L’émancipation de la femme/05

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 32-36).

V

Les trois Personnes symboliques.


Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, répète l’Église dans sa doxologie.

Et la sombre voix de la vie réelle répond dans le cœur du paria :

Quelle est donc la gloire du Père dont les enfants sont proscrits tandis qu’on l’appelle le Tout-Puissant ?

Quelle est la gloire du Fils qui s’est fait le frère des hommes et qui en mourant pour eux une fois sur le Calvaire et des milliers de fois sur les autels de la communion ne les a pas encore sauvés ?

Quelle est la gloire du Saint-Esprit, de l’esprit d’intelligence et d’amour, dans un monde où l’on ne comprend pas l’amour et où l’on n’aime pas l’intelligence ?

Vous chantez gloire au Père, pharisiens hypocrites, et vous avez brisé les tables de la loi pour aller à votre aise encenser le veau d’or !

Vous dites gloire au Père, et les enfants du Père languissent dans l’ignorance de leur céleste origine et de leurs glorieuses destinées, parce qu’au lieu de leur prêcher leur Dieu vous vous prêchez vous-mêmes et qu’ils sont dégoûtés d’entendre vos déclamations vides et apprises par cœur comme des leçons d’écoliers.

Vous dites gloire au Père et vous persécutez ceux qui veulent affranchir la famille humaine de l’exploitation et du mensonge.

Vous dites gloire au Père et vous profanez tous les jours la chair et le sang du Fils, dans ces sacrifices accomplis tous les jours avec négligence et par routine, où vous ne songez pas à prier pour vous-mêmes quand vous faites l’offrande des morts !

Vous chantez gloire au Fils, et vous vieillissez dans l’esprit d’orgueil et d’entêtement de ceux qui ont crucifié le Sauveur. Et s’il revenait sur la terre vous le chasseriez de l’Église, et s’il voulait élever la voix vous le feriez mettre en prison.

Vous chantez gloire au Fils, mais vous lui avez arraché le cœur pour qu’il vous ressemblât, et ce cœur vous l’avez entouré d’une haie d’épines, pour que les petits enfants sans doute n’osent jamais s’en approcher, et vous l’avez exposé ainsi sur vos autels palpitant et saignant, comme les sauvages suspendent dans les cases de leurs idoles la tête des ennemis qu’ils ont fait mourir.

Vous chantez gloire au Fils, et vous méprisez les pauvres que le Fils a glorifiés.

Vous chantez gloire au Saint-Esprit, et vous protestez avec acharnement contre les progrès de l’intelligence et l’expansion légitime de l’amour !

Dieu vous pardonnera sans doute, car vous ne savez ce que vous faites, mais nous ne vous écouterons pas, car vous ne savez ce que vous dites !

Le Père c’est le Dieu qui a sauvé un peuple opprimé de la tyrannie de Pharaon en soulevant la mer et en ébranlant les montagnes ! C’est le terrible révolutionnaire de Tanis qui châtiait les rois avec les dix fléaux comme avec des verges brûlantes, et qui donnait du pain à tout le peuple au milieu même du désert !… Mais maintenant, la manne tomberait du ciel que le peuple n’en mourrait pas moins de faim ; les propriétaires des champs diraient : Ce qui tombe sur nos terres est à nous ; les gouvernements diraient : Ce qui tombe sur les grands chemins est à nous, et ils exploiteraient entre eux la manne du ciel.

Père si tu ne veux plus nourrir tes enfants, est-ce que tu ne peux pas encore les sauver ? Ta main a-t-elle perdu de sa force en vieillissant, et ta bouche a-t-elle oublié quelle voix il faut faire entendre pour que les Pharaons pâlissent ?

Seigneur, sauve tes enfants qui périssent, pour que nous puissions, à notre tour, chanter gloire au Père.

Le Fils, c’est le Dieu pauvre, le Dieu peuple, le Dieu crucifié qui a pardonné à ses bourreaux et dont la mort n’a pas encore été expiée ; car ses bourreaux sont toujours les mêmes.

Ô Christ ! n’as-tu donc pas assez souffert ? Tu vois bien que la résignation les excite et que ton silence les encourage.

N’est il pas temps maintenant, agneau tant de fois égorgé et dont la chair a servi à tant d’orgies, n’est-il pas temps de te transfigurer, de faire entendre les rugissements du lion de la tribu de Juda et de sortir de ta tombe, monté sur ce coursier terrible que vit l’apôtre dans sa vision, et de moissonner la terre avec ce glaive à deux tranchants que la parole égalitaire a fait sortir de ta bouche ?

Maître, est-ce que tu inviteras bientôt les aigles et les vautours au grand festin que tu leur prépares ?

Les raisins sont-ils mûrs ? Quand vas-tu commencer la moisson ?

Oh ! lorsque tu sortiras du pressoir avec ta robe teinte d’une pourpre nouvelle, nous crierons à notre tour : Gloire au Fils !

Le Saint-Esprit, c’est le Dieu de l’intelligence et de l’amour, c’est l’esprit de liberté et de vie qui travaille le monde. C’est le génie maternel de la femme ! En vain l’enfer épaissit autour de lui les ténèbres ; il rayonne, et, comme des milliers de lances ardentes, ses traits de feu déchirent la nuit.

C’est lui dont le règne se prépare, c’est lui dont le monde insulte aujourd’hui les martyrs ! Que ce monde corrompu se hâte, car il n’y a plus longtemps à triompher ; et déjà, calmes dans les persécutions, souriant aux outrages et fiers dans la misère, nous disons : Gloire au Saint-Esprit !