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L’épluchette/Leur petit

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 69-70).


Leur petit

Les vieux Deschamps, du poids des ans
Chargés, cheminaient à pas lents.
Le bonhomme, tel un vieux chêne
Droit et vert, paraissait à peine
Plus de soixante printemps,
Mais il avait nonante ans.
Sa compagne, vive, accorte,
Comme lui semblait vraiment forte.
Vous en avez vu de ces gens,
Surtout parmi nos habitants :
Bon pied, bon œil, vifs, alertes ;
Narguant le faix des ans, certes ?

Sur le chemin large et blanc,
Le couple s’en allait donc, lent,
Las, sous une douleur amère,
Pleurant une perte bien chère :
Celle de leur unique enfant
Qui reposait maintenant
Dans la nécropole voisine,
C’était pitié de voir la mine
Du vieux ; sa douleur s’exhalait
Librement ; il sanglotait !
C’était triste à fendre l’âme,
Mais voici que la vieille femme

Tait sa douleur propre afin
De le consoler un brin :
— Faut avoir plus de courage,
Dit-elle ; ce sera plus sage
Que de nous désoler ainsi !…
Il avait soixante ans, aussi !
— Soi…xante…te…ans ! gémit le pauvre homme ;
Soi…xante ans !… Que c’est jeune !… En somme,
Je l’avais ben toujours dit :
« Qu’on pourrait pas l’él’ver, le p’tit !»