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L’épluchette/Jour maigre

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 67-68).


Jour maigre

En ce temps-là, Gros-Jean était en ville
Pour vendre au marché Bonsecours,
Des choses que l’on vend toujours
Aux citadins qui viennent à la file
Aux voitures des habitants.
Ses produits frais et tentants
Furent écoulés bien vite ;
Puis, par la ville, de suite,
Gros-Jean partit magasiner.
Quand sonna l’heure du dîner
Notre homme passait à la porte
D’un café dont le menu porte
Une liste de divers plats
Dont la plupart sont en gras.
Or, de Gros-Jean voici le cas :
C’était jour maigre et d’abstinence
Où le gourmand fait pénitence,
Mais cela s’adonnait
Que la tentation venait
Creuser la faim qui talonnait
Gros-Jean. La chair est molle
Et la campagnard mollit.
Qui connaîtra ce délit ?
Il n’en dira jamais parole !

Il commande donc son repas
Et le commande tout en gras.
Il le savoure avec aise
Et consomme tout lentement.

Dehors, l’air était de braise,
Le ciel un vrai flamboîment
Quand il entra dans l’établissement
Maître Jean, mais à sa sortie,
Il croit à quelque châtiment :
La nue est toute obscurcie,
La foudre éclate avec fracas.

Jean revient vite sur ses pas,
S’adresse au commis, balbutie :
— Avez-vous jamais vu tant d’train pour un r’pas gras ?