L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/4

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LA DÉCORATION PEINTE ET SCULPTÉE




LES VITRAUX

51. Vitrail de Bonlieu (Creuse).

On a vu que les sévères doctrines de saint Bernard s’élevaient contre tout décor superflu dans les églises de l’Ordre et qu’elles recommandaient la plus austère simplicité.

En 1134, le Chapitre général prescrit que les verrières « doivent être blanches, sans croix et sans peinture[1] ». Cette ordonnance fut certainement observée à Fontenay ; mais, des anciens vitraux, aucun fragment n’est parvenu jusqu’à nous. Par les panneaux conservés dans les abbayes contemporaines de Bonlieu, d’Obazine et de Pontigny (fig. 51, 52 et 53), on peut aisément se faire une idée de ce que devaient être ces verrières, probablement exécutées dans le couvent, par les religieux eux-mêmes.

52. Vitrail d’Obazine (Corrèze).

On se bornait à découper les verres blancs ou légèrement teintés de gris verdâtre, suivant des formes géométriques ou ornementales, et à les assembler solidement par de larges plombs soudés et contre-soudés à chaque intersection. C’est ce parti, fort décoratif du reste, qui a été suivi dans la reconstitution des vitraux de Fontenay, en s’inspirant surtout de ceux de Bonlieu et d’Obazine.

Jusqu’au xiiie siècle, les prescriptions de la règle furent scrupuleusement suivies, et même, en 1182, le Chapitre général ordonna de détruire en l’espace de deux ans tous les vitraux peints et de couleur, qui auraient été établis contrairement à ces instructions. Seules, les abbayes bénédictines, devenues cisterciennes, pouvaient conserver leurs vitraux[2].

Les religieux devinrent impatients d’enrichir leurs églises, à mesure que la règle se relâchait de sa sévérité : en Italie ceux de Fossanova tournent très ingénieusement la défense en fixant contre le verre blanc de minces lamelles de plomb percées de trous ronds et formant ainsi de longs perlés ; cet expédient n’était pas de la peinture, mais en avait toutes les apparences. (Communication due à l’obligeance de M. Enlart.)

Toute décoration peinte était également prohibée. Aussi n’a-t-on découvert sur les murs de l’église que les traces d’un décor des plus rudimentaires, composé d’assises brun-rouge, exécutées à la fresque, sur fond blanc. Les quelques fragments, qui peuvent à peine se distinguer sur la paroi de la galerie occidentale du cloître, ne sont que du xvie siècle. Ces peintures représentaient les quatre grands prophètes dont les noms, celui de David entre autres, se lisaient encore il y a peu d’années.

53. Vitrail cistercien de l’abbaye de Pontigny.
(xiie siècle)

LA SCULPTURE

Ph. L. B.
54. Vierge de Fontenay.
(xiiie siècle)

La sculpture ne trouvait pas grâce, non plus, dans les coutumes cisterciennes, et, pendant que, de toutes parts, dès le début du xiie siècle, les églises, et principalement celles de l’ordre de Cluny, se paraient à l’envi de l’ornementation sculptée la plus riche, la plus exubérante, parfois même singulièrement osée, saint Bernard, dans une apostrophe célèbre[3], s’élevait contre cette abondance de monstres grimaçants, « de singes immondes, de lions farouches, de centaures monstrueux, de guerriers combattants, de quadrupèdes à queues de serpent », qu’il considérait comme des fables grossières, aussi coûteuses qu’ineptes, propres à détourner l’attention des moines dans le lieu saint. Aussi n’avons-nous rencontré dans la sculpture de Fontenay que des chapiteaux dont le décor, emprunté aux motifs végétaux les plus simples, ne se compose que de feuilles plates à côtes faiblement indiquées.

L’abbaye peut cependant revendiquer quelques œuvres de statuaire de premier ordre, mais qui sont d’une époque où la règle, déjà plus tolérante, avait admis dans ses murs des artistes de valeur.

Vierge Mère. Pierre : 2 mètres. Fin du xiiie siècle (fig. 54). — L’église de Fontenay, comme toutes celles de Cîteaux, était placée sous le vocable de la Vierge, en mémoire de la dévotion toute spéciale de saint Bernard pour la reine du Ciel.

La statue de Notre-Dame qui, au xiiie siècle, était présentée à la vénération des religieux, existe encore, malheureusement en dehors de l’abbaye.

Légèrement infléchie sur la jambe droite, Marie, la tête couronnée, porte l’Enfant Jésus sur le bras gauche et la main droite tient un sceptre, aujourd’hui brisé. Sous ses pieds, on distingue un animal assez difficile à identifier. L’Enfant entoure : le col de sa mère de son : bras droit et appuie sur sa poitrine une colombe ; c’est là une mère au port solennel, mais toute gracieuse, jouant avec son enfant. Cette statue était polychromée et on reconnaît encore de nombreuses traces du bleu du manteau.

Malgré les lichens et les mousses qui ont envahi cette admirable figure, exposée aux intempéries dans le cimetière de la commune de Touillon, voisine de Fontenay, on doit la considérer comme une des plus majestueuses productions de la sculpture française.

Lors de la vente mobilière de Fontenay, en octobre 1791, elle fut adjugée au prix de 6 livres.


Retable. Pierre : hauteur, 0m80 ; largeur, 2m50 (fig. 55). — Ce très bel ensemble appartenait probablement au maître-autel de l’église. Il se compose de trois fragments principaux, dont la réunion donne encore une haute idée de ce que devait être cette sculpture, alors qu’elle était dans son intégrité. Ce retable a, malheureusement, subi de graves mutilations, ayant été utilisé comme dallage, la face sculptée noyée dans un sol particulièrement humide. Il se compose d’une scène centrale et de deux groupes de sujets latéraux divisés en deux registres.

Au centre, sous un arc trilobé, la Crucifixion. Au pied de la croix, Marie tombe dans les bras des Saintes Femmes et saint Jean, admirablement drapé, est entouré d’un groupe de soldats. Au-dessus des bras de la croix, deux anges à mi-corps — détail assez particulier — tiennent le soleil et la lune, en partie voilés dans les plis de leurs draperies et, dans les écoinçons, deux têtes feuillagées n’ont qu’une fonction décorative. À droite et à gauche, sous des arcatures plus étroites, deux élégantes figurines apportent au sujet central un complément symbolique, suivant la tradition constante du Moyen Age. À gauche, l’Église couronnée tient à la main l’étendard crucifère. À droite, la Synagogue, très endommagée, n’est reconnaissable qu’à la hampe de sa bannière brisée, qu’on distingue dans la partie supérieure. Des cadres trilobés surmontent ces dernières figures et renferment des groupes de petites figurines merveilleusement ciselées, mais difficiles à identifier.

Ph. L. B.
55. Retable du maître-autel de Fontenay.
(Fin du xiiie siècle)

Le décor des parties latérales se divise en deux séries de trois sujets superposés, encadrés par des quatre-lobes, réunis par des roses épanouies. Les deux médaillons de l’extrémité gauche ont disparu. Le premier à gauche du spectateur est une Nativité, composition bien conforme à la tradition iconographique de l’époque. Marie repose sur un lit de parade, le bras droit gracieusement replié sous la tête, tandis que saint Joseph sommeille, appuyé sur son bâton. Dans le haut, l’Enfant Jésus, dans son berceau, est réchauffé par l’haleine du bœuf et de l’âne. À côté, l’Adoration des Mages ; au-dessus, la Flagellation et le Portement de la Croix.

56. Vierge mère.
(xive siècle)

Les trois scènes du registre inférieur du côté droit sont : la Présentation, la Naissance de la Vierge et son Couronnement. En haut, le premier sujet à gauche montre la Résurrection, ou plutôt le Christ dans sa gloire, assis entre deux anges adorateurs, au-dessus de son tombeau orné d’arcatures dans chacune desquelles un garde est endormi. La Vierge et les Apôtres, témoins de l’Ascension, occupent les deux derniers médaillons.

Exécutée dans un style simple et noble, cette œuvre doit être rapprochée de celles qui décorent les soubassements de la cathédrale d’Auxerre et principalement du portail central, côté nord, qui sont, incontestablement, de la même école et de la même date : fin du xiiie, ou début du xive. La disposition des médaillons en quatre lobes et le caractère de la sculpture rappellent aussi de très près les innombrables bas-reliefs des portails de la Calende et des Libraires de la cathédrale de Rouen et surtout le merveilleux ensemble iconographique du soubassement de la cathédrale de Lyon.

Les trois œuvres suivantes, qui appartenaient à Fontenay avant la Révolution, sont actuellement conservées dans la chapelle du Petit-Jailly.


Vierge. Pierre de Tonnerre : hauteur, 1m60 (fig. 56). — Portant l’Enfant Jésus sur le bras gauche, la Vierge tient un lis de la main droite. C’est une œuvre charmante du plus pur xive siècle, avec tout le maniérisme qui caractérise l’époque, en opposition à l’idéalisme du xiiie siècle. Le visage de Marie, rond, sans grande individualité, est encadré de fortes nattes de cheveux ; le déhanchement est accentué et le manteau, drapé en travers du corps, retombe en plis amoncelés sur la hanche gauche, enroulés comme des feuilles de parchemin. Tous ces caractères sont bien ceux de l’école de sculpture si florissante en Bourgogne dès la fin du xiiie siècle.

Ph. L. B.
47. Devant d’autel.
(Fin du xve siècle)

Un long bas-relief, de 1m50 sur 0m85, utilisé dans le maître-autel de la même

église, représente, en plein relief, la Mise au Tombeau. Au centre, le Christ, mort, est déposé dans le sépulcre par Joseph d’Arimathie et un disciple, en présence des Saintes Femmes qui occupent le fond du tombeau.
58. Ecce Homo.
(xviie siècle)
Au bas du sépulcre, les gardes endormis et, aux deux extrémités, les donateurs, le mari et la femme, à genoux, les mains jointes, en costume de riches bourgeois. Cette sculpture, en parfait état de conservation (fig. 57), vaut surtout par le pittoresque de la composition et la fidélité des détails des costumes, car il s’y trouve de grossières erreurs de dessin et de proportions ; c’est encore une œuvre bien bourguignonne de la fin du xve siècle.

D’après l’abbé Corbolin, ce bas-relief se trouvait dans la chapelle du Saint-Sépulcre de l’église de Fontenay.


Ecce Homo. Pierre : hauteur, 1m10. — Cette sculpture de style classique, non sans valeur, est très probablement du xviie siècle (fig. 58).

CARREAUX ÉMAILLÉS

Quel devait être le pavement primitif de l’église et des salles de l’abbaye ?

Conformément aux exigences de la règle, il ne devait se composer que de dalles de pierre ou de simples carreaux de terre cuite, sans aucun décor[4], « sans mosaïques, composées de figures d’anges et de saints personnages, sur lesquels on crache et que l’on foule aux pieds, sans carreaux de diverses couleurs ». Tout au plus les carreaux pouvaient-ils présenter quelques formes géométrales, gravées à la pointe, dans la terre encore molle, comme ceux que l’on a retrouvés à la Bénisson-Dieu et qui remontent au xiie siècle.

Dans toute la Bourgogne et particulièrement dans la région d’Auxerre, dès le milieu du xiiie siècle, l’emploi des carrelages historiés et émaillés était devenu fort répandu, et il n’est pas étonnant de voir, à cette époque où la règle subissait quelques relâchements, pénétrer dans notre abbaye l’emploi de ces carreaux aux mille combinaisons ornementales.

Ils recouvraient le sol du chœur et d’une grande partie de l’église, ainsi qu’il ressort d’une pièce de procédure, en date du 10 août 1752, relative à un procès entre les religieux de Fontenay et les adjudicataires des réparations à effectuer vers 1750[5]. Le chœur ayant été surélevé, les mausolées, les tombeaux furent déplacés, et les carreaux historiés transportés dans le cloître servirent à paver deux des galeries. C’est là qu’ils furent retrouvés en très grand nombre et, depuis peu, utilisés en partie pour la décoration du chœur de l’église.

Ils sont de différentes mesures, variant entre 8 et 15 centimètres, et sont, pour la plupart, destinés à former, par leur assemblage quatre par quatre, des motifs en forme de rosaces. Tous les carreaux sont en terre cuite rouge chargée d’oxyde de fer. Les uns portent un dessin simplement estampé en creux, à l’aide d’une matrice, dans l’argile encore malléable et sont recouverts d’un émail noir, jaune ou brun rouge. Les autres sont décorés suivant la technique usitée en Bourgogne au xiiie siècle, comme dans l’Île-de-France et la Champagne. Le dessin était d’abord estampé en creux à faible profondeur, puis rempli de pâtes colorées et fusibles qui se détachaient en clair sur un fond plus foncé. L’émail de ces dessins, souvent moins résistant que celui des fonds, a particulièrement souffert du frottement des pieds.

59. Carreau estampé en creux.
60. Carreaux estampés en relief.
61. Carreau estampé en creux.

À n’en pas douter, ces carreaux furent fabriqués dans l’abbaye, de la main même des religieux, car nous savons que, dès le commencement du xiiie siècle, les cisterciens étaient arrivés à une grande habileté dans l’emploi des produits céramiques et des terres de couleurs différentes qu’ils faisaient entrer par incrustation dans un même carreau, aussi bien que dans l’usage des vernis plombifères[6].

62-63. Carreaux émaillés.
64 à 69. Carreaux émaillés.
(D’après les relevés de M. Paul de Montgolfier.)
70 à 75. Carreaux émaillés.
(D’après les relevés de M. Paul de Montgolfier.)

LES TOMBEAUX


Les prescriptions de la règle de Cîteaux, interdisant d’ensevelir les étrangers dans l’enceinte du monastère[7], furent généralement observées dans les autres abbayes. À Fontenay, la tolérance semble avoir été plus large et nous voyons de nombreux personnages de marque, prélats, princes, ducs, barons, chevaliers, simples bourgeois même, solliciter la faveur d’une sépulture dans l’enceinte de l’abbaye qu’ils avaient, le plus souvent, enrichie de leurs libéralités.

Un très grand nombre de pierres sépulcrales formaient le dallage de l’église et des chapelles, mais elles furent bouleversées lors des travaux exécutés vers 1750 pour l’exhaussement du sol. Si toutes celles qui nous restent ne sont pas dans un parfait état de conservation, elles méritent cependant d’être décrites et reproduites.

Ph. L. B.
76. Tombeau de Mello d’Époisses.
(Côté méridional.)
Un tombeau plus important que les autres, qui était primitivement un véritable mausolée, nous conserve un intéressant spécimen de l’art
Ph. L. B.
77. Tombeau de Mello d’Époisses.
(Côté septentrional.)

néerlandais-bourguignon, malgré les sauvages mutilations qu’il dut subir au cours des siècles et aussi à la suite de ses divers déplacements.

Au siècle dernier, ce mausolée avait été transporté dans la galerie du cloître qui donne accès à la salle capitulaire ; depuis 1910, il est rétabli à son ancienne place, sous l’arc qui relie le chœur à la première chapelle du bras de croix méridional.

Le tombeau se compose d’un socle moderne supportant les deux statues couchées d’un chevalier et de sa femme ; les pieds de l’homme sont appuyés sur deux lions adossés ; ceux de la femme, sur deux levrettes ; les mains sont jointes sur la poitrine et deux dais d’architecture très élégante abritent les têtes des gisants.

Le chevalier, de très grande taille, a près de 2 mètres. Il est casqué et revêtu de la cotte de mailles, de son armure et d’un surcot. L’épée est, en partie, recouverte par l’écu aux armes des Mello de Bourgogne : d’or à deux fasces de gueules et un orle de merlettes de même. Ces armes, en partie restaurées, sont à peine distinctes.

La femme a 1m75. Elle est vêtue d’un long surcot serré à la taille par une ceinture. La coiffure est une sorte d’aumusse d’étoffe épaisse.

Entre les deux gisants et des deux côtés, sur un cadre mouluré et fleuronné, sont assises des petites figures de moines en prière, affreusement mutilées, les mains jointes, ou lisant l’office des morts. Cette particularité, bien spéciale à la Bourgogne, se retrouve sur un tombeau du xive siècle dans le chœur de l’église Saint-Thibauld[8](Côte-d’Or) (fig. 78).

Le mausolée est taillé dans la pierre de Tonnerre, calcaire assez tendre, à grain fin, se prêtant admirablement à la sculpture. Mais dans quel déplorable état nous est-il parvenu ? En 1878, un sculpteur, réfugié de la Commune de Paris, avait bien tenté un commencement de restauration qui fut sans grand succès. Tel qu’il est aujourd’hui, ce monument est loin de la somptuosité du décor qui l’encadrait lors de son exécution, au milieu du xive siècle.

Une description des tombeaux de l’abbaye de Fontenay, datant du commencement du xviiie siècle, conservée à la Bibliothèque Nationale, nous donne les noms des défunts et nous apprend que d’autres figures en complétaient magnifiquement la décoration : « Le tombeau qui est dans le sanctuaire, du côté de l’Épître, est de 9 pieds 3 pouces de long. Les figures couchées dessus sont de 5 pieds 8 pouces de longueur. Les figures du Sauveur, qui est à la tête, et de la Sainte Vierge, qui est aux pieds, appliquées contre le mur, de chacune 4 pieds 1/2 de haut. Ledit tombeau a 5 pieds de large ; l’arceau de dessus, 10 pieds de haut, et les pilastres des quatre coins, chacun 13 pieds de haut du côté de la chapelle du Sépulcre. Ce tombeau est du seigneur Mello cadet et de son épouse. Du côté du chœur, les pilastres sont de plus de 20 pieds de haut, et il y a en haut, entre ces pilastres, deux grandes figures : l’une de la Vierge et l’autre d’un Évangéliste[9] ». Il ne reste aucune trace des figures du Christ et de la Vierge, qui se trouvaient adossées au mur, sous l’arceau, sauf quelques arrachements des niches qui les encadraient. Seuls, ont été conservés des fragments des quatre pilastres extérieurs qui encadraient l’arceau et portaient des gables surmontés d’une Vierge et d’un Évangéliste.

M. A. Kleinclausz donne des renseignements très précis sur cette famille de Mello, originaire de Picardie, fort connue en Bourgogne, et dont plusieurs membres furent enterrés dans l’église de Fontenay. Quant au Mello d’Époisses, frère cadet de Guillaume IV ou de Guillaume V de Mello, représenté sur
ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
l’enfermerie                         le dortoir               
ce tombeau, nous savons qu’il vivait pendant le deuxième tiers du xive siècle ainsi que le confirment les détails du costume et de l’architecture.

Sans entrer dans les savantes considérations de M. A. Kleinclausz sur les influences étrangères à l’art bourguignon qui apparaissent dans la sculpture du tombeau de Mello, qu’il rapproche avec raison de l’ancien tombeau de Guillaume de Vienne, à Saint-Seine, nous reconnaîtrons avec lui que, sous Philippe le Hardi, les artistes flamands s’étaient répandus en Bourgogne antérieurement à Claux Sluter, et que « c’est parmi ces ouvriers de la première heure qu’il faut chercher les auteurs inconnus des tombeaux de Fontenay et de Saint-Seine[10]. ».

Ph. L. B.
78. Tombeau de Saint-Thibauld (Côte-d’Or).

Huit grandes pierres tombales et quelques autres fragments ont été conservés et sont actuellement disposés dans le chœur :

Ebrard, évêque de Norwich. Pierre : longueur, 1m85 ; largeur, 0m85 (fig. 3).

HIC : IACET : DOMINUS : EBRARDUS : NORVICENS : EPISCOPUS : QUI :
EDIFICAVIT : TEMPLUM : ISTUD

Revêtu de ses ornements épiscopaux, de l’aube, de la dalmatique, du manipule et de la chape, brodés, coiffé d’une riche mitre, les mains gantées et croisées serrant la crosse sur la poitrine, l’évêque Ebrard est encensé par deux anges placés au niveau de sa tête.

La pierre qui représente le généreux fondateur de l’église de Fontenay est
79. Tombe de Guillaume II.
Sixième abbé de Fontenay (1167-1170).

ornée sur le pourtour d’une belle frise de feuillages en relief : primitivement elle était élevée sur un socle. Elle se trouvait encore, au commencement du xviiie siècle, devant l’autel, au milieu du chœur, non loin de celle d’Étienne, évêque d’Autun[11].

Guillaume II de Montbard, sixième abbé de Fontenay. Pierre : longueur, 1ml5 ; largeur, 0m62 (fig. 79).

..... T . PIE MEMORIE . DOMNUS . GUILLERMUS . SEXTUS . ABBAS . FONTENETI . ET . ANTE .....

Cette pierre tombale est incomplète et ne montre, au centre, que la hampe de la crosse. Elle se trouvait primitivement devant le maître-autel de l’église et fut transportée dans le cloître, où elle fut retrouvée.

80. Tombe de Simon de Rochefort et de sa mère Maguerite.

Simon, seigneur de Rochefort, et sa mère, Marguerite. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 0m85 (fig. 80).

† HIC IACET NOBILis VIR SIMONDUS RUPIS FORTIS
† ET MARGARITA MATER eius
REQUIESCANT IN PACE AMEN

La partie supérieure de la dalle a été brisée ; au centre, une élégante croix fleuronnée et gemmée, avec un Agnus Dei, terminée par une longue hampe fichée dans l’unique gueule de deux chiens affrontés. Dans le haut, on distingue les traces de deux anges, émergeant des nuées et balançant des encensoirs.


81. Tombe d’Eudes de Frolois.
Eudes de Frolois, sire de Rochefort et de Moulinot, 1308. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 1m05 (fig. 81).

† CI : GIT : MESIRES : Odes de FroloiS, sire DE Rochefort et de Moullement qui trépASSA : LAN : DE : GRACE : MIL : CCC : ET : le premier jOUR : DE JANVIER : JESus Christ aye LAME : DE LUI : AMEN :


Le défunt, encadré d’une riche architecture, est figuré, les mains jointes, entièrement revêtu de mailles de fer qui ne laissent à découvert que la face. Il porte par-dessus une cotte d’armes, sans manches, et l’épée est attachée au côté gauche.
82. Tombe de Millon de Frolois.
Son chien fidèle est à ses pieds. Ses armes, deux fois répétées dans le haut de l’architecture, ont disparu avec les plaques de cuivre sur lesquelles elles étaient émaillées. Une partie de l’épitaphe est aujourd’hui effacée, mais le texte intégral nous est conservé par une copie du xviiie siècle de la Collection Bourgogne.


Millon de Frolois. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 0m85 (fig 82).


† HIC : IACET : VIR : NOBILIS Milonis Frolesii cujus, anima requiescat in pace : amen † Credo : quod : Redemptor : meus : vivit : et : in : novissimo : die : de terra surrectur : sum ; et : in : carne : mea : videbo : Deum : salvatorem : meum ; hujus : sponsa : viri : Voluit : SE CONSEPELIRI.

Debout, sous un arc tribolé, le personnage, tête nue, les cheveux bouclés, les mains jointes et les pieds reposant sur un chien couché, est revêtu d’un long surcot. Son épée, dans le fourreau, est placée à sa droite. Dans les angles supérieurs, deux anges sortant d’une nuée balancent des encensoirs.

L’inscription presque totalement effacée peut être reconstituée à l’aide de la copie conservée à la Bibliothèque Nationale. Une deuxième inscription dans l’arcature est illisible.


L. B. del.
83. Tombeau du prieur de Fontenay Jean Petit.

Une sixième pierre tumulaire : longueur 2m10 ; largeur, 1m22 (fig. 84), brisée en deux morceaux incomplets, montre les effigies d’un seigneur et d’une dame, les mains jointes, vêtus de longs bliauds et abrités sous des architectures du xive siècle. L’homme a la tête couverte d’une calotte bordée d’un cercle d’orfèvrerie, et la femme est coiffée d’un béguin qui laisse échapper des mèches de cheveux.

Les inscriptions qui occupent le cadre extérieur ainsi que les trois colonnes sont malheureusement très frustes et ne permettent pas l’identification des défunts.


Une grande pierre tombale en marbre noir recouvrait la sépulture de l’aîné des seigneurs de Mello (longueur, 2m45 ; largeur, 1m15). Il y était figuré avec sa femme sur de grandes plaques de cuivre gravées, émaillées et incrustées dans le marbre. Depuis longtemps, le métal a été arraché, ne laissant que des silhouettes. Cette tombe est actuellement placée dans le chœur, à l’angle nord-est.

Eustochie, parente du roi Edouard d’Angleterre, de l’illustre famille des Lusignan et veuve de Dreux de Mello, morte à Carthage, l’an 1270, voulut reposer à Fontenay où sa tombe fut placée sous le porche à droite de l’entrée. (Pierre : longueur, lm80 ; largeur, 1m10.) Elle portait l’inscription suivante :
84. Tombe de personnages inconnus.
Hic jacet illustris mulier Eustochia, uxor quondam Droconis de Melloto, Edoardi illustris Anglorum regis consanguinea quæ apud Carthaginem migravit ad Dominum, anno Domini 1270[12].

Cette tombe, en marbre noir, incomplète du haut et du bas, était incrustée de cuivres gravés et émaillés, mais le métal a disparu. C’est celle qui se trouve dans l’angle sud-ouest du chœur.

Trois autres tombes, à l’état de fragments, sont encore conservées dans le petit musée lapidaire de l’abbaye.

Dom Jean Petit, prieur de Fontenay. — Pierre : longueur, 0m70 ; largeur, 0m90 (fig. 83).

Petit . de … … Prior . hui(us) . cenobii .
Fonteneti . ϥ . obiit . XXVIII Jullii, 1545
Requiescat . in . pace . Amen .

Le prieur de Fontenay, Dom Jean Petit, était en fonctions sous l’administration du dernier abbé régulier Jacques de Jaucourt, 1530-1547.

Le buste d’un chevalier, encadré par des architectures du xiiie siècle, ne saurait être identifié par le peu qui subsiste de l’épitaphe : Ci git Messire Jehan…. Cependant ses armoiries, gravées près de la tête, rappellent celles des seigneurs de Chastelux : d’azur à une bande d’or, accompagné de 6 billettes de même. Un autre personnage laïque, les mains jointes, dont il ne reste que la partie supérieure du corps, est accompagné d’anges thuriféraires.

Outre les sépultures dont les effigies existent encore, l’église en contenait beaucoup d’autres : quelques-unes sont décrites dans le Recueil de Gaignières ou dans la Collection Bourgogne.

Un dessin à la sanguine de la collection Gaignères, no 3.949, représente la tombe du seigneur de Mailly, 1749. Il est figuré revêtu de la cotte d’armes écartelée au 1er et au 4er de à trois maillets, au 2er et au 3er de à l’aiglette éployée. L’inscription porte : Cy gist Philippe de Mailly, escuier, fils de noble et puissant seigneur messre Claude de Mailly, chevalier seigneur Darceaulx, Darcelot et des Bares d’Oysans qui trespassa au mois d’Octobre M CCCC LXXIX. Pries pr luy (fig. 85).

Les tombes suivantes sont mentionnées dans la Collection Bourgogne, II, fo 261 et suivants.

Ph. L. B.
85. Tombe de Philippe de Mailly, 1739.
(Collection Gaignières)

Un dessin au trait représente un chevalier, les mains jointes, tête nue, vêtu de la cotte de mailles et du surcot, ceint de son épée, les pieds appuyés sur un lévrier (fig. 86). On lit dans le cadre : † Ci : gist : Messires : Iehans : chevaliers jadis : Sires : de : Frolois : nostres : … sires : pour… sa grâce : li ouctroit : vie perdurable : amen. Dans le haut, on voit ses armes : d’azur à trois bandes d’or bordé de gueules.

1310. Semur (Rigaud de), chevalier : Ci gist messire Rigaud, chevalier, sire de Toulses qui trépassa l’an de grâce M CCCX.

1309. Et, sur la même tombe : Ci gist Madame Johanne de Riveve dame de Toulses qui trépassa l’an de grâce M CCCIX. Dieu ait son âme.

1346. Etienne de Grignon, écuyer.

1479. Mailly : Cy gist noble et puissante dame, Madame de Montieni, à son
86. Tombe de Jean de Frolois.

vivant femme de feu noble et puissant seigneur, messire chevalier sire de Mailly qui trépassa à fin d’Octobre M CCCC LXXIX. Priez Dieu pour elle.

Arcey (Guy d’) : Hic jacet nobilis vir Guido dominus quondam Ariciacum qui construxit capellam istam. Anima ejus per misericordiam Dei et Christi nomine requiescat in pace, amen.

1547. Jacques de Jaucourt, dernier abbé régulier de Fontenay, 1530-1547 : Hic jacet venerabilis vir frater Jacobus de Jaucourt, quondam abbas Fonteneti qui obiit IIII Kalend. Mai 1547. Ejus anima requiescat in pace.

La tombe d’un duc et de deux duchesses de Bourgogne nous est conservée par une gravure des plus médiocres[13] accompagnée de la mention suivante : « Tombe d’un duc ou prince de Bourgogne, de Jeanne de France, duchesse de Bourgogne, femme du duc Eudes, quatrième du nom, et de Jeanne de Bourgogne, sœur du duc Philippe de Rouvre et fille de Jeanne de France. Elle est dans l’église de l’abbaye de Fontenay, en la chapelle des ducs de Bourgogne. »

Les personnages, les mains jointes, sont encadrés par des architectures du XIVe siècle, surmontées d’anges aux ailes éployées. Le duc porte, suspendu au ceinturon de son épée, un écu aux armes de Bourgogne.

Ph. L. B.
87. Cloître de Fontenay.
(Côté nord.)
ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
le colombier                         façade de l’église
  1. Institut, capit. gen. cist., cap. LXXXI, ap. Nom. cist., 271.
  2. Institut. capit. gen. cist., dist. I, cap. III, ap. Nom. cist., 275.
  3. Apologia ad Guillelmum, inter Tractatus, cap. i.
  4. Institut. capit. gen. cist., dist. I, cap. IV, ap. Nom. cist., 275. En 1235, l’abbé du Gard, ayant violé cette règle, fut condamné à démolir son pavé (d’Arbois de Jubainville, ouvrage cité, p. 28).
  5. Archives de Fontenay.
  6. L’abbé Cochet, dans la Normandie souterraine, cite l’abbé de Beaubec qui fut blâmé, lors d’un Chapitre général, pour avoir permis à un de ses religieux, habile céramiste, d’exécuter des pavements historiés pour des laïcs étrangers à l’observance cistercienne (Em. Amé, les Carrelages émaillés du Moyen Âge et de la Renaissance).
  7. Institut. capit. gen. cist., dist. X, cap. XXIV.
  8. Ce tombeau ne porte aucune inscription, mais la tradition le désigne comme étant celui du fondateur de l’église du prieuré : Thibauld, fils aîné de Bouchard, baron de Marly, de la noble famille de Montmorency (Viollet-le-Duc), « Église et chœur de Saint-Thibauld » (Annales Archéologiques, t. V). M. Henri Chabeuf reconnaîtrait plutôt la sépulture de Jean II, de Thil, seigneur de Saint-Beury, mort en 1306 (la Côte-d’Or monumentale, p. 59)
  9. Bibl. Nat, coll. Bourgogne, t. LXXIV, fol. 178.
  10. A. Kleinclausz,« les Prédécesseurs de Claux Sluter » (Gazette des Beaux-Arts, juillet 1905). Cf. Alphonse Germain, les Néerlandais en Bourgogne, p. 36, Bruxelles, 1909. Voir également, du même auteur : « l’Art funéraire de la Bourgogne au moyen âge » (Gazette des Beaux-Arts, 1902).
  11. Dom Martène, ouvrage cité, p. 150. — Dom Plancher, Histoire générale et particulière de la Bourgogne, I, p. 314.
  12. Les indications concernant les deux dernières tombes sont fournies par la Collection Bourgogne, III, Bibl. Nat.
  13. Dom Plancher, ouvrage cité, t. II, p. 238.