L’Île d’Orléans/Préface

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Augustin Côté & Cie (p. xiii-xvi).

PRÉFACE

DE L’AUTEUR



Si l’on a pu dire que chaque pierre a sa chronique, chaque mousse sa légende, il est encore plus vrai d’affirmer que chaque famille a aussi ses souvenirs, chaque maison ses traditions, chaque localité ses annales particulières et que l’ensemble des événements joyeux ou tristes qu’elles rappellent, des époques brillantes ou sombres, glorieuses ou tragiques dont elles ont été le témoin ou le théâtre et dont le récit se transmet au coin du feu, de génération en génération, constitue le charme le plus attrayant de l’histoire d’une population ou d’une localité.

L’île d’Orléans, connue des Français dès leurs premiers voyages au Canada, située à quelques milles de distance de la citadelle de Québec, ce vieux témoin des luttes héroïques des deux nations les plus puissantes de l’Europe, pour la possession exclusive de ce continent, offre, elle aussi, aux lecteurs amis de leur pays, sinon des pages mouvementées, remplies de prouesses et d’actions d’éclat, au moins des mémoires précieux et intéressants, non seulement pour ses habitants, mais même pour le public en général, et qu’il devient de plus en plus important de conserver en les mettant à l’abri de la pernicieuse influence de l’indifférence et de l’oubli.

En 1860, Mr N. H. Bowen, notaire, fils du juge-en-chef de la Cour supérieure, et membre de la Société littéraire et historique de Québec, publiait un Essai d’une quarantaine de pages auquel il donna pour titre : An Historical Sketch of the Isle of Orleans, being a paper read before the Literary and Historical Society of Quebec, etc. Cet opuscule, tiré à un nombre limité d’exemplaires, est composé en grande partie de citations réunies avec beaucoup de soin et suppose celui qui le lit déjà amplement pourvu de connaissances historiques. L’auteur, généralement véridique et impartial, ne présente à ses lecteurs ni railleries sur les usages et les coutumes de l’Île, ni observations offensantes sur les mœurs et les croyances des bons insulaires.

Tout, au contraire, y respire le respect et la bienveillance à leur égard. L’intérêt éprouvé en lisant ce mémoire fit regretter que, étant écrit en langue anglaise, il ne pouvait guère être lu par ceux qu’il intéressait davantage, et qui auraient aimé surtout à le conserver dans leurs familles. C’est pour combler cette lacune et pour suppléer cette omission que nous offrions aux lecteurs du Journal de Québec, en 1864, quelques notes qui devaient servir de complément à l’œuvre de Mr Bowen. Ce travail n’avait qu’un mérite, celui de démontrer qu’il s’en fallait de beaucoup que la matière fut épuisée. Aussi, trois ans plus tard, Mr L.-P. Turcotte, lui-même un enfant de l’Île d’Orléans, reprit le travail commencé et le publia sous une forme qui le mit à la portée du public. Il nous fit part de sa décision au mois de mai 1867 par la lettre suivante :


Au Révérend Monsieur L.-E. Bois.


Monsieur,


Quelques personnes m’ont assuré que vous êtes le savant auteur de la critique de la brochure de M. Bowen sur l’Île d’Orléans, qui a été publiée dans le feuilleton du Journal de Québec, en 1864. J’ai dit l’auteur de la critique, je me trompe, vous êtes plutôt l’auteur d’une véritable histoire de l’Île, tant par le nombre des faits historiques que par le grand nombre de notes qui accompagnent votre excellente critique. Si votre ouvrage eut été livré au public en brochure, je n’aurais jamais entrepris la publication de cette Histoire que j’ai l’honneur de vous présenter.

Je vous avouerai, monsieur, que votre excellent travail m’a été d’une grande utilité pour cette brochure. Sans lui, certainement, plusieurs faits n’auraient pas été traités.

Vous avez donc, par votre ouvrage, contribué beaucoup à la compléter et c’est en reconnaissance de ce secours que je vous prie d’accepter le présent exemplaire de mon humble Histoire de l’Île d’Orléans.


J’ai l’honneur d’être, etc.,
L.-P. TURCOTTE.

Nous laissâmes le jeune et industrieux écrivain jouir en paix du fruit de son ouvrage. Mais vingt ans se sont écoulés depuis cette époque, et la vente de son Histoire étant depuis longtemps épuisée, nous cédons aux demandes qui nous sont adressées et nous livrons à la presse, sous une forme nouvelle, l’œuvre à peine ébauchée dans les colonnes du Journal de Québec, laissant aux lecteurs à faire la part du mérite de chacun. Quelles que soient d’ailleurs les divergences d’opinions sur ce point, nous sommes satisfait que les amis des lettres et de l’histoire nous seront, peut-être, reconnaissants d’avoir été le premier à défricher et à ouvrir une voie dont l’importance et l’utilité étaient alors loin d’être démontrées, mais qui a depuis été rendue de plus en plus attrayante, tant par le travail intelligent de Mr Turcotte et les écrits patriotiques et humoristiques du regretté Hubert LaRue, que par les nombreux ouvrages du même genre qui ont été publiés depuis.