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L’Œuvre de Richard Wagner à Paris et ses interprètes/Le Cycle Wagnérien au théâtre/V

La bibliothèque libre.
Maurice Senart et Cie, éditeur (p. 57 (np)-60).

V

les maîtres chanteurs (1868)

C’est le quatrième ouvrage choisi par la direction de l’Opéra, et peut-être celui qui lui fit plus d’honneur. Par les qualités vocales de ses interprètes, la représentation dépassait en beauté tout ce qu’on avait entendu à l’étranger : par la vie surprenante de ses chœurs et de sa figuration, nettement supérieure à ce dont ils avaient fait preuve jusqu’alors, elle se montrait digne des plus parfaites. C’était, en même temps, la première fois qu’on adoptait, sur notre scène, la nouvelle version, si scrupuleusement rythmique, d’Alfred Ernst. Celui-ci, qui avait suivi de près les répétitions, avait positivement communiqué son enthousiasme à tous les interprètes. Rarement se vit ici pareille exaltation de zèle et d’effort. Quand chacun fait vraiment de son mieux, on obtient de ces résultats, qui devraient être une règle générale.

Pas un artiste, cette fois, qui ne fût le mieux choisi pour son rôle, et ne le mît le plus complètement en valeur. Alvarez figurait le plus beau Walter imaginable, avec un jeu large et une voix exquise, d’un timbre tout à fait séduisant : c’est de beaucoup la meilleure évocation wagnérienne que compte sa carrière. Quant à Delmas, peu d’incarnations lui ont été aussi favorables que celle de Hans Sachs. Il n’y trouvait pas seulement l’occasion de nuancer avec un charme extrême de demi-teinte le timbre si riche de sa voix, il unissait la simplicité et la bonhomie à la dignité naturelle du cordonnier-poète que révèrent les maîtres-chanteurs et qu’acclame le peuple ; il était paternel avec discrétion et gai avec goût : il laissait deviner, sans appuyer, cette évolution intérieure qui rend le rôle si intéressant : au premier acte, c’est le maître qui écoule en silence et qui se laisse pénétrer, sans parti pris, de la nouveauté d’une poésie hors des règles ; au second il est devenu l’ami, déjà, d’instinct et parce qu’il est, lui vraiment poète, de ce jeune seigneur qui pourtant a pris le cœur d’Éva, et il se joue narquoisement du plat pédant dont la rauque sérénade trouble la nuit ; au troisième, à l’aube, c’est le poète philosophe, un peu mélancolique, mais qui se retrempe à son dévouement même, et dont la bonté plus encore que l’esprit sera glorifiée tout à l’heure par une foule enthousiaste.

Maurice Renaud, comme dans la plupart des rôles qu’il assumait à cette époque, parut méconnaissable dans Beckmesser. Le visage ravagé par l’inquiétude et l’envie, la taille professionnellement voûtée, le geste étriqué et sournois, la voix sèche, coupante, geignarde, c’était le cuistre allemand dans toute sa beauté. La façon rageuse dont il traitait le chevalier Walter au premier acte, les gaucheries si sincèrement ridicules de sa sérénade, au second et de son concours, au quatrième, la lourdeur maladroite et répugnante de sa visite intéressée à Hans Sachs au troisième, autant de faces inoubliables de son personnage.

David c’était Vaguet, jeune, fringant, gai, aimable, un peu grand seulement pour ce gentil apprenti ; Pogner, l’excellent Gresse (père), affectueux et digne ; Éva, Lucienne Bréval, gracieuse au possible, fine et délicate, dans les charmantes scènes chez Sachs notamment : Magdalena, Louise Grandjean, accorte et spirituelle.

Et puis, ne faut-il pas insister sur l’étonnante animation des choristes, des figurants, des moindres comparses, soit dans le prodigieux méli-mélo nocturne du second acte, interpellation de femmes aux fenêtres, prises de mains des hommes dans la rue, provoqués par le charivari de Beckmesser, et que dissipe comme par enchantement la corne du veilleur, soit au troisième, où tout un peuple semble vivre en scène ? Ne faut-il pas dire aussi que l’orchestre, dirigé par Taffanel, était un régal à entendre, de nuance et de couleur ?

À part deux intervalles, les Maîtres Chanteurs ont été joués presque chaque année, à l’Opéra. Aussi, plusieurs artistes ont-ils tenu les principaux rôles, celui de Sachs excepté. Il n’est que juste de rappeler combien, dans Walter, Vaguet a montré à son tour d’élégance et de charme, avec une voix peut être un peu petite pour le rôle, mais à laquelle convenait spécialement la tessiture élevée dans laquelle celui-ci a été écrit…, et de noter l’ample et somptueuse allure que sut donner Franz, pour la reprise de 1911, à un personnage qui, de toutes façons, lui allait si bien et restera probablement le meilleur de ses héros wagnériens. Beckmesser a été encore évoqué, avec mordant, par Riddez, et, en dernier lieu, avec goût et adresse, par Sizes. David a donné l’occasion d’un excellent début à Léon Lafitte, qui sortait tout juste du Conservatoire et s’y montra comédien-chanteur d’avenir. Éva enfin, fut charmante avec Mme Bosman, Mlle Hatto, Mlle Lindsay, Yvonne Gall…

En somme, si l’on ne tenait compte que des années où elle a tenu l’affiche, l’œuvre est une de celles qui ont remporté le plus de succès à l’Opéra. Le total des représentations n’est que de 105, en dix-sept ans ; mais le premier départ en avait fourni 45, et la moyenne, répartie sur dix années, est de plus de 10. Ernest Reyer, dans son feuilleton de 1897, contait l’impression qu’il avait gardée d’une représentation des Maîtres à Londres, sous la direction de Richter. Il avait passé ses quatre heures de soirée debout, serré et fort mal à l’aise. Et cependant, lorsque le rideau s’était abaissé, pour ne plus se relever, sa première pensée avait été : « Mon Dieu ! si cela pouvait recommencer ! » — Je ne suis pas fâché de finir sur ce mot.

LES MAÎTRES CHANTEURS
WALTER SACHS BECKMESSER DAVID POGNER EVA MAGDALENA
Dir. Taffanel, 1897 (Opéra). Alvarez. Delmas. Renaud. Vaguet. Gresse.
Chambon.
Bréval. Grandjean.
1898 Courtois. Noté. Beyle.
Lafitte.
Bosman. Beauvais.
1900 Vaguet.
1901 Hatto.
1902 Rigaux.
1906 Muratore. Riddez. Nuibo. Lindsay. Caro-Lucas.
Goulancourt.
1911 Franz. Campagnola.
Dubois.
Journet. Gall. Daumas.
Lejeune.
1912 Faber. Daumas.
1913 Sizes. Charny.



Cliché Nadar.
 


Cliché Nadar.
 

Pl. XI. — Jean Delmas et Louise Grandjean dans Les Maîtres Chanteurs.
(Hans Sachs et Éva.)




Cliché Benque.
 


Cliché Benque.
 

Pl. XII. — Maurice Renaud dans Les Maîtres Chanteurs.
(Beckmesser.)




Cliché Berger.
Alvarez dans Les Maîtres Chanteurs.
(Walther.)


Cliché Nadar.
Vaguet dans Les Maîtres Chanteurs.
(David.)

Pl. XIII.