L’Accroissement de la population française/01

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L’Accroissement de la population française
Revue des Deux Mondes3e période, tome 50 (p. 900-932).
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L’ACCROISSEMENT
DE
LA POPULATION FRANÇAISE

On mène grand bruit des réformes politiques. Il n’est pas de gouvernement ni de parlement qui ne s’imagine que des lois nouvelles, des décrets, des arrêtés, vont modifier ou même transformer l’état de la société. C’est se faire une singulière illusion. Les individus qui composent un peuple vivent, grandissent ou dépérissent, non selon les institutions, mais selon les usages. Les lois et les décrets ne sont pas sans quelque importance assurément; mais les mœurs jouent dans la vie des hommes un rôle tel que le reste est à peu près effacé. Certes, les réformes politiques ne peuvent pas être dédaignées ; mais c’est surtout aux réformes morales qu’on devrait attacher du prix. On ne le fait guère cependant. On change les institutions et les hommes : on ne fait rien pour changer les mœurs. Peut-être est-ce parce qu’on sent l’impuissance de quelques individus à entraver dans son cours la force aveugle qui dirige en tel ou tel sens les destinées de tout un peuple. Cette impuissance à agir par des articles de journaux, des discours, des livres, des conférences, sur la vie morale d’une grande nation est malheureusement réelle ; toutefois il serait malheureux qu’on l’exagérât. Il est des vérités qui, lorsqu’on les répète incessamment, finissent, en dépit de l’indifférence ou de la raillerie, par faire leur chemin dans le monde et pénétrer jusque dans les plus humbles chaumières. C’est une de ces vérités que nous venons défendre ici. Elle conduit à des réformes qu’il faut avoir le courage, presque l’audace, de proposer. La vérité éclatante, incontestée et incontestable, que nous voulons rappeler ici, a été bien souvent énoncée. Nous avons pensé qu’il faut l’énoncer encore et en donner une nouvelle démonstration. « La population française ne s’accroît que dans des proportions très faibles. » Par conséquent, la France, croissant en hommes moins vite que l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, les États-Unis, tend à devenir une puissance de second ordre. Il y a là un péril national. A vrai dire, c’est le péril national tout entier. Il n’en existe pas d’autre[1].


I.

Avant d’entrer dans le détail des chiffres lamentables qui mettent en pleine lumière la diminution extrême des naissances françaises, il faut prouver que la puissance et la richesse d’un peuple sont proportionnelles au chiffre de sa population.

Certains économistes ont soutenu le contraire ; mais les raisons qu’ils donnent paraissent insuffisantes. Nous allons d’abord les exposer loyalement, en donnant à l’argumentation toute sa force.

Une nation, dit-on, vaut par la qualité des individus, par la richesse de son sol, par le grand développement de la fortune publique et de la fortune privée, et non par le grand nombre des individus qui la composent.

Voici, par exemple, la Chine avec 400 millions d’habitans, et l’Inde avec 200 millions. Que l’on compare ces deux immenses nations aux plus petits pays de l’Europe qui sont infiniment moins peuplés, comme la Belgique, la Suisse ou la Grèce. Est-ce que les 5 millions de Belges ne pèsent pas dans les destinées du monde civilisé plus que les 400 millions de Chinois ? Si une guerre éclatait entre la Chine et la Belgique, l’issue n’en serait pas douteuse. Par la supériorité de leur armement, de leurs finances, par la valeur et l’intelligence supérieure des officiers comme des soldats, la petite armée belge écraserait sans doute l’immense masse d’hommes armés que pourrait mettre en ligne le Céleste-Empire. L’industrie et le commerce de la Belgique s’étendent dans le monde entier : ses livres, ses œuvres d’art, son histoire tiennent un rang important dans la littérature, l’art et l’histoire du monde. L’Inde nous fournit encore un meilleur exemple de l’impuissance, soit matérielle, soit morale dans laquelle se trouvent parfois des populations très nombreuses. Malgré un nombre d’hommes colossal, l’Inde n’a pas su garder son indépendance. Un peuple composé de 12 millions d’hommes[2] l’a asservie tout entière, lui imposant ses lois, ses mœurs, son commerce. Est-ce que la Grèce, avec son splendide passé, son génie, qui a fait un sillon si lumineux dans l’histoire, avec son avenir qui s’annonce depuis un siècle comme glorieux, n’est pas supérieure à l’Inde, qui est asservie et ne se relèvera peut-être jamais de la servitude? Et cependant la Grèce est cent fois moins peuplée que l’Inde. La Russie, qui, au milieu du XVIIIe siècle, était aussi peuplée que la France, avait alors une puissance bien inférieure à celle de notre pays. C’est parce qu’elle s’est réformée, perfectionnant chaque jour ses mœurs, sa littérature, ses finances, s’initiant avec une ardeur incomparable aux progrès de la science et de l’industrie européennes, qu’elle a pu prendre une place définitive parmi les grandes puissances : ce n’est pas parce que sa population s’est énormément accrue. Si elle était restée barbare comme elle l’était avant Pierre le Grand, elle serait encore impuissante, aussi bien que l’Inde ou la Chine, malgré son énorme population et son immense territoire. Ce qu’il faut rechercher, par conséquent, ce n’est pas une extension extrême en population ou en territoire, mais un progrès constant, régulier, efficace, dans les mœurs, l’industrie, le commerce : c’est un accroissement continu de la richesse, et, par conséquent, de la puissance publique. Faites de bonnes lois, de bonnes finances, développez l’instruction, le commerce et l’agriculture, créez de belles œuvres littéraires, artistiques et scientifiques, et votre puissance sera établie bien mieux que si vous jetez tous les ans au monde quelques milliers de misérables de plus.

Ces argumens, — on nous rendra cette justice que nous n’avons pas cherché à en diminuer la force, — ne sont que spécieux. En effet, il n’est pas permis de comparer un peuple barbare à un peuple civilisé. Il n’est pas question de choisir entre ces deux alternatives : un peuple barbare très peuplé, ou un peuple civilisé peu peuplé. Il s’agit de la situation de la France civilisée dans le monde, et de la puissance plus grande que donnerait à cette France civilisée une population plus grande. D’ailleurs, par suite de l’extension toujours croissante des relations quotidiennes, particulières ou publiques, établies entre les différens peuples européens, il existe aujourd’hui une uniformité à peu près générale dans les institutions et les mœurs ; de sorte que toutes les nations se ressemblent plus ou moins ; toutes ont adopté les mêmes systèmes de gouvernement, d’impôts, de conscription, de commerce, etc. Assurément, il existe encore entre les divers peuples européens des différences notables. Certains pays sont plus progressifs que d’autres. Il n’est pas douteux, par exemple, que la Grande-Bretagne, grâce au génie militaire, industriel colonial, de ses enfans, est plus puissante dans le monde que l’Italie, quoique l’une et l’autre nation soient à peu près également peuplées. On pourrait citer d’autres exemples. Mais, quoi qu’il en soit malgré ces nuances entre les diverses civilisations européennes il règne aujourd’hui une uniformité générale, qui fait que la force militaire d’un peuple dépend principalement du nombre d’hommes qui sont en état de porter les armes. Si la Belgique est moins puissante que la France, c’est uniquement parce que la population de la France est huit fois plus considérable que celle de la Belgique ; et si la Grèce avait une population égale à celle de l’Italie, elle occuperait évidemment dans le concert européen une influence égale.

Il faut donc admettre que, plus un pays est peuplé, plus sa puissance militaire est grande. Il me paraît que cette vérité est incontestable, si on ne l’applique qu’aux nations européennes.

De même que la force militaire augmente avec la population, de même augmentent aussi la science, l’industrie, le commerce. Supposons que la France, au lieu de trente-sept millions d’habitans, ait cent millions d’habitans : sa force serait irrésistible, ses armées seraient toutes-puissantes, et elle pourrait, par des milliers de navires, répandre dans le monde entier les produits de son industrie.

A quoi bon? disent certains critiques. Nous reconnaissons que la puissance d’un pays dépend, dans une certaine mesure, du nombre des citoyens qui le composent. Mais est-il nécessaire, pour ces citoyens que leur pays soit puissant? Une nation est formée d’individus, et, pour chacun d’eux, le principal souci est de vivre heureux, tranquille, dans une aisance honnête. Que leur importe d’avoir des flottes nombreuses, une armée permanente d’un million d’hommes, une armée de réserve d’un million d’hommes encore des budgets écrasans, et tous les autres fardeaux de la grandeur? Ce qu’il faut donner à nos compatriotes, ce n’est pas une vaine prépondérance dans les destinées du monde, prépondérance qui importe assez peu a chaque individu : c’est le bien-être, la liberté, la sécurité, otium cum dignitate; au besoin même « la poule au pot » du roi Henri. Or il est facile de montrer que la richesse d’un individu va en diminuant, à mesure que le nombre de ses enfans augmente ; et, inversement, à mesure que les familles sont moins nombreuses, elles sont de plus en plus riches.

On peut en donner la preuve rigoureuse. Supposons deux familles dont les revenus sont égaux, de 10,000 francs par exemple. Dans la première famille il y a un seul enfant. La dépense qu’il nécessite peut être évaluée à 1,000 francs par an. Restent donc 9,000 francs dont les parens pourront disposer. S’ils sont économes, ils seront en état de mettre de côté chaque année environ 3,000 francs, lesquels, grâce aux intérêts composés, feront au bout de quinze ans un capital de 60,000 francs. Maintenant supposons qu’il y ait, dans l’autre famille, huit enfans. La dépense annuelle, nécessaire pour pourvoir aux besoins de cette nombreuse progéniture, sera de 8,000 francs, et les parens, quoique vivant dans une gêne relative, ne pourront au bout de quinze ans avoir réalisé aucune économie. Cette situation est celle de l’Allemagne et de la Russie, qui consacrent le fruit de leur travail à élever des enfans ; tandis qu’en France, les pères de famille, ayant beaucoup moins de petits enfans à élever, peuvent chaque année accroître énormément leur épargne, et, partant, la richesse publique.

Ainsi, d’après les économistes dont nous combattons l’opinion, l’extension de la richesse privée et de la richesse publique serait la conséquence d’un accroissement modéré de la population. La France est riche, parce que, dans chaque famille, les enfans sont en petit nombre ; l’ouvrier des villes, l’ouvrier des campagnes, le paysan propriétaire, le petit bourgeois, sont, les uns et les autres, plus heureux en France que les mêmes classes d’hommes dans les divers pays de l’Europe. S’il en est ainsi, c’est parce que les Français peuvent, grâce au petit nombre d’enfans qu’ils procréent, réaliser chaque année, plus ou moins, une petite épargne. Leur existence n’est pas empoisonnée par la misère, comme dans les nations voisines Que nous importent alors les grandes armées, les grandes flottes, la puissance du nom français, si le Français vit dans des conditions sociales meilleures que l’Allemand, l’Anglais ou le Russe?

L’objection est devenue très sérieuse, et il importe de la réfuter aussi complètement que possible.

Si l’on ne tient compte que des enfans âgés de moins de quinze ans, il est certain que le calcul présenté plus haut est tout à fait exact. Tant qu’un enfant n’est pas en état de travailler, il consomme sans aucun profit matériel, soit pour la patrie, soit pour la famille. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. Un jour viendra où cet enfant travaillera à son tour, et pourra ainsi accroître la richesse commune.

Prenons l’exemple indiqué plus haut. Dans la famille où il n’y qu’un enfant, le travail de cet enfant, quand il sera devenu un homme, peut-être représenté, je suppose, par un revenu annuel de 3,000 francs. Mais si dans l’autre famille il y a dix enfans, le travail produit par ces dix enfans, devenus des hommes, sera dix fois plus considérable, de 30,000 francs au lieu de 3,000. Donc, au bout d’un certain nombre d’années, alors que la famille peu nombreuse produit peu, la famille nombreuse produit beaucoup. Alors que les enfans sont tout petits, et hors d’état de travailler, les familles nombreuses sont dans la gêne. Mais quand les années ont permis à chacun de ces consommateurs de devenir à son tour un producteur, la famille devient plus riche, et le revenu annuel total plus considérable.

Il est vrai que, simultanément, les dépenses augmentent. Mais, dans un pays industriel et agricole comme la France, où il y a tant d’intelligence et tant d’amour du travail, un individu adulte produit annuellement plus qu’il ne dépense. Si la France mettait au jour tous les ans cent mille enfans de plus, les dépenses s’accroîtraient de 2 milliards peut-être, mais les revenus croîtraient en proportion plus grande encore, et, au bout de quelques années, on pourrait constater un bénéfice annuel considérable.

Il est possible, dans l’Inde ou dans la Chine, que, par suite de la paresse ou de l’ignorance des habitans, le travail d’un être humain soit quelque peu inférieur à la dépense que l’entretien de sa vie nécessite. Mais en France, heureusement, il n’en est pas de même, et l’ouvrier français, comme le paysan français, produisent certainement plus qu’ils ne consomment. Ainsi, au point de vue de la prospérité totale de la France, il y aurait un très grand intérêt pour notre pays à posséder une population nombreuse ; car, plus elle sera nombreuse, plus sera considérable l’écart entre la recette et la dépense.

Il est vrai que l’individu, considéré isolément, est plus riche dans la famille peu nombreuse que dans la famille nombreuse, à supposer que l’une et l’autre famille aient des revenus identiques. En effet, le fils unique héritera de l’argent que ses parens ont pu économiser, alors qu’aucune économie n’a pu être réalisée dans l’autre famille, dont les dépenses ont été chaque année extrêmement lourdes.

Ainsi, à un examen superficiel, on pourrait croire que la richesse des individus diminue, en même temps que la richesse de la nation augmente. Par suite d’un étrange contraste entre la fortune privée et la fortune publique, les peuples produisant et se reproduisant le plus seraient ceux où la misère serait plus grande, et les citoyens plus malheureux. En réalité, il n’en est pas ainsi; car une étroite solidarité rattache les uns aux autres tous les individus dont l’ensemble compose une nation.

Le premier lien qui unit entre eux tous les citoyens d’un grand pays, c’est celui d’une protection mutuelle et d’une commune défense. Il ne faut pas affecter de faire fi de la force des armes; car la richesse et la prospérité d’un peuple ne sont vraiment complètes que si ce peuple possède une puissance militaire capable de les protéger. Quel est, en effet, pour les nations comme pour les individus, le bien suprême, celui sans lequel toutes richesses et félicités ne sont plus qu’amertumes insupportables? C’est la liberté et l’indépendance. Or l’indépendance d’une nation, dans notre siècle de justice et de progrès, ne peut être assurée que si les canons, les baïonnettes et les forteresses sont en nombre suffisant pour la maintenir. L’ultima ratio des rois est la garantie la plus sûre de la liberté des peuples. Supposons un moment que la France n’ait plus un seul soldat sous les armes. Est-ce que ses voisins, les petits comme les gros, ne se hâteraient pas de la mettre au pillage? Il ne s’agirait que de s’entendre sur le partage des dépouilles. De quel usage seront alors cette richesse accumulée par l’épargne de plusieurs générations, cette prospérité acquise au prix de tant de sacrifices, s’il est impossible de les défendre contre les incursions des tribus voisines? Notre état social européen se rapproche beaucoup de l’état des peuplades sauvages. Les plus prospères, les moins infortunées plutôt, sont celles qui sont nombreuses et puissantes ; car celles-là sont indépendantes, ne subissant pas l’oppression tyrannique ou les incursions pillardes des hordes voisines.

Par conséquent, à ne considérer que la prospérité même, il est de l’intérêt suprême d’un peuple d’avoir une population nombreuse, c’est à-dire des armées puissantes. Si la France continue à augmenter dans d’aussi insuffisantes proportions que depuis le commencement de ce siècle, elle deviendra, relativement aux pays qui l’entourent, si faible, qu’elle ne saura plus maintenir à l’abri des agressions intéressées sa liberté et sa richesse.

C’est un mauvais calcul pour un pays que d’avoir peu d’enfans. Il croit par là assurer sa richesse. Mais il n’y a qu’une seule garantie de sa richesse, c’est sa force. Or sa force dépend de sa population. Les nations très peuplées sont très puissantes : les nations qui se composent d’un très petit nombre d’hommes sont faibles. Eh bien! les peuples faibles sont destinés à être, tôt ou tard, asservis par les peuples forts. Voilà le danger de laisser croître énormément la masse numérique des populations voisines, alors que notre population ne s’accroît qu’en proportions minimes. Un jour viendra où les Français, entourés par des voisins jaloux et puissans, ne seront plus en état de se défendre.

Ce n’est pas à ce point de vue seulement qu’un pays trouve avantage à être très peuplé. L’extension du commerce, de l’industrie, des arts libéraux, c’est-à-dire, en somme, l’extension de la richesse et de l’intelligence, est d’autant plus rapide que la nation est composée d’un plus grand nombre d’individus. Dans un village de deux cents habitans, il n’y a place pour aucun commerce et aucune industrie, alors que le commerce et l’industrie peuvent se développer à l’aise dans une ville de deux cent mille habitans. Plus il y a d’hommes réunis, groupés en masses compactes et formant une agglomération quelconque, village, ville, province, nation, plus le commerce peut s’étendre. Les produits industriels ou agricoles trouvent un marché d’autant plus facile que le marché est plus étendu. Il y a, depuis un siècle, dans presque tous les pays européens, une tendance extrêmement marquée à la migration des populations agricoles vers les grands centres. C’est que les campagnards trouvent là des conditions favorables à la facilité des échanges. Une population clair-semée a peu de besoins, peu de luxe, partant, peu de commerce et d’industrie. Dans une population dense, les communications sont faciles ; l’aisance et le luxe se développent; et, par suite, la richesse s’accroît d’autant plus que la population est plus dense.

La richesse d’un individu ne dépend pas seulement de ce qu’il possède; elle dépend aussi de la richesse de ses voisins. Quand un commerçant veut s’enrichir, il ne va pas chercher fortune dans un pays pauvre ; il va s’adresser à des populations riches et nombreuses, car c’est là seulement qu’il peut écouler à bon compte ses marchandises. Cent négocians dans une ville de cent mille âmes réussiront certainement mieux qu’un seul négociant dans un bourg de mille habitans.

Les ressources d’un pays peu peuplé sont nécessairement très limitées. Entre un grand et un petit pays il y a, en effet, la même différence qu’entre une grande et une petite commune. La ville de Paris peut exécuter de grands travaux, construire des édifices : hôtels de ville, opéras, aqueducs, hôpitaux, chemins de fer, canaux, écoles ; attirer l’argent des étrangers par le luxe des établissemens de toute sorte qu’elle construit; améliorer son état sanitaire et ses voies de communication, etc., alors que la ville de Mende, par exemple, ne pourrait rien faire de semblable, et qu’elle ne serait pas en état, si une route, ou un chemin de fer, ou un hôpital, lui étaient nécessaires, de les payer de ses propres deniers. De même, la France peut faire telle colossale dépense, utile et productive, que la Suisse désirerait pouvoir exécuter, mais vainement, parce que ses ressources financières, trop faibles, le lui interdisent. Il y a évidemment avantage aux citoyens français à pouvoir faire exécuter tels grands travaux qui porteront leurs fruits plus tard, même si, pour que cette dépense soit payée, chaque citoyen est taxé annuellement d’impôts plus lourds. Pour prendre une autre comparaison, voyez ce qui se passe en Amérique, dans ces immenses exploitations agricoles des pays de l’Ouest, qu’on appelle des usines à blé. Si quelque particulier, sans posséder d’immenses capitaux, vient s’établir auprès d’une de ces grandes fermes, il lui sera impossible de soutenir la concurrence, et, au bout d’un an ou deux, il sera forcé de vendre sa terre, non sans avoir subi de grandes pertes. C’est qu’il n’a pas de capitaux suffisans pour acheter les machines, les chevaux, les instrumens qui sont nécessaires ; pour bâtir des hangars, des écuries, des greniers ; pour établir un chemin de fer jusqu’à la gare voisine; pour entretenir des correspondans sur les principaux marchés du monde, etc., toutes dépenses qui exigent un capital énorme, mais qui rapportent de gros bénéfices.

On peut dire que les pays très peuplés sont des pays dont le capital est considérable ; tandis que les pays peu peuplés possèdent un capital minime.

Si encore ce n’étaient que la richesse présente et que la sécurité présente qui fussent en jeu, il serait à la rigueur possible de soutenir que les naissances nombreuses ne sont pas nécessaires à la richesse et à la sécurité de la France. Mais il faut songer à l’avenir. Nous avons à assurer le bonheur, non pas seulement des Français de 1882, mais encore des Français de 1982. Il nous faut, si nous ne voulons pas être accusés d’indifférence et d’imprévoyance, prendre souci de nos arrière-petits-neveux. La prospérité française est comme un héritage qui nous a été transmis par nos pères, et que nous devons, sous peine de forfaiture, transmettre intact à nos descendans.

Or, si le croît en hommes continue à être aussi lent, s’il se ralentit encore, bientôt la France ne sera plus qu’au septième rang des nations européennes. Sa force militaire, et par conséquent sa sécurité; son commerce, et par conséquent sa prospérité, ne seront plus qu’au septième rang, au lieu d’être au premier ou au second rang.

Pour l’avenir, bien plus encore que pour le présent, il faut qu’un peuple fasse en sorte que sa population croisse rapidement. En effet, la conséquence d’un accroissement rapide, c’est que, par cela même, l’augmentation absolue devient chaque année plus considérable. Il en est de l’accroissement de la population comme de l’accroissement de la fortune. Celui qui possède une très grande fortune peut l’accroître très rapidement par suite de l’intérêt qui s’accumule ; et son épargne absolue est d’autant plus grande que le capital est plus élevé. Quant à l’individu dont la fortune est petite, il ne peut jamais faire que de minces économies, même si ces économies sont proportionnellement égales à celles de l’individu très riche. Supposons un peuple d’un million d’hommes, dont la population augmente dans la proportion de 10 pour 1,000 individus. Son accroissement absolu annuel est de 10,000 individus. Au contraire, pour un peuple de 100 millions d’hommes, l’accroissement proportionnel étant le même, l’augmentation absolue sera de 1 million d’hommes par an. Quoique les proportions entre le grand et le petit pays restent constamment les mêmes, la différence absolue croîtra chaque jour, et le petit pays sera de plus en plus écrasé par le grand. Il faut donc, sous peine de périr, et cela à une époque plus ou moins rapprochée, croître en hommes, et cela au moins aussi rapidement que les grands pays qui nous entourent.


Telles sont les raisons, à notre sens très puissantes, qui font qu’un peuple doit regarder comme un mal la diminution de son accroissement. Des considérations d’un tout autre ordre, très puissantes aussi, conduisent au même résultat.

Certes, l’amour de l’humanité est un noble sentiment, et nous devons envers tout être humain, quelles que soient sa nationalité ou sa race, faire preuve de sympathie, de compassion, de justice.


Je suis concitoyen de tout homme qui pense,


a dit un poète, et, sans crainte d’être mauvais Français, nous adoptons complètement cette belle parole. Toutefois, parmi l’immense masse d’hommes qui couvrent le globe, il en est qui nous sont plus spécialement chers : ce sont ceux que le lien d’une patrie commune unit à nous. A côté de l’amour de l’humanité, il y a place pour l’amour de la patrie. Ces deux sentimens ne se combattent point, car on peut identifier le progrès de l’humanité avec le progrès de sa patrie. De même qu’on peut aimer sa patrie et sa famille, de même on peut aimer sa patrie, cette grande famille, et l’humanité, cette patrie de tout être humain. Eh bien ! pour tous les Français qui aiment leur patrie, qui s’intéressent à sa puissance, à son avenir, à son extension dans le monde; pour tous ceux-là l’accroissement moindre de la population est un fait déplorable.

Peut-être nous trouvera-t-on trop naïf d’attacher une importance à cette idée abstraite que nous appelons la France, et de parler de la grandeur de la France comme on parle de la grandeur d’un édifice ou de la grandeur d’un navire. Il nous semble, cependant, que ce mot France représente quelque chose. La France n’est pas une pure abstraction. C’est une personne morale, comme l’a bien dit un orateur célèbre ; et tout bon citoyen doit se préoccuper d’elle.

Qu’est-ce donc et que veut-on dire quand on parle de la grandeur de la France? Il est assez difficile de répondre d’une manière précise. En effet, ce n’est pas une frontière plus ou moins naturelle qui détermine la limite des pays français et de-ceux qui ne le sont pas. Il est, sur la rive gauche du Rhin, bien des villes que personne ne considérera comme françaises. Ce n’est pas non plus l’établissement d’une administration politique qui peut tracer une barrière définitive ; car le traité de Francfort, fût-il sanctifié par dix autres traités semblables, ne m’empêchera jamais de considérer les habitans de Metz comme mes concitoyens. La patrie française, ce n’est ni la frontière administrative, ni la frontière naturelle, ni même la volonté mobile et changeante des peuples, qui en tracent les limites : c’est la langue. Tous les hommes qui parlent ma chère langue maternelle, je les reconnais pour mes compatriotes. Qu’importe qu’ils soient soumis à telle ou telle loi de recrutement, à tel ou tel règlement administratif ; qu’ils nomment des députés qui vont siéger dans telle ou telle ville du monde ? ils pensent et parlent en français. Tous ceux qui parlent comme moi, pensent, en somme, à peu près comme moi. Je puis m’entendre avec eux. Nous possédons un fonds d’idées qui est commun. Nous avons épelé sur le même alphabet, étudié dans les mêmes livres, réfléchi sur les mêmes sujets. Les grandes idées que nos pères ont émises trouvent le même écho, et notre destinée intellectuelle a été, dès l’enfance, dirigée par les mêmes maîtres.

Ce sont là des considérations qui passent pour sentimentales ; mais je ne crois pas, pour ma part, qu’on puisse les dédaigner. D’ailleurs, au point de vue pratique, il est des avantages immenses résultant pour un peuple de l’extension de sa langue nationale. Comparons, pour préciser les idées, la langue danoise, parlée par deux millions d’hommes, à la langue anglaise, parlée par cent millions d’hommes. D’abord, il est presque évident que sur les deux millions de Danois, il y aura moins d’écrivains de talent et de génie que sur les cent millions d’Anglais. Par conséquent, la littérature danoise, quoiqu’elle soit relativement très riche en belles œuvres, sera à peu près cinquante fois moins riche que la littérature anglaise. Partant, la diffusion des idées anglaises et leur puissance dans le monde seront beaucoup plus considérables que la diffusion et la puissance des idées danoises. Et ce que nous disons des lettres peut s’appliquer aux arts et aux sciences. On peut admettre que sur un million d’Européens, qu’ils soient Danois ou Anglais, il y aura toujours à peu près le même nombre de poètes, de philosophes, de musiciens, de peintres, de savans. D’autre part, il est assez vraisemblable que, sur mille peintres, par exemple, il y aura toujours à peu près le même nombre d’artistes de très grand talent. Cela résulte de l’uniformité des mœurs et des usages qui règne entre les diverses nationalités européennes, et qui augmente chaque jour.

Évidemment certaines races sont plus aptes que d’autres à certains arts ou à certaines sciences. (Par exemple, l’Italie est plus féconde en grands musiciens que l’Angleterre.) Cependant, si l’on ne considère pas un seul art, mais tous les arts et toutes les sciences, lorsqu’il s’agit de pays où la civilisation est analogue, comme c’est le cas pour toutes les nations de l’Europe, les hommes de talent seront d’autant plus nombreux que la population sera plus considérable. Si nous avons pris l’exemple du Danemark, c’est précisément parce que ce petit peuple a atteint un très haut degré de culture intellectuelle, et que, malgré sa population minime, il a été, en somme, assez fécond en artistes (Thorwaldsen), en écrivains (Andersen), en savans (OErstedt). Nul doute que, si la langue danoise, au lieu d’être la langue maternelle de deux millions, était celle de cent millions d’individus, le Danemark serait à la tête de la civilisation européenne. Mais il n’en est pas ainsi, et évidemment, dans l’état actuel des choses, il ne saurait lutter d’influence avec le pays de Shakspeare, de Newton, de Harvey et de Bacon.

A supposer même que, par une étrange fortune, il se trouve en Danemark beaucoup d’écrivains de génie, il leur sera bien difficile, pour ne pas dire impossible, de lutter d’influence avec les écrivains anglais, même si ces derniers sont doués d’un talent moindre. En effet, quand un Anglais écrit un livre, cent millions d’individus peuvent le lire, et le lisent, si ce livre est un chef-d’œuvre. Presque immédiatement après qu’il a paru, cet ouvrage se répand dans le monde. A San-Francisco, à Bombay, à Melbourne, au Cap, à Londres, il trouve aussitôt des lecteurs. En outre, par suite de l’extension de la langue anglaise, il n’est dans aucun pays du monde d’homme bien élevé qui ne soit tenu de savoir l’anglais, ou, tout au moins, de le comprendre. Aussi le public, pour un livre anglais, est-il le monde entier : de sorte que l’influence de ce livre s’étend partout. Au contraire, pour un livre écrit en danois, le public ne s’étend pas au-delà du Cattégat et des embouchures de l’Elbe. A part quelques érudits allemands et quelques négocians de la mer Baltique, qui donc, hors du Danemark, connaît la langue danoise? Certes, il serait bon d’être versé dans l’étude de cette langue, car ce serait enrichir son fonds intellectuel ; mais on n’aurait quelque raison valable d’apprendre le danois que si l’on possédait déjà la connaissance de dix autres langues : ne faudrait-il pas tout d’abord apprendre le français, l’anglais, l’allemand, l’italien, le russe, l’espagnol, le portugais. La vie d’un homme ne saurait y suffire.

Il faut donc que les Danois, comme les petits peuples de l’Europe, se résignent à cette douloureuse infériorité. Les hommes bien élevés et instruits ne peuvent être tenus de parler et de comprendre la langue danoise, tandis que les Danois seront forcés de parler et de comprendre la nôtre. Ainsi nos idées se répandent chez eux ; notre influence agit sur leurs mœurs et leur civilisation ; tandis que leurs idées ne se répandent pas chez nous, et leur influence sur notre développement est à peu près nulle.

Pour l’extension du commerce, le développement des relations internationales, une langue commune est l’instrument le plus efficace. La diffusion de sa langue nationale mesure l’influence d’une nation. Toutes les fois qu’il s’agit du rôle de la France à l’étranger, la question la plus importante est peut-être celle-ci : Parle-t-on le français, lit-on les livres et les journaux français? Il est clair que plus le nombre des individus parlant le français, soit en France, soit hors de France, sera considérable, plus notre littérature, notre philosophie, notre science, auront d’influence dans le monde.

Donc, quand nous parlons de la grandeur de la France, et de sa puissance, et de son avenir, c’est comme si nous parlions de l’extension de la langue française. C’est ainsi que se peut saisir le lien qui unit l’extension de la population à la grandeur de la patrie. Si la France avait beaucoup d’enfans, si le nombre des hommes parlant le français allait en croissant aussi vite que le nombre des hommes parlant l’anglais ou le russe, nous assisterions peut-être au triomphe, non pas de l’administration française, ce qui nous importe peu, mais des idées françaises; car les idées françaises s’étendent partout où s’étend notre langue. Voilà ce qui nous est cher : voilà le but vers lequel il faut tendre.

Il me sera permis de l’avouer, c’est le souci de la grandeur de la France qui m’a guidé dans cette étude. On sera peut-être rebuté par des chiffres arides et des détails fastidieux, mais cette aridité n’est qu’apparente. Les chiffres ont leur éloquence. Ils nous révèlent l’avenir par la connaissance du passé. Ils nous indiquent avec une incomparable précision si notre pays grandit ou décroît. Aussi me paraît-il qu’une étude sur la population française, quelqu’ardue qu’elle paraisse, doit intéresser tous les Français qu’intéressent les destinées futures de leur patrie.


II.

Un premier fait se dégage de l’examen des chiffres qui expriment le nombre des naissances, autrement dit la natalité d’un pays ou d’une ville; c’est la constance de ces chiffres. On pourrait croire que, par suite des hasards multipliés et des milliers de circonstances fortuites qui amènent la naissance d’un enfant à tel ou tel moment déterminé, il existe une énorme irrégularité dans le nombre des naissances qu’on constate, soit par jour, soit par semaine. Il eût été fort possible que telle semaine, il n’y eût presque pas de naissances, alors que la semaine suivante il y en eût vingt fois plus. Or, de fait, les choses ne se passent pas ainsi : le nombre des naissances, dès que les chiffres portent sur une population tant soit peu nombreuse, est très fixe[3].

Prenons pour exemple les naissances de la ville de Paris, et nous verrons que chaque semaine leur nombre ne varie que dans des proportions minimes, ce qui permet, par conséquent, d’établir des moyennes très exactes.

Voici les chiffres exprimant le nombre des naissances à Paris dans dix semaines consécutives de l’année 1881. On verra que tous ces chiffres sont très voisins.


NAISSANCES HEBDOMADAIRES DE LA VILLE DE PARIS.


1,126 1,161
1,165 1,174
1,249 1,015
1,148 1,164
1,158 1,220
Moyenne, 1,158.

Le plus grand écart de la moyenne est 143, c’est-à-dire d’un neuvième seulement.

Si nous prenons le chiffre des décès hebdomadaires de la ville de Paris pour les semaines correspondantes, nous trouvons des chiffres qui sont aussi très voisins les uns des autres.

DECÈS HEBDOMADAIRES DE LA VILLE DE PARIS.


935 920
947 1,034
832 960
881 1,037
1,001 1,036
Moyenne, 958.

Le plus grand écart de la moyenne est 116, soit d’un neuvième seulement.

Cette régularité surprenante est un fait de la plus haute importance. Si le hasard était le souverain maître, nulle constatation scientifique ne serait possible. Il faudrait se résigner à ne rien étudier et à ne rien connaître. Au contraire, puisque le phénomène est régulier, normal, constant, il est permis de le soumettre à l’étude et de l’analyser, d’établir des conclusions générales, de trouver des exceptions, des anomalies, et d’en rechercher les causes. La science qui étudie ces lois existe : elle a une importance extrême dans la vie des peuples. M. Gaillard lui a donné en 1855 le nom de démographie, et ce nom doit lui être conservé. Il me semble que peu de sciences ont un attrait aussi grand. Certes, il est utile d’étudier l’origine des langues aryennes, la mythologie du Zend-Avesta, le développement des spongiaires, la classification des conifères, ou les combinaisons du chlore avec les alcools. Mais quel intérêt plus puissant à l’examen des lois qui régissent le développement d’un peuple ! Les questions sociales que notre siècle a soulevées ne pourront être résolues, même partiellement, que si l’on a, au préalable, analysé par les méthodes précises de la statistique démographique les conditions de l’existence d’un peuple. On peut, sans être prophète, prédire que la démographie, qui est tout à fait à ses débuts, acquerra bientôt une autorité extrême dans toutes les discussions politiques ou sociales[4].

Quoi qu’il en soit, pour revenir au sujet qui nous occupe, nous constatons dès maintenant un fait fondamental: c’est, pour une grande agglomération d’hommes, la constance dans les chiffres qui expriment les naissances ou les décès. D’ailleurs, les phénomènes généraux de la vie d’une nation ont toujours une extrême régularité, et ce ne sont pas seulement les naissances et les décès qui restent à peu près invariables. Le nombre des voyageurs qui circulent sur les lignes de chemins de fer ne varie d’une année à l’autre, et même d’une semaine à l’autre, que très modérément. Le nombre des lettres qui sont distribuées par un bureau postal est sensiblement identique chaque jour, et même, ce qui ne laisse pas d’être surprenant, le nombre des lettres non affranchies, ou portant une indication insuffisante, est à peine modifié. Le nombre des malades ne change guère dans une grande ville. Un hôpital reçoit chaque semaine, sauf les cas exceptionnels des grandes épidémies, à peu près le même nombre de malades, et les proportions relatives de phtisie, de pneumonie, de fièvre typhoïde, sont conservées. Le nombre des objets égarés dans les voitures publiques et apportés à la préfecture de police ne varie pas sensiblement d’une semaine à l’autre. Les crimes commis pendant une année, soit dans une grande ville, soit dans un grand pays, donnent des chiffres très réguliers, ainsi que le témoignent toutes les statistiques criminelles. Et cependant, que de circonstances fortuites, que de caprices et de fantaisies ont déterminé ces crimes[5] !

En faisant le relevé des cas de blessures accidentelles survenant sur la voie publique à Paris pendant le cours de chaque semaine, on voit que ces accidens, dus toujours au hasard, se reproduisent périodiquement, et que leur total ne varie que très peu. Voici, par exemple, d’après le Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, rédigé avec tant de soin par M. Bertillon, quel a été, par semaine, pendant dix semaines consécutives prises au hasard, le nombre des accidens suivis de blessures qui ont eu lieu à Paris sur la voie publique :


ACCIDENS SUIVIS DE BLESSURES.

¬¬¬

43 35
43 47
50 49
58 57
41 52

Le maximum, en 1881, a été de 73, et le minimum de 33.

Cette régularité, cette constance dans les phénomènes sociaux, même les plus accidentels, pourrait prêter à de curieuses considérations psychologiques. Qu’est-ce donc que la liberté humaine? et quel étrange mécanisme que celui de toute une nation, composée d’individus divers qui se meuvent avec des apparences si capricieuses et d’après les inspirations de leur fantaisie, mais qui, en réalité, obéissent dans tous leurs actes à des lois déterminées, invariables, presque mathématiques ?

Toutes les fois qu’on observe les manifestations de l’activité humaine, pour peu que l’observation porte sur quelques milliers d’hommes, on reconnaît que toutes ces manifestations, si fantasques qu’elles soient pour les individus, sont soumises, pour l’ensemble, à des lois très précises, et peuvent être jugées par la statistique.

Nous arrivons ainsi graduellement à constater un phénomène social qui concorde avec les lois des plus hautes mathématiques. Nous voulons parler de ce qu’on appelle le calcul des probabilités. Si, par exemple, on prend un jeu de cartes, et qu’on choisisse au hasard deux cartes dans ce jeu, il y a une certaine vraisemblance que, de ces deux cartes qu’on tire, l’une sera rouge et l’autre noire ; mais il pourra très bien se faire qu’on ait pris deux cartes rouges ou deux cartes noires. Si l’on recommence dix fois cette opération sur des jeux complets, il est probable qu’on aura tiré finalement à peu près autant de cartes rouges que de cartes noires. Mais si on l’a faite cent fois, la différence entre le nombre des cartes rouges et des cartes noires sera moins grande encore, par rapport aux deux cents cartes tirées. Si, enfin, on fait un million de tirages, on aura, à peu de cartes près, tiré finalement cinq cent mille fois une carte rouge et cinq cent mille fois une carte noire. Il est certain que, plus on aura fait de tirages, moins l’écart sera considérable entre les cartes rouges et les cartes noires, par rapport au chiffre total des tirages. On admet même, en mathématiques, que, sur un nombre infini de coups, il y a exactement autant de cartes rouges que de cartes noires qui ont été tirées.

Les données statistiques relatives à la naissance, à la vie et à la mort des hommes nous présentent un phénomène assez analogue. Quand les statistiques portent sur un très grand nombre d’individus, et pendant un temps notable, les irrégularités individuelles s’effacent l’une par l’autre, et le calcul des probabilités peut s’exercer avec une rigueur tout à fait scientifique. Je suppose, par exemple, qu’on ait constaté, pendant plusieurs années, que sur 40 millions d’individus, il y a, par semaine, 20,000 décès : on peut alors supposer qu’il y aura sur 2,000 individus un décès par semaine. Cependant il est très possible que 2,000 individus vivent pendant plusieurs semaines sans présenter de décès. D’autre part, dans certaines conditions spéciales, comme s’il s’agit d’un hospice pour la vieillesse, par exemple, 1,000 individus pourront donner jusqu’à une dizaine de décès par semaine. Mais si le calcul porte sur un grand nombre d’hommes, la proportion indiquée plus haut restera toujours très exacte. Si la statistique porte sur de gros chiffres, toutes les différences particulières s’effacent, et, en fin de compte, le rapport des décès à la population reste constant.

Un exemple saisissant de cette régularité des phénomènes sociaux nous est offert par la donnée suivante, relative au nombre des hommes comparé au nombre des femmes. Il en naît à peu près le même nombre chaque jour en France, ce qui ne laisse pas de présenter une analogie remarquable, et même assez comique, avec l’exemple, pris plus haut, du jeu de cartes rouges et noires. Il semble que le hasard seul détermine le rapport du nombre des individus de sexe masculin avec le nombre des individus de sexe féminin. Nous ne savons aucune des conditions qui font qu’il naît un garçon et non une fille, une fille et non un garçon. Il est donc permis, en toute humilité, d’avouer que c’est le hasard seul qui détermine la naissance d’une fille ou la naissance d’un garçon. Eh bien! ce hasard, — le mot est imparfait, mais on ne peut en trouver de moins mauvais, — ce hasard se reproduit si souvent que les nombres respectifs ne changent pas, et que, non-seulement en France, mais encore dans le monde entier, le nombre des hommes est à peu près égal au nombre des femmes. Ainsi, en France, le nombre des hommes était, en 1876, de 18,373,639 et celui des femmes de 18,532,149. La différence est donc minime. A-t-on le droit de dire que c’est le hasard qui a produit cette différence minime ? Est-ce le hasard, comme pour le jeu de cartes? Est-ce une loi inconnue? Pourquoi les deux chiffres sont-ils si semblables ? Pourquoi s’établit-il un équilibre aussi régulier entre le nombre des hommes et le nombre des femmes ?

Si nous avons cité cet exemple, c’est uniquement pour démontrer que les phénomènes sociaux sont fixes, soumis à des lois, et que la démographie, qui étal)lit ces lois, est une véritable science. Certes, on ne peut savoir la cause précise pour laquelle finalement les naissances des filles et les naissances des garçons s’équilibrent très exactement. La démographie ne peut en dire la cause, mais elle peut savoir dans quelles conditions et dans quelles limites s’établit cet équilibre. N’est-ce pas suffisant pour donner à la démographie un caractère vraiment scientifique? En effet, le sort de toute science est malheureusement de ne jamais pouvoir révéler le pourquoi des choses. Au moins peut-elle en indiquer le comment. La science consiste en une série de réponses de plus en plus approchées du pourquoi final, mais qui n’y arrivent jamais. Pour la démographie, science toute nouvelle, mais qui donnera d’ici à peu de temps des résultats remarquables, il faut se résigner à indiquer les fails avec précision, à en exposer les conditions, et peut-être à en rechercher les causes, mais sans avoir la prétention de les révéler toutes.

Les physiciens, les chimistes, les naturalistes ne sont pas plus heureux que les démographes. Ils constatent des faits, découvrent les lois qui régissent ces faits, mais ne peuvent pas en déterminer la cause dernière. Cette cause leur échappe toujours, au fur et à mesure qu’ils reculent la limite de leurs connaissances.

Ainsi, pour la question qui nous occupe ici, nous pouvons établir, grâce aux statistiques diverses, les lois suivant lesquelles progresse la popularité en France; mais les causes qui rendent cette progression si lente ne nous sont qu’imparfaitement connues.


III.

Examinons donc tout d’abord comment se peut apprécier l’accroissement en hommes d’une population quelconque et de la population française en particulier.

La méthode la plus simple est la comparaison entre deux recensemens consécutifs. Depuis 1831, il a été procédé à des recensemens périodiques, se répétant tous les cinq ans, et s’étendant à tout le territoire français. On peut ainsi calculer la différence qui existe entre deux de ces recensemens, et savoir quel a été pendant cinq ans l’accroissement réel de la population.

Voici les chiffres des onze derniers recensemens généraux qui ont été faits en France,


RECENSEMENS GÉNÉRAUX DE LA FRANCE.


Années. Population. Accroissement absolu en 5 ans.
1831 32,560,223 » »
1836 33,540,910 971,687
1841 34,230.178 689,268
1846 35,400,486 1,170,.08
1851 35,783,170 382,684
1856 36,039,364 256,194
1861[6] 37,386,313 1,346,949
1866 38,067,064 680,751
1872[7] 36,102,921 — 1,964,123
1876 36,005,788 802,867
1881 37,321,186 415,398

La différence des deux recensemens de 1831 et de 1881 est de 4,751,963. Voilà le chiffre qui exprime le nombre d’hommes qu’a gagnés définitivement en cinquante ans la nation française. Cela fait un accroissement annuel absolu de 95,039, soit, en chiffres ronds, à peu près cent mille individus par an.

Si nous comparons ces chiffres à ceux que nous fournissent les recensemens des autres pays, nous trouverons qu’il y a une différence extrême entre l’accroissement de la France et celui des nations voisines.

Voici quel a été l’accroissement annuel, pour divers pays, dans l’intervalle de cinq ans (1875 à 1880)[8] :


Empire d’Allemagne États-Unis Royaume-Uni
(Angleterre, Écosse et Irlande.)
Accroissement absolu en 5 ans 2,466,800 5,787,248 1,700,592
Accroissement annuel 493,360 1,155,446 340,118

Comparons ces chiffres à ceux que donne la France, nous trouvons que l’accroissement annuel absolu est pour la France cinq fois plus faible que pour l’Allemagne, et douze fois plus faible que pour les États-Unis.

Ainsi en France, de 1876 à 1881, la population a augmenté de quatre cent mille habitans, tandis qu’en Allemagne, pendant un intervalle de temps identique, de 1875 à 1880, elle a augmenté de deux millions quatre cent mille habitans-Il faudrait donc six Frances pour conserver un accroissement égal à celui d’une seule Allemagne.

Nous pouvons résumer ainsi les données suivantes que nous fournit la statistique :


ACCROISSEMENT ANNUEL.


France (moyenne de 50 ans) 95,039
Royaume-Uni (moyenne des 10 dernières années). 340,118
Allemagne (moyenne des 5 dernières années) 493,360
États-Unis (moyenne des 10 dernières années) 1,155,446

Mais ce sont là des chiffres bruts ; et ils ne représenteraient qu’une vérité incomplète, si on ne les soumettait pas à une analyse minutieuse.

En effet, il ne s’agit pas seulement de connaître l’accroissement absolu, mais surtout l’accroissement relatif, c’est-à-dire celui qui se rapporte au chiffre total de la population existante. Cela se comprend sans peine. Pour un petit pays, l’accroissement absolu peut être peu considérable, alors que l’accroissement relatif est très grand. Ainsi, par exemple, pour le Danemark, l’augmentation absolue a été en dix ans (de 1870 à 1880) de 18,726 habitans par an, c’est-à-dire bien inférieure à l’accroissement de la France, et cependant, toutes proportion gardées, il a été plus considérable qu’en France, car la France est vingt fois plus peuplée que le Danemark, et le croit de la France devrait être aussi grand que celui de vingt Danemarks.

Si nous rapportons l’accroissement annuel au chiffre de la population, nous avons les données suivantes :

ACCROISSEMENT ANNUEL MOYEN POUR 10,000 HABITANS.


France 26
Royaume-Uni 101
Allemagne 115
États-Unis 260

Cela signifie que 10,000 Français au début de l’année 1882, je suppose, formeront à la fin de l’année une population de 10,026, tandis que 10,000 Américains, pendant la même période, formeront une population de 10,260.

Il me semble qu’en présence de résultats si démonstratifs, il ne faut plus parler de l’aridité, mais de l’éloquence des chiffres. Quelles déclamations, quelles dissertations auront la valeur de ces nombres implacables, qui montrent à quel point est minime l’accroissement annuel de la France?

Mais il faut pénétrer plus profondément dans la question ; car l’accroissement de la population en hommes est pour chaque pays soumis à des fluctuations diverses. Il y a d’abord les annexions ou les soustractions de territoires, qui changent, non pas la langue des peuples, mais leur nationalité. Pour nous, hélas ! nous avons subi en 1871 une cruelle mutilation qui nous a privés, au moins momentanément, d’un million et demi de loyaux compatriotes. De sorte que les chiffres ci-dessus ne représentent pas l’accroissement normal réel de la France, ce qu’on a justement appelé l’accroissement physiologique, mais seulement l’accroissement total, celui qui résulte des fluctuations de la politique, aussi bien que de l’excédent des naissances sur les décès. Il faut, en outre, tenir compte des migrations, émigrations ou immigrations, qui modifient, dans des proportions souvent énormes, le chiffre de la population. Les États-Unis reçoivent d’Europe une quantité colossale d’émigrans, que l’Allemagne et l’Irlande leur envoient. Dans les tableaux ci-dessus, indiquant le croît annuel de l’Allemagne, du Royaume-uni et des États-Unis, les différences considérables qui existent entre le croît des Européens et le croît des Américains tiennent à ce que l’émigration des Européens en Amérique augmente le chiffre de la population américaine et diminue d’une quantité égale le chiffre de la population européenne.

Ainsi les chiffres donnés plus haut expriment l’accroissement politique annuel, soit absolu, soit relatif à la population, mais ils n’indiquent pas l’accroissement naturel du pays, c’est-à-dire celui qui est dû à l’excédent des naissances sur les décès.

Étudions maintenant cet excédent des naissances, et comparons ce qu’il est en France à ce qu’il est dans les autres pays. Peut-être pourrons-nous formuler de moins tristes conclusions.

Si l’on dresse l’état des décès et des naissances pour une année entière dans un pays, on trouve que le nombre des naissances l’emporte constamment sur le nombre des décès. Il en est ainsi chez tous les peuples européens sans une seule exception ; mais il est des différences considérables, suivant qu’on étudie tel ou tel pays.

Voici quel a été en France l’excédent des naissances sur les décès depuis 1872 :


EXCEDENT DES NAISSANCES SUR LES DECES.


1872 172,936
1873 101,776
1874 172,943
1875 105,913
1876 132,608
1877 142,620
1878 98,141
1879 96,647

Donc, depuis huit années, il semble que l’excédent des naissances ait été en diminuant, non pas, il est vrai, d’une manière absolue, mais avec des oscillations, des fluctuations dont la cause nous échappe. Malgré ces oscillations, on découvre une tendance générale à la diminution des naissances, ou plutôt à la diminution progressive de l’excédent des naissances sur les décès.

La moyenne annuelle pour ces huit dernières années est de 128,342. Ce chiffre représente donc d’une manière assez exacte quel est actuellement en France, bon an, mal an, l’excédent des naissances sur les décès.

Comparons ces chiffres à ceux que nous donnent l’empire d’Allemagne et le Royaume uni, et prenons pour exemple l’année 1879. Nous trouvons pour l’excédent des naissances sur les décès, en 1879 :


Allemagne 592,098
Royaume-Uni 436,780
France 96,647

Ces trois chiffres sont bien suffisans pour démontrer que la France augmente quatre ou cinq fois plus lentement que ses deux puissantes voisines, l’Allemagne et l’Angleterre.

Mais l’excédent des naissances n’exprime pas à lui tout seul le croît annuel d’une nation; il faut encore tenir compte des mouvemens sociaux, tels que ceux de l’émigration ou l’immigration. En effet, si l’Allemagne gagne tous les ans six cent mille individus, elle peut en perdre, et elle en perd, un certain nombre par l’émigration. Ceux qui quittent l’Allemagne sans esprit de retour, allant porter leur argent et leur travail dans des nations étrangères, oublient la langue maternelle et sont perdus pour la patrie allemande. Par conséquent, le croît en hommes devient pour l’Allemagne un peu moindre que ne paraît l’indiquer l’excédent considérable des naissances sur les décès. Il en est de même pour le Royaume-uni.


Emigration Immigration et naturalisation Différence
Angleterre (1880) 228,473 68,316 160,157
Allemagne (1870)[9] 33,327 5,323 28,004
France[10] 2,793 » »

Ainsi, en compte final, nous trouvons que, dans l’année 1879; le croît en hommes a été le suivant pour les trois pays que nous comparons ici.


Allemagne 564,094
Royaume-Uni 276,6233
France 96,647

De quelque manière que se pose la question, elle est résolue toujours de même, et toujours au grand détriment de la nation française.

Nous assistons, — il faut que tous les hommes d’état le sachent, — à un phénomène remarquable et qui est peut-être sans exemple dans l’histoire du monde. Au risque de passer pour paradoxal, je dirai que l’immense développement de l’Amérique aux dépens des nations européennes pèse plus dans les destinées du monde et mérite plus d’intérêt que la destitution d’un sous-préfet ou l’élection d’un conseiller général. Mais nos passions politiques et nos petites querelles locales nous occupent tellement que nous ne voulons pas voir ce qui sera en réalité le grand fait dominant l’histoire du XIXe siècle : la création d’un peuple immense, qui dans une cinquantaine d’années, peut-être même au début du siècle à venir, sera en état d’écraser l’Europe, et l’écrasera, par son commerce, son agriculture, son industrie, son armée, qui pourra être formidable, et sa flotte toute-puissante.

Si en effet nous envisageons la progression de la population américaine depuis le commencement du siècle, nous voyons qu’en 1801, d’après la statistique officielle, la population des États-Unis était de 5,305,925. Or elle était pour le même territoire, en 1880, de 50,438,950. Par conséquent, en quatre-vingts ans, la population des États-Unis a décuplé ; de sorte que, si, comme tout le fait. supposer, l’augmentation continue dans les mêmes proportions, en l’année 1960, époque que ne verra certainement pas celui qui écrit ces lignes, mais que verront peut-être ses enfans, il y aura 500 millions d’habitans aux États-Unis, c’est-à-dire plus que dans toute l’Europe[11]. Dans dix-huit ans, ce qui n’est rien pour une nation, la population des États-Unis sera de 85 millions d’hommes, c’est-à-dire plus considérable que ne le sont la France et l’Allemagne réunies. Quoique l’excédent des naissances sur les décès ait toujours été très considérable dans l’Amérique du Nord, c’est cependant par l’immigration européenne qu’a pu augmenter dans des proportions aussi formidables la population de l’Amérique. En quinze ans, l’Europe a fourni à l’Amérique environ quatre millions d’hommes, environ 250,000 individus par an, principalement des Irlandais et des Allemands.

Nous n’avons pas à insister sur les dangers que fait courir à la prospérité et à la sécurité de l’Europe cette puissance colossale, grandissant chaque jour. Pour le moment, constatons seulement que ce n’est pas l’émigration française qui augmente la population des États-Unis.

En effet, l’émigration française, soit aux États-Unis, soit dans les autres pays du monde, ne joue qu’un rôle assez peu important, comme le démontrent les chiffres suivans, indiquant le lieu de destination et le nombre des émigrans français :


ÉMIGRATION FRANÇAISE.


En 1877 De 1864 à 1875
Buenos-Ayres[12] 917 20,792
Algérie 890 »
États-Unis 550 8,794
Espagne 318 3,014
Montevideo 159 6,436
Brésil 127 1,883
Antilles espagnoles 50 814
Chili 52 616
Canada 48 854
Venezuela 46 1,050
Égypte 21 961
Turquie 7 419
Autres pays 481 2,230
Ensemble 3,666 60,245

Mais il faut évidemment déduire de ce chiffre l’émigration qui se fait soit au Canada, soit en Algérie. En effet, dans ces deux pays, les émigrans se trouvent encore en terre française, ou du moins ils peuvent parler leur langue maternelle. Le chiffre total de l’émigration française est donc très voisin du nombre tout à fait minime de trois mille émigrans par an.

Ainsi nous n’avons pas, en France, à prendre souci de l’émigration. Par suite de nos mœurs sédentaires, elle est évidemment réduite à son minimum, et il faut porter son attention vers d’autres phénomènes sociaux dont le rôle est beaucoup plus important. Je veux parler soit de la mortalité, soit de la natalité[13].

Voici les chiffres qui expriment la mortalité en France pendant les cinq dernières années :


MORTALITE ANNUELLE EN FRANCE.


1875 845,062
1876 834,074
1877 801,954
1878 839,176
1879 839,882

Ce qui fait par an environ 820,000 décès. Comme la population est de 37 millions d’hommes, il y a en chiffres ronds environ 1 décès par 450 habitans dans une année.

En comparant cette mortalité à celle des autres pays de l’Europe, on trouve qu’il y a :


En Grande-Bretagne 1 décès sur 500 habitans.
En France 1 id. 450 id.
En Allemagne 1 id. 400 id.
En Italie 1 id. 340 id.
En Autriche-Hongrie 1 id. 310 id.

Par conséquent, quoique notre situation au point de vue de la mortalité ne soit pas exceptionnellement favorable, elle est cependant supérieure à celle de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Autriche.

Ainsi, si la population de la France ne s’accroît qu’à peine, ce n’est ni une émigration trop nombreuse, ni une mortalité trop forte, qu’on peut incriminer. La seule cause qu’il soit permis d’invoquer, c’est le petit nombre des naissances.

Cette diminution des naissances peut tenir, soit à une diminution des mariages, soit à une diminution du nombre des enfans résultant de chaque mariage. Or, toutes les statistiques nous prouvent que c’est par suite du très faible nombre des naissances par mariage que la natalité est si faible en France. En effet, depuis le commencement du siècle, le nombre des mariages n’a pas diminué d’une manière sensible, même si on le compare au chiffre de la population totale. Le tableau suivant en fait foi :


Mariages pour 1,000 habitans.
1801 à 1810 7,9
1811 à 1820 7,92
1821 à 1830 7,77
1831 à 1840 7,92
1841 à 1850 7,94
1851 à 1860 7,88
1861 à 1869 7,94

Malheureusement, depuis 1872, il semble que le nombre des mariages diminue assez rapidement, ainsi que l’indiquent les chiffres suivans :


MARIAGES EN FRANCE.


1872 352,754
1873 321,238
1874 303,113
1875 300,427
1876 291,393
1877 278,094
1878 279,580
1879 282,776

Quelque regrettable que soit cette diminution des mariages, et quoique chaque recensement constate dans la population française une diminution absolue du nombre des mariages, cependant notre situation générale, au point de vue de la nuptialité, n’est guère différente de celles des autres pays, car, pour 1,000 habitans, il y a :


En Prusse et en Russie 10 mariages.
En Autriche 9 id.
En Angleterre et en France 8 id.

Donc, ce n’est ni par une mortalité trop forte, ni par une nuptialité trop faible, que l’accroissement de la population française est si lent. Nous arrivons ainsi, par l’élimination successive de toutes les causes sociales que l’on peut invoquer, à la cause véritable, peut-être même la seule cause, qui rend si faible l’accroissement de la population française, c’est-à-dire la diminution des naissances, ou, en se servant du néologisme, maintenant consacré par l’usage, la diminution de la natalité. Certes, ce n’est pas une découverte que nous avons la prétention d’énoncer. Depuis déjà longtemps tous les statisticiens ont établi ce fait, et l’ont rendu incontestable. M. Bertillon, M. Lagneau, M. Legoyt, M. Chervin, et bien d’autres, ont démontré que la seule cause du faible accroissement de la population en France, c’est la diminution de la natalité.

Au risque de multiplier les chiffres et les tableaux, déjà bien nombreux, insérés dans ce travail, je voudrais montrer la proportion, suivant laquelle, depuis le commencement du siècle, ont varié les mariages, les décès et les naissances. On verra, sur le tableau suivant, dû à M. Bertillon, que si la nuptialité a augmenté, si la mortalité a diminué, toutes causes qui tendent à accroître la population, il y a eu, au contraire, depuis 1801, une diminution croissante de la natalité.

Voici quel a été annuellement, pour 1,000 habitans, le nombre des mariages, des décès et des naissances :


Périodes. Mariages. Décès. Naissances.
1801 à 1810 7,89 28,3 32,5
1811 à 1820 7,88 25,95 31,67
1821 à 1830 7,85 25,07 30,9
1831 à 1840 7,96 24,75 28,93
1841 à 1850 7,97 23,27 27,4
1856 à 1865 8,02 23,4 26,7
en 1876 7,09 22,6 26,2
en 1877 7,05 21,6 25,5
en 1878 7,05 22,5 25,23
en 1879 7,05 21,7 25,1

Ces données rendent très évident ce fait que la natalité seule peut être invoquée parmi les causes qui diminuent l’accroissement de la population française.

Si nous prenons maintenant les chiffres bruts, c’est-à-dire le total des naissances françaises depuis un certain nombre d’années, nous trouverons aussi une décroissance graduelle[14].

NAISSANCES EN FRANCE.


1826 992,266
1866 1,006,258
1867 1,007,755
1868 984,140
1869 948,526
1870 941,315
1871 826,121
1872 966,000
1873 946,364
1874 954,652
1875 950,975
1876 966,682
1877 944,576
1878 937,317
1879 936,529

Ainsi, depuis cinquante ans, au lieu d’augmenter, comme cela devrait être si la proportion normale des naissances à la population était maintenue, le nombre des naissances va en diminuant. Non-seulement relativement à la population, mais encore d’une manière absolue, le chiffre le plus faible est celui de l’année la plus récente. De même, le chiffre le plus fort est, à peu de chose près, celui de l’année la plus ancienne. La natalité française, qui était déjà très faible au commencement de ce siècle, va en diminuant tous les jours.

Si au lieu d’examiner en bloc la natalité de la France tout entière, nous examinons chaque département en particulier, nous trouverons que, sauf quatre exceptions (Aveyron, Lozère, Loire-Inférieure, Vienne), la natalité a décru dans chaque département de 1801 à 1876. Pour les Pyrénées-Orientales, la natalité est tombée de 44 à 32 naissances par mille habitans ; pour le Rhône, de 36 à 26 ; pour le Tarn, de 34 à 25;pour l’Indre, de 37 à 27; pour la Creuse, de 33 à 23. En somme, ces chiffres ne font que confirmer ceux que nous donnions précédemment pour l’ensemble de la France; mais il n’en est pas moins douloureux d’observer dans ces détails le triste phénomène que nous avions envisagé tout à l’heure dans sa totalité.

Si nous rapportons le chiffre des naissances à celui de la population, en prenant pour base les naissances de la période 1873 à 1879, et le recensement de 1876, nous constatons qu’il y a eu en France, pendant cette période, à peu près une naissance sur 37 habitans.

Or, dans les autres pays, la proportion est tout à fait différente[15].


Russie 1 naissance sur 20 habitans.
Allemagne 1 id. 25 id.
Autriche-Hongrie 1 id. 26 id.
Angleterre 1 id. 27 id.
Italie 1 naissance sur 27 habitans.
Pays-Bas 1 id. 28 id.
Espagne 1 id. 28 id.
Suède 1 id. 31 id.
France 1 id. 37 id.

Au lieu de dire une naissance sur 25 habitans, on peut calculer combien il y a de naissances sur 1,000 habitans. En opérant ainsi, voici les chiffres qu’on obtient, chiffres qui expriment le nombre moyen des naissances annuelles par 1,000 habitans.


France 26 naissances pour 1,000 habitans.
Suisse 30 id. id.
Danemark 31 id. id.
Norwège 31 id. id.
Belgique 32 id. id.
Angleterre 35 id. id.
Autriche 38 id. id.
Prusse 38,5 id. id.
Saxe 40 id. id.
Russie 50 id. id.

Si, au lieu de rapporter le nombre des naissances au nombre des habitans, on le rapporte aux mariages, on trouvera, comme on pouvait s’y attendre, que le nombre des enfans par mariage est beaucoup moins grand en France que dans tout autre pays, Il est vrai qu’en établissant cette relation, on suppose que toutes les naissances sont des naissances légitimes, et on calcule les naissances naturelles comme étant des naissances légitimes. Mais, dans l’étude d’ensemble qui nous occupe, il me paraît inutile d’entrer dans trop de détails, et je préfère, pour persuader, prendre des chiffres bruts, moins exacts que ceux des statisticiens de profession qui subdivisent à l’infini. Notre but est, en effet, de démontrer un fait, et de le mettre en pleine lumière. C’est aux statisticiens seulement qu’il convient de l’analyser dans toutes ses conditions les plus minutieuses.

Si donc nous supposons que toutes les naissances sont des naissances légitimes, et si nous les rapportons au chiffre des mariages, nous trouvons qu’il y a :


En Allemagne 5 enfans par mariage.
En Angleterre 5 id.
En France[16] 3 id.

Voilà une cruelle disproportion ! et la démonstration est irréfutable! De tous les chiffres que nous avons donnés jusqu’ici, il n’en est pas, à mon sens, qui soit plus concluant. Chaque ménage français est une famille peu nombreuse : chaque ménage allemand ou anglais est une famille nombreuse. C’est un fait que l’observation des mœurs de chaque jour peut confirmer. Chez nous, les familles de cinq enfans paraissent déjà exagérées, alors que dans les pays voisins c’est la règle. Quant aux familles qui comptent huit à dix enfans, il est d’usage à présent de les considérer comme extraordinaires, tandis qu’au siècle passé, comme de nos jours encore en Angleterre, ce nombre n’était pas singulier. Si chacun de nous fait appel à ses souvenirs, il trouvera assurément qu’il y a eu dans ses ascendans des familles de dix, quinze, et même vingt enfans.

D’ailleurs, les chiffres de la statistique sont formels. Les familles françaises sont maintenant très peu nombreuses. Si le croît de la France est si lent, c’est uniquement parce que les enfans issus de chaque mariage sont en petit nombre. Voilà la cause, et la cause unique du mal. Voilà le mal lui-même; et c’est à le combattre qu’il faut appliquer tous nos efforts.

Nous disions, au début de cet article, que notre but était surtout de prouver un fait ; il me semble que le fait est à présent absolument établi.


Faisons maintenant une hypothèse bien invraisemblable. Supposons que pendant cinquante ans l’Europe ne sera déchirée par aucune guerre, et admettons que les frontières des divers états seront en février 1932, ce qu’elles sont en février 1882. Supposons aussi que, durant cette période, l’accroissement annuel de chaque nation restera, par rapport au nombre d’hommes qui la composent, identique, pendant les cinquante années qui vont suivre, à ce qu’il a été pendant dix ans, par suite, soit des émigrations, soit de l’excédent des naissances sur les décès.

Je ne crains pas de dire que tout Français aimant son pays a le devoir de songer, non pas seulement à la France d’aujourd’hui, mais à la France de demain. Par conséquent, il doit se demander quel sera, dans un avenir rapproché, l’état de sa patrie dans le monde.

Actuellement, en 1882, voici quels sont les millions d’hommes qui constituent chaque nation :


Russie 90 millions.
États-Unis 52 »
Empire d’Allemagne. 46 »
Autriche-Hongrie 38 »
France 37 »
Grande-Bretagne 36 »
Italie 29 »

Or, en 1932, à supposer que rien ne soit changé dans la vie sociale de ces nations, à supposer que l’accroissement de la population dans chacun de ces pays suive la même marche que depuis vingt ans, voici quels seront les chiffres de la population[17] :


États-Unis 190 millions d’hommes.
Russie 158 »
Empire d’Allemagne 83 »
Grande-Bretagne 63 »
Autriche-Hongrie 51 »
France 44 »
Italie 44 »

Donc, alors que nous sommes maintenant, pour la population, à peu près sur le même rang que les grandes nations de l’Europe, dans cinquante ans, si rien n’est changé, nous ne serons plus qu’au sixième rang, et à une distance immense des États-Unis, de la Russie, de l’Allemagne et de l’Angleterre.

Et si nous comparons, hélas! cette Europe du XXe siècle à l’Europe du XVIIIe siècle, quel contraste! Alors, en effet, la France occupait, par sa population, le premier rang[18],


Empire germanique (Autriche et Prusse) 28 millions d’hommes.
France 26 »
Russie 25 »
Angleterre 12 »
États-Unis 3 »

Si nous résumons ces faits et ces hypothèses dans un tableau d’ensemble, nous pourrons mettre en pleine lumière la comparaison de l’état actuel avec l’état de 1789 et celui de 1932 :

POPULATION EN MILLIONS D’HOMMES.


1789 1882 1932
France 26 37 44
Allemagne (Autriche et Prusse) 28 84 134
Russie 25 90 158
Angleterre 12 36 63
États-Unis 3 52 190
Australie » 3 20

Que l’on compare le présent au passé, que l’on envisage l’avenir, et que l’on dise s’il n’y a pas, pour la France, dans cette énorme disproportion, un péril imminent : le véritable péril national.

Je ne craindrai pas de me répéter en disant que ces chiffres, au moins pour le passé et le présent, expriment un fait aussi certain que les faits les plus certains de la géométrie ou de la chimie, aussi éloquent que les plus pathétiques péroraisons. Triste certitude et douloureuse éloquence ! Mais il faut regarder le péril en face afin de pouvoir le combattre. Il y a des blessés que la vue de leurs plaies épouvante et qui se voilent les yeux quand le chirurgien écarte les linges qui couvraient la blessure. Ayons plus de courage et plus d’héroïsme que ces malheureux. Sachons voir le mal qui nous ronge. Sachons en mesurer l’étendue. Peut-être, après tout, n’est-il pas sans remède.

Non, la société française n’est pas condamnée à décroître. Pour notre part, nous croyons qu’il y a encore assez de vigueur et d’énergie dans notre race pour qu’elle ne doive pas se résigner à succomber devant les Germains, les Slaves et les Anglo-Saxons.

Nous examinerons, dans une prochaine étude, quelles peuvent être les causes de l’infécondité de la France et quels remèdes on peut opposer à ce danger qui la menace.


CHARLES RICHET.

  1. Le Péril national : tel est le titre d’un livre intéressant et patriotique que M. Raoul Frary a fait paraître l’année dernière. Cet écrivain distingué admet, et à tort, suivant nous, qu’il existe des causes diverses et multiples à la soi-disant décadence de la France. Nous croyons, au contraire, que le seul danger qui nous menace, c’est la diminution croissante de notre natalité.
  2. Les Anglais, au milieu du siècle dernier.
  3. Parmi les ouvrages à consulter sur les questions qui nous occupent ici, nous citerons en premier lieu les documens officiels, comme la Statistique annuelle de la France, et les documens statistiques publiés par les divers ministères, les Annuaires, le Journal de statistique, etc. M. Chervin publie depuis 1877 un excellent journal trimestriel, Annales de démographie internationale, qui a rendu et rendra encore de très grands services à la science des peuples. M. Bertillon, qui dirige depuis deux ans le Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, a publié d’excellens articles (Art. Mortalité, art. France) dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Le même auteur vient de publier l’Annuaire statistique de la ville de Paris pour 1882. Mais nous n’insisterons pas, ainsi que l’ont fait avec raison les savans dont nous analysons les ouvrages, sur beaucoup de détails techniques, trop techniques pour intéresser les lecteurs de la Revue. Nous adopterons les chiffres officiels, tels qu’ils nous sont donnés, quoique ils présentent parfois des lacunes et des erreurs. La statistique est une science très complexe et très difficile. Il nous suffira ici de présenter les résultats généraux auxquels elle a conduit, sans entrer dans la discussion des méthodes
  4. Il me sera permis, à ce propos, de formuler un vœu. Le Collège de France, d’après la nature même de cette excellente institution, est une porte toujours ouverte aux études et aux sciences nouvelles. Ne serait-il pas opportun de créer une chaire de démographie? Cette création serait assurément, pour le professeur comme pour les élèves, le point de départ d’une série de travaux très utiles. C’est la démographie qui doit être, désormais, la base de l’économie politique.
  5. De 1872 à 1877, dans toute la France, le chiffre annuel des meurtres et infanticides n’a presque pas varié : 360, 341, 352, 352, 327.
  6. Annexion de la Savoie.
  7. Soustraction de l’Alsace-Lorraine.
  8. Dans les pays de l’Europe autres que la France, les recensemens quinquennaux se font en 1880, 1885, 1890, etc., tandis qu’en France ils se font une année plus tard, 1881, 1886, 1891, etc. Il y a là une petite anomalie, qui, nous l’espérons, cessera bientôt. En effet, nous croyons savoir que le prochain recensement français aura lieu en 1885, et non en 1886.
  9. En 1880, l’émigration allemande a pris de bien plus grandes proportions. On a compté 106,190 émigrans, dont 103,115 pour les États-Unis. En 1881, le chiffre probable des émigrans allemands est de 123,131.
  10. Il y avait en France, en 1876, 34,510 étrangers naturalisés, et 801,754 étrangers non naturalisés. On peut donc, approximativement, en l’absence de tout document statistique précis, évaluer à un chiffre à peu près égal le nombre des Français qui émigrent à l’étranger et le nombre des étrangers qui viennent en France et deviennent Français. Remarquons toutefois que la statistique française est extrêmement défectueuse pour l’appréciation de l’émigration ou de l’immigration. Beaucoup d’émigrans, surtout dans les départemens pyrénéens, quittent la France pour se soustraire au service militaire. Aussi ne sont-ils pas inscrits sur les registres, très incomplets et très insuffisans, de l’émigration française.
  11. Si, depuis 1801, la France avait grandi en proportion moitié moindre, il y aurait actuellement sur le sol français plus de cent millions d’habitans. Malheureusement nous avons fait des guerres et de la politique, dépensé notre sang, notre argent et notre intelligence, à des œuvres stériles, au lieu d’accroître la population française.
  12. On remarquera que presque toute l’émigration française, est dirigée vers l’Amérique espagnole. Il y a là, en effet, à Buenos-Ayres, à la Plata, au Brésil, une colonie de Basques, qui s’accroît, quoique assez lentement, chaque année. Depuis quelque temps un journal français intitulé : l’Union française, se publie à Buenos-Ayres. Il y a là un commencement d’influence, qu’il serait bon de développer, au lieu de faire effort pour diminuer l’émigration.
  13. Ce néologisme doit être conservé; car il est très commode et répond tout à fait au mot mortalité.
  14. Mort-nés non-compris. Le chiffre des mort-nés est d’une fixité remarquable ; il oscille autour du chiffre de 44,000 par an.
  15. Il est bien évident que les données seraient plus exactes si, au lieu de prendre le rapport des naissances à la population totale, on prenait le rapport à la population apte à avoir des enfans, c’est-à-dire avec les adultes de 16 à 50 ans. Mais il y a déjà dans ce travail tant de chiffres que je ne veux pas le surcharger de nouveaux calculs.
  16. Voici les chiffres exacts :
    Allemagne 5,25 enfans par mariage.
    Angleterre 4,79 id.
    France 3,31 id.
  17. Nous ne pouvons entrer ici dans l’explication très technique des calculs nécessaires pour arriver à ces conclusions. C’est par la même méthode qu’on calcule l’intérêt composé d’une somme P au taux R. d’intérêt à la fin d’un nombre N d’années. M. Bertillon pense que ces calculs sont trop hypothétiques pour être introduits dans la science. Certainement ils exigent des hypothèses ; mais elles sont cependant assez légitimes, à mon sens, pour être admises. À ce compte on ne pourrait rien prévoir, et il faudrait se contenter d’enregistrer les faits passés. Or il est bien important, sinon de pénétrer l’avenir, ce qui n’est permis à personne, au moins de faire des suppositions vraisemblables sur l’avenir.
  18. Note sur la situation faite à la France parmi les grandes puissances, par M. Levasseur (Annales de démographie internationale, 1879, n° 11).