L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Son amoureuse est promise à un autre

La bibliothèque libre.
Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 171-173).

SON AMOUREUSE EST PROMISE À UN AUTRE

Après que j’ai tant fait pour cette femme,
Que j’ai tant dépensé, prodigué, pour lui plaire,

Sans jamais être arrivé à la peloter,
Elle me fait danser la danse du plantoir.

Pour se marier elle a signé le contrat,
Si bien que je ne puis plus aller la voir ;
Cela me dirait pourtant bien de la bulgariser,
Puisque pour elle je suis devenu fou.

Mais à cette heure que je ne puis plus lui parler,
Du moins puissé-je ce soir-là,
Me trouver là aussi, quand elle se fera baiser ;

Je ne voudrais pas la perdre toute entière,
Je voudrais me bien masturber l’oiseau,
Ou tout au moins bulgariser la chambrière.

SUR LE MÊME SUJET

Regardez-moi en face, comme du saindoux,
Comme de la neige au soleil je me liquéfie ;
Je fonds pour toi, je deviens fou,
Et rien qu’à te voir me consume tout.

Ô suave fruit du jardin d’Amour,
Bénie soit la cochette qui t’a pondue
Le temps, l’heure, le moment et l’acte
De ce généreux cas qui t’a produite !

Quels jolis tétins, quelle gentille bouchette !
Que ne puis-je te voir sous les draps !
Quelle jolie paire de fesses ! quelle moniche étroite !

J’estime plus ce morceau qu’un terne à la loterie ;

Et ce tendre soupir, cette langue qui se donne !
Je jouis par terre, Dieu ! si je ne te fous.

SUR LE MÊME SUJET

Celui qui a la goutte ne souffre pas
Autant que j’ai souffert pour cette femme,
La première nuit qu’avec son mari
Elle est allée se coucher, pour qu’il la foute.

Comme quelqu’un qu’on bâtonne et qui crie tout à coup,
Ainsi à tout moment je criais : « Oh ! Dieu !
« Voici que ce chien me l’enfile ! oh ! le fils
« De grosse putain ! il le lui a cassé ! »

Je me la figurais nue, pour respirer,
Et imaginant tout ce qu’elle a de plus beau,
Je lui flanquais en idée quelque saccade ;

Mais à rien ne me servait, et tout bonnement,
Pendant qu’Amour me sonnait la chamade,
À son odeur je me suis manuélisé.