L’Abécédaire du petit naturaliste/Tigre

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Anonyme
Saintin, Libraire-Commissionnaire (p. 38-44).
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TIGRE.


Ce quadrupède redoutable habite les contrées sauvages et les îles désertes de l’Asie et de l’Amérique. La force, l’agilité, la légèreté, la souplesse secondent son naturel féroce et carnassier. Cruel par instinct, méchant par caractère, furieux par habitude, toujours altéré de sang, cet animal destructeur, plus à craindre que le lion, sans attendre le besoin, sans être excité par le désir de la vengeance, étrangle, met en pièces, dévore tous les êtres animés qu’il peut apercevoir. Sa rage insatiable ne connaît point d’intervalles. C’est un tyran brutal qui voudrait dépeupler l’univers pour régner seul au milieu des victimes qu’il immole à sa fureur aveugle. Ses ongles crochus et mobiles, et ses dents meurtrières, sont les instrumens de sa tyrannie, qu’il étend jusque sur sa propre famille : il n’épargne pas même sa femelle, lorsqu’elle veut soustraire ses petits à son appétit sanguinaire. Sa férocité est peinte dans ses yeux hagards et étincelans ; sa malice, dans sa figure basse. Une face mobile, une gueule ensanglantée, une langue pendante, une voix rugissante, un grincement de dents continuel, tels sont les signes apparens de cette méchanceté noire qui met en mouvement tous les ressorts organiques de cet animal vorace : troupeaux domestiques bêtes sauvages, petits éléphans, jeunes rhinocéros, rien n’échappe à ses poursuites. Il s’élance par bonds sur sa proie, plonge sa tête dans l’animal qu’il éventre, en suce le sang avec avidité, semble regretter celui qui se perd par effusion. Pour jouir en paix de sa conquête, il entraîne au fond des bois avec une rapidité singulière le buffle, le cheval et autres gros animaux, et les dépèce à son aise sans admettre d’associé, sans souffrir de partage.

Il n’est permis à aucun être vivant d’exister partout où réside le tigre. À Sumatra, les maisons sont élevées sur des pieux de bambou, pour se mettre à l’abri de ses incursions. Dans le Gange, il se met à la nage, surtout pendant la nuit, et s’élance sur les petits bâtimens qui sont à l’ancre. On est obligé de veiller continuellement. La terreur qu’il répand dans les lieux qu’il habite, l’exposerait à mourir de faim, s’il n’avait recours à la ruse. Il attend au bord des fleuves et des lacs les animaux qui viennent s’y désaltérer. Tous les soins d’une éducation douce, paisible, le changement de nourriture, les bons traitemens, la contrainte, l’esclavage, rien ne peut adoucir le caractère indocile et carnassier du Tigre. Le combat d’un Tigre contre trois éléphans, rapporté par le P. Taschard, était fort inégal. On fit entrer au milieu d’une enceinte de cent pieds en carré, trois éléphans destinés pour combattre le tigre : ils avaient un grand plastron en forme de masque pour les garantir. Le tigre, enchaîné par deux cordes, ne fut mis en liberté dans l’arène qu’après avoir été terrassé par la trompe d’un éléphant. Revenu de son étourdissement, il se releva avec fureur, jeta des hurlemens épouvantables, et aurait déchiré la trompe, si l’éléphant ne l’eût repliée lestement à l’ombre de ses défenses, avec lesquelles il fit sauter le tigre en l’air. Celui-ci vaincu, mais plus terrible, s’élançait quelquefois vers les loges des spectateurs. Les trois éléphans s’avancent vers lui, le frappent rudement ; il contrefait le mort. C’en était fait de lui, si l’on n’eût pas fait cesser le combat.