L’Île d’Orléans/Note

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Augustin Côté & Cie (p. v-xi).

NOTE DE L’ÉDITEUR



L y a six ans déjà, la presse signalait avec regret la mort d’un prêtre éminent, écrivain modeste autant que savant remarquable, dont les recherches et les travaux historiques, longtemps ignorés du public, ont souvent fait l’étonnement et l’admiration des Bibliophiles et des Antiquaires du pays, et même de l’étranger.

Intelligence d’élite, servie par une mémoire prodigieuse, travailleur infatigable et énergique, aussi attaché à sa nationalité que dévoué à son ministère, l’abbé Bois avait, dès son début dans la vie, fait, en quelque sorte, deux parts de son existence. Consacrant la première, la plus large, aux devoirs absorbants du sacerdoce et aux œuvres de charité vers lesquelles l’entraînait sa nature généreuse, il avait voué la seconde à l’étude de la théologie, des sciences et de l’histoire, particulièrement celle du Canada, dont il avait maintes fois parcouru le cercle et rebattu les sentiers jusque dans ses recoins les plus obscurs, n’ayant d’autre but et d’autre ambition que de contribuer à en élargir le cadre et à en rehausser l’éclat, au double point de vue des intérêts religieux et temporels de ses compatriotes.

Éloigné des grands centres, des bibliothèques et des archives publiques, il avait cependant réussi à enrichir ses tiroirs et ses rayons d’une foule de médailles et de pièces rares, d’autographes et de bouquins précieux, de manuscrits et de pamphlets introuvables aujourd’hui ; et ses cartons, gonflés d’études inachevées, de biographies intéressantes, de notes précieuses, puisées patiemment, pendant cinquante ans, aux sources les plus authentiques, et classifiées avec l’art du bénédictin, attiraient vers le presbytère de Maskinongé l’élite de nos hommes de lettres et de science, auxquels il permettait de puiser à pleine main dans ce trésor laborieusement ; accumulé, se trouvant suffisamment récompensé de ses durs labeurs par le plaisir qu’il éprouvait à aider un collaborateur et à obliger un ami.

La mort l’a surpris avant qu’il ait eu le temps de compléter les nombreuses études qu’il avait commencées, entre autres, ses intéressantes Biographies des évêques du Canada, dans lesquelles il avait traité avec une grande hauteur de vue, une sagacité remarquable et une abondance de détails pour la plupart inédits, des questions d’un ordre très élevé se rattachant à l’histoire politique et surtout à l’histoire ecclésiastique du pays.

Toutes ces richesses ne sont cependant pas perdues, car, en les léguant au séminaire de Nicolet, il les a placées sous la triple protection de l’amitié, de la religion et de la science, et les directeurs éclairés de cette illustre maison, désireux de perpétuer la mémoire d’un bienfaiteur et de seconder ses intentions, si non ses volontés, se feront un devoir, nous en sommes convaincu, de livrer à la publicité, sous une forme ou sous une autre, au moins les parties les plus importantes des œuvres qui enrichissent maintenant leurs archives et leur intéressante bibliothèque.

Il serait superflu de mentionner ici la part active et déterminante prise par l’abbé Bois à la publication des Relations des Jésuites et de donner la liste complète des ouvrages qu’il a publiés de son vivant : Extraits du Livre de mon oncle, sur l’agriculture ; Esquisse de la vie et des travaux de Mgr de Laval-Montmorency, avec portrait ; De Sillery, Dambouroès, Mabane, Crespel, l’abbé Raimbault, Vabbé Leprohon, etc., etc. Il nous suffit de rappeler qu’au nombre de ces derniers, nul ne fut mieux accueilli et plus apprécié que son intéressante étude sur l’Île d’Orléans, reproduite dans le feuilleton du Journal de Québec, en 1864. L’histoire de cette Île, publiée trois ans après, par le regretté L.-P. Turcotte, ainsi que les brillants écrits du professeur Hubert LaRue, ont encore contribué à augmenter l’attrait de ce premier récit. Aussi, cédant aux sollicitations de ses amis, l’abbé Bois avait consenti, quelque temps avant son décès, à le publier en volume, après l’avoir revu et corrigé, et il avait, dans ce but, remis et donné son manuscrit à son vieil ami, Mr Augustin Côté, éditeur-propriétaire du Journal de Québec.

Le décès de l’auteur a retardé jusqu’à ce jour l’impression de cet intéressant travail. Nous l’offrons aujourd’hui au public, persuadé qu’il recevra de sa part, sous cette forme rajeunie, l’accueil bienveillant que lui témoignaient autrefois les lecteurs éclairés du Journal. Le nombre et l’importance des ouvrages historiques publiés depuis quelques années par l’État, et par nos principaux écrivains, ont développé le goût de notre population pour tout ce qui se rattache à l’histoire intime du passé. D’ailleurs, son patriotisme éclairé suffirait à lui seul pour lui faire apprécier le mérite de ceux qui travaillent, avec autant de zèle que de désintéressement, à réunir les matériaux épars de notre histoire et dont les œuvres, comme les pierres ciselées pour un temple en construction, serviront, elles aussi, à orner et à agrandir celui que la postérité reconnaissante a déjà dédié à la mémoire des aïeux.




Nous offrons en même temps aux lecteurs une véritable primeur : la carte la plus ancienne et la plus complète de l’île d’Orléans. Elle date de 1689, et est l’œuvre de M. de Villeneuve, Ingénieur du Roi en ce pays. Ce dernier demeura à Québec de 1685 à 1693. Il nous a laissé plusieurs autres travaux de ce genre devenus très rares aujourd’hui : entre autres, un plan de la ville et du château de Québec en 1685 ; un plan de Québec assiégé par les Anglais en 1690, et trois cartes des environs de la capitale, dessinées en 1686, 1688 et 1689, (Bulletin des Recherches Historiques, Ier vol., pp. 36 et 37.)

Celui-ci reproduit, avec la plus grande exactitude de détails, les rivages de l’Île, ses caps, ses pointes, ses ruisseaux, ses rivières. Il retrace aussi les lignes de division des paroisses, ainsi que la course des chemins alors existants. Mais ce qui le rend surtout extrêmement précieux, c’est le soin et la précision avec lesquels il indique le site de chacune des habitations de l’Île, qu’il désigne par des numéros référant à un index qui contient les noms de tous les habitants de cette époque.

C’est presque une photographie de l’Île, telle qu’elle était il y a maintenant tout près de deux cents ans.