel ou artificiel, le diamant m’appartenait, avant que je l’eusse offert à mademoiselle Alice…

— Ah ! il vous appartenait ?… répondit Mr. Watkins d’un ton singulièrement goguenard.

— Sans doute, reprit Cyprien. N’a-t-il pas été trouvé sur mon claim par Matakit, qui était à mon service ?

— Rien de plus vrai, répondit le fermier, et, par conséquent, il est à moi, aux termes mêmes de notre contrat, puisque les trois premiers diamants, trouvés sur votre concession, doivent m’être remis en toute propriété ! »

À cela, Cyprien, abasourdi, ne put rien répondre.

« Ma réclamation est-elle juste ? demanda Mr. Watkins.

— Absolument juste ! répondit Cyprien.

— Je vous serai donc fort obligé de reconnaître mon droit par écrit, au cas nous pourrions faire rendre à ce coquin le diamant qu’il a si impudemment volé ! »

Cyprien prit une feuille de papier blanc et écrivit :

« Je reconnais que le diamant trouvé sur mon claim par un Cafre à mon service, est, aux termes de mon contrat de concession, la propriété de M. John Stapleton Watkins.

« Cyprien Méré. »

Voilà, on en conviendra, une circonstance qui faisait évanouir tous les rêves du jeune ingénieur. En effet, si le diamant reparaissait jamais, il appartenait, non à titre de cadeau, mais en propre, à John Watkins, et un nouvel abîme, que tant de millions devaient combler, se creusait entre Alice et Cyprien.

Toutefois, si la réclamation du fermier était nuisible aux intérêts de ces deux jeunes gens, elle l’était bien plus encore pour Matakit ! C’était maintenant à John Watkins qu’il avait causé ce tort !… C’était John Watkins qui était le volé !… Et John Watkins n’était pas homme à abandonner une poursuite, lorsqu’il se croyait assuré de tenir son voleur.

Aussi, le pauvre diable fut-il arrêté, emprisonné, et douze heures ne se passèrent pas sans qu’il fût jugé, puis, malgré tout ce que put dire Cyprien en sa faveur, condamné à être pendu… s’il ne se décidait pas ou ne parvenait pas à restituer l’Étoile du Sud.

Or, comme, en réalité, il ne pouvait la restituer, puisqu’il ne l’avait jamais prise, son affaire était claire, et Cyprien ne savait plus que faire pour sauver le malheureux qu’il s’obstinait à ne point croire coupable.