L’Accalmie (Verhaeren)

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Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 123-124).

L’ACCALMIE


Plaines au Nord et mornes nues !…
Les cavales des automnes chenues
Que déchiraient des éperons d’éclair
Tannaient le sol ou piétinaient la mer.

Elles traînaient, à travers nuit,
Leurs chariots de bruit,
Si lourdement, leurs chariots de chocs,
Qu’on aurait cru les cieux cassés, par blocs.

Des mâts crucifiés, sur fond d’orage,
Penchaient, soudain, vers leur naufrage ;
Et puis plongeaient — voiles tordues —
Comme des morts, dans les vagues fendues.


Les flots soulevaient les murailles
De leur ressac, vers des batailles ;
Et leur écume, en gueules blanches,
Mordait les reins fuyants d’une avalanche
De grêle et de vents effarés ;
Et, dans le fond des horizons barrés,
Passait le mors-aux-dents de la tempête…
 
Lorsque, soudain, dans le matin hardi,
Me consolant les yeux et m’effleurant la tête
Un éclair arc-en-ciel d’or, à l’Orient, grandit.