L’Île de Cypre/03

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L’Île de Cypre
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 33 (p. 373-413).
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L’île de Cypre
son rôle dans l’histoire

III[1].

L’ART ET LA RELIGION À CYPRE, LES ÉLÉMENS PHÉNICIENS
DE LA CIVILISATION GRECQUE.



I. Engel, Kypros, 2 vol. Berlin, 1841. — II. Di Cesnola, Cyprus, its ancient cities, tombs and temples, with maps and illustrations, 1 vol., Londres, 1877. — III. Hamilton Lang, Cyprus, its history, its présent resources and future prospects, 1 vol. Londres, 1878. — IV. Franz von Loeher, Cypern, Reiseberichte ueber Natur und Landschaft, Volk und Geschichte, 1 vol., Stuttgart, 1878.— V. The antiquities of Cyprus, discovered principally on the sites of the ancient Golga and Idalium, by gêneral Luigi Palma di Cesnola, photographed by St. Thompson, from a sélection made by C. T. Newton, with an introduction by Sidney Colvin, 36 planches in-f°, Londres, 1873. — VI. J. Doell, die Sammlung Cesnola (Mémoires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, 1873), avec 17 planches lithographiées. — VII. Froehner, Collection de M. Albert B***. Antiquités grecques, poteries et verres chypriotes, Paris, 1878, in-4o. — VIII. E. Curtius, die Griechische Gœtterlehre vom geschichtlichen Standpunkt. Berlin, 1875. — IX. H. de Luynes, Numismatique et inscriptions cypriotes, in-f°, Paris, 1852.


I.

L’architecture des siècles antérieurs au moyen âge n’a laissé sur le sol de Cypre que des traces bien rares et bien peu marquées. La faute en est surtout à la prospérité presque ininterrompue dont l’île a continué de jouir, sous des régimes divers, jusqu’à la conquête turque. Les pierres des anciens édifices ont été plusieurs fois remises en œuvre ; elles ont été taillées et remaniées jusqu’à ce qu’elles tombassent en poussière. Celles mêmes que l’usure n’a pas encore tout à fait émiettées ont perdu, dans tous ces changemens de place et de destination, la forme que leur avait imprimée le ciseau de l’ouvrier phénicien ou grec ; elles ressemblent à ces monnaies qui, pour avoir passé dans trop de mains, ne laissent plus distinguer ni type ni légende.

À défaut de la surface, l’intérieur du sol n’a pas pu ne point conserver, cachés sous un amas de débris, quelques restes des constructions antiques ; mais pour se reconnaître au milieu de ces décombres, il aurait fallu l’œil d’un architecte ou tout au moins le zèle et les scrupules d’un archéologue, qui se serait astreint à noter sur le terrain, heure par heure, les moindres circonstances de la fouille. Or ce ne sont ni des architectes ni des archéologues qui ont fait à Cypre les grandes fouilles et les belles découvertes ; ce sont des diplomates, c’est un banquier, c’est un général de cavalerie. Un seul architecte a visité l’île, M. Duthoit, le compagnon de M. de Vogüé, et sa chance l’a bien mal servi sur ce terrain où ses connaissances spéciales auraient pu rendre de si incomparables services. À Golgos, ses tranchées ont effleuré, sans qu’il en fût averti, l’aire d’un de ces vieux temples cypriotes, où les statues étaient couchées, auprès de leurs piédestaux encore en place, sous les ruines des murs et de la toiture. Un peu plus favorisé par la fortune, comme M. Duthoit nous aurait donné, sur la construction et sur le plan du sanctuaire de Golgos, des renseignemens bien autrement instructifs que ne l’a fait M. de Cesnola ! Pour celui-ci, les restes de cet édifice n’ont été qu’une mine à exploiter en toute hâte, pour y trouver des objets de collection et de vente.

La fouille ainsi comprise est brutale et destructrice ; elle s’enfonce dans le sol, elle rejette les terres à droite et à gauche sans s’inquiéter de ce qu’elles recouvrent en retombant à lourdes pelletées ; elle sacrifie tout à la conquête de la proie qu’elle poursuit. Tout autre est la fouille entreprise par l’architecte en vue de restituer un édifice que le temps a renversé sans en anéantir tous les élémens. Elle procède autrement ; elle ne rencontre pas une assise de pierre sans en relever la direction et sans en mesurer les dimensions, pas un fragment portant la trace du ciseau sans noter la profondeur à laquelle il est enfoui ; la moindre moulure est dessinée avec soin. La marche des travaux exige-t-elle l’enlèvement des matériaux amoncelés, l’explorateur ne laisse disparaître aucune couche de débris sans qu’un coup de crayon en ait marqué l’épaisseur et indiqué la nature.

S’il s’agit d’un monument gréco-romain, bien peu de chose suffit à l’architecte pour en déterminer le caractère, pour en retrouver les proportions et en rétablir le plan. Qu’il ait déterré seulement une base ou un chapiteau, il sait à quel ordre appartenait le temple, il calcule, à quelques centimètres près, la hauteur de la colonne et celle de l’entablement, il peut dire quelles dispositions générales avaient été adoptées, quels étaient le style et le goût de la décoration. Grâce à cette suite d’observations, de comparaisons et de calculs, on voit se relever sur le papier l’édifice même que les premiers explorateurs de la contrée avaient pu croire détruit et perdu sans retour.

La tâche de l’architecte est plus difficile quand il étudie les monumens de l’art oriental, de l’art égyptien, assyrien ou phénicien. Là, pour qu’il parvienne à restaurer un ensemble d’une manière probable, il lui faut retrouver sur le terrain plus d’élémens certains, des vestiges plus nets et mieux définis de l’œuvre du constructeur d’autrefois. C’est que l’architecture orientale, l’architecture égyptienne par exemple, n’est pas de même que la grecque, un art chiffré ; les diverses parties d’un monument n’y sont pas dans un rapport constant les unes avec les autres. Comme l’a très bien dit M. Charles Blanc, « les monumens égyptiens ont des dimensions, ils n’ont pas encore de proportions. On n’y voit point de relation établie et voulue entre la hauteur du chapiteau et la hauteur de la colonne. Tantôt les mêmes colonnes sont couronnées de chapiteaux différens, tantôt des chapiteaux de même hauteur surmontent des colonnes inégales en épaisseur et en élévation. Les Grecs, admirant surtout la création dans la plus parfaite de ses œuvres, qui est l’homme, voulurent imiter l’organisme du corps humain. Ils mirent dans leurs édifices des proportions, c’est-à-dire qu’ils choisirent un des membres de l’architecture pour servir de module, de mesure à tous les autres, de façon qu’étant donnée la mesure d’une seule partie, on pût reconstruire les autres parties et le tout, de même que, le doigt d’un homme étant connu, on pouvait en induire les proportions de l’homme entier, d’après le canon de Polyclète[2]. »

Ces rapports constans qui n’existent pas entre les divers membres de la construction, nous ne les retrouvons pas davantage chez les Orientaux, entre les différentes parties dont se compose, en plan, l’édifice par excellence, celui qui, chez tous les peuples, a le plus de grandeur et d’unité, le temple. Le temple égyptien n’est pas un tout organique comme le temple grec. Le sanctuaire y est réduit à sa plus simple expression ; c’est ce que les écrivains grecs qui décrivent l’Égypte appellent le naos, une petite chapelle monolithe, parfois même seulement une niche pratiquée dans la paroi d’une des salles du temple. Cette niche ou cette chapelle, le type de l’arche sainte des Hébreux, était fermée par une porte à deux battans (on voit encore, sur plusieurs de ces monumens, la trace des gonds), et s’ouvrait à certains jours, comme dans le temple d’Israël le saint des saints, devant le prêtre ou le roi, admis à contempler, pendant quelques instans, les objets sacrés qui se conservaient dans ce tabernacle. Les pièces qui entourent ce sanctuaire peuvent être de formes variées et en nombre indéfini. Ce sont des dépendances, des salles d’attente, des appartemens, des magasins. Rien ici de comparable à la cella du temple grec, rien qui ressemble à cette grande chambre que tous les arts concourent à décorer pour la rendre digne du dieu qui l’habite, représenté par sa statue qui se dresse au fond du sanctuaire, tandis qu’au-dessus des portiques qui enveloppent sa demeure frises et frontons racontent ses victoires et célèbrent sa puissance et ses bienfaits. L’Orient ne l’a pas connue, cette merveilleuse unité du temple grec, où des règles simples et claires, fondées sur la raison même, déterminent l’accord et la subordination des parties, où des doctrines traditionnelles, tout à la fois fermes et souples, guident le génie de l’artiste sans l’enchaîner et sans l’appauvrir.

Il nous a suffi d’un coup d’œil jeté sur l’histoire de Cypre pour reconnaître combien s’y était établie de bonne heure l’influence de l’Orient sémitique et comme elle y avait persisté tard. Ce que l’on devait donc s’attendre à trouver dans l’île, là où le mouvement de la vie n’aurait pas tout nivelé et tout pulvérisé, c’était moins des édifices grecs et romains que des constructions dont le principe et l’esprit appartinssent à l’Orient. Il n’en eût été que plus nécessaire d’avoir là le concours d’hommes préparés par une éducation spéciale à relever jusqu’aux moindres vestiges de ce qui fut autrefois, à s’orienter et à se reconnaître au milieu de ruines sans beauté pittoresque et sans relief, dont l’insignifiance apparente ne devait pas piquer la curiosité de l’observateur superficiel et n’éveillerait pas son attention. Le sort a voulu que les fouilles se fissent dans d’autres conditions, et les résultats en ont été si brillans que l’on semblerait avoir mauvaise grâce à rien regretter. Cependant nous eussions vivement désiré savoir comment étaient bâtis et décorés ces temples qui, pendant dix siècles et plus, ont été chantés par les poètes et que des millions de pèlerins ont visités ; or, malgré tant de coups de pioche donnés au bon endroit et tant de terres remuées à grands frais, nous n’avons encore, sur ce que l’on peut appeler l’architecture cypriote, que de bien faibles données, que des renseignemens bien insuffisans.

Le seul temple de l’île dont nous sachions quelque chose par des témoignages anciens, c’est le plus fameux de tous, celui de Paphos. Pendant la guerre de Judée, Titus, nous raconte Tacite, « eut la fantaisie de visiter ce sanctuaire, célèbre par le concours des indigènes et des étrangers. » L’historien s’arrête à ce propos, pour indiquer en quelques mots « les origines de ce culte, les rites pratiqués dans ce temple, la forme sous laquelle est adorée la déesse, forme qui ne se retrouve nulle part ailleurs. » Ce qu’il rapporte au sujet des origines est insuffisant et obscur, comme ce qu’il dit ailleurs des Juifs, de leur histoire et de leur religion ; il y a pourtant là quelques détails assez précis sur les règles suivies pour les sacrifices et sur l’image de la déesse « qui n’est point représentée sous la figure humaine ; c’est un bloc circulaire qui, s’élevant en cône, diminue graduellement de la base au sommet. La raison de cette forme est ignorée. » Tacite ajoute que Titus prit plaisir « à contempler les richesses du temple et les dons qu’y avaient accumulés les anciens rois, ainsi que toutes ces antiquités que la vanité des Grecs fait remonter à des époques inconnues. » Il nous montre enfin le futur empereur sacrifiant de nombreuses victimes et interrogeant l’oracle dont les réponses le comblent de joie.

Ce n’était point un temple hellénique que celui où l’œil ne rencontrait qu’une pierre presque brute à la place qu’occupait, dans le sanctuaire de Cos ou de Cnide, l’Aphrodite de Praxitèle. Au lieu de cette image accomplie de la grâce et de la beauté féminine, un grossier symbole phallique, un caillou sacré, un bétyle, comme disaient les Grecs, qui avaient emprunté aux Sémites, dans une très haute antiquité, le culte de ces fétiches et le terme même par lequel on les désignait au pays de Chanaan[3]. Ces pierres levées, les Grecs ne tardèrent pas à les remplacer par des statues, que d’âge en âge ils firent plus belles jusqu’au jour où ils arrivèrent à représenter la divinité sous les plus nobles traits que puisse revêtir la créature humaine dans ses exemplaires les plus rares et les plus achevés. Au contraire Syriens et Arabes, avec leurs conceptions religieuses plus vagues et plus flottantes que celles des Grecs, étaient restés attachés à ces symboles presque informes qu’entourait une vénération d’autant plus profonde que les origines en étaient plus lointaines et plus mystérieuses ; rappelez-vous la pierre noire d’Émèse, dont Héliogabale était le prêtre, et celle de la Caaba, devant laquelle faisaient leurs dévotions, avant la prédication de l’islamisme, les contemporains de Mahomet. Tacite se trompe en mettant sur le compte des Grecs les mythes que Titus entendit raconter à Paphos par les exégètes du temple, les monumens votifs qu’on lui fit passer en revue ; l’historien nous en avertit lui-même, à son insu, par ce qu’il nous dit du symbole qui figurait, à Paphos, l’énergie féconde et créatrice. Quand on connaît l’esprit et les goûts d’un propriétaire, on sait d’avance, avant d’être entré chez lui, comment doit être meublée sa maison. Il en est de même ici, pour le temple de Paphos ; tout devait être en harmonie, l’image même de la divinité à laquelle les hommages s’adressaient, la disposition générale et la décoration du temple où on l’adorait, les costumes des prêtres et les rites qu’ils faisaient pratiquer aux pèlerins. La présence de la pierre conique dans le sanctuaire, à la place d’honneur, c’était, si l’on peut ainsi parler, la note dominante, celle qui donnait le ton. Ainsi prévenus par Tacite, nous pouvions affirmer, sans crainte d’erreur, que tout devait avoir à Paphos, même encore de son temps, un caractère bien plus oriental que grec, une couleur syrienne très marquée.

L’induction que nous pouvions tirer de ce texte, d’autres documens sont venus la confirmer. Sur toute une série de monnaies de bronze qui ont été frappées sous les empereurs, d’Auguste à Macrin, au nom du congrès de toutes les cités cypriotes (Κοινὸν Κυπρίων), on voit figurer un édifice dans lequel on s’accorde à reconnaître le plus important des sanctuaires de l’île, celui de Paphos. Cette représentation, comme il arrive toujours en pareil cas, est fort abrégée. Elle était destinée à rappeler aux contemporains un monument qu’ils connaissaient, et non à fournir des renseignemens aux archéologues de l’avenir. D’après M. François Lenormant, qui a étudié particulièrement ces pièces cypriotes, « elle consiste en une élévation géométrale de la façade, en avant de laquelle s’étend un parvis formé par une balustrade en demi-cercle. Le toit forme une terrasse, sur laquelle se posent les colombes sacrées de la déesse. Au centre, porté sur un large stylobate qui surmonte un soubassement construit en larges assises régulières, est un pylône en saillie de forme égyptienne qui dépasse de beaucoup en hauteur le toit de l’édifice lui-même. Ce pylône représente des fenêtres dans sa partie supérieure et au rez-de-chaussée une vaste porte d’entrée, dont le graveur a volontairement exagéré l’ouverture, pour faire apercevoir tout au fond du sanctuaire le simulacre de la divinité, sous la forme d’une pierre conique que surmonte une tête grossièrement indiquée, avec des rudimens de bras. Ici, comme au temple de Jérusalem, sous la tour du pylône s’ouvrait le oulam ou pronaos, puis en arrière se prolongeait le debir ou sanctuaire, qui ne dépassait pas, non plus, la largeur du pylône. Les parties de l’édifice qui l’excèdent de chaque côté étaient occupées par les chambres qui, comme à Jérusalem et en Égypte, régnaient tout autour du sanctuaire, servant à conserver le trésor et les objets du culte ainsi qu’à préparer les cérémonies rituelles. En avant du temple, des deux côtés du pylône, se dressaient des colonnes isolées, comme celles que Lucien vit en avant du temple d’Hiérapolis, comme les deux colonnes Yakin et Boaz devant l’édifice bâti par Salomon, comme aussi les obélisques des temples égyptiens[4].» Le trait par lequel sont indiquées, sur la médaille, ces colonnes jumelles suggère l’idée d’une forme très décorative, qui, par les renflemens prononcés de ses courbes horizontales, rappelle la silhouette de certains candélabres antiques conservés dans nos musées.

Le graveur de tous ces coins cypriotes, ne disposant que d’un espace très restreint, avait tenu surtout à mettre en vue sur ces pièces l’étrange simulacre qui faisait l’originalité du culte de Paphos. Il en avait donc forcé la proportion et il l’avait placé, ainsi grossi, dans le milieu du champ; puis, comme pour mieux le faire valoir, il l’avait encadré dans la façade du temple proprement dit, du bâtiment couvert qui servait à l’idole d’enveloppe et d’abri; mais avec le peu de place dont il disposait, il n’avait pu songer à montrer en même temps les parties secondaires, les dépendances du sanctuaire. Or, du temple de Jérusalem si bien restitué par M. de Vogüé à celui de Marathus dont M. Renan a retrouvé toute l’ordonnance, tous les édifices religieux de la Syrie ont une enceinte extérieure, un péribole, comme disaient les Grecs, qui circonscrit une large cour entourée de portiques[5]. Cette enceinte, il en subsiste encore quelques débris imposans, quoique ces murailles servent depuis bien des siècles de carrière aux habitans du petit village de Kouklia, situé sur l’emplacement du même temple, et que jadis les Lusignans en aient tiré les matériaux d’une forteresse et de plusieurs églises, elles-mêmes aujourd’hui ruinées.

M. de Cesnola a fait, en plusieurs fois, des fouilles assez étendues et très profondes sur différens points du plateau qu’occupait le sanctuaire ; le plan qu’il donne mérite donc d’être préféré, tout sommaire qu’il soit, aux esquisses que quelques-uns de ses prédécesseurs avaient tracées après une rapide inspection des lieux. Sans retrouver la trace de ces colonnades, de ces clôtures intérieures et de ces bassins qu’avaient cru reconnaître Ali-Bey et Hammer, il met au centre du plateau les débris d’un massif rectangulaire qui représenterait les substructions du temple figuré sur les médailles ; les quatre pierres d’angle sont encore en place. Ce parallélogramme est enveloppé, à distance, par un autre bien plus vaste, que dessinait une puissante enceinte, dont les fondations existent à peu près partout, plus ou moins profondément enfouies. Quelques blocs, qui s’élèvent encore au-dessus du sol, ont des dimensions prodigieuses; une pierre a près de 5 mètres de long sur 2 mètres et demi de large. Les assises du temple, sans être aussi énormes, sont encore de très forte taille. On reconnaît là le goût des constructeurs phéniciens pour les grands matériaux, ce goût persistant dont témoignent les murs d’Arados et ceux de Jérusalem comme les fameux temples de Balbek.

Le temple avait 67 mètres de long sur 50 de large et le péribole 210 sur 164; ce sont les mesures que M. de Cesnola fournit, sans en garantir l’exactitude rigoureuse. Le mur extérieur était percé de portes dont l’une a encore gardé, dans un de ses montans, la trace des gonds ; avec ses 5 mètres et plus d’ouverture, elle livrait passage à toute une foule. Cette cour spacieuse ne pouvait se passer de portiques qui l’entourassent et qui permissent de se mettre à l’abri pendant les heures chaudes des brûlantes journées d’été; n’en retrouvât-on point de vestiges, nous affirmerions encore qu’ils ont existé jadis, appuyés aux murailles. C’était là que tenaient boutique les marchands d’amulettes et d’idoles, ceux qui vendaient aux pèlerins ces statuettes de la maîtresse du temple qu’ils aimaient à rapporter dans leur pays; on peut lire dans Athénée le récit d’un miracle accompli, comme le racontait Polycharme de Naucratis, par une de ces images. Touchée des prières des matelots, la déesse, au milieu d’une horrible tempête, sauva le navire sur lequel un habitant de Naucratis l’emmenait de Paphos en Égypte[6]. Ces galeries, nous les distinguons d’ailleurs très bien sur une médaille impériale de Byblos ; elles règnent tout autour du vaste espace à ciel ouvert au centre duquel s’élève le mausolée pyramidal d’Adonis.

Sous ce ciel de feu, la fraîcheur et l’ombre sont les plus exquises jouissances, les plus nécessaires des biens. On devait donc aussi les demander à des fontaines jaillissantes, à des bassins creusés dans le dallage des parvis, aux platanes penchés sur les vasques ruisselantes et trempant leurs racines dans l’humidité que ces réservoirs laissaient filtrer tout à l’entour. Il fallait de l’eau pour les sacrifices et pour les ablutions ; il en fallait pour désaltérer tout ce peuple de prêtres et de prêtresses qui vivait autour du sanctuaire, ces multitudes de pèlerins qui, du rivage et de tous les chemins de la montagne, affluaient, à certains jours, dans cette enceinte. L’eau, nourrice des troncs puissans, des larges rameaux et des feuillages épais, on avait été la chercher et la capter au flanc des côtes voisines; on l’avait amenée de loin jusqu’à Paphos à l’aide de ces conduites souterraines dont on trouve partout la trace dans l’île et qui se courbaient en siphons pour franchir les vallées. Si vous avez voyagé en Orient, rappelez-vous les abords des mosquées turques ou persanes, leurs fontaines toujours coulantes et leurs majestueux ombrages ; vos souvenirs vous donneront quelque idée de l’aspect que devait offrir l’enclos du sanctuaire de Paphos lorsqu’on en franchissait le seuil après avoir gravi les pentes boisées de la colline, parmi des arbres séculaires d’où s’abattaient en tournoyant, avec un grand bruit d’ailes, des volées de pigeons blancs, oiseaux chers à la déesse, nourris du grain que ses fidèles leur jetaient à pleines mains.

À pousser trop loin la comparaison et le rapprochement, on risquerait d’ailleurs de se tromper. Les formes architecturales qui ont prévalu dans le monde musulman depuis cinq ou six siècles, depuis qu’il a pris pied en Europe, sont très différentes de celles que préférait l’antiquité sémitique et que l’islamisme naissant avait conservées tout d’abord en Arabie, en Égypte et en Syrie ; mais la différence principale, celle dont les effets sont les plus sensibles, c’est la différence des religions et des cultes. Avec son monothéisme d’une grandeur un peu sèche, avec son aversion violente pour tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à l’idolâtrie, avec le caractère si simple et si grave de ses cérémonies, l’islamisme ne saurait offrir, dans les parvis de ses temples, les scènes et les tableaux que l’imagination de l’historien se représente, lorsqu’elle cherche à retrouver l’aspect et la physionomie de quelqu’un des grands sanctuaires du panthéisme syrien. Ce que l’on adorait à Paphos comme à Byblos, c’était l’énergie meurtrière et féconde de la nature toujours occupée à détruire et à créer, à réparer par l’union des sexes et par un éternel enfantement les pertes que la mort fait subir à la vie. Les péripéties de ce drame sans dénoûment, qui recommence toujours pour ne jamais finir, les âmes s’y associaient avec une sincérité de sympathie et une sensibilité passionnée que nous avons aujourd’hui quelque peine à comprendre. L’hiver, elles s’attristaient sur l’alanguissement et le deuil de la nature, elles pleuraient la mort d’Adonis, du jeune dieu solaire que la dent du monstre avait retiré de ce monde dont il était le charme, et couché dans la tombe ; mais une fois le printemps revenu, dans les premiers jours d’avril, elles éclataient, avec des transports plus vifs encore et plus effrénés, en cris de joie, en danses et en chansons, en bruyantes orgies ; elles célébraient le soleil qui s’était réveillé, l’amour qui coulait à nouveau dans les veines de tout ce qui a vie. L’une des pratiques qui caractérisent le mieux les religions syriennes, les prostitutions sacrées, avaient leur place comme marquée d’avance dans un pareil culte. Les hierodules de Paphos n’étaient pas moins fameuses que celles de cette Corinthe qui, elle aussi, dans des temps reculés, avait subi l’action des idées et reçu la tradition des cultes de la Syrie. Engel, dans l’ouvrage qu’il consacrait à Cypre avant les fouilles et découvertes de ces trente dernières années, a recueilli, avec une rare connaissance de la littérature ancienne et une patiente industrie, tous les passages des auteurs qui se rapportent au culte cypriote, à son esprit et à ses rites. Rapprochez de ces textes les monumens figurés que le sol de l’île a fournis depuis lors à nos musées, et vous pourrez, ce semble, vous donner pour quelques instans tout au moins la vision et comme l’hallucination de tout un monde disparu sans retour, des temples cypriotes et de leurs bois sacrés. Tout y parlait d’amour et de volupté. L’air y était plein de parfums, plein de bruits doux et caressans. C’était le murmure des sources qui coulaient sur des tapis de fleurs ; c’était, dans le feuillage, le chant du rossignol, le tendre et long roucoulement de la colombe; c’était les sons de la flûte, l’instrument favori d’Aphrodite et de Dionysos, celui qui sonne l’appel du plaisir et qui conduit à la salle du festin les processions joyeuses et le cortège nuptial. Sous des tentes, sous des cabanes légères dont les parois étaient formées de verts branchages adroitement enlacés, des rameaux odorans du myrte et du laurier, se tenaient les esclaves de la déesse, celles que Pindare appelait, à Corinthe, les servantes de la persuasion. C’était des filles grecques ou syriennes, couvertes de bijoux, vêtues de riches étoffes que bordait une frange de cou- leur brillante. Le sombre éclat de leur chevelure était relevé par la mitre, écharpe d’une nuance chaude et gaie qui se mêlait aux épaisses tresses noires; il l’était par des fleurs naturelles piquées sur le front, l’œillet, la rose ou les rouges pétales du grenadier. Dans tout l’Orient, les femmes savent encore ainsi, avec un goût charmant, emprunter leur parure aux buissons des haies et aux parterres des jardins. Sous l’arc de sourcils allongés au pinceau, les yeux étincelaient, agrandis par les teintes brunes de la poudre de henné. Le carmin avivait la fraîcheur des joues et des lèvres, attirantes comme un fruit mûr ; des colliers d’or, d’ambre et de verre pendaient sur la poitrine. Tenant en main le pigeon, symbole de fécondité, la fleur ou le rameau de myrte, ainsi décorées d’insignes qui témoignaient de leur office religieux, ces femmes attendaient là, souriantes et calmes. Un soleil radieux brillait au ciel; la brise de mer, courbant doucement la cime des palmiers et des platanes, en faisait bruire les feuilles,

et, sur leurs gorges blanches,
Les prêtresses sentaient trembler l’ombre des branches.


Ce n’était pas seulement la multitude des vivans qui se pressait autour du sanctuaire, qui en remplissait les parvis et en peuplait les bois sacrés ; de nombreuses statues y représentaient les générations depuis longtemps disparues, les prêtres, les fidèles, les adorateurs d’autrefois. À Paphos, la rage des chrétiens a dû se déchaîner avec plus de violence que partout ailleurs sur les monumens d’un culte abhorré; de plus, des ruines apparentes n’ont jamais cessé de signaler l’aire du temple à l’attention et aux ravages des déprédateurs de toute espèce, chercheurs d’antiquités, maçons en quête de pierres toutes taillées; aussi n’a-t-on trouvé sur les lieux que quelques piédestaux engagés dans les maisons du village. On a été plus heureux à Idalie et à Golgos; dans ces deux sites, à la première sommation des explorateurs, le sol a livré par centaines les statues et statuettes de pierre et d’argile, et le caractère de ces monumens, les inscriptions phéniciennes ou grecques qui ont été recueillies dans les mêmes tranchées, tout enfin concourt à démontrer que la pioche a bien dégagé là les restes d’anciens sanctuaires cypriotes, très fréquentés, très richement décorés, très importans encore, quoique moins vastes que celui de Paphos, le principal de l’île. Par malheur, M. Lang n’a même pas donné la moindre indication, sur l’état du terrain où il a ramassé un butin si précieux, et sur les dispositions architecturales dont il a dû y retrouver la trace. Quant à M. de Cesnola, qui paraît, à Golgos, avoir exploité les ruines de deux temples différens, son attention ne s’est pas portée sur ces vestiges de la construction antique ; il en a tenu bien peu de compte; malgré toutes les vraisemblances et malgré l’assertion formelle d’un témoin intelligent, qui assistait aux travaux de ses ouvriers, il nie jusqu’à l’existence de l’un de ces temples, de celui qui paraît avoir été le plus ancien des deux[7]. Quant à l’autre, nous avons bien une esquisse du plan; mais combien cette esquisse laisse sans réponse de questions qui, peut-être avec quelques recherches entreprises en temps utile, auraient pu être résolues au grand profit de nos études !

En tout cas, voici ce qui résulte de cette esquisse et du témoignage de M. George Colonna-Ceccaldi; celui-ci a visité le chantier de fouilles, mais à un moment où plusieurs des tranchées avaient été déjà comblées. Le temple, comme celui de Paphos, dessinait un rectangle, mais de moindres dimensions; il n’avait ici qu’environ 18m 20 de long sur 9m 10 de large. Pas plus que celui de Paphos, ce temple n’était orienté à la manière des temples grecs. C’est le sud et le nord que regardent les petits côtés du rectangle, sans que l’on puisse dire où étaient la façade et l’entrée principale. Deux larges portes, de dimensions inégales, s’ouvraient l’une dans le mur septentrional, l’autre dans l’oriental. Il n’a point été trouvé à l’entour de traces du péribole. Un cône de pierre grise que M. Ceccaldi vit renversé et brisé au milieu de l’enceinte semble indiquer que le temple était consacré à une déesse représentée ici par le même symbole que la déesse adorée à Paphos.

Si le simulacre divin, haut de près d’un mètre, s’élevait au centre de cette grande salle, il ne l’habitait pas seul. Elle était remplie de piédestaux dont chacun portait jadis sa statue. La plupart étaient appuyés aux murailles ; on en compta jusqu’à soixante-douze contre la paroi orientale. D’autres, plus grands, dont chacun avait reçu deux statues adossées, divisaient cette salle en cinq travées parallèles, dans le sens de sa longueur. Le pavage était fait de dalles en calcaire de Cypre ; les statues furent retrouvées couchées sur ces dalles, sous une épaisse couche de décombres.

M. Ceccaldi a étudié soit sur le terrain même, soit, un peu plus tard, au consulat américain, ce qui était encore apparent de la construction antique, et tous les débris retirés des fouilles. Voici quelle restitution idéale du temple de Golgos il trace d’après l’ensemble de ces données : « Le temple était construit en briques séchées au soleil ou mattons, formant quatre murs, dont la base était assise sur les pierres à rebords du soubassement. Ces murs étaient revêtus d’un crépi blanc ou de couleur, imperméable à la pluie… Des piliers soutenaient à l’intérieur un toit qui était à double pente très peu sensible, vu la largeur de l’édifice ; il formait ainsi terrasse, comme les toits cypriotes actuels. Ce toit se composait de pièces de bois très rapprochées ; par-dessus étaient étendus des nattes et des roseaux recouverts d’une épaisse couche de terre battue, qui résistait à l’humidité non moins bien qu’aux ardeurs du soleil. L’extérieur du temple de Golgos devait donc être fort modeste. Dans l’intérieur, qui ne recevait de jour que par les larges baies des portes, une foule immobile et silencieuse de personnages de pierre, aux traits et aux vêtemens rehaussés de peintures, entouraient, en perpétuels adorateurs, le cône mystique. Des lampes de pierre en forme d’édicule éclairaient dans les recoins les ex-voto grimaçans pendus aux murs et les tableaux curieux dont ceux-ci étaient garnis. Des bas-reliefs bizarres ornaient le pourtour de l’édifice, où la lumière oblique se reflétait sur les dalles blanches et polies[8]

Sans satisfaire toutes nos curiosités, Paphos et Golgos nous apprennent donc dans une certaine mesure ce que l’architecture religieuse fut à Cypre jusqu’aux derniers jours de l’antiquité, quelles formes elle préféra, de quel esprit et de quelles traditions elle s’inspira. Sur l’architecture civile et militaire, nous sommes moins renseignés ; il ne nous est pas resté une seule enceinte de ville, pas le moindre débris des forteresses ou des palais de ces princes qui étonnaient la Grèce par leur richesse et par les recherches de leur luxe. Quant à l’architecture funéraire, les matériaux ne nous manquent pas : à lui seul, M. de Cesnola a ouvert dans l’île des milliers de tombes ; mais presque toutes sont souterraines, de petite dimension et simplement décorées. Les tombes des riches ne se distinguent guère que par la valeur des objets qu’elles contiennent, vases, terres cuites, ustensiles et bijoux, coupes et urnes de verre ; parfois aussi elles se signalent par le travail soigné de la stèle qui les surmontait, ou du sarcophage très orné que renfermait le caveau. C’est seulement près de la nouvelle Paphos que l’on trouve une nécropole toute creusée dans le roc qui, par l’ampleur de ses avenues, de ses vestibules et de ses façades monumentales, rappelle les belles sépultures de la Lycie et des autres régions de l’Asie-Mineure ; c’était peut-être le cimetière royal des grands prêtres de Paphos. N’oublions pas certaines chambres construites à la surface du sol, en blocs énormes, à peine dégrossis ; la couverture en est formée par de puissans monolithes taillés en forme de voûte ou d’ogive. La piété chrétienne s’en est emparée. L’une de ces chambres, qui se trouve aux portes même de Larnaca, a été décrite par tous les voyageurs sous le nom de Panaghia Phaneromeni ou de Chapelle des Amoureux ; une autre, qui se voit près des ruines de Salamine, est appelée par les gens du pays la prison de Sainte-Catherine. À la dimension des pierres et à leur mode d’assemblage, on y a reconnu, avec toute vraisemblance, des tombes phéniciennes. Le goût phénicien n’est pas moins sensible dans l’arrangement des stèles de Golgos, ornées de ces sphinx et de ces lions affrontés que la Phénicie aimait à employer comme motifs de décoration funéraire ; on le retrouve aussi dans ces volutes superposées, d’un dessin lourd et bizarre, qui appartiennent à ce que l’on a nommé l’ionique primitif ou le proto-ionique. Ce type, très ancien, a été signalé sur plusieurs points du monde asiatique, en Assyrie, en Cappadoce, ailleurs encore ; les Grecs en ont tiré plus tard une de leurs plus nobles formes architecturales. Sur les sarcophages, vous reconnaissez à chaque instant des moulures et des symboles propres à la Phénicie, ses palmettes, ses rosaces, ses fleurs de lotus, son croissant et ses étoiles. Ce style, riche et compliqué, vous semble trop chargé d’ornemens, pour peu que vos yeux soient accoutumés à l’élégante et simple pureté de l’ornementation grecque. Dans les traditions qu’il applique, derrière la Phénicie, vous devinez cette Égypte dont la Phénicie a été pendant plusieurs siècles l’élève industrieuse et l’active courtière, où elle a été chercher ces germes de civilisation qu’elle s’est chargée de répandre sur tous les rivages de la Méditerranée.

Les Grecs, au temps des guerres médiques, avaient la même impression. C’est ce que prouve un passage d’Eschyle sur lequel un savant hellène a récemment, fort à propos, appelé l’attention[9]. Dans les Suppliantes du grand poète athénien, les filles de Danaos, qui viennent de débarquer avec leur père sur la plage voisine de Mycènes, se présentent au roi Pélasgos, pour implorer sa protection. Celui-ci les interroge sur leur patrie. Comme descendantes d’Io, elles se disant d’origine argienne, assertion que semblent démentir leur costume et toute leur apparence. Le roi leur répond : « Vous ressemblez surtout à des femmes de Libye et non à celles de nos pays. C’est le Nil qui nourrit cette plante, et le style cypriote de vos parures féminines montre clairement que c’est par des hommes qu’elles ont été tissées. » La plante dont il est ici question ne peut être que le lotus ; une série de corolles épanouies et de boutons mi-clos avait fourni au tisserand ou brodeur un de ces motifs de bordure que nous offre si souvent la décoration égyptienne et dont l’art grec s’est emparé plus tard. Quant au tissage des étoffes par des mains viriles, c’était, comme nous l’attestent plusieurs textes anciens, un usage égyptien ; les Grecs l’avaient remarqué, non sans surprise ; chez eux, c’était aux femmes qu’étaient réservés de pareils travaux.

Ainsi, pour Eschyle et pour ces Athéniens du ve siècle avant notre ère auxquels il s’adressait, parler de style cypriote, Κύπριος χαραϰτήρ, ce n’est qu’une autre manière de dire style égyptisant, presque style égyptien. Des vêtemens tissés en Égypte ont un aspect, une physionomie cypriote. Eschyle ne fait point ici d’archéologie ; il prend la langue courante de son temps. Pour ces Athéniens dont beaucoup, comme matelots et comme hoplites, avaient servi avec Cimon dans les parages de Cypre ou en avaient, comme trafiquans, visité les ports et les cités, l’expression de style cypriote désignait les. procédés et le goût d’un art décoratif étroitement apparenté à celui de l’Égypte.


II.

Ce cachet égyptien dont portaient l’empreinte les étoffes que tissait la navette et que décorait l’aiguille de l’ouvrier cypriote, nous le retrouvons à Cypre, non moins net et moins marqué, dans certains des monumens de la statuaire. MM. Stark, Doell, Sydney Colvin, Newton, tous ceux qui ont étudié les figures découvertes par MM. Lang et de Cesnola, sont unanimes à signaler, dans plusieurs d’entre elles, l’imitation de la sculpture égyptienne. Les analogies sont parfois frappantes ; par la manière dont elles sont posées et drapées, telles statues de Golgos ou d’Idalie, taillées dans la pierre de l’île, font songer aux ouvrages des artistes de Thèbes et surtout de Saïs. L’attitude est la même : le personnage est debout, au repos ; les deux bras pendent le long du corps ou bien l’un d’eux est replié sur la poitrine ; les jambes sont à peine séparées. Le modelé est large et sommaire ; les étoffes et le nu sont traités à grands plans. Ce qui d’ailleurs est plus significatif encore, ce sont ces détails de coiffure ou de costume dont la ressemblance, dont l’identité ne peut s’expliquer que par une simple rencontre. Telle figure est coiffée du klaft ; telle autre porte sur la tête ce que les égyptologues appellent le pchent, c’est-à-dire la double couronne royale, la couronne de la Haute et celle de la Basse-Égypte, qui forment par leur réunion une sorte de tiare. Certaines figures ont les bras ornés d’armilles, la poitrine couverte d’une riche collerette de broderie ou d’orfèvrerie toute égyptienne de style. Autour des reins est attaché cette espèce de pagne échancré par devant que l’on nomme la chenti ; la ceinture qui le fixe aux hanches maintient aussi une large bande ou, si l’on aime mieux, un étroit tablier qui, dans la plupart de ces figures, est décoré de deux uræus ou serpens dont la tête dressée supporte le disque solaire. C’est l’insigne bien connu de la royauté égyptienne ; tout cet arrangement du pagne, de la ceinture et de la bande richement ornée qui la complète semble copié des statues royales que l’on rencontre à chaque pas sur les bords du Nil ; tout au plus trouve-t-on, dans quelques-unes de ces statues cypriotes, quelques motifs d’ornementation qui n’ont pas été rencontrés jusqu’ici en Égypte, comme la tête de Méduse.

Le caractère assyrien de certaines figures n’est pas moins frappant. Ce ne sont pas seulement les archéologues qui en témoignent ; cette ressemblance a été saisie, nous raconte M. de Cesnola, même par l’œil inexpérimenté des paysans cypriotes. En l’absence du consul, ses ouvriers venaient de trouver la tête colossale, haute de près d’un mètre, dont la découverte inaugura les grandes fouilles d’Athiénau. L’admirable conservation de ce morceau et ses proportions colossales attirèrent aussitôt sur les lieux tous les habitans du village. Jamais on n’avait rien vu de pareil ; on se persuada que le sol d’où était sortie une pareille merveille devait contenir bien d’autres trésors. Chaque paysan prit donc une pioche ou une bêche, et une centaine d’hommes se mirent à creuser des trous et à ouvrir des tranchées, sans s’inquiéter des plaintes du propriétaire ou des réclamations des gens du consul. Commencé dans la matinée, ce travail tumultuaire se continua jusque dans les ténèbres, à la lueur des torches. M. de Cesnola arriva vers minuit ; son sang-froid, son accent d’autorité imposèrent l’obéissance aux plus mutins ; il envoya tous les paysans se coucher ; puis, une fois resté maître du champ de bataille, il y plaça des gardes et alla goûter lui-même quelques heures de repos.

Le lendemain matin, avant que le préfet turc de la ville voisine, averti depuis la veille, se fût encore présenté, le consul conclut avec le propriétaire du terrain un marché qui lui donnait pleine liberté pour y faire toutes les fouilles qu’il voudrait. Ceci réglé, il songea à s’assurer la possession des objets que les Athiéniotes avaient trouvés pendant la journée et la nuit précédente, en remuant et retournant le terrain dont il venait de se faire céder la jouissance ; chacun d’eux avait emporté son butin et l’avait caché dans sa maison. Nous laissons ici la parole à M. de Cesnola[10].

« Ces gens savaient que, si je le voulais, je pourrais leur prendre de force leurs trouvailles ; ils furent donc enchantés quand ils apprirent que, loin d’exercer mon droit dans toute sa rigueur, j’étais prêt à payer largement tout objet qui me serait remis. On doutait d’abord de ma bonne foi ; il fallut manœuvrer adroitement pour arriver à savoir dans quelles maisons il y avait des antiquités. La plupart des détenteurs, une fois rassurés sur mes intentions, m’apportèrent les monumens ; restaient quelques obstinés qui se tenaient à l’écart et prétendaient n’avoir pas eu la chance de rien ramasser. Ma police me les signala ; elle me procura même une description sommaire des objets dont les possesseurs n’avaient pas répondu à l’appel. Alors je fis comparaître, un à un, les récalcitrans, et voici le stratagème auquel j’eus recours pour triompher de leur résistance. J’avais auprès de moi, sur une chaise, un volume de l’ouvrage de Layard, Ninive et ses ruines, qui faisait partie de ma petite bibliothèque de campagne. Je choisissais une page où fût représenté un monument qui ressemblât, autant que possible, au monument que je savais avoir été caché par tel ou tel villageois, puis je commençais mon interrogatoire. On niait, on prétendait n’avoir rien déterré, ne rien avoir. Alors je prenais un ton sévère ; je disais à l’accusé que ce livre, ouvert sous ses yeux, était un livre magique, à l’aide duquel je pouvais savoir s’il avait, oui ou non, détourné quelque antiquité. On répétait les mêmes dénégations, mais d’une voix déjà moins assurée. Alors, d’un geste vainqueur, je montrais à mon interlocuteur la vignette dont j’avais fait choix à l’avance ; c’était là, lui disais-je, l’image de l’objet qu’il avait volé. Je le sommais de me le restituer à l’instant ; s’il s’exécutait de bonne grâce, au lieu de le punir, comme je pourrais le faire, pour avoir cherché à me tromper, j’aurais encore la bonté de lui faire un beau cadeau.

« Pris au piège, le malheureux paysan se frappait la tête des deux mains ou levait les bras au ciel en signe d’étonnement et d’effroi. « Panaghia mou, Vierge chérie, s’écriait-il, comment faire ? Il a un livre qui lui dit tout ! » Il se confondait en excuses, et bientôt arrivait l’objet désiré. M. Layard n’a jamais pu prévoir que ses découvertes assyriennes rendraient à l’un de ses successeurs ce genre de service, que son livre deviendrait ainsi un instrument de découverte. Ce fut de cette manière que je réussis sans trop de peine à rentrer en possession de tout ce qui avait été recueilli avant mon arrivée. »

L’accent et l’aplomb de M. de Cesnola étaient sans doute pour beaucoup dans cette rapide perception des rapports qui rattachent l’art cypriote à l’art assyrien ; cependant le consul aurait risqué de manquer son effet s’il n’y avait pas eu ce que l’on appelle un air de famille entre plusieurs des monumens d’Athiénau et les bas-reliefs de Khorsabad, de Kouioundjik et de Nimroud. Dans toutes les collections et tous les recueils où l’on a voulu classer les statues et statuettes cypriotes, une des catégories que l’on a été conduit à former comprend ce que l’on a nommé les figures de style assyrien. Dans celles-ci, la coiffure n’est plus celle que nous avons décrite ; c’est une sorte de casque ou plutôt de bonnet pointu qui semble fait d’une étoffe treillissée ; il ressemble au tutulus étrusque et les prêtres grecs portent encore aujourd’hui, dans certains cantons de l’île, un bonnet tout pareil. Leurs prédécesseurs ont dû le recevoir, lors du changement de culte, des derniers prêtres du paganisme ; ils l’ont conservé avec cette ténacité dont il y a tant d’exemples dans cet immobile Orient, pour qui les siècles ne comptent pas plus que pour l’Occident les semaines et les jours. Cette coiffure qu’ils ont transmise à nos contemporains, les prêtres de l’Aphrodite-Astarté cypriote l’avaient eux-mêmes empruntée, selon toute apparence, à ceux des divinités assyriennes et chaldéennes ; nous la retrouvons, à de très légères différences près, sur la tête de personnages qui paraissent remplir des fonctions sacerdotales, dans la bordure émaillée d’une grande porte de ville, à Khorsabad.

Les figures dans lesquelles le caractère égyptien est le plus marqué ont les cheveux cachés sous la tiare ou sous une pièce d’étoffe qui retombe sur les épaules ; le visage y est presque toujours imberbe. Ici au contraire, comme à Ninive, la chevelure encadre le front d’un bandeau de boucles symétriques et se ramasse sur la nuque en un lourd chignon. La barbe, très longue et largement étalée, se partage, elle aussi, en boucles qui forment deux ou trois étages superposés.

Le costume consiste en une robe qui tombe droite jusqu’à la cheville et qui est ornée parfois d’un listel à son bord inférieur. Une sorte de galon d’une très forte saillie descend en ligne presque verticale de l’épaule gauche, puis, décrivant une courbe au niveau des mains, va rejoindre le côté droit ; il dessine ainsi sur le devant la lisière de la pièce d’étoffe, et il est accompagné de petits plis réguliers et parallèles. La manche s’arrête d’ordinaire au-dessus du coude ; parfois elle descend jusqu’au poignet. Comme dans les figures de Ninive ou de Persépolis, le corps est tout entier caché sous le vêtement ; on n’aperçoit à nu que le visage, l’avant-bras et les pieds.

Si ces figures se distinguent à première vue de celles où domine l’imitation de l’Égypte, il est moins facile de tracer une ligne de démarcation entre elles et les statues, certainement postérieures, qui rappellent le style grec archaïque. La barbe et les cheveux sont encore disposés en boucles symétriques et les personnages drapés de la tête aux pieds ; quelques-uns sont encore coiffés du même bonnet conique ; mais le plus souvent la tête est nue, couronnée de narcisses ou de feuillages variés. Parfois, comme dans les statues grecques très anciennes, la chevelure est partagée en tresses qui tombent, trois par trois, sur chaque épaule, pendant que d’autres, en nombre égal, pendent sur le dos ; mais la différence principale est dans la draperie, traitée avec plus d’aisance et d’ampleur, dans le mouvement des bras, qui s’infléchissent et s’écartent du corps pour soutenir des attributs à peu près toujours les mêmes ; c’est tantôt une colombe, tantôt une patère ou une pyxis, sorte de petite boîte où l’on serrait l’encens ; parfois c’est une fleur, un fruit ou un rameau. Dans le rendu de l’étoffe et des broderies qui la décorent, dans les zigzags que les plis dessinent à leur extrémité inférieure, on sent les procédés chers aux sculpteurs grecs du vie siècle et de la première moitié du ve. Enfin il se rencontre des figures qui, par la liberté du ciseau comme par le mouvement et le jet de la draperie, semblent contemporaines des beaux siècles de l’art grec ; dans l’air de tête de certaines d’entre elles, on croit même deviner les allures et le goût de l’époque romaine.

Toutes ces statues, les plus anciennes comme celles qui paraissent l’ouvrage de siècles plus rapprochés de nous, offrent d’ailleurs bien des traits de ressemblance ; conduit à l’improviste en face de l’une de ces figures, l’archéologue n’hésitera guère, même sans enquête préalable, à en deviner, à en signaler la provenance. Un premier caractère commun, c’est la matière employée, un calcaire tendre, d’un grain homogène et assez fin, qui se trouve en abondance dans les montagnes de l’île.

Cypre n’a pas une seule carrière de marbre ; aussi les monumens de marbre y sont-ils fort rares. Ceux que l’on y a recueillis, en très petit nombre, doivent être pour la plupart d’importation étrangère ; ils appartiennent aux temps où commençait à s’effacer l’originalité de la civilisation cypriote, et ne se rattachent ni par le sujet ni par le style aux traditions de la religion locale et aux procédés des sculpteurs indigènes. Ceux-ci, depuis les temps les plus anciens jusqu’aux derniers jours du monde antique, n’ont guère taillé que cette roche friable, qu’ils avaient partout sous la main. Cette pierre est blanchâtre au sortir de la carrière ; mais elle prend, par une longue exposition à l’air, un ton d’un gris jaune qui, tout en demeurant un peu terne, n’est pas désagréable à l’œil. L’ongle la raie ; le ciseau l’entame donc avec bien plus d’aisance et de rapidité que le marbre ; mais dans le domaine de la plastique comme dans celui des lettres et de la poésie, ce qui n’a pas coûté grand’peine n’a guère chance de durer. Ce tuf poreux est trop mou pour fournir les effets et les contrastes que le marbre donne comme de lui-même ; il ne saurait recevoir ce beau poli qui s’oppose si bien aux ombres noires des parties fouillées par le ciseau. Celui-ci, malgré ses recherches et son application laborieuse, ne saurait mettre ici ces accens vigoureux et francs qui dessinent la charpente osseuse, qui font saillir les muscles et les veines sous l’épiderme des statues grecques. Le travail est tout à la fois minutieux et lâché ; il manque de largeur et de fermeté. D’ailleurs la pierre, trop peu résistante, le conserve mal ; ce que l’on a pu y mettre de finesses et de touches un peu vives, elle le perd aisément par les intempéries, et par le frottement. Quelques-unes des figures déterrées à Athiénau par M. de Cesnola se sont trouvées dans des conditions toutes particulières ; de l’abri d’un temple couvert, elles ont passé sans transition à celui d’une couche protectrice de poussière durcie et partout adhérente à leur surface ; comme la statue connue sous le nom de Prêtre à la colombe, elles ont ainsi gardé une rare fraîcheur et sont encore à fleur de ciseau. Sauf ces exceptions, les figures cypriotes ont leurs arêtes arrondies et leurs saillies atténuées. Voyez cette curieuse suite de têtes, provenant surtout des fouilles de M. de Vogüé, que possède le Musée du Louvre ; presque toutes présentent la même apparence d’usure et de fatigue. C’est un peu l’aspect d’une page d’écriture où l’encre, avant d’avoir eu le temps de sécher en conservant son éclat, a été absorbée par le papier buvard et n’a laissé que des traces faibles et pâles.

Autre trait caractéristique de la statuaire cypriote : dans presque toutes les statues qu’elle a produites, il y a une déformation volontaire du corps humain par voie d’aplatissement ; les figures, quelle qu’en soit la proportion, n’ont pas l’épaisseur qu’à même échelle donnerait la nature. Elles semblent avoir été taillées, non dans des blocs prismatiques, mais dans de la pierre débitée en carrière, sous forme de dalles épaisses. Un côté de la dalle, celui qui représentait le devant de la figure, était travaillé avec le plus grand soin ; mais l’autre était à peine dégrossi ou ne l’était pas du tout ; lorsque les grandes lignes du corps y étaient indiquées, c’était de la manière la plus sommaire. La face postérieure n’était pas faite pour être vue ; l’artiste n’avait jamais pensé que l’on dût tourner autour de sa figure ; il l’avait composée avec l’intention de l’appliquer contre une muraille et de l’y laisser adossée. Comment il la plaçait, c’est ce que nous indique cette série de piédestaux qui règne le long des quatre parois, à l’intérieur du temple rectangulaire d’Athiénau. Sur les piédestaux plus larges qui sont disposés en trois files au milieu du vaisseau, les statues devaient être de même dressées contre un montant en pierre ou en bois ; faites avec plus de soin, les fouilles nous auraient sans doute apporté quelques renseignemens à ce sujet. En quelque endroit de l’aire du temple qu’elles aient été ramassées, ces statues sont traitées de la même manière ; toujours elles supposent une surface verticale où elles s’appuyaient, sans la pénétrer, sans s’incorporer avec elle, comme fait le bas-relief. Elles sont détachées du mur, mais elles ne sauraient se passer de lui et s’en éloigner ; elles sont ainsi le résultat d’une sorte de compromis entre les procédés du haut relief et ceux de la ronde bosse.

Le costume, dans toutes ces figures, est à peu près le même. Si nous mettons à part celles qui sont coiffées et habillées à la mode égyptienne, nous trouvons partout la même disposition, un vêtement qui cache et enveloppe tout le corps. Dans les figures dites assyriennes, ce vêtement colle aux membres et a tout l’aspect d’une robe orientale ; puis il prend peu à peu, dans des figures moins anciennes, toutes les apparences du peplos grec, ce grand rectangle d’étoffe de laine qui donne des plis si variés et si beaux. De même pour la pose : elle a plus d’aisance dans les figures qui paraissent les moins anciennes ; mais elle reste toujours celle d’un personnage qui, debout devant l’image de la divinité, s’en approche en lui présentant ses offrandes. Si, d’un bout à l’autre de cette série, le costume et l’attitude ne varient que dans des limites très étroites et par un insensible changement, le visage, modelé toujours avec beaucoup de soin, avec une précision qui n’est pas exempte de sécheresse et de froideur, nous offre à peu près partout des variantes d’un même type, assez arrêté et assez constant pour que l’on ait pu le définir sous le titre de type cypriote ; aujourd’hui même, affirment les voyageurs, on le rencontre souvent encore dans l’île, parmi les Grecs ; le sang serait resté pur dans certaines familles, et les traits des ancêtres lointains s’y reproduiraient parfois avec une singulière persistance. Nous avons cité M. Pieridis, de Larnaca, comme l’un des hommes qui, dans ces dernières années, ont rendu le plus de services à l’étude des antiquités cypriotes ; ôtez-lui son fez et sa redingote, nous disait-on, coiffez-le du bonnet assyrien ou de la couronne de narcisses, frisez-lui la barbe et les cheveux, habillez-le de la robe asiatique ou du peplos grec, et vous aurez l’illusion d’une statue de Golgos ou d’Idalie qui serait descendue de son piédestal, d’un contemporain de Sargon ou d’Évagoras qui ressusciterait en plein XIXe siècle.

Les traits distinctifs qui caractérisent ce type, les voici tels qu’ils se dégagent d’une étude comparative de tous ces monumens. Le crâne est haut, la tête étroite, le front un peu fuyant. Les yeux sont grands, à fleur de tête, et sensiblement relevés aux angles externes, les pommettes saillantes et les joues souvent creuses. Le nez est fort et gros du bout, en forme d’œuf ; le menton saillant et lourd. La bouche, petite et lippue, a quelque chose de sensuel. À tout prendre, ce type manque d’élégance et de noblesse ; il n’a ni l’air honnête et grave des figures égyptiennes, ni l’énergie un peu dure des assyriennes, ni cette pureté de lignes que l’art grec recherche dès ses débuts et que l’on devine même dans la naïve inexpérience de ses premiers ouvrages. Ces visages n’ont pas de finesse ni de fermeté ; ils respirent une certaine mollesse un peu pesante qui s’accorde fort bien avec l’idée que l’histoire nous donne de cette race, avec ce qu’elle nous apprend de sa vie et de ses mœurs.

Plus ou moins marqués, ces traits se retrouvent dans toutes les figures de cette série ; mais ici l’artiste ne se contente pas, comme le fait par exemple le sculpteur assyrien, de saisir et de rendre, d’une main persistante et sûre, les caractères constans d’un type national. Cette vérité abstraite et générale ne lui suffit point ; il aspire à y joindre, dans une certaine mesure, la vérité particulière, la représentation de l’individu avec ce qui le distingue de ses compatriotes et de ses contemporains. Tous ceux qui ont étudié ces têtes recueillies parmi les décombres ou dans le voisinage des anciens sanctuaires de l’île en ont reçu la même impression : elles se ressemblent et pourtant elles diffèrent l’une de l’autre ; il n’y en a pas deux qui soient tout à fait pareilles. Dans telle physionomie, M. de Cesnola signale une expression d’astuce et de ruse qui contraste, dit-il, avec l’air placide et le sourire débonnaire de la plupart de ces personnages ; tel autre visage a quelque chose de vieux et de renfrogné ; on en trouve enfin, parmi les monumens qui paraissent les moins anciens, dont l’intelligente et sévère dignité fait songer aux œuvres de la statuaire grecque.

Il y a donc un effort visible pour atteindre à la fidélité de l’image. Sans doute jamais l’expression de la vie individuelle n’atteint ici la même intensité que dans un buste grec ou florentin ; aucun de ces visages de pierre n’est de ceux qu’il est impossible d’oublier, ne les eût-on vus qu’une fois, tant l’originalité de la forme y révèle clairement celle de l’âme qui jadis anima ce corps et qui marqua cette physionomie de son empreinte. N’accusez d’ailleurs de cette insuffisance que le talent et non les intentions de ces artistes ; ce sont bien des portraits qu’ils ont voulu faire, de leur mieux et en toute sincérité. Ce que ces portraits représentent, on ne saurait le dire avec certitude ; phénomène étrange, toutes ces statues sont muettes. Ni à Dali, ni à Athiénau, pas d’inscriptions sur les piédestaux. L’attitude de la plupart de ces figures et les objets qu’elles portent en main ne peuvent nous laisser aucun doute sur leur caractère ; ce sont des adorateurs qui se présentent devant la divinité pour lui offrir leurs hommages. La richesse de leur costume et surtout la couronne dont est ceint leur front nous engagent même à y voir autre chose que de simples fidèles ; des couronnes semblables à celles-ci étaient l’insigne des grands sacerdoces de la Grèce, par exemple du dadouque et de l’hiérophante d’Éleusis. Nous reconnaîtrions donc dans ces personnages drapés la suite des grands prêtres du temple depuis l’époque où l’île dépendait de l’Égypte et de l’Assyrie jusqu’au temps des Romains. Ces fonctions sacerdotales étaient probablement héréditaires ; elles appartenaient à une famille sacrée, comme celle des Cinyrades, souvent mentionnés par les anciens, qui fournissaient le haut clergé de Paphos et de plusieurs autres sanctuaires de l’île ; il y avait aussi celle des Tamirades, dont on ignore le lieu de culte. Leur nom a fait conjecturer qu’ils prétendaient descendre de Tammuz-Adonis, comme les Cinyrades de Cinyras, dont les Grecs avaient fait plus tard un fils d’Apollon. Aussitôt entré en fonctions, chaque prêtre consacrait sa propre statue ; c’était là le meilleur, le plus sûr moyen de perpétuer à son profit le sacrifice et l’acte d’adoration, de rester toujours présent au souvenir de la divinité dont il avait été le serviteur.

Une observation de M. de Cesnola confirme cette conjecture ; il a remarqué que ces statues étaient rangées dans le temple par groupes de même style. Celles qui sont de couleur et d’apparence égyptienne ont été retrouvées les unes près des autres ; de même pour celles qui font songer à l’Assyrie, pour celles qui s’inspirent de l’art grec archaïque et pour les monumens où l’on sent le goût du siècle des successeurs d’Alexandre et de l’époque romaine. Ceci fait comprendre comment les choses se sont passées. Les premiers venus ont pris les meilleures places, celles qui étaient les plus rapprochées de l’image divine ; les générations suivantes ont rempli, peu à peu, l’espace disponible et, dans les derniers temps du paganisme, on ne trouvait plus où se mettre que près des portes, très loin du centre. C’est là qu’ont été recueillies les figures où, sans être complètement effacée, l’influence des traditions locales se fait le moins sentir et où les œuvres de la statuaire cypriote ne se distinguent parfois plus guère que par la matière dont elles sont faites, la pierre blanche de l’île.

De toutes les statues recueillies à Cypre, les plus intéressantes sont peut-être ces images sacerdotales ; seules elles forment une série où l’on peut rétablir, jusqu’à un certain point, la suite chronologique et suivre à la trace les lentes modifications que subit un même type, les variations d’un style qui, tout en n’échappant pas à l’action d’influences successives, conserve avec une singulière ténacité les habitudes et les procédés qui lui sont propres. Les fouilles ont d’ailleurs mis au jour bien d’autres figures qui n’appartiennent pas à cette série, mais que l’on ne saurait étudier sans entrer dans un détail où l’on se perdrait. Ce sont des personnages que leur costume plus simple semble désigner comme des prêtres d’un rang inférieur ou des dévots laïques, comme des bourgeois de l’île ou des pèlerins qui, en signe de piété, auraient tenu à dresser leur image dans le sanctuaire ou dans son voisinage. Ce sont des femmes, prêtresses ou courtisanes sacrées, tenant en main la fleur ou la colombe. Ce sont des matrones, assises dans un large fauteuil, qui portent sur leurs genoux ou dans leur bras un ou plusieurs enfans nouveau-nés ; faut-il voir dans ces dernières figurines, en général d’assez faible dimension, des déesses-mères ou bien l’image d’une femme qui est heureusement accouchée, grâce à la protection d’une déesse de la vie et de la fécondité ? Il est difficile de se prononcer à ce sujet ; on n’est pas moins embarrassé à propos de petites figures de cavaliers ou de guerriers debout dans des chariots, qui ont été recueillies en grand nombre à peu près sur tous les points de l’île et qui se trouvent souvent dans les tombes. Elles sont d’ordinaire en terre cuite ; le harnachement des chevaux, la coiffure et l’armement des cavaliers rappellent les bas-reliefs assyriens. On a voulu y voir des jouets d’enfant ; le type semble pourtant trop marqué, trop traditionnel pour que ces groupes n’aient pas eu, au moins à l’origine, un sens, un caractère religieux. Ce caractère est encore plus marqué dans une autre figure qui se rencontre non moins fréquemment à Cypre, soit en terre cuite, soit en pierre ; elle représente une femme nue, vue de face. Un riche collier à plusieurs étages s’étale sur la poitrine ; les hanches sont très marquées, les flancs amples et larges. Les deux mains pressent les seins, comme pour en faire jaillir une source de vie. Parfois une seule des mains est posée sur la poitrine ; l’autre s’applique sur le ventre.

Ces dernières figurines sont toujours d’un travail très primitif, très grossier ; on s’accorde à y reconnaître cette Astarté syrienne qui, sur toutes les côtes de la Méditerranée, a précédé l’Aphrodite grecque, avec laquelle elle a fini par se confondre. Rien de plus informe et de plus barbare que ces idoles, qui, pendant plusieurs siècles, sont sorties par milliers des ateliers de Tyr, de Sidon et de Kition pour être répandues à profusion sur toutes les plages où abordaient les navires phéniciens ; cependant, selon toute apparence, ce sont elles qui ont suggéré au génie grec la première idée de l’un de ses types les plus charmans, celui de l’Aphrodite cnidienne, de la Vénus du Capitole et de la Vénus de Médicis. Dans ces vieux simulacres asiatiques, dont le premier modèle paraît avoir été fourni par l’image de la Zarpanit babylonienne, le geste appelle l’attention d’une part sur ces flancs qui reçoivent la semence et qui abritent l’enfant pendant la gestation, de l’autre sur ces mamelles qui l’abreuveront quand il aura vu la lumière du jour. C’est une allusion directe et naïvement brutale aux mystères de la fécondation et de la génération. Pour éveiller des pensées toutes différentes, l’artiste grec n’a eu qu’à modifier légèrement le geste ; ce que la main désigne dans le modèle oriental, elle le cache ici comme par un mouvement instinctif de pudeur; elle fait songer aux sentimens les plus délicats que comporte la nature féminine, affinée et cultivée par la civilisation. La statuette phénicienne représente la femelle de l’homme ; la Vénus pudique, embarrassée de sa nudité, gracieuse et décente, représente la femme.

En dehors de ce qui touche au culte de la grande déesse adorée à Paphos et dans les principaux sanctuaires de l’île, nous savons bien peu de chose des religions cypriotes et des mythes qui leur étaient propres ; lorsqu’il ne s’agit pas de simples portraits ou de scènes de genre, nous avons donc souvent quelque peine à trouver un nom pour certaines figures que nous ont fournies les fouilles de Cypre, pour expliquer certains sujets qui se rencontrent dans les bas-reliefs des temples ou dans ceux des sarcophages. Sur plusieurs d’entre eux, on a pourtant reconnu des mythes grecs, ainsi la décapitation de Méduse par Persée, avec la naissance de Pégase et de Chrysaor. Le culte d’Hercule paraît avoir été en grand honneur à Golgos ; peut-être s’y était-il enté, lui aussi, sur un culte phénicien, celui de Melkarth ou d’une autre divinité analogue. Quoiqu’il en soit, il se pourrait qu’Hercule y ait été, comme disaient les Grecs, le parèdre d’Aphrodite-Astarté, c’est-à-dire qu’il ait habité le même sanctuaire et qu’il y ait eu ses autels voisins de ceux de la déesse. Il y avait certainement sa statue ; une des pièces les plus importantes de la collection Cesnola est une figure colossale, haute de près de deux mètres, qui représente Hercule debout, dans une pose qui conserve encore une singulière raideur, bien que le style ne puisse plus être dit égyptien ou assyrien. Le dieu est coiffé de la peau du lion de Némée ; il est armé de l’arc et de la massue. L’arrangement de la coiffure et celui du costume ont quelque chose de très particulier; malgré ces attributs qui ne permettent pas de méconnaître le fils d’Alcmène, ce n’est ni l’Hercule des vases grecs archaïques, ni celui de la statuaire de l’âge classique. Le piédestal de la figure retrace un de ses travaux, l’enlèvement des troupeaux de Géryon. La lutte du héros contre ce géant paraît avoir surtout été célébrée par les artistes cypriotes ; on a retrouvé au même endroit les restes de plusieurs statues qui représentaient ce monstre à trois corps ; l’une est de grandeur naturelle, les autres sont de beaucoup plus petite dimension. C’est peut-être encore Hercule qui s’offre à nous dans une autre figure, d’un assez beau mouvement, qui est malheureusement mutilée ; nous voulons parler d’un archer qui s’est agenouillé pour lancer la flèche et qui rappelle le Teucer des frontons d’Egine. Un Hercule assis, armé de la massue, se rencontre sur plusieurs monnaies frappées dans l’île, au IVe siècle, par Évagoras. Un Hercule debout, tirant de l’arc, se voit sur les pièces de Baal-Melek, roi de Kition, qui paraît avoir été le premier prince phénicien installé dans cette ville après que les Athéniens eurent abandonné Cypre, au milieu du Ve siècle. Il est tout à fait pareil à celui qui, sur le piédestal de la grande statue, décoche ses flèches aux troupeaux en fuite.

Si l’on pouvait prétendre épuiser ici la matière, il conviendrait de faire dans cette étude une large place à la numismatique cypriote ; nous y trouverions, plus multipliées encore et plus sensibles que dans la statuaire, les traces de l’influence orientale. Comme l’a montré M. de Vogüé dans ses Mélanges d’archéologie orientale, les types qui s’y rencontrent sont des expressions diverses d’une même idée qui fait le fond de toutes ces religions syriennes ; ce sont des symboles plus ou moins clairs dont chacun représente l’élément mâle ou femelle de l’un de ces-couples divins en qui se décompose, pour les Sémites, l’unité de la substance et de la puissance divine. Notre attention devrait se porter sur les œuvres de la glyptique, et surtout sur la collection de pierres gravées qui faisait partie du trésor de Curium. Sans doute il est impossible de savoir lesquels de ces petits monumens ont été exécutés dans l’île même, lesquels apportés du dehors ; mais, tout au moins, par le fait même de leur réunion dans un seul dépôt, ils témoignent des habitudes et du goût qui régnaient dans l’île pendant le cours des siècles où la richesse et la piété des fidèles entassèrent ces objets dans les caves du temple. En classant ces scarabées, ces cylindres, ces entailles, ces bagues dont le chaton est ciselé pour servir de cachet, on sent par quels liens étroits Cypre tenait à l’Egypte et à la Syrie, et comme il fallut du temps pour que ces attaches, sans jamais se rompre, en vinssent à se relâcher et à se détendre.

L’examen des bijoux et de l’orfèvrerie, l’étude de la céramique cypriote, nous conduiraient à la même conclusion. Les vases provenant de l’île se comptent aujourd’hui par milliers dans le musée de New-York, par centaines dans toutes les grandes collections de l’Europe. Par leur couleur comme par les dessins qui les décorent et les formes qu’ils affectent, ils se distinguent à première vue des produits de toutes les autres fabriques du monde ancien. Ce qui s’en rapproche peut-être encore le plus, ce sont ces vieux vases du Mexique et du Pérou, qui étaient exposés l’année dernière au Trocadéro. Même ton de la pâte, terne et comme décoloré; mêmes dessins, losanges et chevrons, spirales et cercles concentriques ; même galbe d’une recherche naïve, où le modelé du vase imite tantôt certaines formes végétales, comme celle des fruits de la famille des courges, tantôt certains types empruntés au monde animal, celui d’un oiseau ou d’un quadrupède, du porc par exemple. Parfois même c’est à la figure humaine que le potier emprunte ses motifs; le col et la panse offrent alors, avec un relief plus ou moins accusé, une tête et une gorge de femme vues de face, avec quelques autres traits indiqués d’une manière conventionnelle.

Sans doute nous ne prétendons pas qu’il y ait identité; si l’on en venait au détail, on aurait plus d’une différence à signaler; mais, à tout prendre, la poterie cypriote diffère moins de ces antiques poteries américaines que d’un beau vase grec de Vulci ou de Nola. L’origine phénicienne de plusieurs des vases trouvés dans les tombes les plus anciennes de l’île nous est attestée par de courtes inscriptions en caractères phéniciens qu’y a tracées en noir, avant la cuisson, le roseau ou la pointe du pinceau ; ces textes se composent de trop peu de lettres et n’ont pas été transcrits avec assez de soin pour que l’on ait pu en déterminer encore la nature. Les ateliers que les potiers phéniciens avaient établis à Kition et dans d’autres endroits furent le berceau d’une industrie locale, qui se répandit ensuite dans l’île tout entière et qui paraît y avoir gardé ses traditions et ses procédés jusqu’aux derniers jours de l’antiquité. Des figures d’hommes et d’animaux se rencontrent bien dans la décoration peinte de certains vases qui, par leur couleur, par leurs formes et leurs dessins, ont un caractère cypriote très marqué ; mais ces figures n’y prennent jamais d’importance et n’y arrivent jamais à la beauté. Une chasse, un défilé de soldats, de cavaliers et d’animaux, tels sont à peu près les seuls motifs auxquels la céramique cypriote fasse parfois une place à côté de cette ornementation toute géométrique qui lui sert d’ordinaire à décorer les surfaces. À proprement parler, il n’y a jamais ici de sujet traité ; jamais le potier ne représente, sur l’argile fraîche, une de ces scènes que les artistes grecs tiraient, en les variant à l’infini, du fonds inépuisable de leurs mythes nationaux ou du spectacle de la vie domestique et des jeux de la palestre. Un très petit nombre de vases, trouvés dans l’île, semblent faire exception à cette règle ; mais ce sont ou des ouvrages importés du dehors, ou le résultat de tentatives isolées qui n’ont pas fait école. En thèse générale, on peut dire que les fabriques cypriotes n’ont jamais eu l’idée de se servir du champ des vases qu’elles produisaient par milliers pour y peindre un tableau ; Cypre n’a pas eu, à prendre ce mot dans son vrai sens, de peintre céramiste ; elle n’a eu que des décorateurs qui, pendant de longs siècles, ont obstinément répété les mêmes formes, les mêmes dessins, laborieusement contournés et monotones dans leur bizarrerie[11].

Là où n’existait même pas la peinture sur vase, la peinture d’histoire, celle des Polygnote et des Zeuxis, des Parrhasius et des Apelle, n’a pas dû fleurir ; aucun texte ne nous apprend que Cypre ait pris une part quelconque au développement et aux progrès de la peinture grecque. L’art, à Cypre, est toujours resté dans la dépendance et sous l’influence des modèles orientaux ; or l’Orient, l’Égypte aussi bien que l’Assyrie, n’a jamais connu la peinture proprement dite ; il en est toujours resté à l’enluminure ; il n’a pas su s’élever au-dessus de cette convention qui prête à toute partie de l’objet représenté, quelles qu’en soient l’importance et l’étendue, un ton plat, toujours le même, que ne font varier dans son identité ni la distance à laquelle est censé se placer le spectateur ni les jeux de l’ombre et de la lumière sur une surface inégale et courbée. Comme sur les bords du Nil ou sur ceux du Tigre, un coloriage habile et franc déguisait partout à Cypre la blancheur un peu froide de la pierre employée par l’architecte et le sculpteur ; mais nous ne pouvons appeler des peintres les artisans qui venaient, une fois la statue terminée, étendre sur les draperies une couche de vert ou de bleu, relever les lèvres d’une touche de carmin, et, d’un coup de pinceau, faire saillir en noir la prunelle sur le globe de l’œil ; il ne fallait là que de la pratique et du métier.


III.

Pour ne pas fatiguer l’attention, nous avons dû, chemin faisant, négliger plus d’un groupe de monumens qui auraient peut-être mérité de nous retenir au passage. De cette étude, toute sommaire qu’elle soit, se dégagent pourtant, si nous ne nous trompons, les traits principaux, les lignes maîtresses de cette histoire, telle que nous permettent de nous la représenter aujourd’hui les monumens de la plastique, qui suppléent heureusement à l’insuffisance des textes écrits.

Lorsque les Phéniciens, se sentant manquer d’air et d’espace sur cette mince bande de terrain où leurs cités étaient serrées entre la montagne et la mer, commencèrent à tourner vers le large les proues hardies de leurs légers navires, les rivages de Cypre furent les premiers où ils abordèrent, après une traversée qui avait alors ses périls et ses émotions. Ce fut une première étape, le premier pas dans cette carrière d’entreprises et de découvertes maritimes qui finirent par conduire les vaisseaux phéniciens jusqu’au delà des colonnes d’Hercule, en plein Atlantique ; Kition fut le premier anneau de cette longue chaîne de comptoirs et de postes fortifiés qui rattachaient Tyr et Sidon à toutes les côtes de la Méditerranée, et même aux plages plus lointaines encore de l’Afrique et de l’Europe occidentales. Solidement établis dans l’île à une époque très ancienne, les Phéniciens n’ont jamais laissé s’interrompre un jour, pendant dix siècles et plus, ces relations constantes et familières ; des ports de la Syrie, il ne partait presque pas un navire à destination de l’Asie-Mineure, de la Grèce ou de l’Italie qui ne touchât aux ports de Cypre ; on s’y arrêtait de même au retour, avant de rentrer dans la patrie, on y complétait son fret en chargeant quelques tonnes de ce métal que les ateliers de la métropole employaient en si grande quantité. Pour les grandes villes industrielles et commerçantes du continent voisin, Kition, Amathonte, Paphos étaient ainsi comme des faubourgs d’outre-mer, et les riches campagnes de l’île comme une seconde banlieue, plus spacieuse et plus fertile que leur territoire inégal et montueux, découpé en étroits compartimens par de hauts promontoires, derniers prolongemens des puissans contre-forts auxquels s’appuyaient les sommets du Liban.

Il y avait donc comme un courant qui partait des cités phéniciennes et qui venait baigner les plages orientales et méridionales de Cypre, y porter les croyances et les cultes, l’industrie, les arts et les mœurs de la race chananéenne. Quand plus tard les Grecs débarquèrent à leur tour sur ces mêmes grèves, déjà, par l’effet de cette action lente et prolongée, le sol de Cypre, jusque dans ses couches les plus profondes, s’était, si l’on peut ainsi parler, imprégné de ces influences. Celles-ci s’exercèrent donc tout d’abord sur les nouveaux arrivés ; elles s’imposèrent à eux comme le climat qu’ils avaient trouvé dans l’île, comme l’air même qu’ils respiraient ; elles continuèrent d’ailleurs de se faire sentir avec la même force et dans la même direction bien longtemps après la fondation des premières colonies achéennes. Les Grecs de Cypre restèrent donc soumis à l’ascendant d’une civilisation qui pouvait déjà se prévaloir alors d’un passé très long et très bien rempli. Ils étaient loin des grands foyers où s’alluma et où brilla le plus éclatante et le plus pure la flamme du génie hellénique ; ils étaient loin de l’Ionie, ce printemps de la Grèce, plus loin encore d’Athènes, son riche et glorieux été. Tout au contraire, ils étaient avec les Phéniciens en un contact intime et journalier ; par leur intermédiaire, ils se trouvaient rapprochés de l’Assyrie et de l’Égypte, plus tard de la Perse. Dans leur mouvement d’expansion et de conquête, l’un après l’autre, ces grands empires asiatiques ou africains se saisirent de Cypre, de ses mines et de ses forêts, réduisirent ses princes à la condition de tributaires.

Une telle situation et de tels contacts durent amener plus d’un croisement entre Sémites et Aryens. Hérodote, au ve siècle, était frappé de la diversité des élémens dont se composait la population de Cypre ; il croyait y trouver, outre des Grecs de provenances différentes, des Phéniciens et même des Éthiopiens. Le mélange des races était d’ailleurs favorisé, ce semble, par l’esprit et par les rites du culte de Paphos, d’Idalie et de Golgos, par la licence de mœurs que ce culte provoquait et paraissait autoriser. Autour de ces sanctuaires que visitaient tant d’étrangers, dans ces ports que fréquentaient tant de marins et de commerçans de tout pays, il s’était formé un peuple de sang mêlé qui parlait à la fois le grec et le phénicien, qui comprenait aussi les dialectes araméens de la Syrie septentrionale et de la Cilicie. Le type que nous offrent les monumens de la sculpture et que nous avons appelé le type cypriote est-il celui de cette race croisée, chez qui certains caractères physiques et moraux se seraient à la longue fixés par l’hérédité? Ce qui est certain, c’est qu’il se distingue, par un ensemble de traits faciles à définir, du type égyptien, de l’assyrien et du grec. Sans doute l’apparente étrangeté de ce type tient en partie aux habitudes et au style des sculpteurs cypriotes; chaque peuple a sa manière de voir et de rendre la nature; sans s’en douter, il en atténue certains traits et en exagère d’autres. La physionomie du modèle n’en est pas moins pour quelque chose dans celle de la copie, dès que la copie est intelligente et consciencieuse. L’emploi de certaines matières et la préférence accordée à certains procédés contribuent à souligner tels ou tels traits de la figure, mais ne les créent pas: autrement dit, tout portrait contient une part de vérité, surtout lorsque plusieurs générations d’artistes s’appliquent l’une après l’autre à tirer des épreuves d’un même original.

Toutes ces alliances plus ou moins régulières avaient donc au bout de quelques siècles, donné naissance à une race secondaire qui tenait à la fois de la race syrienne et de la grecque. A l’est et au sud de l’île, le sang phénicien coulait en plus forte proportion dans les veines des Cypriotes; dans l’ouest et le nord, c’était le grec qui dominait. A Kition, vous auriez rencontré plus d’une figure toute juive de lignes et d’expression, à Salamine, à Curium ou à Soli, plus d’un profil grec, plus d’une tête dont le noble et pur dessin vous aurait rappelé les fils de la mère patrie. Il en était de même pour les habitudes, les idées, le caractère moral; le désir de se rattacher à la Grèce, d’en cultiver les arts et les lettres, d’en prendre les mœurs et l’esprit, était sensible chez ces princes de Salamine et de Soli, qui s’associèrent avec tant d’ardeur à la révolte des Ioniens vers la fin du VIe siècle, chez ceux qui plus tard secondèrent les efforts de Cimon, enfin chez cet Évagoras, qui lutta si brillamment contre Artaxerce et qui entretint avec Athènes des rapports si affectueux; certains particuliers durent partager ces dispositions et ces goûts. Ce ne furent pourtant là que des tentatives isolées et toujours malheureuses, des exceptions qui ne tirèrent pas à conséquence. Avec sa richesse, Nicoclès pouvait payer chèrement à un Isocrate l’éloge de son père Évagoras; mais il ne dépendait pas de lui que beaucoup de ses sujets sentissent les délicatesses de cette fine prose attique dont jouissaient si vivement les compatriotes du célèbre rhéteur.

Dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, il s’était donc établi, d’un bout à l’autre de l’île, une sorte de moyenne. Les Phéniciens de Cypre avaient tous appris le grec, comme le prouve l’usage des inscriptions bilingues; mais les Grecs de Cypre étaient, par l’esprit, les moins Grecs de tous les Grecs. Ils n’eurent jamais ni le goût de la liberté républicaine, ni les hautes curiosités de l’intelligence, ni la passion désintéressée du beau. Il semble qu’ils aient été alourdis et comme abâtardis par cette large infusion de sang asiatique et même africain ; on ne trouve pas chez eux cette recherche du mieux, ce désir du progrès, qui caractérisent la race hellénique pure. La population cypriote, à la prendre dans son ensemble, telle que nous la font connaître les textes anciens et surtout les ouvrages sortis de ses mains, sa statuaire et sa céramique, était d’humeur stationnaire et de tempérament conservateur. Grâce aux leçons des Phéniciens, élèves et héritiers de l’Egypte et de l’Assyrie, cette population était arrivée de très bonne heure à un assez haut point d’habileté agricole et industrielle; elle avait de beaucoup précédé, dans cette voie, les tribus de la Grèce propre et des îles de la mer Egée; mais elle ne les suivit pas dans leur marche en avant lorsque celles-ci, prenant pour point de départ les résultats acquis des civilisations orientales, commencèrent à tenter des chemins nouveaux dans le domaine de la science et dans celui de l’art. Dans le reste du monde hellénique, les esprits, tenus en haleine par le mouvement de la vie publique et les lattes de la parole, éveillés et stimulés par les spéculations de la philosophie et les recherches de l’histoire, échauffés par l’amour des belles formes et des proportions heureuses, s’émancipaient de la tradition sans renoncer au bénéfice des méthodes et des procédés qu’elle leur avait apportés; quant aux Cypriotes, docilement soumis à leurs princes, satisfaits de leur richesse, engourdis par leur culte voluptueux, ils n’éprouvaient pas le besoin de changer et de perfectionner ce que leurs pères avaient si bien réglé, dans un temps où Cypre était renommée par l’adresse de ses artisans et par l’éclat de ses fêtes religieuses. Leur langue, comme l’attestent les inscriptions récemment déchiffrées et les gloses d’Hésychius, reste un dialecte très particulier, contenant beaucoup de formes et de mots qui n’avaient point cours hors de l’île ; il ne se trouve point de poètes ou d’écrivains pour l’ennoblir en le cultivant et pour l’élever à la dignité de langue littéraire. On en a, très anciennement, représenté les sons à l’aide d’un alphabet dont les signes paraissent empruntés à l’écriture cunéiforme, et ce fut là peut-être la première notation qui ait été appliquée aux mots de la langue grecque. L’alphabet cypriote aurait donc été, à son heure, un grand progrès, une invention très justement admirée par les contemporains; mais, par le caractère syllabique et la multiplicité de ses signes, il est très inférieur à l’alphabet dit cadméen, à celui que d’autres Grecs, probablement dans le même siècle, tirèrent de l’alphabet phénicien pour figurer les articulations de leur idiome. Bien moins nombreuses et plus commodes à tous égards, les lettres cadméennes pénétrèrent à Cypre ; mais elles ne réussirent pourtant pas à y faire tomber en désuétude l’ancienne écriture, malgré sa complication et ses défauts. On continua, jusque sous les successeurs d’Alexandre et peut-être plus tard encore, à se servir de l’alphabet cypriote sur les monnaies, dans les inscriptions funéraires et votives, dans les contrats; il avait sans doute, aux yeux des insulaires, je ne sais quel caractère vénérable et sacré. Ce prestige tenait-il seulement à l’antiquité de ce système? Ne s’expliquait-il pas aussi par une origine surhumaine qui lui aurait été attribuée par certains mythes locaux dont la mémoire ne s’est pas conservée? Nous ne saurions le dire; ce qui paraît certain, c’est que les textes écrits ainsi semblaient prendre, par le fait même de cette notation, quelque chose de plus authentique et de plus solennel. Cet attachement superstitieux au passé, cette persistance dans l’emploi d’un instrument imparfait et suranné, c’est, croyons-nous, un phénomène unique dans l’histoire de la civilisation grecque.

Dans les arts plastiques, même fidélité à la tradition ; pour tout dire en un mot, même routine. Ce grand élan d’études, d’efforts et de génie qui, vers le milieu du Ve siècle avant notre ère, conduisit à la perfection l’architecture, la sculpture et la peinture grecques, ne se fit sentir à Cypre que bien faiblement et bien tard. Il faut descendre jusqu’au IVe siècle pour reconnaître dans la numismatique cypriote l’influence du style libre et noblement aisé qui règne depuis longtemps déjà dans les terres vraiment grecques, au delà des mers. Quant à ces statues qui nous ont paru être des portraits, les bases n’en portent pas d’inscriptions; il est donc très difficile de leur assigner une date même approximative. Pourtant tous les archéologues qui ont étudié cette suite de monumens s’accordent à penser que nombre de ces figures, malgré leur pose traditionnelle et leur faire si particulier, sont postérieures au temps où déjà les temples de la Grèce étaient remplis des chefs-d’œuvre d’un Phidias et d’un Praxitèle, où le ciseau si ferme et si sûr d’un Lysippe, sans sacrifier la noblesse de l’attitude et du type, savait définir l’individu par les traits qui le distinguaient de tous les hommes du même pays et du même siècle. Parfois même, à l’air de tête, à l’arrangement de la coiffure, à divers indices du même genre, on croit deviner dans certaines de ces statues des ouvrages qui ne sont guère antérieurs à la réduction de l’île en province romaine et dont quelques-uns peut-être dépassent ce terme; pourtant, jusque dans ceux qui semblent les moins anciens, vous retrouvez encore quelque chose du style et de la touche des plus anciens monumens de la sculpture cypriote, vous sentez se perpétuer des habitudes persistantes et tenaces, des procédés héréditaires. Surtout depuis la conquête d’Alexandre et le triomphe définitif de l’hellénisme, l’école cypriote n’a pu se soustraire tout à fait à l’influence des exemples qui lui venaient du dehors; mais elle a toujours été d’un siècle ou deux en retard. L’étude des poteries trouvées dans l’île suggère des observations analogues. Toute donnée chronologique fait ici défaut, plus encore que pour la statuaire ; mais ce qui est certain, c’est que les potiers cypriotes n’ont jamais fabriqué de ces beaux vases peints qui sont l’honneur de la céramique grecque. Qui plus est, les princes de Cypre et leurs sujets n’ont pas eu l’idée de profiter de leur opulence pour tirer ces vases des ateliers de Corinthe ou de ceux d’Athènes, comme le faisaient par exemple en Italie les Étrusques de Vulci et de Nola, au fond du Pont-Euxin les marchands et les tyrans du Bosphore cimmérien. Parmi les milliers de vases qui ont été recueillis dans les nécropoles de l’île, à peine en compte-t-on un ou deux qui aient des figures noires avec inscriptions grecques, et l’on s’accorde à les regarder comme des objets importés, tant ils diffèrent de la poterie indigène. Quant à ces vases à figures rouges sur fond noir qui représentent l’âge d’or de l’art grec, l’île n’en a pas, que nous sachions, fourni même un seul. Qu’est-ce à dire? Faut-il croire qu’au temps où les ateliers grecs produisaient et où les étrangers mêmes recherchaient ces poteries décorées de personnages, les potiers de Cypre aient brisé leurs outils et éteint leurs fours? Est-ce admissible ? Ce qui est vraisemblable, c’est que les artisans cypriotes, sans se préoccuper de ce qui se faisait ailleurs, ont répété pendant plusieurs siècles encore, avec une fécondité stérile, les formes tourmentées et bizarres, les dessins à la fois élémentaires et compliqués auxquels était accoutumée leur clientèle locale. C’est très tard, c’est seulement vers l’époque ptolémaïque et romaine que les vases de verre remplacent dans les tombeaux ces étranges produits de la céramique indigène, et encore cela ne suffit-il point à prouver qu’elle ait alors suspendu sa fabrication et modifié ses procédés bien des fois séculaires.

Si nous ne nous trompons, voici l’impression que doit laisser cette enquête sommaire, cette rapide étude des monumens conservés de l’art cypriote; dans ce monde grec si mobile, ou se succèdent si vite les constitutions et les empires, les formes littéraires et les écoles artistiques, Cypre fait exception. Vue de loin et en gros, elle semble échapper pendant plusieurs siècles, autant que faire se peut, à la loi du changement. Quoique la race et la langue grecques y prédominent, elle garde une physionomie à part, avec son état social très stable, son agriculture savante, son industrie très active et très avancée, son alphabet incommode et arriéré, son indifférence pour les lettres et pour la science, son art sans mouvement et sans idéal, son culte tout sensuel. Si de pareilles comparaisons n’étaient toujours, par quelques endroits, inexactes et forcées, nous dirions que la Cypre antique fait songer à l’Égypte et surtout à la Chine ; c’est, dans un certain sens, la Chine de la Grèce.

La différence, c’est que cette Chine grecque est une île, placée entre l’Égypte, la Syrie, l’Asie-Mineure et la Grèce propre ; c’est une Chine ouverte, qui n’a jamais cessé d’être en étroites relations avec ses voisins, de les appeler sur ses rivages et dans ses ports hospitaliers. Par l’effet de sa situation même, ceux qui l’habitaient ont servi d’intermédiaires entre l’Orient et la Grèce ; ils ont transmis des germes qui devaient produire sur le sol de la Grèce des fleurs plus brillantes et de plus beaux fruits que dans leur terre natale et que dans cette station provisoire où ils avaient paru si bien s’acclimater. Cypre est un des endroits où les Grecs se sont trouvés le mieux placés pour recevoir à loisir de la main des Phéniciens cet ensemble de recettes et de procédés, de conventions et de méthodes que l’on a si bien appelé l’alphabet de l’art. Cette île n’est sans doute pas le seul point où se soit fait ce contact, où ces élèves, destinés à bientôt surpasser leurs maîtres, aient pu s’assurer le bénéfice de cette sorte d’initiation, de cet enseignement élémentaire, qui devait leur épargner de longs tâtonnemens ; mais nulle part ils n’ont eu les modèles plus à portée et n’ont pu les étudier plus à l’aise. Que ces exemples et ces suggestions aient moins profité aux Grecs de Cypre qu’à ceux du continent, il ne sied pas de s’en étonner. Les Grecs de Cypre avaient trop de sang oriental dans les veines, l’action de l’élément phénicien s’exerçait sur eux de trop près et d’une manière trop constante pour qu’ils fussent capables d’approprier ces rudimens des arts plastiques et cette série de procédés à l’expression d’idées et de sentimens nouveaux ; il y fallait le tempérament plus robuste, l’originalité plus franche d’une race plus pure, se développant librement sur une terre dont elle serait l’unique et souveraine maîtresse.

Nous n’insisterons pas ; cette influence exercée par la Phénicie sur le premier éveil du génie grec, c’est presque un lieu commun de la doctrine archéologique aujourd’hui régnante ; il nous a suffi de rappeler quelle part importante a prise dans cette transmission des secrets techniques et des formes premières la population mêlée qui habitait Cypre au temps d’Hérodote et qui s’y maintint, pendant plusieurs siècles encore, sans altération notable. Ce qui a été moins étudié, ce qui mériterait de nous retenir plus longtemps, c’est l’influence exercée par ce même élément sémitique non plus seulement sur les moyens d’expression dont disposaient les Grecs, mais sur le fond même de leurs idées et de leurs conceptions religieuses. Ici le rôle de Cypre paraîtrait encore plus actif et plus prépondérant. Quiconque aurait l’ambition de jeter quelque jour sur cette question encore si mal éclaircie devrait, après avoir constaté l’origine syrienne de la grande déesse de Cypre, chercher à en définir avec précision le caractère historique et à savoir si les principaux des traits qui la distinguent ne se retrouvent pas chez une ou plusieurs des divinités du panthéon hellénique. C’est ce qu’a tenté, dans un travail récent, l’un des savans les plus éminens de l’Allemagne contemporaine, M. Ernest Curtius, l’auteur de cette belle histoire grecque qui a été traduite dans toutes les langues de l’Europe, sauf en français[12]. À la fois épigraphiste, archéologue et philologue, aussi familier avec les monumens figurés qu’avec les chefs-d’œuvre de la littérature, cet érudit était mieux préparé que personne à cette tâche ; les idées qu’il a exposées à ce propos, dans une brillante esquisse qui deviendrait aisément tout un livre, tiennent de trop près au sujet qui nous occupe pour que nous n’essayions pas de les résumer avant de nous éloigner des rivages de Cypre et d’en voir les sommets décroître à l’horizon.


IV.

L’emploi de la méthode historique a renouvelé, de notre temps, l’étude de l’antiquité sous presque toutes les formes, l’histoire des institutions comme celle de l’art, comme l’étude même des langues. L’étude de la mythologie est celle où ce progrès s’est fait jusqu’ici le moins sentir ; dans les manuels qui traitent de cette science, on aime encore à se représenter le monde des divinités grecques comme un système complet dont on n’explique point l’origine et que l’on considère comme ayant duré sans changement appréciable pendant de longs siècles. Les contours arrêtés sous lesquels nous sont connues, depuis notre jeunesse, les nobles formes des dieux olympiens nous font illusion ; nous sommes tentés de croire que tous ces personnages divins ont dès le début été tels que nous nous les figurons, qu’ils ont toujours soutenu entre eux les mêmes rapports. Pourtant, — il suffit pour s’en convaincre de réfléchir un instant, — la conception des dieux chez les anciens ne s’est pas soustraite plus que leurs institutions, leur littérature et leurs arts plastiques aux lois du développement historique ; elle n’a pas échappé, plus que les autres manifestations de leur génie, aux conditions du devenir.

Cette vérité a déjà été soupçonnée par quelques-uns des plus récens historiens de la pensée religieuse des Grecs. Ottfried Müller a montré comment certaines tribus grecques avaient apporté et répandu certains cultes, et il a établi ainsi une liaison féconde entre l’histoire et la mythologie ; mais il n’a pas su refaire la synthèse et il a été entraîné à sacrifier telle race à telle autre, les Ioniens par exemple aux Doriens. Welcker s’est préservé de ce défaut ; il a embrassé le monde divin dans son ensemble, et il y a distingué d’anciennes et de nouvelles divinités, des couches superposées et des générations qui se succèdent ; mais il n’a pas poussé ses vues jusqu’aux conséquences qu’elles comportaient et, après lui, on s’en est tenu presque toujours à une exposition systématique où la question d’origine est négligée, où les lois du développement sont méconnues, où les Grecs semblent vivre dans une enceinte fermée, en dehors du mouvement de cette civilisation complexe qui fleurit autour du bassin oriental de la Méditerranée. On peut adresser le même reproche à Ed. Gerhard et à sa méthode statistique, au riche dénombrement qu’il entreprend de toutes les conceptions religieuses que les Grecs ont traduites par le culte ou par la plastique.

Une autre école a prétendu retrouver tous les élémens importans de la mythologie grecque dans un fonds de croyances communes à tous les peuples de race aryenne, par eux apporté de leur lointain berceau. Cette école, celle d’Adalbert Kuhn et de Max Muller, a rendu de grands services par les comparaisons qu’elle a établies entre les plus anciens monumens de la pensée religieuse chez les peuples aryens, par les lumières qu’elle a jetées sur la manière dont s’éveille et se développe le sentiment qui se trouve au fond de tous les cultes. Sa faiblesse, ç’a été de ne pas apprécier à leur juste valeur les influences qu’a subies le peuple grec depuis que, détaché, de ses frères aryens, il est entré dans le cercle des peuples riverains de la Méditerranée[13]. On a eu aussi le tort d’attribuer aux conceptions religieuses la même persistance qu’à la langue, de croire qu’elles résistent aussi victorieusement à l’infiltration des élémens étrangers. Malgré l’attachement que tout peuple de race pure et de tempérament jeune porte à ses dieux, il ne lui est pas possible de se soustraire à l’action des religions du dehors ; il y a là pour ses croyances un péril auquel celles-ci auront d’autant moins chance d’échapper que le peuple voisin aura une civilisation plus brillante et un culte où les images et la pompe extérieure jouent un plus grand rôle et qui, par ces moyens, agit plus fortement sur la sensibilité. C’est ce dont témoigne toute l’histoire religieuse de l’antiquité, et particulièrement celle des Juifs, des Perses, des Grecs et des populations italiques.

La Perse ancienne fournit un exemple curieux entre tous de cette action presque irrésistible. Le maintien, dans toute sa pureté, du culte spiritualiste d’Ahura-Mazda, le seul dieu que connaissent dans leurs monumens Darius et Xerxès, est affaire d’état dans la monarchie des Achéménides, et pourtant il suffit de la durée de deux ou trois règnes pour que les Perses empruntent aux Sémites leurs voisins le culte de la déesse Anahit ; déjà, comme l’atteste Bérose, Artaxerxès Mnémon lui fait une place dans la religion officielle et lui élève des autels[14]. Nous assistons là, dans les temps historiques, à un phénomène qui dut se produire bien souvent, dans une période antérieure, alors qu’il n’y avait pas d’historien pour le noter au moment même où il s’accomplissait ; cet emprunt fait par le monde aryen au monde sémitique s’est répété bien des fois et sous bien des formes.

Les Grecs n’ont pas été, comme les Perses, les voisins immédiats des Assyriens et des Babyloniens ; c’est par l’intermédiaire d’autres peuples que sont parvenus jusqu’à eux les fruits de la civilisation des grands états sémitiques. Ces relations à distance ont suivi une double route, la voie de mer et la voie de terre. Par la voie de mer, ce sont les Phéniciens qui ont servi d’intermédiaires. La divinité féminine, qui se retrouve partout où ont abordé les navires des Phéniciens, paraît sous deux formes dans les mythes grecs, tantôt comme une déesse errante, sous les traits changeans d’une Io, d’une Europe, d’une Hélène, d’une Didon, tantôt comme une déesse sédentaire. Les marchands phéniciens ont établi leur déesse à Cypre, le territoire le plus avancé vers l’est où se soit anciennement fixée une population grecque : on sait là les sanctuaires où les Grecs, quand ils sont venus s’établir dans l’île, ont trouvé la déesse syrienne déjà installée à demeure, où leur imagination a été frappée des symboles par lesquels on la représentait et de la puissance qu’on lui attribuait, où ils ont été charmés et séduits par la pompe de ses fêtes orgiaques et de leurs rites voluptueux. C’est sous le nom d’Aphrodite, nom que l’on croit pourtant de provenance aryenne, que la déesse sémitique a passé chez les Grecs de Cypre, et la même influence l’a portée, elle et son culte, plus loin vers l’ouest, à Cythère, tout contre la côte de l’Europe. Dans l’Iliade, Aphrodite est souvent appelée Kypris, dans l’Odyssée et dans les hymnes, Kythereia. Ce sont là des faits incontestés ; les plus jaloux mêmes des défenseurs de l’autocththonie des dieux olympiens n’osent pas nier cette origine ; mais ils parlent d’Aphrodite comme de la seule étrangère de l’Olympe. Cette assertion est-elle fondée ? On commence à ne plus le croire, depuis que l’on connaît mieux le caractère de cette divinité féminine qui, dans les religions sémitiques, se groupe, sur le premier plan, avec le grand dieu mâle ; c’est un même être sous différens noms, Belit, Beltis ou Mylitta à Babylone, Istar en Assyrie, Nana en Elymaïde, Anahit dans la Chaldée méridionale, Astarté en Phénicie, Tanit à Carthage. Tous ces noms, dont chacun désigne un côté particulier de cette essence divine, s’appliquent également à une déesse dont l’activité n’est point limitée à tels ou tels corps isolés de la nature, à telle ou telle de ses manifestations, mais n’est autre chose que la puissance même de cette nature, le principe humide qui joue son rôle dans la naissance de toute vie, la matrice qui reçoit tous les germes, qui enfante sans trêve et qui entretient toute existence sans jamais s’épuiser.

Les chemins suivis sur le continent par les influences orientales sont moins faciles à relever ; cependant certains monumens qui, depuis une quarantaine d’années, ont été découverts dans l’intérieur de l’Asie-Mineure, sont comme autant de jalons qui nous indiquent la direction de ces routes, à travers la Cappadoce, la Phrygie et la Lydie; nous pouvons compter les étapes, noter les plus importantes des stations intermédiaires. D’autre part l’exhumation de Ninive, l’étude des sculptures assyriennes et le déchiffrement des inscriptions cunéiformes nous révèlent de jour en jour, entre la Grèce et la civilisation du bassin de l’Euphrate, des rapports que l’on ne soupçonnait pas autrefois. La grande divinité d’origine babylonienne que les Phéniciens ont promenée avec eux sur les mers, nous la retrouvons dans l’Asie antérieure, sur le sol occupé par des peuples de race aryenne, en Arménie, sous le nom de la grande déesse Artémis, sous le nom de Ma en Cappadoce, d’Anaïtis à Zéla dans le Pont. A propos de ce dernier sanctuaire, l’origine mésopotamienne de ce culte est attestée par Strabon, comme elle l’est aussi pour l’Arménie. En Phrygie et en Lydie, c’est encore cette déesse orientale qui s’appelle, au pied du mont Dindymène et du mont Sipyle, Rhéa-Cybèle ; de là les Pélopides en ont porté le culte dans la Grèce propre, où cette même déesse devient tantôt Artémis, tantôt Aphrodite. C’est elle encore, à n’en pouvoir douter, que l’on reconnaît dans l’Artémis du fameux sanctuaire d’Éphèse ; là tout le corps de la déesse est couvert de mamelles gonflées de lait. C’est la mère et la nourrice; elle n’a de commun que le nom avec l’Artémis homérique, la vierge chasseresse dont le type a été immortalisé par les poètes et les sculpteurs de la Grèce[15]. Ainsi les principaux foyers du culte de cette grande déesse-nature se répartissent, comme autant de haltes, sur les principales routes de caravane qui, de la Babylonie, de l’Assyrie et de la Médie, conduisent vers l’Euxin et la mer Egée, à travers le territoire des Arméniens, des Phrygiens, des Mysiens et autres peuples aryens, proches parens de tribus grecques établies sur la côte depuis une haute antiquité. Pourquoi la transmission se serait-elle arrêtée à la limite du territoire de ces tribus, pourquoi le fil se serait-il brisé au moment où il atteignait le rivage de ces deux mers? L’hypothèse de cette brusque interruption devait paraître, a priori, peu vraisemblable ; nous pouvons aujourd’hui l’écarter sans retour. Sur tout ce littoral, nous trouvons une série de sanctuaires de divinités féminines, qui représentent toutes, dans leur essence, une même conception religieuse; mais, sur ces côtes découpées en un si grand nombre de petits états autonomes, cette conception, en passant par l’esprit actif et subtil des Grecs, a subi divers changemens de forme et pris différens noms. Ainsi le culte célèbre d’Héra, à Samos, a le même fond que celui d’Éphèse. Si l’on a méconnu l’identité primitive de ces déesses, Aphrodite et Artémis, Héra et Cybèle, c’est que l’on a trop isolé les Grecs de leurs voisins. Les métaux précieux livrés aux Grecs d’Asie-Mineure, en lingots et en flans pesés d’après l’étalon babylonien, recevaient de leurs mains l’empreinte du génie grec et couraient ensuite comme monnaies nationales; ainsi les idées religieuses qui dominaient dans l’Asie antérieure, adoptées par les Grecs, ont été comme surfrappées par eux et marquées d’un nouveau coin. Sur les côtes de l’Archipel, l’idée panthéistique se brise en tant de rayons que l’on a pu méconnaître jusqu’à nos jours l’unité du foyer primitif.

Malgré l’intérêt que présente cette recherche, nous ne pouvons suivre M. Curtius dans toute la série des observations et des rapprochemens ingénieux à l’aide desquels il essaie de retrouver quelques-uns des traits de la déesse orientale jusque dans les figures de l’Olympe classique qui paraissent le plus profondément empreintes du caractère hellénique, chez Déméter et Koré, par exemple, même chez cette Athéné qui, dans un certain sens, est la plus grecque de toutes les divinités de la Grèce. Partout il reconnaît et signale des formes diverses d’un même type divin qui représente la puissance de la nature opérant dans le sol humide et nourrie par la rosée du ciel. Ce sont comme autant d’épreuves qui, pour être sorties d’un même moule, n’en ont pas moins une valeur et une beauté très inégale. Pour toutes, le moule donnait la même pose et les mêmes masses ; mais chacune de ces épreuves a été reprise ensuite par le ciseau du sculpteur, et celui-ci, suivant qu’il avait plus d’adresse et de loisir, s’est borné aux retouches nécessaires ou bien a pris plaisir à serrer le modelé, à varier d’une figure à l’autre l’expression et l’effet, par le travail de l’outil et la fermeté des accens. L’artiste qui a créé cette diversité, c’est ici le génie grec et italiote, avec le besoin invincible qu’il éprouve de déterminer les dieux, de les distinguer les uns des autres par des attributs spéciaux et une physionomie tranchée. Les différences frappent d’abord plus que les ressemblances ; elles pourraient abuser un observateur inattentif et sans expérience ; mais le connaisseur ne s’y trompe pas, il devine, il proclame l’unité du type primitif.

Aphrodite cesse donc d’être à nos yeux la seule divinité étrangère qui se soit assise aux banquets de l’Olympe ; si l’on remonte jusqu’à ces siècles lointains et sans histoire où les Grecs ont fait leur apparition sur les côtes de la mer Égée, on voit s’abaisser cette haute barrière que les humanistes d’autrefois aimaient à dresser entre Hellènes et barbares ; cette frontière fictive s’efface et s’évanouit. Est-ce à dire que les divinités grecques y perdent quelque chose de leur originalité, de leur beauté sans rivale ? Non certes : nous n’en concevons qu’une plus haute idée de l’activité créatrice du génie hellénique, lorsque nous voyons ce qu’il a su faire de cette idée sans forme, que l’Orient ne savait exprimer que par une accumulation indéfinie de symboles. De ce panthéisme impropre à la plastique, l’art grec a tiré des personnes libres et vivantes, de cette déesse universelle, des dieux nationaux. Suivant que les cités grecques se sont plus ou moins écartées du type oriental primitif, elles sont arrivées à un degré plus ou moins haut de civilisation. Nous avons là comme une échelle de comparaison entre les différentes branches de la même race ; nous pouvons mesurer la force que chacune d’elles a déployée pour s’approprier, en les transformant, ces élémens exotiques ; nous trouvons là, si l’on peut ainsi parler, la formule et la dose de son hellénisme. Corinthe avait été, dans des temps très anciens, en relations étroites avec les Phéniciens ; il lui en resta toujours quelque chose. Son culte d’Aphrodite était bien plus matérialiste que les cultes athéniens. Tandis qu’Athènes avait les Panathénées et les Dionysiaques, la procession que représente la frise du Parthénon et les fêtes du théâtre tragique et comique, Corinthe offrait aux étrangers, comme Cypre, ses bandes de courtisanes esclaves de la déesse et le charme grossier des prostitutions sacrées.

Dans la vie des sociétés humaines comme dans celle de l’individu, ce qui finit ressemble étrangement à ce qui commence ; la vieillesse copie l’enfance, avec l’espoir et l’avenir en moins. Le dernier chapitre d’une histoire des dieux du paganisme ferait passer de nouveau devant les yeux de l’historien les images et les formes qu’il aurait étudiées dans le premier. Dans la décadence du monde antique, dans le perpétuel travail de la pensée religieuse, sans cesse occupée à modifier ses conceptions, les figures des dieux olympiens, que le génie grec avait créées si fermes et si nettes de contour, finissent par se résoudre en simples attributs de la Divinité suprême ; elles s’évaporent, et le polythéisme retourne au panthéisme. La déesse-nature d’Asie, dans cette période, reprend toute sa valeur, tout son empire sur les imaginations ; elle clôt ce cycle qu’elle avait ouvert un millier d’années plus tôt. C’était elle qui, sous les noms de déesse syrienne, de Rhéa, d’Artémis d’Éphèse, d’Isis et de Tyché, était la maîtresse du monde gréco-romain, au temps où le christianisme commença à inspirer aux païens de sérieuses alarmes. Le seul thème qui eût encore alors le don d’échauffer les cœurs et de fournir ample matière à l’éloquence, c’était la souveraineté de cette déesse-nature, de cette déesse-destin, qui était toute en tous et qui embrassait en elle seule l’être de toutes les divinités grecques et romaines. Les hommes du second et du troisième siècle de notre ère se sentaient peut-être moins touchés en présence du Zeus ou de l’Athéné de Phidias, d’un dieu qui avait son histoire et son nom, qu’en face d’un symbole comme le cône de pierre grise qui se dressait dans le sanctuaire de Paphos. Ce simulacre sans grâce et sans beauté plaisait par son obscurité même à leur esprit qui n’avait plus le goût des idées claires, à leur âme fatiguée et crédule, éprise du merveilleux et de l’incompréhensible ; par son indétermination il échappait aux objections des philosophes, aux railleries des sceptiques, aux attaques des chrétiens. Que fallait-il d’autre à tous ces cœurs troublés qui se refusaient encore au christianisme, mais qui voulaient pourtant adorer et prier ? Ces émotions religieuses dont ils avaient soif, ils ne les rencontraient ni dans les mythes usés et comme fanés de l’Olympe grec, ni dans ces cultes officiels de l’empire qu’avaient restaurés ou fondés les premiers Césars ; ils les cherchaient donc, avec inquiétude et désir, dans les formules plus larges du panthéisme oriental et ils y trouvaient prétexte à s’incliner, dans une vague rêverie qui leur donnait l’illusion de la piété, devant cette nature qui restait toujours jeune et féconde pendant que vieillissaient les hommes et les sociétés, devant cette puissance infinie et indéfinissable à qui tous les noms convenaient et qui les épuisait, qui les dépassait tous.

George Perrot.


  1. Voyez la Revue du 1er  décembre 1878 et du 1er  février 1879.
  2. Grammaire des arts du dessin, p. 160.
  3. Beït el, maison de Dieu.
  4. La Numismatique et l’Architecture, dans la Revue générale de l’architecture et des travaux publics, 4e série, 4e volume, 1877.
  5. De Vogüé, le Temple de Jérusalem, monographie du Haramechchérif, Paris, 1864, gr. in-f°, avec 37 planches. — Renan, Mission de Phénicie, chap. III, pl X.
  6. Livre XV, chap. XVIII.
  7. D’après les dires de M. Lang, ce temple aurait été circulaire. La grande statue d’Hercule qui y a été retrouvée peut faire croire qu’il était consacré à un dieu qui, dans le cours des âges, avait fini par se confondre avec l’Hercule grec. On trouvera la lettre de M. Lang dans la Revue archéologique, t. XXIII, p. 336, et M. Ceccaldi en accepte toutes les conclusions.
  8. Revue archéologique, t. XXII, p. 370.
  9. M. Christos Pappayannakis dans la Gazette archéologique, 1877, pages 117-119.
  10. Chap. V.
  11. Au sujet de la céramique cypriote, on consultera avec fruit le mémoire très judicieux et très savant qu’a joint au livre de M. de Cesnola M. A. S. Murray, conservateur adjoint des antiquités au Musée britannique. Il est intitulé On the pottery of Cyprus, et est accompagné de plusieurs planches curieuses.
  12. La traduction française existe ; un savant français qui occupe une place distinguée dans notre enseignement supérieur l’a, depuis plusieurs années, en portefeuille ; mais il n’a pu trouver encore un éditeur qui se charge de la publier.
  13. Dans l’ouvrage vraiment remarquable qu’il vient de publier sous le titre de Mythologie de la Grèce antique, M. Decharme n’est pas tombé dans ce défaut. Il n’a pas manqué, dans son introduction (pages xxviii-xxix) d’indiquer quelle part devait revenir à l’Orient sémitique dans la formation des mythes grecs.
  14. Fr. Lenormant, Essai de commentaire des fragmens cosmogoniques de Bérose, p. 154 et suiv.
  15. Au sujet de l’histoire d’Éphèse, du culte et du sacerdoce asiatique que les Grecs y trouvent établi quand ils viennent se fixer en Ionie, on lira avec profit une dissertation de M. Curtius, insérée dans les mémoires de l’Académie de Berlin (1872), sous ce titre : Beitrœge zur Topographie und Geschichte Klein-Asiens.