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L’épluchette/Deux chats

La bibliothèque libre.
Gérard Machelosse (p. 85-88).


Les deux chats

Pour rentrer la moisson,
Vivement, en saison,
Jean prit garçons de ferme,
Qu’il fit travailler ferme.
La récolte paya bien
Et Jean encaissa plein
Un pied de bas de laine
De billets et d’argent.
Dans sa chambre, Gros-Jean
Avait une cachette,
Cachette très secrète
Pour celer son trésor.
Ainsi voulut le sort
Que les garçons de ferme
Engagés pour ce terme,
Surent que leur patron
Avait dans la maison
Somme très rondelette.
Et qu’il avait cachette
Pour entasser ses sous.
Tout sens dessus dessous,
Ils auraient bien pu mettre,
Mais il veillait le maître,
Et pour risquer le coup,

C’était risquer beaucoup ;
Ce que les deux compères
Qui point ne désespèrent
Ne veulent point encor
Brusquer pour le trésor.
Mais à force de faire
Enquête en cette affaire,
Ils apprirent enfin
Où le compère fin
Cachait son bas de laine.

À l’heure où la nuit pleine
Étend son voile noir
Qu’on peut à peine y voir,
Où cette sombre fée
Nous livre au dieu Morphée,
Voici qu’à pas de loup
Viennent tenter leur coup
Les deux garçons de ferme.
Leur cœur est vaillant, ferme.
Ces gens ne craignent point.
Ils marchent avec soin ;
Celui qui vient en tête,
À la porte s’arrête
De la chambre de Jean.
Seul un rhythme pesant
De poumons en cadence,
Souffle dans le silence
De la paisible nuit ;
C’est un rassurant bruit,

Car Jean et son épouse
Dorment. Le coup de douze
Résonne clairement,
En bas, et lentement,
À la vieille pendule.
L’un des voleurs module
Un pst d’attention,
Puis à son compagnon
Glisse bas à l’oreille :
— Làd’dans, l’vieux et la vieille
Dorment d’un lourd sommeil,
Ou quéqu’ chos’ de pareil !
J’vais entrer dans le place,
Puis après un espace
De quelques instants, toi,
Tu viendras après moi.
Pas de bruit, et fais vite.
Et surtout je t’invite
À m’imiter en tout.
Ensuite, à pas de loup
Dans la pièce il pénètre.
Un ais disjoint peut-être,
Sous le pied du voleur,
Lors, gémit de douleur.
Ce bruit dans le silence
Nocturne est plus intense
Et réveille presto
La vieille à son dodo ;
Un peu terrifiée
Elle s’est écriée :

Qui… qui… qui…sque c’est ça ?
L’homme imite le chat :
— Miaou ! — Bah ! fit-elle
C’est not’ chatte Fidèle,
Je m’alarmais à tort,
Rendormons-nous encor !
L’autre voleur qui guette
Au seuil de la chambrette,
Juge le moment pour
Pénétrer à son tour,
Et se glisse avec aise
Lorsqu’il heurte une chaise.
La vieille alors bondit
Presque hors de son lit
Et s’écrie apeurée :
— Jean, qu’est-ce que c’est ça ?
Le voleur, vrai bêta,
La voix pleine, assurée,
Répondit : C’est l’aut’ chat !