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L’épluchette/Vaillant bûcheron

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 82-84).


Un vaillant bûcheron

Le grand’père Deschamps
Dans son jeune temps
À tous les ans,
Quand revenait la pâle automne
Montait en chantier
Comme bûcheron premier.

L’histoire que je vous donne
Avait pour foyer
La première moitié
Du siècle dernier
Des gens de toutes sortes :
Natures simples et fortes,
Ainsi, dans nos grands bois
S’en allaient tous à la fois
En bandes hétérogènes
Abattre les pins géants
Dans ces régions lointaines.
Ils séjournaient jusqu’au printemps,
Jusqu’à la descente
Des billots et du bois carré.
Une vie active, incessante,
Où le danger vient figurer
À tous les points de la route !

Ce sont les neiges, les froids ;
Les loups des grands bois,
L’arbre abattu, qui parfois,
Dévie et dont la chute coûte
Sous son terriblement lourd poids
La vie à plus d’un brave.
Puis, au printemps, c’est la drave ;
La descente des billots
Sur de turbulentes eaux.
Pour lutter avec avantage
Contre l’onde qui fait rage,
Il faut bon pied, un coup d’œil sûr.
Quel labeur dangereux et dur !

Ces équipes ainsi formées,
Qui, de leur acier armées
Décimèrent nos forêts
Furent de races différentes,
Rivales, guerroyantes,
Dont le Canadien-Français
Supporta plein de courage
L’agressive trinité.
Il eut souvent à lutter
S’en tirant avec avantage
Pour soutenir l’honneur du nom.
Quand on disait dans le canton :
— Ah ! un tel ! Ça, c’est un homme !
Ça s’bat, ça n’a peur de rien !
C’était un éloge, en somme,
Qui chatouillait fort, oui-bien !

Ô, Jean-Baptiste Canadien,
Grâce à son robuste physique
Vainquit en combat homérique
Ses ennemis, bûcherons,
De gais et vaillants lurons.

L’aïeul de Jean, nommé Moïse
Se trouvait en chantier
Quand le vieux Jean au Juge Altier
De son âme fit la remise.
Depuis quelques jours au jardin
Des trépassés près l’église
Reposait le « vieux » quand revint
Moïse pour revoir le « père »
Son engagement clos.
Sa peine fut profonde, amère.
Il voulut revoir la figure chère
Et pour l’en détourner les mots
N’eurent point d’effet. Moïse
Insista pour qu’on exhuma
Celui qu’ici-bas il aima.
Ému, longtemps il contempla
Cette vieille tête grise !
Puis, au monde qui l’entourait
Il dit, fier : — « Ça, ça s’battait !»