L’Île d’Orléans/07

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Augustin Côté & Cie (p. 46-54).

VII

Paroisse de Saint-Pierre


Population — Curiosités naturelles — Pierre phénoménale — Route des Prêtres — Échange de reliques — M. de Francheville — Les SS. d’Esgly et Burke — Naufrage de M. Hébert.


L’église de Saint-Pierre, si riche en souvenirs religieux, eut pour curé, pendant près de 40 ans, le vieil évêque D’Esgly.[1] Il était le modérateur et le conseiller de toute la population de l’île d’Orléans. Sa prudence et sa fermeté, alliée à une familiarité noble, lui acquirent non-seulement le respect, mais l’affection sincère des insulaires. Bien des vertus et des mérites rehaussèrent la vie de ce bon prêtre, que, dans des temps difficiles et nébuleux, on choisit pour chef de l’église catholique au Canada.

Voyons les bornes de la paroisse de Saint-Pierre, telles qu’elles sont indiquées dans l’ouvrage de M. Bouchette. (Topographical Dictionary of Island of Orleans, tome 3, p. 203.) Saint-Pierre a deux lieues et demie de long. Son étendue est fixée par le règlement du 20 septembre, 1721, Confirmé par arrêt de Sa Majesté, en son conseil d’État, le 3 mars, 1722.

« L’étendue de la paroisse de Saint-Pierre et de Saint-Paul, située en la dite isle et comté de Saint-Laurent, aussi sur le bord du chenal du nord, sera de deux lieues et demie à prendre du côté d’en bas, depuis la rivière du Pot-au-Beurre, en remontant jusqu’au bout d’en haut de la dite île, ensemble les profondeurs renfermées dans ces bornes, telles qu’elles ont été concédées aux habitans de la dite paroisse, par leurs contrats de concession, à l’exception que si les concessionnaires du bout d’en haut de l’isle, établissaient leurs demeures du côté sud, ils seraient alors paroissiens de Saint-Laurent, et paieraient dismes au curé de Saint-Laurent. »

En 1684, il y avait à Saint-Pierre 34 familles, et 183 âmes. C’était une bien faible population. Le recensement de 1861 la porte à 1,022 âmes. L’église paroissiale était en bois, recouverte d’enduits ; c’est ce qu’on appelait alors bâtisse en colombages. Elle n’avait que 52 pieds de long, sur 22 de large. Cette bien modeste église était desservie par M. de Francheville, né à Québec, en 1651, l’un des élèves du collège des Jésuites, et condisciple du brave Joliette, qui s’immortalisa par la découverte du Mississipi. Ce bon prêtre, après avoir successivement desservi Rivière-Ouelle, Beauport, Saint-Pierre, etc., mourut à l’hôpital Général de Montréal, le 16 août, 1713, agé seulement de soixante-deux ans, mais épuisé par les travaux d’un apostolat des plus ruineux.

On courait autrefois à Saint-Pierre pour voir un objet de curiosité naturelle, qu’on appelait le pied de Saint-Roch. À trois quarts de lieue du bout de l’île, on montrait une pierre d’une conformation singulière. Elle était là, gisant au milieu d’un champ, paraissant mobile. À sa surface, on faisait remarquer l’empreinte des deux pieds nus d’un homme qui aurait couru du nord-ouest au sud-est, l’empreinte de la piste d’un chien, marchant dans la même direction ; et de plus l’endroit où une canne aurait été appuyée, par celui qui passait. Dans le temps où l’on faisait circuler le bruit que l’île était envahie par les sorciers, on ne manquait pas de dire que ces traces étaient celles du Juif-Errant.

C’est du coté sud de l’île, et presque vis-à-vis l’église de Saint-Pierre, que se trouve le Trou Saint-Patrice, petit havre sûr et commode, où mouillent, presque toujours, quelques navires, qui attendent l’heure du départ pour les lointains rivages. On a prétendu que ce crique avait été appelé ainsi par les Anglais, après la cession du pays. Mais il n’en est pas ainsi, puisqu’on le trouve mentionné sous ce terme, dès 1735, dans les lettres du R. Père Emmanuel Crespel, et ailleurs encore.

Un bon chemin fait le tour de l’île d’Orléans ; il est assez bien entretenu, par les différentes municipalités qu’il traverse. Une allocation comparativement bien faible a été accordé autrefois pour réparer la côte et la savane de la paroisse de Sainte-Famille.

La Route des prêtres, qui conduit de Saint-Pierre à Saint-Laurent, et qui traverse un riche massif d’érables séculaires, nous rappelle l’histoire d’une cérémonie religieuse imposante, qui eut lieu, à cet endroit, il y a près de deux siècles et que la tradition nous a conservée.

Vers la fin du dix-septième siècle, monseigneur de Saint-Valier fit don à l’église de Saint-Paul, aujourd’hui Saint-Laurent, d’une relique, portion d’os d’un bras de l’apôtre saint Paul. Quelques années après, le même évêque changea le vocable de la paroisse, en celui de Saint-Laurent, et voulut que saint Pierre et saint Paul fussent honorés dans l’église de Saint-Pierre, et qu’ils en fussent tous deux les titulaires. M. Daurie, qui était alors curé de Saint-Pierre, demanda à M. Poncelet, alors curé de Saint-Laurent, la relique de saint Paul, s’offrant de lui remettre en retour trois ossements de saint Clément, martyr. L’Archidiacre M. de La Colombière, dans sa visite officielle à Saint-Laurent, le 3 juillet, 1702, approuva cet échange qui s’effectua le 24 du même mois. La relique de saint Paul fut déposée dans l’église de Saint-Pierre, où elle devint l’objet d’une grande vénération.

Cet arrangement déplut néanmoins aux paroissiens de Saint-Laurent, qui considéraient la sainte relique comme une propriété inaliénable. Cependant, monseigneur de Saint Valier, dans une lettre écrite de Paris, à M. Daurie, le 17 mai, 1703, approuva ce qui avait été fait en disant : « Je suis content d’apprendre que vous avez effectué l’échange de la relique avec monsieur Frs Poncelet[2]. Quelques années plus tard, un paroissien de Saint-Laurent reporta à Saint-Pierre la relique de saint Clément, et en rapporta furtivement la relique de saint Paul, qu’il plaça dans l’église de Saint-Laurent. Une contestation sérieuse s’éleva alors, entre les habitants des deux paroisses. On en appela au jugement de l’évêque de Québec, qui, après mûre délibération, décida que chaque relique serait rendue à son église respective. Il ordonna donc que la population de Saint-Pierre et celle de Saint-Laurent se rendraient au milieu de la route des Prêtres, à un jour convenu, en procession solennelle, et que là on échangerait les reliques, qui seraient ensuite reportées, avec égale solennité, chacune dans leur église.

Tout ceci fut exécuté à la lettre ; et la grande croix qui se trouve sur ce chemin, à mi-distance entre les deux églises, indique l’endroit précis, où les habitants des deux paroisses se rencontrèrent en cette mémorable circonstance.

Un personnage, non moins vénérable que l’évêque D’Esgly, a aussi ajouté quelque illustration à la petite église de Saint-Pierre, bien qu’il n’ait fait qu’un séjour momentané en cette paroisse. C’est Monseigneur Edmond Burke, plus tard évêque de Sion, in part infid., premier vicaire apostolique de la Nouvelle-Écosse. Une circonstance bien déplorable unit son nom à celui des Mauvide, seigneurs de l’île, et celui du regretté curé de Québec, feu messire Augustin-David Hubert, Celui-ci se rendait, en compagnie de M. Laurent Mauvide,[3] dernier seigneur de Saint-Jean de l’Île, auprès de leur ami commun, M. Ed. Burke, lorsque leur embarcation chargée au-delà de toute prudence, se remplit d’eau tout-à-coup et sombra dans la rade. Ils furent tous deux engloutis dans les eaux avec huit autres personnes, le 21 mai 1792.

La nouvelle de ce triste événement répandit aussitôt la consternation dans tous les cœurs. La population entière de l’Île, oubliant les travaux pressants des semailles, voulut donner une preuve de son attachement à la famille de leur ancien seigneur, en cherchant ses restes mortels ainsi que ceux du vénérable curé qui l’accompagnait.

Les soldats de la garnison, notamment ceux du régiment du duc de Kent, rivalisèrent de zèle avec les citoyens. Le corps de messire Hubert fut retrouvé à la Pointe-Lévis, et inhumé de grand matin, dans la chapelle de la Sainte-Famille, à l’église paroissiale de Québec, le 6 juin, qui était le jour de la Fête-Dieu. C’est ainsi que fut enlevé subitement à l’affection de ses paroissiens, et à l’âge prématuré de quarante-un ans, ce digne prêtre, dont les vertus égalaient le zèle et le dévouement pour le salut des âmes : pastor dilectus et amans. La mort, toujours terrible, ne paraît jamais plus impitoyable que lorsqu’elle vient frapper ainsi, comme d’un coup de foudre, un homme estimé et chéri, et le ravit subitement à l’estime publique et aux plus douces affections. On dirait que, dans ces circonstances, elle craint de se laisser toucher par les prières et les larmes, en annonçant d’avance le coup qu’elle va frapper, si la foi ne nous enseignait que ces malheurs sont presque toujours des châtiments que Dieu nous envoie pour avoir méprisé ses dons.

Voici comment un journal du temps raconte cet événement funeste :

« Lundi, 21 mai, 1792, vers midi et demi, une chaloupe pesamment chargée partit de cette ville pour l’île d’Orléans ; ne pouvant tenir contre l’agitation des vagues qui menaçaient de la submerger, ayant tenté de mettre à terre à la Pointe-Lévis, prit une si grande quantité d’eau qu’elle cala à fond à peu de distance du rivage, vis-à-vis l’endroit nommé la cabane des Pères. De douze personnes qui étaient dans la chaloupe, dix ont péri. Deux seulement ont été sauvées par le prompt secours que leur ont porté quelques habitans de la Pointe-Lévy, qui, au risque de périr eux-mêmes dans cette louable tentative, ont sauvé le pilote Lachance, propriétaire de la chaloupe et un jeune homme. Ceux qui se sont noyés sont M. Hubert, curé de Québec, MM. Mauvide, de Saint-Jean, île d’Orléans, Louis Portier, Joseph Poulin, Joseph Forgues, Pierre Turcotte, Catiche Pinet, Josephte Lachance, Marie Lapointe et Isabelle Fortier. Ce déplorable accident, dont plusieurs pères de famille furent les victimes, affecta et affligea plus particulièrement les citoyens de Québec, à cause de la perte de M. Hubert, curé de cette ville, que ses qualités estimables tant comme ecclésiastique que comme citoyen, font universellement regretter. »

— (Gazette de Québec, du 24 mai, 1792.)

  1. Mgr l’évêque d’Esgly, étant coadjuteur du titulaire de Québec, sous le titre d’évêque de Douglée, desservait Saint-Pierre et Saint-Laurent en 1778. Le Révérend M. P. Huot l’assistait comme vicaire, et M. Gilles Eudo était curé de la paroisse de Sainte-Famille.
  2. Le Révérend Père Poncelet dont il s’agit ici, était récollet du couvent de Québec. Il avait été ordonné prêtre le 20 novembre, 1690, et mourut en 1712. Il ne faut pas le confondre avec M. François Poncelet, premier curé de Saint-Laurent, décédé l’Hôpital-Général de Québec, à l’âge de 42 ans, atteint d’une maladie contagieuse.
  3. Ce dernier était devenu propriétaire de cette seigneurie par son mariage avec une demoiselle Marianne Durocher, sœur du sieur Amable Durocher dont on a parlé plus haut, et de M. Benjamin Durocher, etc.