L’émancipation de la femme/01

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 15-20).

I

Dieux[1].


Pauvres femmes, pauvres parias, cœurs affamés de liberté et d’amour, femmes du peuple qui travaillez pour vivre et qui ne vivez pas, croyez-vous en Dieu ?

Qu’est-ce que Dieu pour le paria ? Est-ce le père de tous les êtres ? Mais comment le paria connaîtrait-il un père lorsque la nature, sa mère, se prostitue à des étrangers et ne nourrit plus son enfant ?

Si c’est un père, où est son amour ? Le paria ici-bas vit entouré de haine, ou d’un mépris plus poignant encore que la haine, ou d’un oubli plus écrasant encore que le mépris.

Si c’est un père, pourquoi ne nourrit-il pas ses enfants et comment n’empêche-t-il pas les plus forts ou les plus hardis de manger la part des faibles ou des timides ?

Si c’est un père pour vous, quel sera notre partage dans ses richesses ? Les riches nous ont deshérités de la terre ; les prêtres nous deshéritent du ciel !

Dites-moi, Monseigneur l’évêque, et ne détournez pas la tête, je ne vous demande pas l’aumône ; mais vous êtes payé pour instruire le peuple et je vous interroge.

Jésus, votre maître, a dit : Heureux les pauvres ; pourquoi donc les avez-vous excommuniés ?

Vous vous irritez de cette parole : écoutez encore et répondez-moi. Est-ce qu’il y a dans vos temples élégants une place honnête où puisse se reposer un pauvre ?

On ne peut aller à Dieu, dites-vous, que par les sacrements de son Église, et telles sont les seules voies qu’il a établies pour se communiquer aux hommes ; mais est-ce qu’il y a des sacrements pour le pauvre ? Lui donnerez-vous les sacrements des vivants à lui qui ne peut pas vivre, ou ceux des morts à lui qui ne compte pas même parmi les morts ?

Quel sera le parrain de l’enfant du paria et qui répondra de lui au baptême ? À quelle paroisse le présenterez-vous ? Est-ce qu’il a un domicile ?

Il restera donc coupable du péché originel parce qu’il est né sans argent et sans ressource, et, convenez-en, c’est là pour vous surtout le péché originel le plus irréparable.

Plus grand, s’il veut se rapprocher de Dieu, il faut au moins qu’il aille à confesse. Je n’ai des pouvoirs que dans cette paroisse, lui répondra le prêtre, si, par hasard, il trouve un prêtre qui daigne se déranger pour lui répondre : « De quelle paroisse êtes-vous ?

— De la paroisse de la misère, répondra-t-il. Eh bien, malheureux, confesse toi au démon, car l’horrible paroisse que tu viens de nommer n’a que l’enfer pour métropole. »

J’ai entendu des prêtres que l’on attendait au confessional demander si c’était un monsieur ou un homme, une dame ou une femme.

Misérables qui mettent l’humanité à l’index et qui s’excommunient du genre humain pour se parquer dans l’aristocratie, afin, sans doute, que leur Christ sache où les trouver lorsqu’il viendra sauver les hommes et les femmes et punir les riches qu’il a tant de fois maudits !

Mauvais prêtres, vous voyez bien que, selon vous-mêmes, il n’y a pas de Dieu pour les pauvres !

Est-ce que l’enfant du pauvre, broyé pendant seize heures par jour dans les rouages des machines qui travaillent pour vous, peut aller au catéchisme entendre vos instructions, et quand il les entendrait, comment les écouterait-il ? Il dormirait et vous le mettriez à genoux pour le reposer de ses fatigues.

Est-ce qu’il y a une première communion possible pour ces petits malheureux qui ont communié presque en naissant à toutes les dépravations physiques et morales, sans être pour cela moins innocents devant la saine raison ?

Est-ce qu’il y a un mariage pour les parias ? Leurs amours ne peuvent être que de la débauche, car il ne leur est pas permis de mettre des enfants au monde.

Et s’ils veulent que l’Église bénisse leurs derniers instants, il faut qu’ils mendient une place à l’hôpital afin que la charité publique paie pour eux le médecin et le prêtre, l’extrême-onction et les derniers médicaments.

Mauvais prêtres, vous voyez bien que votre Dieu n’est pas le Dieux des pauvres, et que, d’après vous-mêmes, pour les parias il n’y a point de Dieu !

Eh bien, moi, je vous dis que, s’il est un fantôme horrible digne d’être le grand paria du ciel, c’est votre Dieu, mauvais prêtres ! C’est le faux Dieu que vous faites à votre image !

Qu’il soit maudit comme il maudit ceux qui souffrent ! Qu’il soit proscrit comme il proscrit ceux qui pleurent !

Notre Dieux à nous, pauvres parias, c’est la justice éternelle ! Et nous savons qu’elle viendra quand votre temps sera passé.

Sans doute un ciel désert nous semblerait préférable à votre Divinité horrible, mais nous savons qu’il n’y a point de vide dans l’infini, et parce que nous croyons à l’être par le mouvement et par le mouvement à la vie, et par la vie au progrès, et par le progrès à l’avenir, nous savons qu’il y a un Dieux !

Oui, c’est pour les parias qu’il y a un Dieux dans le ciel : il s’appelle avenir, il s’appelle justice, il s’appelle tout à la fois miséricorde et vengeance, car il pardonnera et il punira !

Oh ! croyons en lui, pour nous unir dans une même foi et pour être forts ; car la foi seule est forte et c’est pourquoi on dit qu’elle sauve.

Croyons qu’il nous aidera, si nous nous aidons nous-mêmes ; croyons qu’il nous sauvera, si nous voulons tous ensemble énergiquement nous sauver !

Femmes, mes sœurs, ne restez plus oisives dans le combat qui se prépare car ce sera le plus aimant qui vaincra !

Certes, je ne vous appelle pas à l’oubli du devoir, mais je vous apprends à connaître le plus saint de vos devoirs.

Dieux vous a faites pour aimer. Or, qu’est-ce qu’aimer ? c’est choisir ; pour aimer, il faut donc être libre !

Mes sœurs, ne soyez plus des esclaves dont on vend la chair et dont on étouffe le cœur. Faites comme moi plutôt, protestez et mourez.

Ne soyez plus les prostituées de l’intérêt sordide ; ne soyez plus les servantes de la brutalité de l’homme !

Regardez le Christ, et voyez comment il a protesté contre les tyrans : le Christ est veuf dans le ciel et il attend une épouse. Femmes, sachez que Dieux lui même ne peut faire violence à la volonté d’un enfant. Voulez-vous être libres ?…


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