L’émancipation de la femme/04

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 28-32).

IV

La Lumière de l’avenir.


Les ténèbres couvraient le monde ; Dieu dit : Que la lumière soit ! et la lumière fut, et ce fut là le premier jour.

À cette lumière, Dieu acheva son œuvre pendant les jours suivants et le septième il se reposa.

Artisan de la lumière, tu t’es reposé trop vite ! Recommence l’œuvre du premier jour, car la lumière des intelligences s’est éteinte, et l’astre qui en était le reflet aveugle, le soleil matériel lui-même semble avoir pâli !

L’homme s’est lassé pendant ses longues nuits de regarder le ciel sombre où il voyait tour à tour toutes ses étoiles s’éteindre.

Il s’est lassé de demander les splendeurs de ton Verbe à cet impitoyable soleil, qui depuis tant de siècles regarde d’un œil fixe et toujours serein tourner autour de lui tant de crimes et de malheurs !

La soif de son intelligence ne pouvait être assouvie, et il a fermé son intelligence, du côté du ciel ; car cette vérité qu’il attendait comme un peu de pluie n’en est pas descendue pour lui.

La faim de son cœur n’a pas été rassasiée d’amour ; aussi a t-il fermé son cœur à l’amour, et il n’aime plus parce qu’il ne croit plus !

Alors il a étendu les mains vers les richesses matérielles de la terre et les lèvres vers les sources de délices mortelles où du moins il pouvait boire, et la vie animale a triomphé.

Seigneur, pourquoi ton ciel n’a-t-il plus de clartés, et pourquoi cette terre que tu avais donnée à l’homme est-elle devenue la proie des animaux dévorants ?

Car où il n’y a plus ni intelligence ni amour, la vie humaine s’est éteinte.

Parle encore à la lumière, ô mon Dieu, et dis encore une fois à ton Verbe : Faisons l’homme !

Est-ce que l’intelligence suprême a pu lancer le soleil dans l’espace et ordonner la marche merveilleuse des sphères pour que des êtres à gros ventre et à figure sans génie brocantent entre eux les produits de la terre, y compris les hommes, afin de parvenir à manger seuls, à avoir seuls des maisons et des vêtements, à jouir seuls enfin, non pas de la pensée, mais du pouvoir d’étouffer la pensée !

Monde avorté ! ébauche imparfaite dont le Créateur semble avoir détourné les yeux avec dégoût !

Attendrons-nous qu’une nouvelle parole te tire du néant ? Mais le Christ que tu as appelé ton Dieu n’a-t-il pas parlé, il y a bientôt deux mille ans, et après t’être remué comme une fange chauffée au soleil et qui bouillonne à sa surface, n’es-tu pas retombé dans ta froide et plate inertie !

Oh ! que je comprends bien l’agonie sanglante du Christ au jardin des Olives, où il veillait seul tandis que ses confidents les plus intimes dormaient ou le trahissaient ! Et ce cri déchirant, terrible, désespéré, que du haut de sa croix il laissa tomber sur le monde comme un adieu éternel :

« Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Oh ! oui, je te comprends, pauvre prophète des parias, à qui les riches veulent bien permettre d’être le Dieu du peuple, à condition que tu prêcheras d’exemple par ta résignation dans ton supplice, et que le peuple se laissera flageller et crucifier comme toi !

On nous dit que le Verbe a créé le monde et que tu étais l’incarnation du Verbe : je le crois, et c’est en toi que j’espère encore ; mais tu n’as pas créé pour nous la liberté ni le bonheur, et ils t’ont fait mourir, et depuis dix-huit cents ans et plus ils triomphent et renouvellent sans cesse ton supplice !

Maître, tu devais ressusciter le troisième jour : les journées de ta sépulture, sont bien longues ! Faudra t-il donc que nos ossements et ceux de nos enfants blanchissent dans la campagne comme ceux de la vision d’Ezéchiel, avant l’aurore du troisième jour ?

Quand tu ressusciteras glorieux, ô mon maître, et quand tu monteras sur le trône des intelligences avec ton cortége de pauvres et de maudits rachetés par ton sang alors seulement la création sera achevée car Dieu aura donné l’homme pour maître aux instincts brutaux qui dévorent la terre.

Alors, ô Christ, tu prendras par la main celle qui a dit : Je suis la servante du Seigneur, et tu lui diras : Vous êtes ma mère ; asseyez-vous près de moi sur mon trône et régnez avec moi sur le monde.

L’image glorieuse de Marie complétera alors le mythe douloureux d’Héva : la mère de Dieu réhabilitera la mère du premier homme ; le mariage, devenu libre sera pur et le péché de la naissance sera par là même effacé.

Tu pourras te reposer alors, créateur du monde moral, dont le monde physique où nous souffrons n’a été que la première ébauche et que l’essai inachevé.

Ainsi le troisième jour du Christ sera le septième du monde, et ce sera le grand sabbat qui a été prescrit dans la cosmogonie symbolique de Moïse !