L’Académie des dames/02

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A Venise chez Pierre Arretin [après 1770] (p. 17-31).

Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-02
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-02


SECOND

ENTRETIEN

ACADÉMIQUE.


Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-02
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-02


OCTAVIE, TULLIE.


Octavie.


EH bien, Tullie, nous voici couchées enſemble dans un même lit : il y a long-temps que vous en cherchiez l’occaſion ; & l’abſence d’Oronte, votre mari, vous l’a fait naître ſelon votre deſir.

Tullie.

Je ne puis aſſez marquer la joie que j’en reſſens : il ſuffit de te dire que je brûlois d’amour pour toi, & que la violence de cette paſſion m’a bien fait paſſer des nuits ſans repos ; mon chagrin étoit inſupportable, de ne pouvoir jouir à mon gré, de l’objet que je chériſſois plus que moi-même.

Octavie.

Mais, ma Couſine, je crois que ſi vous me chériſſiez pour lors, vous ne m’aimez pas moins à préſent.

Tullie.

Oui, mon cœur, je t’aime, ou plutôt je languis & meurs d’amour pour toi ; & je puis même t’aſſurer que ma paſſion eſt égale à celle de Pamphile.

Octavie.

Qu’entendez-vous par-là, ma Couſine ? car je ne conçois pas le rapport qu’il y a entre l’amitié que vous me portez, & l’amour que Pamphile peut avoir pour moi.

Tullie.

Je vais te l’expliquer ; mais auparavant chaſſe bien loin toute cette honte & pudeur puérile, qui pourroit troubler le plaiſir de notre entretien.

Octavie.

N’ai-je pas aſſez dépoſé toute ma timidité, lorſque vous m’avez ſouhaitée toute nue dans ce lit, & que je vous ai obéie ? n’eſt-ce pas aſſez que je me ſois couchée avec vous, dans le même eſprit, que ſi c’étoit avec Pamphile ; & que je vous aye promis que vous trouveriez en moi autant de docilité que dans une novice ?

Tullie.

Je le ſouhaite. Eh bien, pour premiere preuve de ton obéiſſance, donne-moi un baiſer, mais un baiſer qui parte du cœur.

Octavie.

Je vous en accorde non-ſeulement un, mais mille, ſi vous le deſirez.

Tullie.

Ah, Dieux ! que tu as une bouche divine ! que tes yeux ont de brillant ! & que la forme de ton viſage a de rapport avec la beauté de Vénus !

Octavie.

Mais quoi, tu jettes la couverture ! je ne ſais ce que je n’aurois point ſujet de craindre, ſi tu n’étois point Tullie : me voilà toute nue entre tes bras, que veux-tu davantage ?

Tullie.

O Dieux ! ſi vous vouliez m’accorder la puiſſance de faire ici le véritable perſonnage de Pamphile ! Mais hélas ! je crois que votre pouvoir eſt limité, puiſque je ne remarque aucun changement dans ma nature.

Octavie.

Comment, Tullie ! Pamphile prendra-t-il de la ſorte mes deux tettons ? rendra-t-il ſes baiſers auſſi fréquents que les tiens ? & me mordra-t-il les levres, le col, & le ſein comme tu fais ?

Tullie.

Toutes ces choſes-là, mon petit cœur, ne ſeront que les préludes de l’amour ; ce ſeront de légeres attaques qui dévanceront un plus grand combat ; & toutes ces careſſes peuvent paſſer pour bagatelles, ſi tu les compares avec le ſouverain plaiſir.

Octavie.

Ah ! retire-toi, Tullie, tu mets la main trop bas : ah ! ah ! tu me pinces les feſſes ; pourquoi me chatouilles-tu ſi fort cette partie… que tu regardes ſi fixement ?

Tullie.

Je contemple, mon amour, avec un ſenſible plaiſir, le champ de Vénus ; j’admire ſa beauté ; il eſt ſerré, il eſt étroit, il eſt ſemé de roſes, & ſes charmes ſeroient aſſez puiſſants pour faire deſcendre les Dieux ſur la terre.

Octavie.

Je crois que tu es folle, Tullie, de me baiſer, me regarder ainſi deſſus & deſſous : je ne vois rien dans toutes les parties de mon corps, qui ſurpaſſe la beauté du tien ; & tu n’as qu’a arrêter ta vue ſur toi-même, pour ſatisfaire ta curioſité.

Tullie.

Ce ne ſeroit pas une modeſtie en moi, mais plutôt une ſottiſe, ſi je niois que je fuſſe pourvue de quelque beauté : je n’ai encore que dix-neuf ans ; & n’étant mere que d’un enfant, je ne peux pas avoir perdu tous les agréments qu’on a trouvés autrefois dans ma perſonne. C’eſt pourquoi, Octavie, ſi tu peux recevoir de moi quelque ſorte de plaiſir, agis librement, je ne m’y oppoſe pas.

Octavie.

Ni moi non plus ; je t’accorde tout ce que tu ſouhaites : mais je ſais que d’une fille comme je ſuis, tu ne peux pas recevoir aucun contentement ; & je ne puis concevoir aucun plaiſir dont tu puiſſes pareillement me divertir, étant d’un même ſexe que moi. Ce n’eſt pas que je ne puiſſe jetter les yeux ſur ton viſage, que je ne m’imagine voir un jardin planté de lis & de roſes, ſouffre que je me ſerve de ces termes.

Tullie.

C’eſt toi, fripponne, qui as un jardin où Pamphile cueillera des fleurs, & goûtera des fruits plus délicieux que la viande des Dieux.

Octavie.

Je n’ai point de jardin que tu n’ayes pareillement, auſſi fécond en fruits que le mien. Car qu’eſt-ce que tu entends par ce jardin ? où eſt il planté ; quels en ſont les fruits ?

Tullie.

Ce ſouris me fait connoître ta méchanceté : ce que tu fais ſemblant d’ignorer, tu le ſais mieux que moi.

Octavie.

Tu appelles peut-être de ce nom-là, cette partie dont tu fermes l’entrée avec ta main droite, que tu me chatouilles avec les doigts, & que tu pinces & m’excites, en la grattant.

Tullie.

Oui, c’eſt elle ; tu as deviné : mais, ſotte que tu es, ne ſais-tu pas à quoi elle eſt bonne, & en ignores-tu l’uſage ?

Octavie.

Si je l’avois appris hors du mariage, je ſerois malhonnête, & indigne de votre affection ; mais faites-moi la grace de m’en inſtruire : remettons-nous dans le lit ; car étant aſſiſes comme nous ſommes, toutes nues, nous pourrions nous enrhumer.

Tullie.

Je le veux bien ; mais ſois attentive. Le jardin dont je te parlois, c’eſt cette partie qui eſt placée au deſſous du bas-ventre, au milieu d’une petite montagne, revêtue d’un poil follet : ce coton eſt une marque aſſurée qu’une fille eſt dans ſa maturité, & que la fleur de ſa virginité eſt bonne à cueillir. On donne pluſieurs noms à cet endroit du corps ; la folie des amants le leur fait appeller quelquefois, un Navire, un Champ, une Bague, &c. mais le terme le plus commun, c’eſt un Con. Admire, Octavie, la ſituation de cette partie ; (retire donc ces draps de deſſus toi, tu crains bien d’amaſſer du froid.) Ne crois pas qu’elle ſoit placée entre les cuiſſes, pour aucune marque d’ignominie qu’elle porte avec ſoi, comme penſent nos dévots ; mais ſeulement pour en rendre l’uſage plus facile & plus voluptueux. Cette petite élevation que tu vois revêtue de cette mouſſe cotonnée, s’appelle Le Mont De Vénus ; c’eſt une montagne, Octavie, que ceux qui ſont aſſez heureux de la monter, préferent au Parnaſſe, à l’Olympe, & à toutes les plus fameuſes de l’antiquité.

Octavie.

Ah ! que ton entretien eſt charmant, & que je t’abandonnerois de bon cœur la jouiſſance de toutes les parties de mon corps, que tu ſembles tant deſirer, pour goûter en échange les douceurs de ta converſation !

Tullie.

Embraſſe-moi donc, ma très-chere, & ſoulage par tes baiſers, la violence de l’amour que je reſſens pour toi, ne refuſe pas à mes yeux & à mes mains, les plaiſirs que tu peux leur accorder : cela ne fera point de tort, ni à Pamphile, ni à toi. Mais hélas, que tous mes efforts ſont inutiles ! qu’ils ſont vains ! & que je ſuis miſérable, de ne pouvoir éteindre le feu qui me conſume !

Octavie.

Je te fais la maîtreſſe de mon corps, & je t’accorde la jouiſſance de cette partie que tu chatouilles, ſi elle peut contribuer à ton contentement : ta volonté peut te ſervir de regle dans toutes tes recherches.

Tullie.

Tu me fais donc la maîtreſſe de ce chemin qui conduit au ſouverain bien : ah ! j’en vois la porte ; mais hélas ! je ne puis me ſervir du pouvoir que tu me donnes je n’ai point de clef pour l’ouvrir, point de marteau pour frapper, ni aucun autre inſtrument qui puiſſe m’en faciliter l’entrée. Ah, Octavie ! permets-moi de faire une tentative.

Octavie.

Ah, Dieu ! à quel jeu veux-tu jouer en t’étendant de la ſorte ſur moi ? quoi, bouche contre bouche, ſein ſur ſein, ventre ſur ventre ! dis-moi donc ton deſſin dans ce badinage ? faut-il que je t’embraſſe comme tu me ſerres ?

Tullie.

Oui, mon petit cœur, accorde-moi cette grace, & ne refuſe point mes careſſes, puiſqu’elles ne te peuvent donner que du plaiſir. Ouvre les cuiſſes, & les éleve ſur les miennes : voilà qui eſt bien ; tu as été auſſi ponctuelle à m’obéir, que j’ai été prompte à te commander.

Octavie.

Ah ! ah ! Tullie, comme tu me preſſes ; ah, Dieux ! quelles ſecouſſes ! tu me mets toute en feu, tu me tues par ces agitations : éteins au moins ces flambeaux, car j’ai honte que la lumiere ſoit témoin de ma patience. Crois-tu, Tullie, que je ſouffriſſe cela d’une autre que de toi ?

Tullie.

Ma chere Octavie, mon amour, embraſſe-moi entiérement, & reçois : Ah, ah, ah ! je n’en puis, je décharge ; ah, ah, ah, je meurs de plaiſir !

Octavie.

Retire-toi, Tullie, tu m’accables par le poids de ton corps. Quoi ! tu ne dis rien ? as-tu perdu la parole ?

Tullie.

Ah ! c’en eſt fait ; ma Déeſſe ; j’ai été ton mari, & tu as fait l’office de femme : jamais, (je te jure,) je n’ai reſſenti de plus douce volupté, que celle que j’ai goûtée dans tes embraſſements.

Octavie.

Ah ! plût aux Dieux que j’euſſe un mari auſſi aimable que toi ! que tu aurois une femme qui te chériroit ; qu’elle t’aimeroit, & que… Ah, Dieu ! je ſuis toute mouillée ! d’où vient cela ? je ne m’en étois pas apperçue : eſt-ce toi, Tullie, qui m’as ainſi arroſée ? comment cela s’eſt-il pu faire ?

Tullie.

Oui, c’eſt moi, mon petit cœur, qui t’ai rendu ce bon office ; mais quel a été ton ſentiment dans ce badinage ?

Octavie.

Pour te dire le vrai, le plaiſir que j’ai partagé avec toi, n’a pas été bien grand : j’ai ſeulement reſſenti quelques émotions ; & quelques étincelles du feu dont tu brûlois, ont échauffé ma partie. Mais de grace, dis-moi ſi les autres femmes conçoivent un ſemblable amour pour leur ſexe, ou bien ſi cette maladie t’eſt particuliere ?

Tullie.

Toutes les femmes, ma chere enfant, brûlent d’un même feu ; & il faudroit être auſſi froid que le marbre, & auſſi dur que le porphyre, pour demeurer inſenſible à la vue de ce qu’il y a de plus aimable : car qu’y a-t-il de plus charmant, qu’une jeune fille, belle, douillette, blanche, & propre comme tu es ?

Octavie.

Ah ! ma Couſine, je commence à reſſentir un petit chatouillement & une certaine démangeaiſon dans cet endroit qui me donne bien du contentement ; mais je crois que cela n’eſt rien, ſi l’on compare ce plaiſir à celui que nous recevons des hommes quand ils couchent avec nous.

Tullie.

Tu as raiſon, ma petite femme, & tu l’éprouveras la nuit prochaine avec une ſatisfaction entiere ; mais bien plus grande, que ſi tu la recevois d’un autre homme que Pamphile.

Octavie.

Eh pourquoi cela, ma Couſine ? eſt-ce que tous les hommes ne le font pas de la même façon ?

Tullie.

Non, pauvre innocente : ce n’eſt pas cela ; mais c’eſt parce que, hors du mariage, le plaiſir eſt toujours accompagné de crainte & de peur, & ſouvent ſuivi de malheurs. Outre la groſſeſſe, les couches, & mille autres incommodités qui ſont les fruits qui naiſſent de nos familiarités ſecretes, nous expoſent à d’étranges accidents. Mais, au contraire, dans les plaiſirs de l’Hyménée, il ſe trouve une ſatisfaction hardie & tranquille, qui ne ſe rencontre point dans les autres ; outre que le mariage eſt un voile qui cache & couvre les défauts de nos comportements, puiſque nous pouvons ſans crainte & ſans haſard nous divertir, d’abord que nous en ſommes revêtues. Il y a donc des plaiſirs pour les vierges, auſſi-bien que pour celles qui ſont hors du célibat : elles peuvent trouver elles-mêmes un eſſai des voluptés que goûtent les autres ; mais bien plus pures, puiſque la diſcorde & la jalouſie ne les troublent preſque jamais. Ne ſois donc plus ſurpriſe qu’une fille conçoive de l’amour pour une autre : pour moi je brûle de cette paſſion ; & je préférerois très-volontiers tes embraſſements à ceux d’Oronte, quoique je les chériſſe beaucoup. Tu ne dois pas, ma mignonne, m’en eſtimer moins honnête ; cette humeur ne m’eſt pas particuliere : les Françoiſes, les Italiennes, & les Eſpagnoles, ſe chériſſent de la ſorte ; & ſouvent, ſi la pudeur & la honte ne les retenoit, elles ſe donneroient des marques publiques de cette paſſion, quand elles ſe voyent.

Octavie.

Ah ! que je ſuis charmée, ma Couſine, de votre entretien ! je préférerois ma condition à celles que nous eſtimons les plus heureuſes, ſi j’étois auſſi ſavante que vous.

Tullie.

Eh bien, ma Déeſſe, mon amour, ma Vénus, tu n’es pas moins vierge que tu étois ; je n’ai rien voulu faire qui t’ait pu dérober cette belle fleur, qui eſt réſervée à Pamphile : il trouvera encore la porte du jardin fermée, & il doit m’en avoir une ſecrete obligation.

Octavie.

Je crois que Pamphile ne doit pas vous en marquer beaucoup de reconnoiſſance ; car ſi vous ne l’avez pas ouverte, ç’a plutôt été par un défaut de puiſſance, que par un manquement d’inclination.

Tullie.

Je vois bien que tu ne ſais pas ce que c’eſt qu’un Godemiché. Les Dames de Mileſi s’en faiſoient de cuir, longs de huit doigts, & gros à proportion. Ariſtophane dit que de ſon temps preſque toutes les femmes s’en ſervoient ; aujourd’hui, chez les Italiennes & les Eſpagnoles, ils ſont fort en uſage, & cet inſtrument fait un des plus précieux meubles de la toilette de toutes les Dames d’Aſie.

Octavie.

Je ne conçois pas ce que c’eſt, ni à quoi cela peut être utile.

Tullie.

Tu l’apprendras avec le temps ; mais parlons d’autre choſe.


Chorier - L’Académie des dames, 1770, Vignette-02
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