L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 14

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Les Éditions du Zodiaque (p. 128-136).

Chapitre XIV

LA ZONE DE MALARTIC DANS LE
CANTON FOURNIÈRE


Un curé qui loge son église, sa sacristie et son
presbytère dans une ancienne « cookerie » —
Une paroisse et des missions — Hôtellerie
où c’était la forêt il y a huit mois —

Les principales entreprises minières de la zone de Malartic, en Abitibi, ont ceci de particulier qu’elles sont situées dans le canton de Fournière et non pas dans le canton de Malartic. De même pour la ville qui porte le nom de Malartic et qui se trouve sur le territoire de la Canadian Malartic. Il est vrai cependant que ces entreprises : East Malartic, Sladen Malartic, Canadian Malartic et Malartic Goldfields, de même que la ville de Malartic, se trouvent dans le bassin du grand lac dont elles ont emprunté le nom, à la source des eaux qui coulent vers ce lac.

Le curé de la jeune paroisse de Malartic, fondée en décembre 1936, M. l’abbé J.-Albert Renaud, non seulement sort-il du canton de Fournière pour accomplir ses missions mais il doit s’occuper de trois autres cantons : Malartic, Cadillac et Surimau. Chaque canton est de cent milles carrés. Pour le moment, Surimeau n’a pas de population, si ce n’est quelques prospecteurs perdus en forêt et que le missionnaire peut plus facilement atteindre à l’occasion de leur passage en pays qui se civilise.

Missionnaire, le curé de Malartic voit sa juridiction s’étendre sur un territoire de 400 milles carrés, presque entièrement recouvert par la forêt triste de l’épinette noire, et d’autant plus triste qu’elle est souvent brûlée, calcinée. Le siège de sa paroisse, Malartic, à peine un bourg mais qui se donne des airs de petite ville. Son grand hôtel, le Château Malartic, est ouvert depuis mai 1937. Le propriétaire, M. Adonis Authier, attend encore l’occasion propice de pendre la crémaillère, de célébrer l’inauguration. Ce sera dès que la Commission des Liqueurs lui aura permis la vente de la bière et du vin. À l’été de 1937, un tas de cambuses, dans la banlieue de Malartic, vendaient le « coup » clandestinement. Le seul hôtel vraiment convenable de la région devait se restreindre à la location de sa trentaine de chambres aménagées et meublées avec recherche. Étant donné le lieu, où c’était la forêt il y a quelques mois, ce Château Malartic prend figure de château de rêve. Plusieurs chambres ont salle de bain, toutes sont pourvues de l’eau courante, chaude et froide, même du téléphone. La chambre que j’occupais était ornée d’un calendrier de Bigué Drug Store, Malartic, P. Q., pour me donner sans doute l’impression que cette région minière se situe bien dans la française province de Québec.

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On se demandera peut-être à quel usage peut bien servir l’appareil téléphonique en une chambre de ce Château Malartic, perdu en pays tout neuf. Il faut dire que le service téléphonique est organisé dans toute la région minière abitibienne depuis assez longtemps, par deux compagnies qui appartiennent à des Canadiens français : la Compagnie de téléphone de l’Harricana et de la Gatineau qui dessert le territoire à l’est de la rivière Harricana et la Compagnie Blais, qui dessert le territoire à l’ouest de la même rivière. La Compagnie Blais appartient à M. Frank Blais, fils du député fédéral de l’Abitibi ; l’autre est une entreprise que préside M. A. H. Paradis, également président de la Sullivan Gold Mine, Consolidated, et dans laquelle les frères Beauchemin, qui ont eu pas mal à dire et à faire dans l’organisation de la Sullivan, possèdent de forts intérêts.

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Tout à côté du Château Malartic, s’est élevée une construction qui loge un cinéma et une maison de rapport. En juillet, des ouvriers commençaient d’en couler la charpente bétonnée. M. Charles-A. Magnan — faut-il dire que c’est un Canadien français ? — en est le propriétaire. Sous ce toit logera une succursale de la Banque Canadienne Nationale, qui a pris un bail pour dix ans, au prix de 125 $ par mois. Le site de cet immeuble, il y a quelques mois seulement, était couvert par la forêt des épinettes.

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Il n’était pas loin de dix heures du soir, quand je frappai à la porte de l’ancienne cookerie, qui sert à la fois d’église, de sacristie et de presbytère au curé de Malartic. En pays neuf — j’avais appris cela précédemment, — on arrive chez les gens à l’heure qu’on peut et comme l’on peut. Du Château Malartic, où l’autobus m’avait descendu — autobus qui se rattache à un service qui couvre maintenant tout l’Abitibi, entreprise canadienne-française, — il y a bien un demi-mille, peut-être davantage, jusqu’à l’ancienne « cookerie » du curé. Pour commencer, le chemin était bien passable. Je ne le voyais pas, mais mon pied le sentait. Plus loin le chemin était raboteux, plus que de raison. Il y avait aussi des détours à ne s’y plus comprendre. C’est à la lampe du sanctuaire que j’ai d’abord repéré le curé de Malartic ; ensuite, quant à l’entrée de sa sacristie-presbytère, à la croix noire qui la marque. Il y a des prospecteurs qui logent dans des cabanes de neuf pieds par douze. Le curé de Malartic, quand je l’ai visité, n’en prenait pas davantage pour sa sacristie et son presbytère.

Sous la forme vestimentaire d’un prospecteur crotté et poussiéreux qui vient de découvrir quelque chose d’important, je me présentai donc, un beau soir de juillet — les moustiques étaient particulièrement ennuyeux — chez le curé de Malartic. De dix heures à minuit il m’a raconté alors son histoire et celle de sa paroisse toute neuve.

L’abbé Joseph-Albert Renaud est né à Saint-Paul de Joliette et il a fait, comme de raison, ses études classiques au collège de cette ville. Se destinant à la prêtrise et se sentant malade, il va faire son grand séminaire au bord de la mer, en Nouvelle-Écosse, chez les Eudistes de Halifax. Il est ordonné prêtre, le 29 juin 1914, à Halifax, par l’évêque de cette ville, Mgr McCarthy. Il choisit ensuite le diocèse de Mgr Latulippe, Haileybury, parce que c’est au nord et que cela convient pour sa santé. Il reste d’abord trois ans à Haileybury puis devient missionnaire de tout le pays du nord de l’Ontario entre Cochrane et Kapuskasing. Pour visiter des postes qui représentaient au total 3 000 catholiques, l’abbé Renaud doit alors, en hiver, voyager avec des chiens, « en chiens », comme on dit dans le pays. De 1928 à 1934, l’abbé Renaud passe au diocèse de Montréal, s’associe au chanoine Alarie et à l’abbé J.-A. Ouellette, collabore à leur journal de colonisation, la Voix Nationale, et il prêche la colonisation dans plus de 600 paroisses de la province de Québec. En 1934, il rentre dans le diocèse d’Haileybury, passe deux ans à la cathédrale. En décembre 1936, on le désigne à la cure de Malartic.

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La paroisse même comprend la population qui entoure les mines de Canadian Malartic — la ville de Malartic doit s’établir sur son territoire — d’East Malartic, de Sladen Malartic, de Malartic Goldfields, de Paris-Vallée. Ce dernier est un village de « squatters », établi à moins d’un mille du centre de la ville même de Malartic, c’est-à-dire de l’hôtel qui porte le nom de Château Malartic, du cinéma, de quelques magasins qui sont déjà établis, dont la pharmacie Bigué.

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En 1937, la population de Malartic est d’environ 1 000 personnes, dont 800, peut-être davantage, sont catholiques. Il y a 750 paroissiens au moins qui sont de langue française et un certain nombre, de langue anglaise, sont des Écossais venus des Provinces Maritimes pour la plupart. En juillet 1936, il n’y avait dans cette région que quatre familles catholiques. Le seul Paris-Vallée groupe une quarantaine de familles qui relèvent du curé de Malartic.

Les écoles avaient d’abord été improvisées par la compagnie Canadian Malartic, des écoles neutres. L’école catholique s’organise maintenant, selon le programme de la province de Québec, en français dans le cas des Canadiens français. Le curé y voit. Le village de banlieue possède aussi son école.

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Mais le curé de Malartic n’a pas à voir qu’à sa paroisse de Malartic. Deux missions principales relèvent de lui, la Rivière-Héva, centre de colonisation, dont il a été question précédemment, et le village de la mine O’Brien. La population de la Rivière-Héva, exclusivement canadienne-française, est déjà de 250 âmes ; une école s’y installe. À la mine O’Brien, onze familles irlandaises et 41 familles canadiennes-françaises, toutes catholiques. À cet endroit, il y aura bientôt un village, ensuite peut-être une ville. À l’heure qu’il est, le curé de Malartic consacre sa journée du dimanche à sa paroisse de Malartic. Il dit deux messes dans sa « cookerie » transformée en chapelle. Sur semaine, le lundi, tous les quinze jours, il va dire la messe à la Rivière-Héva et à la mine O’Brien. Au temps pascal, il a fait des missions dans vingt-quatre postes différents, tous des campements miniers.

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Le territoire de la future ville de Malartic se trouve sur le domaine de la compagnie Canadian Malartic. Celle-ci a cédé de vastes emplacements pour l’église et l’école catholiques. Son Excellence Mgr Rhéaume, évêque d’Haileybury, est elle-même allée en faire le choix. C’est même au cours de ce voyage que Mgr Rhéaume fut victime d’un pénible accident d’automobile, entre le village de Taschereau et celui d’Amos. De Malartic, Mgr d’Haileybury est rentré dans sa ville par la voie des airs. Un aéroport est en effet en voie de construction au lac Remillart, tout près de Malartic.

La ville de Malartic n’a pas l’importance de Val d’Or. C’est à se demander si le fait ne se produira pas. Tout va si vite dans ce pays neuf de l’Abitibi minier.