L’Académie des Beaux-Arts depuis la fondation de l’Institut/08
Au moment où la révolution de février 1848 éclata, l’exposition annuelle des ouvrages de peinture et de sculpture devait, suivant la coutume, s’ouvrir à quelques jours d’intervalle (le 1er mars), et suivant la coutume aussi, l’Académie constituée en jury venait de procéder au choix des œuvres dignes de figurer à cette exposition. Il ne restait plus qu’à les placer sur les parois du salon carré et le long de la grande galerie du Louvre, conformément à ce qui s’était pratiqué chaque année depuis le commencement du règne de Louis-Philippe ; l’administration des musées entreprenait cette besogne la veille même du jour où le roi quittait les Tuileries. On sait ce qui suivit ce départ et de quelles scènes le palais ainsi abandonné devint le théâtre. Peu s’en fallut qu’elles ne se continuassent, et avec des conséquences bien autrement funestes, dans les salles du musée lui-même, où la tourbe des « vainqueurs des Tuileries, » après en avoir mis les appartemens à sac, se précipita, ivre et armée, par la porte de communication qui s’ouvrait au fond de la grande galerie. Grâce à la présence d’esprit de quelques fonctionnaires du musée qui firent mine de se fier au bon sens des envahisseurs pour qu’ils les aidassent eux-mêmes à sauvegarder des richesses « appartenant à la nation, » — comme le rappelaient des inscriptions à la craie tracées en hâte sur le parquet, — grâce aussi au soin que l’on prit, tant que dura le séjour au Louvre de ces étranges conservateurs, de leur distribuer avec une réserve prudente les rafraîchissemens fournis par la cave de l’économe de la maison, le danger, si menaçant qu’il eût paru d’abord, fut écarté. Sauf quelques égratignures qui endommagèrent un petit tableau de l’école allemande, tout se borna, de la part des tristes hôtes dont il avait bien fallu subir la présence, à l’échange sans façon par quelques-uns d’entre eux de leurs casquettes sales contre les casquettes galonnées des gardiens et à des promenades à tour de rôle dans le fauteuil roulant qui avait servi à Madame Adélaïde pour ses visites au musée.
Il serait hors de propos d’insister ici sur les détails, moitié sinistres, moitié grotesques, relatifs à l’invasion et à l’occupation du Louvre dans ces heures néfastes. Ils ont été d’ailleurs rapportés avec autant de précision que de verve par un témoin des faits, bien en mesure d’en faire ressortir l’odieux ou le ridicule[2]. Nous nous contenterons de dire que, dès les premiers jours, le directeur général des musées, M. de Cailleux, membre de l’Académie, se voyait contraint de céder la place au successeur que lui donnaient la révolution triomphante et le bon plaisir du « citoyen-ministre » Ledru-Rollin, pressé de pourvoir un de ses anciens camarades. Ce successeur était un peintre, de second ordre tout au plus, mais un républicain militant depuis sa jeunesse et, comme tel, mêlé de fort près sous le gouvernement de Juillet aux menées des sociétés secrètes et aux émeutes. Pourtant, quelque injustifiable qu’ait pu être, au point de vue des droits acquis et des titres, le choix qu’on avait fait de lui, M. Jeanron, pendant les deux années qu’il passa au Louvre, ne laissa pas d’y rendre quelques services, celui entre autres de débarrasser les galeries du musée des expositions annuelles, et par là d’assurer au public le spectacle sans éclipse, aux artistes l’étude sans interruption des chefs-d’œuvre de l’art ancien.
En attendant, qu’allait-on faire des préparatifs entamés pour le Salon de 1848 et des décisions déjà prises par le jury académique ? Accepter les unes et continuer tout uniment les autres paraissait un procédé trop peu démocratique. Recommencer les opérations sur nouveaux Irais et prononcer les exclusions ou les admissions à ses propres risques, il n’y fallait pas songer, sous peine d’encourir soi-même les reproches d’abus de pouvoir et de favoritisme qu’on avait tant de fois adressés à d’autres. Pour échapper aux difficultés ou aux dangers des jugemens à rendre, on prit le parti de ne rien juger ; pour être bien sûr de ne fournir un sujet de plainte à personne, on résolut d’accueillir tout le monde. En d’autres termes, au lieu d’être comme par le passé un lieu d’élite réservé aux œuvres d’artistes dignes de ce nom, le Salon devint du jour au lendemain un terrain banal, une sorte de champ de foire où chacun avait licence d’exposer ses produits, depuis les maîtres peintres jusqu’aux peintres d’enseigne, depuis les sculpteurs ou les graveurs d’un talent éprouvé jusqu’aux fabricans de statuettes pour les pendules ou d’images pour les livres d’enfans.
Un arrêté ministériel, en date du 29 février, consacrait ainsi qu’il suit ce singulier progrès : « Le citoyen ministre de l’intérieur charge le directeur du musée national du Louvre d’ouvrir l’exposition de 1848 sous le délai de quinze jours. Tous les ouvrages envoyés cette année seront reçus sans exception. » C’était bientôt dit ; mais le moyen d’installer 5,130 ouvrages dans des locaux qui jusqu’alors n’en avaient contenu qu’un nombre inférieur de plus de moitié, sinon des deux tiers ? Et, de plus, pour rester fidèle jusqu’au bout à la doctrine de l’égalité absolue des droits entre les artistes, fallait-il placer indistinctement les œuvres « envoyées, » quels qu’en fussent les mérites relatifs ou les défauts manifestes ? On n’osa pas pousser l’impartialité aussi loin. Seulement, afin de dégager de ce côté encore la responsabilité qu’elle avait déclinée là où il s’était agi de prendre à son compte la tâche qui incombait d’ordinaire à l’Académie, la nouvelle administration appela « tous les artistes » à se réunir « pour nommer une commission de quarante membres chargés du placement des ouvrages à exposer. »
C’était la première application aux affaires de l’art du principe proclamé en matière politique par le gouvernement de l’Hôtel de Ville. On eût pu croire que cet essai du suffrage universel aurait pour résultat de déposséder en faveur de nouveaux-venus les hommes jusqu’alors en fonction ou, tout au moins, d’associer à leurs noms ceux de quelques opposans de la veille, de quelques révolutionnaires en disponibilité : il arriva pourtant tout le contraire. Non-seulement Ingres, Paul Delaroche, Horace Vernet, Pradier, David d’Angers, — d’autres membres de l’Académie encore, — furent élus chacun à une très forte majorité, mais parmi les peintres et les sculpteurs qu’on leur donnait pour collègues, il ne s’en trouva pas un qui ne justifiât par son talent et par son passé la préférence dont il avait été l’objet. Il était fâcheux seulement que l’office de juges aussi autorisés se réduisît au simple rangement de ces milliers d’œuvres de toutes mains et de toute espèce. Quelque bonne volonté qu’ils y missent, ils ne pouvaient empêcher qu’une promiscuité déshonorante ne s’établît entre les meilleures de ces œuvres et les pires, et que le spectacle offert au public n’eût à la fois le caractère d’une tromperie sur les forces réelles de l’école française et celui d’un outrage à la dignité de l’art lui-même.
Quiconque se rappelle aujourd’hui l’exposition de 1848 entend encore les propos indignés ou railleurs de la foule qui la visitait, et les humilians éclats de rire que provoquaient certaines toiles dont les saltimbanques n’eussent pas voulu pour orner leurs tréteaux. Une pareille épreuve était trop concluante pour qu’on pût songer à la renouveler. Aussi, dès l’année suivante, l’exposition, transportée cette fois aux Tuileries, s’ouvrait-elle dans des conditions plus sagement libérales et avec des garanties mieux appropriées pour l’avenir aux exigences du bon sens. Aux termes d’un arrêté pris par M. Léon Faucher, alors ministre de l’intérieur, il avait été établi « qu’à chaque exposition, un jury serait formé pour statuer sur l’admission des ouvrages présentés, » et que ce jury se composerait de membres nommés à l’élection, non plus par « tous les artistes » quels qu’ils fussent, mais seulement « par les artistes exposans. »
Ainsi l’Académie cessait absolument, en tant que corps, d’exercer, pour l’organisation des Salons, les fonctions dont elle avait eu jusque-là le privilège exclusif. Les membres de la compagnie pouvaient bien être individuellement appelés à faire partie du nouveau jury si les électeurs jugeaient à propos d’inscrire leurs noms sur les bulletins de vote ; mais pour eux, comme pour les autres élus d’ailleurs, il ne devait y avoir là qu’une mission toute temporaire, tout accidentelle, puisque, loin d’engager l’avenir, elle le laissait subordonné aux fluctuations, peut-être aux simples caprices de l’opinion. L’institution d’un tribunal changeant chaque année au gré des justiciables, d’un tribunal sans jurisprudence fixe, sans expérience préalable, sans traditions communes, était une innovation radicalement contraire aux intentions qu’avaient eues les fondateurs de l’Institut en attribuant aux membres qui le composeraient une autorité permanente et décisive dans toutes les questions intéressant les arts, les sciences ou les lettres. Elle avait de plus ce danger, — auquel plus tard on n’a pas échappé, — de susciter certaines candidatures dont le succès serait dû aux petites conspirations ou aux manœuvres de l’esprit de camaraderie et compromettrait par là l’indépendance du jury, en même temps qu’au point de vue des mérites personnels il en abaisserait plus ou moins le niveau. Quoi qu’il en soit, malgré des variations successives dans les moyens d’application, malgré, par exemple, l’adjonction pendant un certain nombre d’années de membres nommés par l’administration aux membres choisis par les artistes, le principe d’un jury électif n’a pas cessé de prévaloir. De nos jours encore, il a gardé force de loi.
La suppression, en ce qui concernait l’exposition de 1848, des prérogatives attribuées à l’Académie sous les gouvernemens précédens avait été l’un des premiers actes ministériels de M. Ledru-Rollin. L’arrêté pris par lui à ce sujet porte, en effet, nous l’avons dit, la date du 29 février. Quelques jours plus tard, cependant, l’Institut semblait rentrer en grâce auprès du nouveau pouvoir, puisque l’un des collègues de M. Ledru-Rollin, M. Carnot, alors ministre de l’instruction publique, s’occupait de restituer aux diverses Académies les droits dont le corps auquel elles appartenaient avait été investi à l’origine. Par une lettre, en date du 4 mars 1848, M. Carnot informait l’Institut « qu’il était dans les intentions du gouvernement » de remettre en vigueur les articles ainsi conçus du titre v de la loi organique de 1795 :
« Art. Ier. — L’Institut national nommera tous les ans au concours vingt citoyens qui seront chargés de voyager et de faire des observations relatives à l’agriculture tant dans les départemens de la république que dans les pays étrangers.
« Art. 4. — L’Institut national nommera tous les ans six de ses membres pour voyager, soit ensemble, soit séparément, en vue de recherches sur les diverses branches des connaissances humaines autres que l’agriculture. »
Si le premier de ces deux articles laissait évidemment l’Académie des beaux-arts hors de cause, le second pouvait à la rigueur l’intéresser. Aussi crut-elle devoir donner suite à la communication qui venait de lui être faite en examinant de près les moyens d’en tirer parti. Plusieurs séances furent consacrées à cette étude, assez infructueuse d’ailleurs, puisqu’elle ne pouvait aboutir, et qu’elle n’aboutit, en effet, qu’à des vœux passablement vagues, à des considérations sans application pratique sur les musées ou les écoles d’art en province, sur l’importance des vieux monumens de notre architecture nationale, etc. Cette sorte de fin de non-recevoir s’explique, du reste, par le double emploi que la mesure projetée semblait faire avec certains services organisés sous le gouvernement de Juillet. A quoi bon envoyer des délégués dans les départemens pour y constater l’état où se trouvaient les églises du moyen âge ou les châteaux de la Renaissance, alors qu’un comité et une inspection générale des monumens historiques fonctionnaient depuis plusieurs années déjà ? Quelles « recherches » restaient à entreprendre dans les musées provinciaux, depuis que l’administration centrale des beaux-arts avait entre les mains les catalogues de tout ce qui y était entré soit à l’époque de la Révolution, soit après la suppression, à Paris, du musée des Petits-Augustins ? Enfin, ne pouvait-on, sans sortir de Paris, aviser aux moyens d’améliorer l’enseignement du dessin ou de la musique dans les écoles de l’État, et une commission dont faisaient partie, entre autres membres de l’Académie, Ingres, Halévy et Paul Delaroche, n’avait-elle pas précisément été chargée de travailler à la solution de ces questions ? Néanmoins, si peu justifiée en fait qu’elle pût être, cette évocation du passé ne courait le risque ni de tromper la bonne foi, ni d’éveiller les susceptibilités de personne. Il n’en allait pas ainsi, tant s’en faut, d’un appel à d’autres souvenirs fait un peu plus tard par la commission du pouvoir exécutif elle-même : je veux parler de cette mensongère manifestation du 21 mars 1848, de cette pompeuse mystification renouvelée des fêtes révolutionnaires, dont elle avait pris l’initiative et taillé le programme sur le vieux patron consacré.
Aux termes de ce programme, il est vrai, il ne s’agissait plus de célébrer, comme autrefois, « l’écrasement du despotisme » ou de réhabiliter l’Être suprême. On entendait tout uniment fêter au Champ de Mars « la Concorde et la Paix, » symbolisées, d’ailleurs, par 200,000 hommes en armes, gardes nationaux, gardes mobiles et soldats ; par ces inévitables « jeunes filles vêtues de blanc » qu’on retrouve dans toutes les solennités publiques, comme dans tous les voyages des personnages politiques, un voile sur la tête et des fleurs à la main ; par le « Char » non moins prévu « de l’Agriculture » attelé de « bœufs aux cornes dorées ; » enfin, par des députations de tous les « travailleurs, » y compris les membres de l’Institut, dont la place avait été marquée, — rapprochement au moins bizarre, — derrière les vainqueurs de la Bastille, les blessés de février et les décorés de juillet, et immédiatement avant les délégués des ateliers nationaux et les noirs affranchis. La place, au surplus, ne fut pas occupée. Dans cette fête de la « Concorde » que les sanglantes journées de juin devaient suivre de si près, l’Institut eut pour seuls représentans Arago et Lamartine. Encore n’y figuraient-ils qu’à un tout autre titre que celui d’académiciens, et avec des préoccupations fort étrangères sans doute à ce sentiment de « joie expansive » dont un rédacteur du Moniteur universel, un peu plus confiant que de raison, affirmait le lendemain avoir vu « le rayonnement sur tous les visages » et découvert le foyer « dans tous les cœurs. »
Tout en se maintenant soigneusement en dehors des démonstrations politiques, quelles qu’elles fussent, tout en se renfermant avec plus de scrupule que jamais dans les limites de ses attributions spéciales, l’Académie des beaux-arts, durant les deux premières années de la seconde république, ne réussissait pas toujours à se préserver des tentatives extérieures de l’esprit de propagande ou des méprises sur la fonction qu’il lui appartenait d’exercer. Il arrivait, par exemple, qu’on s’adressât à elle pour l’associer à des projets de réforme sociale capables d’assurer une fois pour toutes « le bonheur du genre humain » ou, plus modestement, pour l’intéresser à quelque progrès mécanique ou agricole. Un jour, c’était l’inventeur d’un « métier à faire du fil » qui la priait de lui donner à ce sujet son avis ; un autre jour, un habitant de la campagne envoyait à l’Académie un long mémoire sur les conditions les plus favorables à l’installation d’une ferme, non sans demander aux membres de la compagnie, en échange de cette communication, le don gracieux « d’une charrue. » Peu à peu cependant, soit que les froideurs ou le silence de l’Académie, en pareil cas, eussent découragé ses aventureux correspondans, soit qu’on eût mieux compris de quel ordre de travaux elle était le juge naturel, des ouvertures dans le genre de celles dont nous venons de parler devinrent de plus en plus rares et finirent par cesser à peu près complètement. L’Académie eut encore, — et elle aura sans doute dans tous les temps, — à subir les confidences de plus d’un utopiste, de plus d’un soi-disant possesseur de secrets pour faciliter l’étude de l’art ou pour en perfectionner les moyens pratiques ; mais au moins les questions, dignes d’un examen approfondi ou non qui lui seraient soumises, rentreraient plus exactement dans sa compétence. En attendant, et à l’époque même où son temps se trouvait en partie usurpé par des communications purement oiseuses ou déplacées, la situation que les récens événemens politiques avaient faite en Italie aux pensionnaires de l’Académie de France l’occupait, certes, à bon droit.
La révolution accomplie à Rome en 1869 et le siège par les troupes françaises qui allait en être la conséquence ne pouvaient que rendre au moins difficile le séjour à la villa Médicis des hôtes qu’elle abritait ordinairement. Comment ces compatriotes des assiégeans seraient-ils restés dans la même ville que les assiégés, sans paraître presque faire cause commune avec eux, ou, en cas de scission ouverte, sans s’exposer à leurs vengeances ? Et, d’un autre côté, comment, en quittant volontairement la place, renoncer, sans d’amers regrets, aux travaux entrepris, aux espérances qu’ils semblaient autoriser ? Le gouvernement révolutionnaire qui s’était installé à Rome se chargea de mettre fin aux perplexités des pensionnaires de l’Académie de France et à celles de M. Alaux, leur directeur. La villa Médicis ayant été jugée particulièrement propre à servir de point de défense militaire, les soldats cosmopolites de la république romaine l’envahirent à ce titre un beau matin. Il fallut bien céder à la force ; mais, grâce aux mesures prises par M. Alaux avec autant de résolution que de prudence, la petite colonie put se réfugier à Florence, où elle vécut pendant deux mois de sa vie studieuse accoutumée. Enfin, le 12 juillet, quelques jours après l’entrée à Rome de l’armée française, le directeur et les pensionnaires reprenaient possession du palais d’où ils s’étaient vus forcés de sortir au commencement du mois de mai, et dont les murs, rendus maintenant à leur destination pacifique, n’en gardaient pas moins les traces de l’occupation qu’ils avaient subie[3].
L’Académie des beaux-arts s’était dès les premiers jours tout naturellement émue des embarras ou des dangers qui pouvaient résulter pour l’Académie de France et pour son personnel des agitations politiques auxquelles Rome se trouvait livrée. Quelque juste confiance qu’elle eût dans le dévouaient et dans la présence d’esprit de M. Alaux, elle était impatiente de recevoir de lui des nouvelles que la suspension des moyens de communication ordinaires entre Rome et Paris rendait de jour en jour plus problématiques. Ce ne fut que par deux dépêches du directeur expédiées de Florence après que les pensionnaires y eurent été installés, qu’elle sut à quoi s’en tenir sur le compte de ceux-ci, en attendant qu’une troisième dépêche écrite au lendemain de leur retour à Rome achevât de lever toutes les incertitudes et de dissiper toutes les craintes.
C’était aussi, sans doute, pour calmer les inquiétudes de l’Académie, mais sur un autre point, qu’un de ses associés étrangers, le savant antiquaire M. Canina, lui écrivait de Rome presque en même temps que le directeur de l’Académie de France. Seulement, M. Alaux n’avait parlé de son intervention dans les événemens qui venaient de se passer que sous la forme d’un simple récit, sans insister sur les services personnels qu’il avait pu rendre ; l’objet principal de la communication de M. Canina, au contraire, semblait être de faire connaître à l’Académie les soins qu’il avait pris, en sa qualité de membre du conseil communal de Rome, pour assurer la conservation des musées et des monumens de la ville. Passe encore s’il se fût contenté de se recommander ainsi à la gratitude des amis des arts et à celle des membres de l’Académie en particulier, ou, — ce qui importait davantage, — de constater l’insignifiance des dommages que quelques-uns de ces monumens avaient subis pendant le siège ; mais le signataire de la lettre avait trouvé bon d’ajouter à ces détails un exposé de ses propres idées sur la portée politique de l’expédition même et sur le rôle imposé à notre armée par le gouvernement de la république française. L’Académie jugea au moins superflu l’avis de son correspondant, et elle chargea son secrétaire perpétuel d’en informer celui-ci en termes assez clairs pour prévenir chez lui toute velléité de récidive. C’est ce qui eut lieu, en effet. M. Canina apparemment se le tint pour dit, puisque, à partir de ce moment jusqu’au jour de sa mort (1856), il ne soumit plus à l’examen de l’Académie que des questions strictement archéologiques. Tout cela, sans doute, n’avait rien de bien grave en soi ; si nous avons cru devoir rapporter ici ce petit épisode de l’histoire de l’Académie à l’époque qui nous occupe, c’est parce qu’il témoigne des difficultés du temps pour la compagnie elle-même.
Peut-être, il faut bien le dire, dans la confusion des tentatives de toute espèce, dans les démarches, les projets de réforme ou les réclamations, qui se produisaient presque chaque jour autour d’elle, l’Académie ne réussit-elle pas toujours à discerner avec une complète exactitude ce qui était en réalité de son ressort et ce dont il ne lui appartenait qu’assez indirectement de s’occuper ; peut-être, par exemple, ne laissait-elle pas de sortir quelque peu de son rôle en adressant, au mois de novembre 1850, une lettre au ministre de l’intérieur pour le prier d’intervenir auprès de son collègue des finances à l’effet d’empêcher la vente, annoncée comme prochaine, d’une partie de la forêt de Fontainebleau. En tout cas, dans l’empressement de son zèle pour les intérêts à défendre, elle avait négligé de se renseigner sur l’authenticité du fait qui semblait les menacer. Au bout de quelques jours, le ministre répondait aux inquiétudes exprimées au nom de l’Académie par son secrétaire perpétuel qu’il n’était nullement question d’aliéner quoi que ce fût de la forêt de Fontainebleau. M. Raoul Rochette, qui l’avait pris, d’ailleurs, sur un ton un peu plus élégiaque qu’il n’était nécessaire pour soutenir la cause des peintres paysagistes et des autres habitués de la forêt, en fut donc pour ses frais de rhétorique, comme l’Académie pour ses craintes : celles que lui inspirait peu après une mesure décrétée par le gouvernement du second empire étaient malheureusement mieux fondées. Il s’agissait cette fois d’une véritable atteinte à la constitution même et à l’indépendance de l’Institut, et, par une coïncidence regrettable, c’était presque au lendemain du jour où il venait d’être admis dans ce grand corps[4] que le ministre de l’instruction publique d’alors, M. Fortoul, entrait en campagne pour déposséder ses confrères de prérogatives consacrées par un usage de soixante années déjà. Au mois d’avril 1855, un décret impérial rendu sur sa proposition enlevait à l’Institut le droit de régler la police intérieure de ses assemblées publiques et de distribuer les places, dont le ministre se réservait de disposer désormais. En outre, c’était directement au choix de celui-ci, et non plus sur la désignation faite par les membres de l’Institut eux-mêmes que les fonctionnaires ou les employés du secrétariat et de la bibliothèque devaient être nommés, en sorte qu’ils se trouvaient soustraits d’avance au patronage ou à la juridiction de leurs surveillans naturels. Enfin, l’article 3 du décret dont il s’agit portait que « les concours des prix à décerner soit par chacune des Académies, soit par les Académies réunies, » au lieu d’être jugés, comme ils l’avaient été jusque-là, par l’ensemble des académiciens, auraient pour seuls juges les sept membres d’une « commission formée : 1° de quatre académiciens désignés par le chef de l’État ; 2° des trois officiers composant le bureau[5]. »
On conçoit aisément la vivacité des réclamations que ces étranges mesures soulevèrent dans le sein de chaque Académie. Le mode de jugement des concours en particulier déterminé par l’article 3 irrita partout, et d’autant plus justement, les esprits qu’une pareille procédure n’allait pas à moins qu’à supprimer en réalité l’autonomie de l’Institut, en même temps que, par la réduction du nombre des juges, elle abaissait singulièrement la valeur des récompenses attribuées. Un prix dû simplement aux suffrages de quelques membres d’une Académie, transformés pour les besoins de la cause en commissaires du gouvernement, ne pouvait, en effet, avoir la même signification publique et la même importance qu’un prix décerné par la compagnie tout entière. Et, d’un autre côté, quels inconvéniens n’entraînait pas, au point de vue de la confraternité académique, cette distinction établie de fait entre des hommes égaux en droit, revêtus de la même dignité, élus au même titre par leurs pairs ? En ce qui concernait l’Académie des Beaux-Arts, comment admettre par exemple que sur quatorze membres composant la section de peinture, quatre seulement, — c’est-à-dire moins que le tiers de cette section, — lussent appelés à se prononcer à l’exclusion des dix autres, par cet unique motif qu’ils auraient été, mieux que ceux-ci, dans les bonnes grâces de l’empereur ou de son ministre ? Et quant aux concours d’essai, quant aux épreuves préparatoires dont le jugement était laissé à l’ensemble des académiciens, n’était-il pas à craindre que le zèle de ces juges en première instance seulement ne se trouvât fort refroidi par la perspective de leur éviction à l’heure des concours définitifs, les prix attachés à ces concours ne devant être donnés que par des fractions de sections, par la moitié pour les unes, par moins que le tiers pour une autre, par un petit nombre de membres pour toutes ?
L’Académie présenta ces graves objections et d’autres tout aussi fortes dans un mémoire destiné à être mis sous les yeux de l’empereur, et dans un entretien direct avec le ministre : entretien au cours duquel M. Fortoul, un peu déconcerté par l’énergie des résistances qu’il rencontrait, jugea prudent de battre en retraite en donnant à ses interlocuteurs, — suivant les termes du procès-verbal dressé par l’un d’eux, — « l’assurance formelle que le décret ne serait pas appliqué à l’Académie des Beaux-Arts en ce qui pourrait la concerner particulièrement. Rien ne sera changé, pour les concours, ajouta-t-il ; ils auront lieu dans la forme actuelle. » C’était au mieux ; toutefois, après que les paroles du ministre eurent été rapportées à l’Académie, un membre fit observer que, quelque confiance qu’elles lui inspirassent, elles ne lui semblaient pas suffisantes pour anéantir un décret existant, et que, tant que ce décret ne serait pas officiellement supprimé, on pouvait craindre de le voir appliquer un jour ou l’autre. De nouvelles démarches furent donc tentées auprès du ministre, qui, serré de plus en plus près, se décida à proposer à l’empereur de modifier immédiatement plusieurs des dispositions édictées. Seulement, au lieu de réaliser ces modifications par un second décret, il se contenta de les formuler, le 23 juin 1855, dans un « Rapport à l’empereur, » indiquant l’interprétation qui serait donnée à différens articles du texte primitif. Les réclamations de l’Institut recevaient ainsi satisfaction ; mais, en réalité, une satisfaction partielle, puisque, quelque atténuée que fût dès lors la rigueur des prescriptions de détail, l’ensemble du décret n’en subsistait pas moins. Restait la ressource pour le gouvernement, tout en maintenant ce décret en principe, de n’user que très momentanément des droits qu’il lui conférait : ce fut là le parti auquel il s’arrêta. Quelques mois s’étaient écoulés à peine, et déjà, pour la tenue de ses assemblées publiques, l’Institut rentrait sans bruit en possession des privilèges dont on avait prétendu le dépouiller ; peu à peu des articles, qui n’avaient été d’abord que modifiés, arrivaient à être formellement abrogés par des décrets successifs. Bref, au bout de cinq ans, les effets du décret du 14 avril 1855 ne consistaient plus que dans l’adjonction de dix nouveaux membres à ceux dont se composait antérieurement l’Académie des Sciences morales et politiques, et dans la fondation d’un prix de 10,000 francs destiné à récompenser, au nom de l’empereur, « l’ouvrage ou la découverte que les cinq classes auraient jugé le plus propre à honorer ou à servir le pays. » Encore ces deux mesures elles-mêmes n’étaient-elles maintenues qu’à la condition de subir un peu plus tard des réformes assez notables. Les dix membres de l’Académie des Sciences morales et politiques composant la section complémentaire créée en 1855 sous ce titre : « Politique, Administration, Finances, » et nommés directement par l’empereur, devaient, à la suite de la suppression de cette section en 1866, être répartis entre les autres sections de l’Académie. Quant au prix de 10,000 francs, un décret en avait, dès le mois d’août 1859, doublé le chiffre, et un autre décret, rendu l’année suivante, portait que ce prix serait, à partir de 1861, décerné tous les deux ans, à tour de rôle, par chacune des cinq classes de l’Institut, sauf ratification en assemblée générale de ces cinq classes du choix fait au préalable par l’Académie compétente[6].
Au temps où les difficultés dont nous parlions tout à l’heure s’étaient élevées entre l’Académie des Beaux-Arts et le ministre de l’instruction publique, le devoir d’être auprès du pouvoir l’interprète des vœux de la Compagnie et le défenseur de ses droits incombait à un nouveau secrétaire perpétuel. M. Raoul Rochette était mort le 5 juillet 1854 ; avant la fin du même mois, Halévy avait été appelé à le remplacer. C’était, depuis la fondation de l’Institut, la première fois que le secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts se trouvait choisi parmi les membres de la classe même : innovation parfaitement légitime, à coup sûr, mais qui pourtant ne devait pas se convertir en règle, puisque, huit ans plus tard, lorsque le successeur de M. Raoul Rochette eut disparu à son tour, ce fut, comme par le passé, à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres que l’Académie des Beaux-Arts emprunta celui à qui elle entendait confier le soin de ses affaires.
Les mérites personnels d’Halévy justifiaient bien d’ailleurs la résolution exceptionnelle prise en sa faveur par ses confrères. Il serait superflu, sans doute, de rappeler les titres qu’il s’était acquis comme compositeur dramatique et les succès auxquels, avant comme après son entrée à l’Académie, il a dû sa renommée[7] ; mais à ces preuves publiques d’un grand talent s’ajoutaient, aux yeux des membres de la Compagnie, des mérites d’un ordre tout intime : un caractère facile et naturellement conciliant, un esprit prompt à sentir le beau ou le vrai sous leurs formes d’expressions diverses, enfin le goût et les habitudes d’un lettré unis à l’expérience d’un artiste. Une fois élu, Halévy se mit à l’œuvre avec une ardeur qui ne devait pas se refroidir dans le cours des années suivantes, et, pour commencer par une réforme intérieure aussi hardie qu’utile, — on dirait presque par un coup d’état, — il entreprit de coordonner et de mettre en lumière les résultats d’un travail bien longtemps poursuivi dans l’ombre, vingt fois interrompu, repris et remanié, sans avoir abouti encore à rien de mieux qu’à grossir la somme des matériaux dont on se proposait de faire usage à un moment de plus en plus éloigné. Il s’agissait de ce Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts mis sur le métier dès les premières années du siècle, mais qui depuis lors, véritable toile de Pénélope, se refaisait toujours et ne paraissait jamais.
Originairement, — nous avons eu l’occasion de le dire déjà à propos d’un rapport sur les travaux de l’Académie lu par Lebreton dans la séance publique de l’année 1806, le recueil qui se publie aujourd’hui sous le titre de Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts ne devait être qu’un « Dictionnaire de la langue des beaux-arts, » en d’autres termes un ensemble de définitions ou d’explications toutes techniques, un simple vocabulaire, sans qu’aucune part y fût faite aux considérations relatives à l’esthétique ou à l’histoire de l’art. Et Lebreton ajoutait, dans ce rapport de 1806 : « Durant l’année qui vient de s’écouler, la classe a discuté environ la moitié des mots de la lettre A. » On pouvait donc espérer alors qu’un travail maintenu dans ces limites, et se continuant avec la même régularité qu’au début, n’exigerait guère, pour être achevé, qu’un quart de siècle tout au plus.
Or, non-seulement ce délai de vingt-cinq ans se trouvait singulièrement dépassé à l’époque où Halévy entrait en fonction ; mais, par suite des changemens successivement apportés au plan primitif et des essais en sens divers auxquels ils avaient donné lieu, tout était resté en suspens, aussi bien au point de vue du caractère doctrinal à imprimer à l’œuvre commune qu’au point de vue des moyens à prendre pour assurer la collection méthodique et la cohésion matérielle des élémens dont elle se composerait. Certes, les membres de l’Académie qui, depuis le commencement du premier empire, avaient, à tour de rôle, formé la « Commission du Dictionnaire, » étaient, à ne considérer que leurs mérites propres, bien en mesure de s’acquitter à souhait de leur tâche. Pour ne citer que quelques-uns d’entre eux, des peintres, des sculpteurs, des architectes aussi expérimentés que Guérin, Chaudet et Huyot, des musiciens et des érudits comme Méhul et Visconti, ou, un peu plus tard, comme Le Sueur et Quatremère de Quincy, auraient pu facilement, avec plus de fixité dans les programmes et dans les procédés d’exécution, arriver à fournir aux artistes et au public une série d’enseignemens aussi logiques que précis. Malheureusement, d’une part, la direction incertaine de la voie où il s’agissait, pour eux, tantôt de s’engager d’un pas ferme, tantôt de rétrograder, pour la côtoyer ensuite en vue ou à la recherche d’un nouveau but ; de l’autre, les fantaisies personnelles, ou, si l’on veut, l’indépendance assez irréfléchie de tel ou tel des collaborateurs, avaient rendu à peu près stériles tous les efforts tentés. On avait, par exemple, adopté en principe l’ordre alphabétique pour la succession des articles ; mais, parmi ceux qui étaient chargés de les écrire, plus d’un, séduit par un sujet particulièrement conforme à ses inclinations ou à ses études, entreprenait de le traiter bien avant l’heure, et s’emparait à tout hasard d’un mot commençant par une des dernières lettres de l’alphabet, alors que sa besogne eût été de procéder suivant l’ordre contraire. De là d’étranges lacunes dans l’ensemble des travaux accomplis et l’impossibilité d’en faire paraître quoi que ce fût, à l’état de spécimen des parties de la publication qui devaient suivre.
En outre, lorsqu’on avait eu la pensée d’élargir le cadre destiné d’abord à ne contenir que les mots strictement usuels de « la langue des arts, » on s’était laissé aller à l’agrandir démesurément. On avait entendu y donner place à des notices biographiques sur les personnages célèbres de l’antiquité et des temps modernes, à des études descriptives ou critiques sur les œuvres des artistes les plus renommés, à bien d’autres études ou dissertations encore : le tout, au risque de rendre la tâche interminable ou, du moins, de la compliquer de telle sorte que le futur dictionnaire prît jusqu’à un certain point les caractères d’une encyclopédie. Puis, le travail une fois abordé et partiellement exécuté dans ces conditions, l’expérience en avait démontré les inconvéniens. On avait, sans plus de succès, essayé tour à tour d’autres combinaisons, et l’on avait fini, de guerre lasse, par se désintéresser à peu près d’une entreprise qui semblait de plus en plus condamnée à rester sans issue. Après tant de tergiversations et d’épreuves contradictoires, après tant d’années dépensées presque en pure perte, le devoir était impérieux, sans doute, de s’arrêter à une résolution ferme et de convertir enfin en actes des projets si longtemps incertains. C’est ce à quoi Halévy, soutenu dans sa tentative de réforme par une commission entièrement renouvelée[8], s’employa avec assez d’activité pour que la première livraison de ce dictionnaire jusqu’alors problématique pût paraître dans le cours de l’année 1857, et que, avant la fin de l’année suivante, le premier volume de l’ouvrage, composé de près de quatre cents pages à deux colonnes et comprenant plus de la moitié des mots de la lettre A, fût achevé et livré au public.
Était-ce donc que la méthode suivie pour la constitution de ce premier volume engageât si irrévocablement l’avenir qu’aucune modification ne pût être utilement introduite dans la pratique des règles qu’on s’était faites ? A vrai dire, il n’en allait pas tout à fait ainsi. Malgré la décision relative avec laquelle le nombre des sujets à traiter avait été réduit et le plan de l’ouvrage simplifié, plus d’une trace subsistait dans la publication récente des hésitations ou des imprudences anciennes. Quelque bonne volonté qu’eût eue l’Académie d’écarter du recueil en formation les questions ne se rattachant qu’indirectement à l’art et aux moyens qu’il emploie, elle n’y avait pas toujours réussi. Certains articles ayant pour objet l’analyse de tel sentiment, de telle passion, dont on trouve l’image plus ou moins fidèle dans des œuvres peintes ou sculptées, d’autres articles consacrés à la mémoire de quelques héros de la fable ou de l’histoire, venaient interrompre l’ordre et compromettre l’équilibre des enseignemens que l’on s’était proposé de fournir. En réalité, il y avait là trop ou trop peu. Puisqu’on avait jugé opportun, par exemple, de donner la définition du mot Abattement ou celle du mot Abandon, sous le prétexte apparemment que les états de l’âme ou de l’esprit exprimés par ces mots peuvent recevoir leur figuration pittoresque ou plastique, pourquoi avoir exclu nombre d’autres mots exprimant aussi des affections morales et, par conséquent, admissibles au même titre : Allégresse, Anxiété, Attendrissement, etc. ?
N’y avait-il pas lieu de s’étonner également de certaines préférences, et en même temps de certaines omissions, en ce qui concernait les monumens typiques de l’art aux diverses époques ? Ainsi, comment s’expliquer qu’aux yeux des auteurs du « Dictionnaire », la villa Adrienne, la basilique de Sainte-Agnès, à Rome, et les monastères du mont Athos, aient paru exiger de longues descriptions, alors que rien ne devait être dit du couvent d’Assise qui fut pourtant au moyen âge le premier foyer de la peinture italienne régénérée et comme le berceau de sa renaissance ? Enfin, là où il s’agissait d’enregistrer les noms des hommes que l’art a immortalisés, pourquoi s’en être tenu à peu près aux souvenirs de la Grèce et de Rome, et, avant de nous entretenir d’Ampelus, n’avoir pas fait au moins l’aumône d’une mention à Adam, qui, sans parler de ses autres titres suffisamment connus, a inspiré tant de grandes œuvres de la sculpture et de la peinture, depuis les bas-reliefs de la cathédrale d’Orvieto jusqu’aux fresques de Michel-Ange et de Raphaël, au Vatican ?
Nous nous sommes cru permis d’insister quelque peu sur les imperfections que le Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts ne laissait pas de présenter au début, parce que l’Académie elle-même en a, pour ainsi dire, fait justice, en renonçant après coup à une partie de la procédure qu’elle avait d’abord entendu suivre. Les noms d’hommes en effet, et les mots d’une signification presque exclusivement philosophique, ne figurent plus dans les volumes publiés après l’année 1858. Quelques éclaircissemens semblaient donc ici nécessaires pour justifier cette sorte d’anomalie (qui n’est en réalité qu’un progrès) entre la suite et les commencemens de l’ouvrage. D’ailleurs, quoi qu’il en doive être des réserves formulées plus haut et de celles que pourraient autoriser certaines inexactitudes de détail commises çà et là[9], le premier volume du Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts n’en demeure pas moins dans son ensemble un travail des plus substantiels et, comme chacun des volumes parus postérieurement, un témoignage formel de l’unité permanente des doctrines que la compagnie représente, aussi bien que de sa sérénité invariable en face des paradoxes ou des sophismes. Quoi de plus naturel, au surplus ? L’Académie des Beaux-Arts n’est ni un parti, ni une école dans le sens limité du mot, encore moins un groupe de talens en rivalité ou en lutte. Arrivés à la plus haute situation que des artistes puissent ambitionner, les membres de l’Académie empruntent de leur élévation même un calme, une modération dans le jugement des opinions ou des choses qu’on ne rencontrerait pas aussi sûrement chez ceux que préoccupent encore les progrès de leur propre réputation et l’incertitude du succès. Confrères, par l’esprit qui les anime autant que par l’égalité du rang, ils s’accordent dans le désintéressement personnel, comme ils ont en commun le dévoûment aux plus sérieux intérêts de l’art et le sentiment profond de sa dignité. De là, malgré la diversité de leurs origines et de leurs titres, l’ensemble avec lequel ils concourent au maintien des mêmes traditions, à la défense des mêmes principes ; de là, la conformité de leurs vues dans l’appréciation des faits particuliers, aussi bien que dans le domaine des idées générales ; de là enfin ce Dictionnaire que d’autres esprits n’auraient pu composer ainsi, ni d’autres mains écrire, parce que, outre le fonds d’expérience spéciale qu’exigeait une pareille tâche, il fallait ici une indépendance critique à peu près incompatible avec la condition ordinaire des artistes militans, et, dans l’exécution, un genre d’habileté en dehors, jusqu’à un certain point, des habitudes propres aux écrivains de profession.
La continuation du grand travail commencé sous l’impulsion d’Halévy était donc devenue, dans l’espace de temps compris entre les années 1858 et 1863, une des occupations principales de l’Académie. Bien plus : le moment approchait où cette occupation allait être presque la seule qu’il lui fût permis de poursuivre officiellement, lorsque, dépossédée du jour au lendemain des prérogatives qu’elle tenait de sa constitution même, l’Académie se verrait, jusqu’à la fin du second empire, condamnée à rester étrangère à tout ce qui concernait les concours pour les grands prix et les travaux des pensionnaires de l’Académie de France, à Rome. Nous dirons tout à l’heure par quel brusque caprice du pouvoir, sinon par quelles intrigues nouées autour de lui, cette injuste dépossession s’accomplit ; mais avant de rappeler les faits qui s’y rattachent, il convient d’indiquer sommairement les changemens survenus dans le personnel académique, depuis que la monarchie de Juillet avait été remplacée par la seconde république et celle-ci, à son tour, par le gouvernement impérial.
Dans cette période de seize années écoulées entre la fin du règne de Louis-Philippe et le milieu à peu près du règne de Napoléon III, la mort avait successivement frappé trente-deux membres de la compagnie, sans compter six membres associés étrangers. Parmi ceux qui disparaissaient ainsi, quelques-uns, comme Fontaine, l’utile et fidèle collaborateur de Percier, ou comme Debret, l’architecte de l’ancien Opéra, avaient appartenu à une époque et à une école dont ils personnifiaient encore avec honneur les traditions jusque vers la seconde moitié de notre siècle ; d’autres, comme Hersent, le peintre ingénieux de Ruth et Booz, de Daphnis et Chloé et de l’Abdication de Gustave Wasa, avaient représenté dans l’Académie des doctrines intermédiaires entre les théories du « classicisme » intraitable professé par les prétendus continuateurs de David et les témérités du programme qu’affichaient leurs adversaires ; d’autres, enfin, tels que David d’Angers et Pradier, s’étaient plus ouvertement déclarés dans le sens des réformes entreprises à côté d’eux. Ils s’y étaient même associés en fait, chacun à sa manière, par une étude plus pénétrante, par une interprétation plus large des exemples antiques, aussi bien que par une franchise plus courageuse dans l’imitation de la nature. Les œuvres sorties de leurs mains avaient puissamment contribué au renouvellement du goût public et acquis à ceux qui les avaient faites une renommée personnelle assez solide pour que la mort même ne la compromît pas. Néanmoins, de quelque juste crédit qu’eussent joui les académiciens dont nous avons cité les noms, la perte d’aucun d’eux ne devait avoir, dans le sein de l’Académie même des conséquences aussi graves, ni, au dehors, autant de retentissement que les pertes survenues presque coup sur coup de trois des membres de la section de peinture : Paul Delaroche, Horace Vernet et Eugène Delacroix.
Celui de ces trois peintres diversement célèbres que la mort frappait le premier, Paul Delaroche, était entré relativement jeune à l’Académie, en 1832[10]. Il eût paru assez naturel que ce fût avec l’appui préalable de Gros, son maître, et pourtant cet appui lui avait manqué, tandis que Ingres s’était tout d’abord passionnément déclaré en faveur d’un artiste qui, « mieux qu’aucun autre, écrivait-il un jour, l’aiderait à repousser l’invasion des Barbares, » autrement dit des romantiques. Depuis le jour de son élection jusqu’au jour de sa mort (4 novembre 1856), par conséquent pendant vingt-quatre ans, Paul Delaroche avait exercé à l’Académie une influence considérable : influence qu’expliquent de reste, outre son talent, la dignité de son caractère et la singulière souplesse d’un esprit capable de se mouvoir dans le domaine des affaires proprement dites avec la même aisance que dans le champ de l’art. On avait bien vite pris l’habitude, que l’on conserva jusqu’à la fin, de voir en lui un de ces artistes doublement privilégiés, doublement habiles, comme Gérard l’avait été naguère, et qui, moitié praticiens d’élite, moitié hommes du monde au meilleur sens du mot, font preuve d’une égale expérience dans l’accomplissement de leurs travaux professionnels et dans la conduite de la vie. Aussi, lorsqu’il succombait, avant l’âge de soixante ans, dans la plénitude de son talent et dans tout l’éclat d’une réputation déjà longue, n’avait-il rien perdu auprès de ses confrères de la confiance qu’il leur avait tout d’abord inspirée.
Ajoutons que, comme Gérard encore, par l’élégance de ses mœurs domestiques, par l’hospitalité courtoise que recevaient chez lui les hommes les plus distingués, Paul Delaroche avait réussi à donner un surcroît de relief, et, pour ainsi parler, un vernis d’aristocratie à l’importance personnelle qu’il s’était acquise par ses œuvres. Dans ce salon que charmait la présence d’une femme dont le souvenir est resté si cher à quiconque a eu l’heureuse fortune de l’approcher[11], se rencontraient chaque semaine à jour fixe des artistes de tous les rangs, depuis ceux qui, comme Auber, étaient en pleine possession de leur renommée, jusqu’à ceux qui, comme Hippolyte Flandrin et M. Ambroise Thomas, destinés à prendre rang, eux aussi, parmi les maîtres, venaient alors de faire leurs premières preuves et de remporter leurs premiers succès. A côté de ces artistes, les uns célèbres, les autres en voie de le devenir, un homme d’État illustre, M. Guizot, de qui Paul Delaroche avait peint le portrait, d’autres personnages politiques, fort en vue à cette époque, qu’il avait eus également pour modèles, — des membres de l’Académie française ou de l’Académie des Sciences, — des savans étrangers de passage à Paris, — en un mot, tout un monde d’élite, en se réunissant périodiquement dans le petit hôtel du peintre, avait fait de cette modeste demeure un centre d’attraction d’autant plus rare qu’il satisfaisait à la fois aux meilleures traditions françaises du savoir-vivre et aux exigences des mœurs modernes. En venant fermer ce Salon, aussi différent des pédantesques salons littéraires du dernier siècle que des cercles politiques de notre temps, la mort de Paul Delaroche ajoutait à la perte d’un artiste éminent la dispersion d’une famille d’esprits pour ainsi dire auxquels un lien commun manquerait matériellement désormais.
La mort d’Horace Vernet ne pouvait avoir les mêmes conséquences ni pour l’Académie où le brillant peintre se laissait aller parfois à des accès de susceptibilité ou à des fantaisies de parole peu propres à lui assurer une sérieuse influence sur ses confrères, ni dans le monde où il s’était toujours contenté des succès assez superficiels que lui procurait l’enjouement de son esprit. Néanmoins, les caractères et les mérites bien particuliers de ses œuvres, la faveur dont il avait joui auprès des personnages les plus puissans de tous les régimes et de tous les pays, aussi bien qu’auprès des hommes appartenant aux partis les plus opposés, — la singulière fortune qu’il avait eue, lui le troisième peintre de sa famille, non-seulement de soutenir, mais d’accroître l’honneur d’un nom consacré déjà par d’éclatans succès, — enfin la prodigieuse fécondité d’un pinceau dont la gravure, la lithographie, la vulgaire imagerie même, multipliaient à l’infini les productions, — tout avait concouru à donner de bonne heure à Horace Vernet et à lui conserver jusqu’au dernier jour une célébrité universelle. L’Académie des beaux-arts aura compté parmi ses membres des artistes plus savans au fond, plus hautement inspirés que lui : elle n’en aura pas eu de plus populaires.
Eugène Delacroix, dont la mort suivit celle d’Horace Vernet, à six mois seulement d’intervalle (13 août 1863), laissait à l’Académie et au public des souvenirs tout autres. Longtemps et bruyamment discuté, tardivement élu académicien, par suite de la méprise où plusieurs étaient tombés en croyant que son admission dans la compagnie aurait inévitablement pour effet d’y introduire l’esprit de désordre et d’aventure, Delacroix, beaucoup moins heureux à tous égards que Vernet, avait dû, depuis ses débuts, lutter sans relâche contre les résistances que son talent rencontrait chez les uns, contre les enthousiasmes à faux ou les dangereuses excitations des autres. Ici, l’on semblait prendre à tâche de le louer de ses défauts autant et souvent plus que de ses qualités ; là, on refusait inexorablement d’apprécier à leur valeur ces qualités, si incontestables qu’elles fussent ; partout, — quoique avec des arrière-pensées bien différentes, — on affectait de le regarder comme l’instigateur et le chef volontaire de la guerre déclarée aux traditions, même les plus nécessaires, de notre école.
À aucune époque, pourtant, Delacroix n’avait accepté, encore moins pris spontanément un rôle qui eût répugné à son caractère aussi bien qu’aux inclinations de son esprit, trop fin, d’ailleurs, pour être dupe des hommages ou des dévoûmens intéressés. On en trouverait la preuve, entre beaucoup d’autres que fournit sa correspondance, dans ces lignes tirées d’un cahier de notes dont nous avons eu déjà l’occasion de parler : « La plupart de ceux qui ont pris mon parti, écrivait-il, ne songeaient en général qu’à prendre le leur et à combattre pour leurs idées, si tant est qu’ils en eussent, en faisant de moi une espèce de drapeau. Ils m’ont enrégimenté, bon gré, mal gré, dans la coterie romantique, ce qui signifie que j’étais responsable de leurs sottises, et ce qui a beaucoup ajouté dans l’opinion à la liste de celles que j’ai pu faire. »
Aussi, en raison même de cette confusion entre les mérites personnels du peintre et les imprudences, pour ne rien dire de plus, de ceux qui s’intitulaient ses sectateurs, l’Académie avait-elle hésité, plus qu’il n’eût été souhaitable, sans doute, à accomplir un acte de justice qui, à ses yeux, impliquait un danger. Mais, après que Delacroix eut été élu, les moins bienveillans pour lui de ses nouveaux confrères, ceux d’entre eux auxquels les intentions qu’on lui attribuait avaient inspiré le plus de défiance, reconnurent bien vite, y compris Ingres lui-même, que, loin d’avoir introduit un ennemi dans la place, on n’avait fait en réalité qu’y installer un auxiliaire et, en cas d’attaque, un défenseur. Il se trouva en effet que le prétendu révolutionnaire était ce qu’on appellerait aujourd’hui un « conservateur, » et un conservateur profondément convaincu ; que, tout en pratiquant l’art à sa manière, dans la mesure de ses facultés propres, il n’entendait pas plus en réformer les lois essentielles qu’en renier les hautes traditions. Enfin, par ses goûts et ses habitudes intellectuelles en dehors même des travaux de sa profession, par la singulière sévérité de ses doctrines en matière littéraire, par les dons naturels comme par la culture d’un esprit à la fois très judicieux et très brillant, Delacroix avait achevé non-seulement de séduire, mais de s’attacher solidement tous les membres de l’Académie : si bien que, dans certains cas délicats, c’était à lui qu’on s’adressait de préférence pour la rédaction d’un rapport officiel ou pour le compte rendu de quelque ouvrage soumis à l’examen de la compagnie. S’il eût vécu quelques mois de plus, il eût été très probablement un des champions les plus ardens et en même temps les plus accrédités de la cause académique, à ce moment, que nous rappelions tout à l’heure, où elle fut si inopinément attaquée.
Jusqu’au jour (13 novembre 1863) où parut le décret impérial qui, en bouleversant l’organisation de l’École des Beaux-Arts à Paris et celle de l’Académie de Fiance à Rome, enlevait du même coup à la quatrième classe de l’Institut la meilleure part de son influence et ses privilèges les mieux justifiés, rien n’avait pu, ni de près ni de loin, faire pressentir à l’Académie cette étrange déclaration de guerre. Bien plus, c’était un des siens qui semblait l’avoir provoquée, puisque le nom de M. le comte de Nieuwerkerke, alors surintendant des beaux-arts et, depuis plusieurs années déjà, membre de l’Académie, figurait au bas du rapport contenant, à l’état de propositions, la série des mesures adoptées ensuite par M. le maréchal Vaillant, ministre de la maison de l’empereur et des beaux-arts, et définitivement sanctionnées par le décret. Comment s’expliquer cette sorte d’entrée en campagne contre ses confrères, de la part d’un homme qui n’avait pas cessé jusque-là de faire cause commune avec eux, et qui d’ailleurs s’était à bon droit acquis leur affection par l’aménité de son caractère ?
Trois ans auparavant, il est vrai, la très vive émotion de l’Académie à la vue des fâcheuses restaurations que plusieurs tableaux du musée du Louvre venaient de subir et les actives démarches tentées par elle pour arrêter le mal, avaient eu ce résultat d’amener M. de Nieuwerkerke, bien que sa responsabilité personnelle ne se trouvât pas directement engagée, à couvrir, comme directeur-général des musées, le fonctionnaire auquel on s’en prenait à juste titre, et, par conséquent, à se séparer, au moins en apparence, de ceux qui reprochaient au conservateur des peintures son imprudence ou son impéritie. Néanmoins, il avait rempli la tâche que sa situation officielle lui imposait avec trop de bonne grâce et de loyauté, il s’était trop sincèrement préoccupé des moyens de donner satisfaction à l’Académie et de lui fournir, en vue de l’avenir, des garanties[12], pour qu’on put être bien venu à soupçonner chez lui, dans le cas présent, quelque arrière-pensée de vengeance ou de rancune. En réalité, il n’avait eu d’autre tort que celui de prêter une oreille trop complaisante aux exhortations de certains personnages de l’entourage de l’empereur, de certains conseillers officieux qu’il croyait animés d’un zèle désintéressé pour le progrès, et qui peut-être, en entreprenant de le gagner à leurs projets de réforme, se proposaient au moins autant de « jouer, — comme l’un d’eux le disait après coup, — un bon tour à l’Académie, » que de régénérer, au profit de tous, l’enseignement des arts dans notre pays.
Quoi qu’il en soit, l’Académie ne pouvait, sans péril pour sa dignité, et surtout sans une véritable désertion de ses devoirs, accepter passivement une spoliation aussi préjudiciable aux intérêts des jeunes artistes qu’injurieuse pour elle-même. Elle s’éleva donc dès les premiers jours contre des mesures qui lui étaient le droit de pourvoir au recrutement des professeurs à l’Ecole des Beaux-Arts ; de diriger et de juger les concours aux grands prix de Rome ; d’exercer tout patronage sur les pensionnaires de la villa Médicis et d’examiner leurs envois ; en un mot, d’intervenir par ses encouragemens, quels qu’ils fussent, dans les études ou dans les travaux que, depuis la fondation de l’Institut de France, elle avait eu la mission de conduire ou de récompenser. Mémoires adressés au ministre de la maison de l’empereur et des beaux-arts, au lendemain même de la promulgation du décret, pour en faire ressortir les dangers ou les inconséquences et, plus tard, pour réfuter les argumens produits par le ministre, à l’appui de la décision prise ; — autre mémoire envoyé directement à l’empereur pour le « supplier de soumettre le décret du 13 novembre à un nouvel examen et d’en suspendre l’application jusqu’à ce que les dispositions édictées aient été mises d’accord avec les lois antérieures et les droits séculaires de l’Académie ; » — protestations publiées isolément, soit sous la forme de brochures comme celle qu’Ingres intitulait : Réponse au rapport sur l’École impériale des beaux-arts[13], soit, dans des proportions plus restreintes, comme la Lettre de M. Léon Cogniet au ministre, — l’Académie essaya de tout, elle épuisa avec une persévérante énergie tous les moyens dont elle pouvait user pour la défense de sa cause. Si elle ne réussit pas alors à vaincre en fait ses adversaires, la légitime fierté de son attitude et de son langage lui attira, du moins, l’attention, bientôt les sympathies déclarées, de bon nombre de gens assez indifférens d’ordinaire aux affaires de l’art et aux questions qu’elles soulèvent. De leur côté, les élèves de l’École ne se lassaient pas de réclamer dans des pétitions collectives[14] le maintien du régime auquel ils avaient été soumis jusque-là, — sans compter les résistances sur place opposées par eux à la mise en pratique des nouveaux règlemens, à l’installation, par exemple, du Cours d’histoire de l’art et d’esthétique, dont celui qui passait pour le principal instigateur du mouvement antiacadémique, M. Viollet-le-Duc, avait été chargé[15]. Enfin, les journaux, par des articles de plus en plus vifs dans un sens ou dans l’autre, ayant achevé d’émouvoir l’opinion, la lutte engagée entre la quatrième classe de l’Institut et l’administration des beaux-arts était devenue l’objet d’une curiosité à peu près générale et presque un événement public.
Naturellement, dans la guerre défensive à laquelle l’Académie se trouvait contrainte, le secrétaire perpétuel avait un rôle important à remplir. C’était, pour ainsi dire, celui d’un chef d’état-major à qui revenait le soin, non pas de diriger la campagne suivant ses seules inspirations, mais d’assurer l’exécution des plans arrêtés de concert et, au besoin, de prêcher d’exemple en payant vaillamment de sa personne. Le successeur d’Halévy, mort à Nice l’année précédente (17 mars 1862), M. Beulé, n’était pas homme à s’acquitter incomplètement de ce double devoir. Déjà, et presque au lendemain de son entrée en fonctions, il avait, par d’opportuns rappels à la pratique exacte de certaines parties du règlement, bien justifié l’opinion qu’on avait eue, en le choisissant, de la netteté de son esprit et de la résolution de son caractère. En face des difficultés créées à l’Académie par l’acte du 13 novembre, il se montra prompt à relever le défi les armes à la main et, le combat une fois engagé, très décidé à le poursuivre à toute heure et sur tous les terrains. Aussi, après avoir rédigé les protestations et les autres pièces officielles dans lesquelles il exposait la pensée ou il résumait les délibérations de ses confrères, travaillait-il activement sous son propre nom à instruire le public des antécédens que l’on ne craignait pas de méconnaître et de l’inanité des griefs articulés par les promoteurs du décret. Un mois seulement s’était écoulé depuis le jour où ce décret avait paru, quand M. Beulé publiait ici même[16] une sorte de dissertation historique, où le glorieux passé de l’Académie de France à Rome et les conditions normales de cette noble institution étaient rappelés avec une précision qui ne souffrait guère de réplique. Il y en eut une pourtant, passablement irrévérencieuse pour l’Académie des Beaux-Arts, très louangeuse, en revanche, pour l’administration qui l’avait, d’ailleurs, directement inspirée, mais, en réalité, fort peu concluante, puisqu’elle n’opposait aux faits acquis que de très incertaines promesses et aux argumens tirés des principes que des railleries au moins intempestives sur la « rhétorique » de celui qui les avait produits[17].
Cependant, malgré la constance des efforts tentés par l’Académie, malgré le zèle habile et l’infatigable activité de son secrétaire perpétuel, rien n’était survenu encore qui permît d’espérer sérieusement le succès des revendications et l’abandon par le gouvernement des mesures qui y avaient donné lieu. Sur quelques points de détail, il est vrai, des modifications avaient été apportées aux prescriptions primitives. Ainsi, dès le mois de janvier 1864, par un assez singulier démenti à ses décisions de la veille, l’administration des beaux-arts rétablissait à l’École, aussi lestement qu’elle les avait supprimés, les exercices du soir d’après le modèle vivant et d’après la bosse, les concours dits « d’émulation, » les anciennes conditions d’admission imposées aux élèves architectes et la division de ceux-ci en deux classes ; mais, ces concessions et quelques autres d’une importance aussi secondaire une fois faites, l’administration entendait bien s’en tenir là et, comme elle prenait soin d’en informer le public par une note officielle, « ne plus rien changer désormais ni à l’esprit, ni aux termes du décret du 13 novembre. » Par conséquent, la substitution de son bon plaisir ou, si l’on veut, de son action toute personnelle à l’influence exercée jusqu’alors par l’Académie sur la marche des études à Paris et à Rome devenait un acte, au moins en apparence, irrévocable, contre lequel assurément il appartenait à l’Académie de continuer à protester dans l’intérêt de l’art et des artistes, mais qu’il y avait peut-être quelque imprudence à essayer de combattre au nom de la légalité et par des moyens juridiques.
L’Académie, toutefois, crut devoir pousser ses réclamations jusque-là. Elle en appela au conseil d’État de l’atteinte portée par le décret aux pouvoirs que les gouvernemens antérieurs au second empire lui avaient successivement conférés ou reconnus ; mais ces pouvoirs, si justement qu’ils eussent été placés dans ses mains, étaient-ils pour elle un patrimoine inaliénable, constituaient-ils des « droits » proprement dits ? En d’autres termes, — et toutes réserves faites sur ce que, au point de vue de l’art et des études, il avait de mauvais en soi, — un décret retirant à l’Académie les privilèges que d’autres décrets ou ordonnances lui avaient accordés, se trouvait-il par cela même illégal ? Que l’Académie rappelât, comme elle l’avait fait dans son « Mémoire à l’empereur, » que les statuts ou les règlemens lui attribuant le jugement des grands prix et la tutelle morale de l’Académie de France à Rome n’avaient jamais cessé d’être en vigueur ; qu’aucune loi ne les avait abrogés, qu’aucune mesure exceptionnelle ne les avait suspendus depuis la fondation de l’Institut, — rien de mieux. Il y avait là une preuve éclatante du prix qu’on avait, à toutes les époques, attaché à l’intervention de l’Académie dans les concours et, par suite, dans tout ce qui intéressait, à la villa Médicis, les travaux ou les progrès des pensionnaires : l’Académie était-elle aussi bien inspirée quand à l’éloquence de ses souvenirs elle ajoutait la menace, bientôt réalisée, d’un procès ? Le plus sage, à ce qu’il semble, eût été pour elle de ne pas dépasser les limites dans lesquelles elle avait agi d’abord, au lieu de s’exposer au risque de subir cette fin de non-recevoir par laquelle le conseil d’État répondit effectivement, quelques mois plus tard, à sa requête. A partir de ce moment jusqu’à la fin du régime impérial, c’est-à-dire pendant six ans, l’Académie, sans désespérer pour cela d’un retour de la fortune, dut se résigner à voir les intérêts qu’elle avait le plus à cœur de soutenir confiés à d’autres mains que les siennes. Il lui avait fallu renoncer à sa tutelle traditionnelle de la jeunesse, aux récompenses que, à si juste titre, il lui avait appartenu de décerner, à la joie de couronner chaque année, en plein Institut, sous les yeux de leurs maîtres et de leurs compagnons d’étude, ceux à qui ses suffrages venaient de donner l’Italie, la liberté, l’avenir. Plus de ces nobles têtes maintenant ; plus de ces consécrations publiques des jeunes talens promis à une réputation prochaine, à la gloire peut-être. C’était dans l’ombre de quelque bureau ministériel que les lauréats de l’administration allaient désormais chercher ces couronnes distribuées naguère au grand jour d’une séance solennelle par les représentans les plus éminens de l’art français. Aussi, lorsque, à la fin de l’année 186â, le moment lut venu pour l’Académie des Beaux-Arts de se réunir publiquement selon l’usage, mais, cette fois, sans voir devant elle ceux qu’elle avait eu si longtemps le privilège de récompenser, M. Beulé, qui portait la parole en son nom, n’était-il que trop en droit d’exprimer à ce sujet des regrets partagés par tous les membres de la compagnie.
« Pour la première fois, disait-il, depuis que l’Institut existe, votre séance publique sera triste et découronnée. Vous n’avez point cette année jugé les concours d’art… Vous ne verrez autour de vous ni les artistes que vous proclamiez dignes d’être pensionnés à Rome par l’État, ni leurs rivaux qui applaudissaient à un triomphe mérité… Une institution que tant de révolutions avaient respectée a été renversée à l’improviste, et la jeunesse a été, non pas détachée de vous (jamais au contraire elle n’a manifesté son attachement avec plus d’éclat), mais soustraite à votre patronage. » Et, comme pour dédommager ses confrères d’une dépossession qu’il croyait, et qui devait être, en effet, temporaire, M. Beulé ajoutait : « Ce que l’on ne peut vous enlever toutefois, ce qui laisse à cette réunion une part de sa grandeur accoutumée, c’est le culte du passé, c’est le droit de célébrer les morts, c’est la douceur de chercher dans le récit d’une vie consacrée au beau des consolations ou des exemples. »
Or, l’artiste dont, cette année-là, le secrétaire perpétuel avait à prononcer l’éloge, était certes de ceux que l’on peut louer sans complaisance et présenter à tous égards comme des modèles. Hippolyte Flandrin, qu’une mort prématurée venait d’enlever à l’affection unanime de ses confrères, ne laissait pas seulement sur les murs des églises ou dans les portraits appartenant à quelques familles privilégiées, les témoignages de son beau et chaste talent : il laissait aussi les souvenirs d’une existence menée d’un bout à l’autre avec une rare sincérité, avec une élévation de cœur et une simplicité dans les habitudes qui faisaient de ce peintre si justement célèbre une sorte d’ermite en plein monde, étranger aux intrigues et aux passions du dehors aussi complètement qu’aux calculs de l’amour-propre, ne voulant voir d’ordinaire dans tout ce qui s’agitait autour de lui que des entraînemens excusables ou des erreurs dignes de compassion.
Pourtant, malgré son indulgence et sa réserve accoutumées, Flandrin n’avait pas hésité à se prononcer ouvertement contre les mesures administratives prises en 1863. C’était à Rome qu’il en avait reçu la nouvelle, et cela au lendemain du jour où il revoyait « avec l’émotion attendrie, écrivait-il, d’un amoureux devant l’ancien logis de sa maîtresse, » cette chère Académie de France qu’il avait quittée, vingt-cinq ans auparavant « avec larmes, » et qui lui apparaissait, maintenant plus que jamais, comme une institution « belle et généreuse entre toutes. » Même avant de rien savoir de ce que pensaient ou résoudraient ses confrères, il avait écrit à l’un d’eux pour lui exprimer et le charger de communiquer à l’Académie ses sentimens personnels « d’indignation et de douleur. » Un peu plus tard, il refusait, par une lettre fièrement laconique, le poste élevé que le ministre avait cru devoir lui offrir dans la nouvelle organisation de l’école. Enfin, malgré une extrême fatigue physique, présage de la maladie qui allait bientôt l’emporter, il retrouvait, par un prodige de volonté, assez de forces pour rédiger, en réponse au Rapport du surintendant des Beaux-Arts, un mémoire dont le texte d’ailleurs n’a été pubhé qu’après lui[18], et qu’il cessa d’écrire dès qu’il eut appris qu’une protestation signée du nom de son maître avait devancé la sienne. « Je ne continuerai pas mon travail, dit-il dans une de ses lettres, parce que, M. Ingres ayant parlé, il semblerait outrecuidant d’ajouter quelque chose aux paroles de celui dont l’autorité devrait être décisive. » Quelques semaines s’étaient écoulées à peine depuis le jour où il avait écrit cette lettre, et déjà Hippolyte Flandrin n’existait plus. Il mourut à Rome le 21 mars 1864, et, le mois suivant, l’église de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, dont les murs naguère embellis par lui attendaient de son pinceau de nouveaux chefs-d’œuvre, cette église où il devait, à cette époque même, rentrer pour se remettre au travail, ne s’ouvrait que pour recevoir son cercueil.
La mort de Flandrin faisait perdre à la France le peintre de sujets religieux le plus hautement inspiré qu’elle eût vu naître depuis Le Sueur, à l’Académie un de ses membres les plus chers, à M. Ingres celui de ses élèves qui représentait avec le plus d’éclat ses traditions et son école : école assez féconde d’ailleurs pour avoir, en moins de douze années, fourni trois des siens à l’Académie[19], sans compter six autres académiciens qui, pensionnaires à la villa Médicis au temps où Ingres en était le directeur, avaient achevé de se former sous l’influence du maître et qui s’honoraient de la subir encore, même depuis qu’ils étaient devenus les confrères de leur ancien chef. Quant à lui, doyen de la Compagnie par son âge comme par la date de son élection, illustre entre tous par ses œuvres, respecté de ceux qui l’approchaient avec autant de passion, pourrait-on dire, qu’il en mettait lui-même à défendre en toute occasion ses idées et sa foi, — il devait, pendant plus de deux ans encore, survivre à l’élève auquel, ainsi qu’on l’a fait justement remarquer, il lui eût appartenu de « transmettre son pinceau, comme les rois transmettent leur sceptre[20], » et, jusqu’au moment où il succombait à son tour, garder sans défaillance l’activité de son génie et l’énergie de sa volonté. Bien peu de jours avant celui qui devait être pour lui le dernier, Ingres, malgré son grand âge, travaillait encore avec une ardeur presque juvénile à des répétitions plus ou moins modifiées de quelques-uns de ses anciens ouvrages, sans pour cela renoncer à l’espoir d’en produire de nouveaux, sans se refuser même parfois la réalisation immédiate de cette espérance : témoin un beau dessin représentant Midas et le barbier, qu’il exécuta vers cette époque, et qui soutiendrait sans désavantage la comparaison avec les œuvres de même espèce sorties autrefois de sa main. Qui sait si, avec les ressources exceptionnelles dont elle semblait rester pourvue, la vie d’Ingres n’eût pas pu se prolonger jusqu’aux limites qu’avait atteintes celle de Titien, mort, à quelques mois près, centenaire[21] ?
Ingres était entré dans sa quatre-vingt-septième année lorsqu’il mourut (13 janvier 1867). Il avait appartenu à l’Académie des Beaux- Arts pendant près d’un demi-siècle, et renouvelé ainsi un exemple de longévité académique que, jusqu’alors, l’architecte Fontaine avait été seul à fournir dans les mêmes proportions ; mais, avant la fin de l’année suivante, un autre grand artiste disparaissait qui, durant une période de temps plus longue encore, avait, en qualité d’associé étranger, figuré sur la liste des membres de la Compagnie, et, comme autrefois Haydn, ajouté à la gloire de celle-ci l’appoint d’une importance personnelle incomparable et d’une renommée universelle. L’élection de Rossini remontait à l’année 1823, par conséquent à une époque où l’auteur du Barbier n’avait pas encore écrit Guillaume Tell, mais où ses titres, aussi nombreux déjà qu’éclatans, justifiaient de reste l’empressement avec lequel on l’avait appelé à occuper la place devenue vacante par la mort de Paisiello. A partir de ce moment, il avait presque continuellement résidé à Paris, où, sans assister régulièrement, il est vrai, aux séances périodiques qui réunissaient ses confrères, il entretenait avec la plupart d’entre eux des relations assez habituelles pour ne pas se montrer indifférent, encore moins étranger, aux événemens qui les intéressaient. C’est ce qu’on pourrait dire aussi de Meyerbeer, qui, élu associé onze ans après Rossini, l’avait précédé de quatre ans dans la tombe, après avoir passé parmi nous la seconde moitié de sa vie et conquis sur la scène de nos théâtres la meilleure part de sa célébrité.
Les dernières années du second empire ne s’étaient donc pas écoulées pour l’Académie dans les regrets seulement et dans l’inaction relative auxquels l’application du décret de 1863 la condamnait ; elles avaient été marquées pour elle par bien des deuils, par la disparition successive de ses membres les plus anciens ou les plus illustres, sans compter ceux qu’elle avait vus tomber, comme Simart ou comme Berlioz, à quelques années à peine d’intervalle entre la date où elle se les était attachés et le moment où elle les perdait. Même avant la fin du règne de Napoléon III, la compagnie se trouvait presque entièrement renouvelée. Parmi les membres qui la composaient alors, un seul, Auber, avait été élu avant la révolution de juillet ; onze, dont quatre académiciens libres, étaient entrés à l’Académie sous le règne de Louis-Philippe. Des trente-neuf autres, — sauf M. Henriquel et M. Léon Cogniet, élus tous deux en 1849, — aucun, à l’époque où commençait la guerre qui devait entraîner la chute du gouvernement impérial, n’avait un passé académique plus long que la durée de ce gouvernement lui-même. Encore faut-il ajouter que plusieurs d’entre eux, tant la mort avait multiplié ses coups durant cette période, étaient devenus les successeurs d’académiciens élus, eux aussi, sous le second empire. Jamais, depuis la fondation de l’Institut, le personnel de l’Académie des Beaux-Arts n’avait, dans un pareil laps de temps, subi des changemens aussi fréquens ; mais, — hâtons-nous de le dire, — sans que pour cela l’obligation se fût produite de pourvoir aux vacances successives par des choix moins profitables qu’autrefois à la gloire de la compagnie. C’est ce dont elle recueille encore aujourd’hui le bénéfice. Si, parmi les nouveaux-venus d’alors, quelques-uns, comme Paul Baudry, le dernier dans l’ordre chronologique des académiciens de cette époque, ne devaient honorer que pendant bien peu d’années le corps où ils étaient entrés, d’autres, heureusement, n’ont pas cessé d’y occuper leurs places. Avec ceux qui, plus ou moins récemment, sont devenus leurs confrères, ils ajoutent dans le présent l’éclat de leurs noms et de leurs talens aux souvenirs légués par leurs devanciers, et continuent ainsi les hautes traditions de l’Académie dans cette partie toute contemporaine de son histoire qu’il nous reste maintenant à résumer.
HENRI DELABORDE.
- ↑ Voyez la Revue du 1er et du 15 juillet, du 15 août, du 1er et du 15 septembre 1889, du 15 avril et du 15 mai 1890.
- ↑ M. de Chennevières, alors attaché à l’administration des musées, aujourd’hui membre de l’Académie des Beaux-Arts, dans un des curieux et piquans articles publiés par lui, de 1883 à 1889, dans l’Artiste, sous ce titre : Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts.
- ↑ M. Alaux, à cette époque, remplissait depuis trois ans déjà les fonctions de directeur, auxquelles l’Académie l’avait appelé en 1846, bien qu’il ne lui appartînt pas encore. Il ne fut élu membre de l’Institut qu’en 1851. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1890, l’étude de M. Eugène Guillaume, un Directeur de l’académie de France à Rome.
- ↑ M. Fortoul avait été élu membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres le 16 février 1855 ; le décret soumis par lui à la signature de l’empereur porte la date du 15 avril de la même année.
- ↑ On trouvera le texte complet de ce décret et le détail des modifications qu’en subirent successivement les articles, dans l’utile et important recueil publié par M. Aucoc, membre de l’Institut, sons ce titre : Lois, statuts et règlemens concernant les anciennes Académies et l’Institut, de 1635 à 1889. Paris, 1889.
- ↑ Ce prix biennal de 20,000 francs, dont l’Académie des Beaux-Arts a eu pour sa part l’occasion de disposer trois fois jusqu’à présent, a été, avec la sanction de l’Institut, décerné par elle : en 1867, à Félicien David ; en 1877, à M. Chapu ; en 1887, à M. Mercié.
- ↑ Halévy n’appartenait pas encore à l’Institut lorsqu’il fit représenter la Juive à l’Opéra (février 1835), et, dix mois plus tard, l’Éclair à l’Opéra-Comique. A partir de l’année où il fut élu membre de l’Académie des Beaux-Arts, en remplacement de Reicha (1836), il ne produisit pas moins de seize grands ouvrages, parmi lesquels Guido et Ginevra, la Reine de Chypre et les Mousquetaires de la reine.
- ↑ Les membres appelés par l’Académie à former cette commission étaient, — avec Halévy, qui, comme secrétaire perpétuel, en faisait partie de droit, — pour la peinture, M. Couder ; pour la sculpture, M. Simart ; pour l’architecture, M. Lebas ; pour la gravure, M. Gatteaux, et pour la musique. M. Reber. En outre, un auxiliaire, choisi en dehors de la compagnie. M. Vinet, avait été adjoint aux membres titulaires pour les recherches archéologiques et pour la préparation de certains articles sur des sujets de pure érudition ou d’histoire. Plus tard, et même avant l’époque où il appartint officiellement à l’Institut, M. Albert Lenoir fut chargé d’une tâche analogue, au grand profit, d’ailleurs, de l’œuvre à laquelle il participa jusqu’à sa mort.
- ↑ Dans une note, par exemple, de la page 102 du premier volume, où il est fait deux personnages distincts d’un seul homme, Lenormant de Tournehem, surintendant des bâtimens royaux sous Louis XV, et où un autre homme, revêtu un peu plus tard des mêmes fonctions, M. de Vandières, marquis de Marigny, subit à son tour le même dédoublement.
- ↑ Né le 17 juillet 1797, Paul Delaroche n’était âgé que de trente-cinq ans lorsqu’il fut élu en remplacement de Meynier.
- ↑ Mme Delaroche, qu’une mort prématurée devait enlever à la tendresse des siens et à l’admiration de ses amis, était, on le sait, la fille unique d’Horace Vernet.
- ↑ Par une note insérée au Moniteur du 10 mai 1860, la direction générale des musées impériaux déclarait que, dorénavant, « aucune restauration ne serait entreprise sans l’avis préalable d’une commission composée des membres de la section de peinture de l’Institut. »
- ↑ Après la critique, article par article, de toutes les innovations contenues dans le décret, cette Réponse se terminait ainsi : « En résumé, je déclare, en mon âme et conscience, que je blâme les changemens projetés, parce qu’ils détruisent la bonne organisation de l’École ; parce qu’ils portent atteinte à des droits acquis, à un enseignement fondé sur les grandes traditions classiques, pour ne mettre à leur place qu’un enseignement de fantaisie et d’aventure, des juges incompétens et une direction fausse dans les études. »
- ↑ Ces pétitions, successivement adressées à l’empereur et aux membres du conseil supérieur de l’École, étaient signées des noms de près de cinq cents élèves, tandis que six d’entre eux seulement avaient joint leurs signatures à celles d’une centaine d’artistes du dehors qui, plus ou moins spontanément, avaient rédigé et fait insérer au Moniteur une adresse de félicitations et de remercîmens à l’empereur, — la seule de ce genre, au surplus, que lui ait value le décret. Aussi Napoléon III ne tarda-t-il guère à regretter la mesure qu’on lui avait fait prendre, sans aucun pressentiment de sa part des difficultés qui en résulteraient et des ennuis personnels qu’elle devait lui causer. J’ai entendu dire, d’ailleurs, à une personne liée avec lui depuis l’enfance et en présence de laquelle il se plaignait de ces ennuis, que, suivant une superstition qui lui était habituelle, il attribuait les mauvaises conséquences de l’acte du 13 novembre à l’influence fatidique du jour où il l’avait signé.
- ↑ Après avoir vainement essayé, pendant plusieurs semaines, de triompher de ces résistances, M. Viollet-le-Duc crut devoir se démettre de ses fonctions de professeur à l’École, mais sans renoncer pour cela à soutenir publiquement la cause qu’il avait embrassée. C’est ce que prouvent deux brochures publiées par lui dans le cours de l’année 1X64, et intitulées, l’une : Intervention de l’Etat dans l’enseignement des beaux-arts, l’autre : Réponse à M. Vitet, qui, dans un article de la Revue (1er novembre 1864), avait éloquemment signalé les vices ou les dangers des mesures appliquées à l’École des beaux-arts et à l’Académie de France, à Rome.
- ↑ Voir, dans la Revue du 15 décembre 1863, l’Ecole de Rome au dix-neuvième siècle.
- ↑ Le décret du 13 novembre et l’Académie des beaux-arts, par M. Ernest Chesneau, brochure de 57 pages, suivies d’un nombre à peu près égal d’autres pages reproduisant le Rapport de M. de Nieuwerkerke, celui du maréchal Vaillant et la Réponse de ce ministre au Mémoire adressé par les membres de l’Académie à l’empereur, etc.
- ↑ Lettres et Pensées d’Hippolyte Flandrin, p. 488 et suiv.
- ↑ Le sculpteur Simart, élu en 1852, Flandrin en 1853, et Lehmann au commencement de 1864.
- ↑ Allocution prononcée par M. Beulé, secrétaire perpétuel de l’Académie, aux funérailles de M. Flandrin.
- ↑ Dans la nuit du 8 au 9 janvier 1867, Ingres avait quitté son lit pour aller, à demi nu, ouvrir une fenêtre et dissiper ainsi la fumée répandue dans sa chambre par un tison qui venait de rouler de l’âtre de la cheminée sur le parquet. Une fluxion de poitrine se déclara à la suite de cette imprudence et amena la mort au bout de cinq jours.