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L’épluchette/Poignée d’amis

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 73-74).


Une poignée d’amis

C’était par un temps frais d’automne,
Un temps morose et monotone.
Quatre animaux, de soie habillés,
S’étaient promptement faufilés
Dans l’étable où la porte baille,
Et, glissés sous un tas de paille,
Grognaient, là, leur aise, hautement,
Leur entier contentement
D’avoir trouvé chaude litière.
Or, à l’heure crépusculaire,
Gros-Jean revenait du marché.
Sa vente avait bien marché ;
Il était joyeux le compère,
Émoustillé par plus d’un petit verre
Consommé depuis Montréal.
Heureusement que son cheval
Connaissait fort bien la route,
Car, il n’y a point de doute
Que Gros-Jean se fut égaré
À vouloir tout seul voiturer.
S’il tient les guides point ne mène ;
D’un pas sûr chez lui le ramène
Le quadrupède intelligent.
Enfin, il est rendu, Gros-Jean.

Tant bien que mal, il dételle,
Puis il s’accroche, chancelle
Et s’affaisse sur de la paille
Dans un coin. Il rit, il baille,
Se trouve confortable… bien…
S’étire… Il sent qu’il lui vient
Une lassitude profonde,
Et ne pourrait pour tout au monde
Se relever incontinent.
Il grogne d’aise, il est content,
Se rencogne dans la litière
Saine et souple tout entière.
Mais il a dérangé ceux qui
Dormaient dans la paille sous lui.
Et cette gent toujours grognarde,
Lors, aigrement, lui criarde
Son plein mécontentement.
Abruti, Jean dit bêtement :
— Voy… voyons !… voyons !… pas d’chicane !
Hic !… pas d’chicane !… On n’est qu’ane…
Qu’ane p’tite poigné’ d’amis…
Ben, faut… s’accorder, que j’dis !