L’écrin disparu/43

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 164-165).

XV

L’ADIEU.


La soirée s’acheva dans la discrète intimité d’amis venus plutôt pour consoler des amis, que pour se récréer. Tout au long, Monsieur Giraldi fit à son ancien secrétaire la narration des terribles tragédies qui avaient ensanglanté sa famille et déversa dans ce cœur de prêtre et de confident, toutes les amertumes, dont le sien, depuis leur séparation, avait été abreuvé.

— Ah ! mon ami, fit-il en forme d’exclamation, Dieu avait placé à mes côtés, l’ange destiné à guider mes pas, à conduire ma vie dans les sentiers humbles, mais droits, de l’honneur et de la vertu. Ma vaniteuse ambition crut alors plus sage de poursuivre la réalisation de ses rêves, dussent les moyens être plus ou moins avouables… vous savez ce qu’ils m’ont valu d’amers remords, de sombres chagrins, dont vous étiez, hélas l’innocente victime et enfin de châtiments, dont ma vie semble être tissue.

N’ayant pas su apprécier à sa valeur ma Lucie, trésor dont Dieu m’avait gratifié, il me fut repris…

Que vous êtes heureux, cher ami, d’avoir choisi la « meilleure Part »… et d’avoir méprisé ce que j’ai adoré : la gloire et la fortune.

Mais déjà la soirée s’avançait, et pour rester fidèle au règlement du monastère, le Père Rodolpho dut se retirer à la Trappe d’OKA où il avait obtenu de demeurer une semaine, à titre de délassement.

Depuis son départ, Lédia n’avait pas encore donné de ses nouvelles et Monsieur Giraldi avait trouvé étrange ce silence prolongé, d’autant plus que lui-même, n’ayant pas son adresse, n’avait pu la prévenir. Pour justifier ce délai anormal, il avait rejeté sur la fatigue, les embarras d’un long voyage, sur mille incidents imprévus, etc… le retard à la lettre attendue.

La famille avait retrouvé ses appartements d’Outremont et monsieur Giraldi se plaisait à jouir des derniers restes de la belle saison, assis sous le kiosque du jardin, qui avait retenu ses préférences.

Or, ce matin-là, en dépouillant son courrier, ses yeux reconnurent enfin l’écriture de sa chère Lédia. Un soupir de joie gonfla un instant sa poitrine ; hâtivement, il brisa l’enveloppe et lut :

Philadelphie… le 20 septembre… 19…
Monsieur,

Une plume, imprudente peut-être, mais dont je loue l’indiscrétion, m’a fait savoir qu’à dessein vous aviez préparé mon absence en vue de réunir chez vous tous ceux qui vous sont chers, à quelque titre que ce soit, et que vous les avez reçus avec un luxe, comme jamais vous ne l’avez fait en ma présence.

Puis donc que je vous suis devenue étrangère, et qu’il n’y a plus de place pour moi à votre table, j’ai l’honneur de vous faire savoir, Monsieur, que je reprends dès aujourd’hui ma liberté et considère comme nuis et non avenus, entre nous, tous les liens du passé. Du reste, l’antipathie générale que m’a valu le dévouement à la personne de mon cher père, suffit à me prouver que le bonheur pour moi est désormais impossible à vos côtés. J’ai retrouvé ici des amitiés fidèles, qui me consoleront amplement de votre hypocrite sympathie.

Signé : Lédia WALDORF.

Anéanti par cette foudroyante nouvelle, monsieur Giraldi n’avait pu en croire ses yeux ; il avait relu la lettre, puis fait des efforts pour se persuader qu’il n’était pas le jouet d’une illusion, la victime d’un rêve.

Il n’avait pas eu le temps de reprendre possession de lui-même, lorsque descendant au jardin, la femme de chambre vint le prévenir qu’un visiteur l’attendait au salon.

À peine conscient de sa démarche, il suivit la domestique et bientôt se trouva face à face avec le Père Rodolpho, qui venait lui faire ses adieux avant de retourner à la Trappe de Mistassini.