L’émancipation de la femme/18

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 97-100).

XVIII

Les Prophètes.


Tais-toi, disaient à Jérémie les tyrans de Juda, tu appelles l’incendie et la mort sur ta patrie ! Et le peuple ameuté criait : Il blasphème contre le temple ; qu’il se taise ou qu’il meure !

Rois de Juda, et vous, peuple d’Israël, répondait le prophète, je prévois les malheurs de ma patrie, mais c’est vous qui les appelez !

Vous dormez au bord du précipice, moi je veille et je pleure, moi je vous appelle et je crie ; est-ce donc pour vous perdre ou pour vous sauver !

Ô société aveugle ! vaisseau brisé que tous les courants de la mer emportent au hasard à travers les récifs tandis que l’équipage s’enivre…

Est-ce donc au pauvre passager qui te voit sombrer peu à peu et qui crie à tes pilotes de s’éveiller qu’il faut s’en prendre de ta perte ?

Quoi ! les leçons du passé ne te suffisent pas et tu prépares encore à l’avenir des remords et des épouvantes !

Souviens-toi de ce qui est arrivé aux Hébreux : au lieu d’écouter leurs prophètes et de se réformer ils ont tué les envoyés de Dieu, ils ont opposé à la force de l’intelligence et de l’amour la violence et la tyrannie.

Eh bien, la violence les a vaincus eux-mêmes et la tyrannie les a brisés.

Nabuchodonosor a vengé la mort de Jérémie, Titus a vengé la mort du Christ, et ni le peuple ni le temple ne se sont relevés de ce dernier coup.

Souviens-toi de ce qui est arrivé à l’Église catholique. Ses pontifes, au lieu d’écouter les saints qui prêchaient la réforme, les ont proscrits et les ont fait mourir.

Alexandre VI l’empoisonneur incestueux livra Savonarole à la torture et au bûcher. Le concile de Constance, contre la foi jurée, condamna Jean Hus sans l’entendre ; et Jérôme de Prague, qui était revenu à l’unité catholique, fut rejeté par des traitements indignes dans l’hérésie et sur le bûcher !

Eh bien, ces assassinats ne restèrent pas stériles. On avait étouffé les réformateurs ; arrivèrent bientôt les démolisseurs et les incendiaires ; Jean Zisca vint à la place de Jean Uns, Luther remplaça Savonarole, et Rome elle-même fut livrée à d’horribles représailles.

Souviens-toi des vœux si héroïques et si purs de la France en 89 ; et rappelle-toi comme l’entêtement des conservateurs de ce temps-là amena les orgies sanglantes de 93 !

Maintenant, au nom du peuple qui souffre, nous venons vous dire : Riches, les pauvres sont vos frères et vous devez compte à Dieu et à la société de vos richesses. Nous ne voulons pas attenter à vos droits, mais reconnaissez les nôtres. Nous voulons arriver à la possession légitime par le travail ; et c’est seulement quand nous posséderons quelque chose que nous organiserons la communauté chrétienne. Vous avez besoin de nous et nous avons besoin de vous. Nous demandons seulement que le pacte social entre nous soit juste. Si nous respectons ce qui est à vous, respectez ce qui est à nous, et ne dévorez pas le fruit de notre travail ; rétribuez équitablement les peines de l’ouvrier et n’avilissez pas le prix de ses sueurs par d’injustes monopoles et des concurrences illégales ; soyez des frères pour nous et nous serons heureux de ne pas être vos ennemis !

Riches, si vous écoutez le peuple et si vous lui venez en aide, la misère s’adoucira peu à peu, le bien-être physique disposera l’ouvrier à l’instruction morale, il deviendra religieux et sage, et la société sera sauvée.

Si, au contraire, vous vous obstinez à repousser toute amélioration et tout progrès ; si vous accueillez par des persécutions et des violences les efforts pacifiques du peuple pour se sauver lui-même, vous irriterez les mauvaises passions dans les masses, vous éteindrez toute foi dans les cœurs. On se taira, mais la haine fermentera dans le silence. À vos négations brutales des droits du peuple le communisme matérialiste opposera une négation plus brutale encore de vos droits, et, votre propriété prenant le caractère d’une occupation à main armée, le brigandage lui répondra ; les crimes déborderont les digues de la justice ; la guerre sera partout et la sécurité nulle part ; les parias rongeront la base de l’édifice social comme les flots rongent les rochers, et, enfin, un jour viendra où tout s’écroulera avec un fracas épouvantable !