L’émancipation de la femme/22

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 105-106).

XXII

Les hypocrites.


« Vous n’avez pas le droit, Madame, de réclamer l’émancipation de la femme, m’ont dit des hommes d’une probité sévère.

— Et pourquoi ?

— Parce que vous vous êtes affranchie de toutes les lois de la société !

— Hypocrites ! »

Quoi ! parce que j’ai échappé comme par miracle à la balle de l’assassin, je ne dois pas crier au meurtre !

Quoi ! parce que je n’ai ni état dans le monde, ni considération parmi les gens comme vous ; parce que je suis froissée, brisée à chaque pas ; parce que je crie sans qu’on daigne m’entendre ; parce que je dévore mes larmes ; parce que je m’arme de toute l’énergie d’un légitime orgueil contre les lâches qui m’écrasent, je serai la seule qui n’aurai pas le droit de me plaindre !

Quoi ! ce sont précisément les victimes qui doivent se taire, et l’on doit attendre que les bourreaux réclament en faveur de ceux qu’ils torturent !

Pitoyable dérision !

Ah ! vous me flétrissez parce que je proteste ! Ah ! vous voulez étouffer ma voix !

Eh bien, je me tairai sur mes propres douleurs et sur celles des femmes mes sœurs en esclavage, et j’irai travailler à l’émancipation des hommes !

Vous avez voulu me rendre infâme, et moi je vous dis qu’à force de dévouement je rendrai ma vie sainte et ma mort glorieuse.

Et vous verrez après si l’émancipation de la femme est un fléau, et si j’étais digne de vivre plus honorée et plus heureuse !

J’ai écrit le livre de l’Union ouvrière et je l’emporte avec moi ; mais j’ai dicté celui-ci à un frère, et il le publiera si je meurs.

Je pars comme autrefois les apôtres du Christ ; je vais protester d’une manière éclatante contre le positivisme étroit de ceux qui enchaînent le dévouement.

Je serai folle, s’il le faut ! ce sont les fous qui ont sauvé le monde !