L’Abécédaire du petit naturaliste/Singe

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Anonyme
Saintin, Libraire-Commissionnaire (p. 54-58).
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SINGE.


Le Singe est bien le plus drôle d’animal qu’on puisse voir : vif, spirituel, d’une adresse presque incroyable, il ne lui manque absolument que la parole. L’idée qu’en ont les Nègres d’une partie de l’Amérique est plaisante. Ils disent, en parlant des singes : Eux petit peuple, et eux pas parler, paque eux veut pas travailler. On raconte qu’un marchand de bonnets de coton, voyageant à pied dans un pays où ces animaux se trouvent en grand nombre, se coucha, sans y faire attention, sous un arbre sur lequel il y en avait beaucoup ; et comme son chapeau le gênait pour dormir, il l’ôta, défit son ballot, en tira un bonnet, le mit sur sa tête, et s’endormit fort paisiblement. Les singes, qui le regardaient faire très-attentivement, ne l’eurent pas plus tôt entendu ronfler, qu’ils descendent tous, ouvrent bien doucement le ballot, en tirent chacun un bonnet de nuit, le mettent sur leur tête, et regrimpent, ainsi coiffés, se remettre à leur place. Lorsque notre marchand fut réveillé, son premier soin fut de jeter les yeux sur son ballot ; mais quel fut son chagrin de le trouver vide, à cela près d’une dixaine de bonnets qui n’avaient pas trouvé de maîtres ! Il crie : Aux voleurs ! il tempête, et, dans son désespoir, il lève les yeux au ciel pour l’accuser de son malheur ; mais quelle fut sa surprise, de voir au-dessus de lui une centaine de mauvais garnemens de singes avec chacun un bonnet sur la tête, qui le regardaient bien tranquillement se désoler ! Dans le premier moment de sa surprise, il ne put s’empêcher de rire comme un fou, d’un spectacle aussi drôle ; mais quand il vint à réfléchir au moyen de ravoir ses bonnets, il n’eut plus envie de rire. En effet, comment s’y prendre ? Courir après une centaine de singes ! il se serait bien rompu cent fois le cou, qu’il n’en aurait pas seulement eu la queue d’un. Enfin, à force de réfléchir, il s’avisa d’un excellent moyen. Ce fut d’ôter son bonnet de dessus sa tête, d’en faire une petite pelotte en le roulant, et de le jeter ainsi à terre de toutes ses forces. Il n’eut pas plus tôt fini, que voilà tous nos singes qui se décoiffent, font de petites pelottes de leurs bonnets, et les jettent à terre. Il ne faut pas demander si notre marchand fut prompt à les ramasser, et à décamper.